Je reviens donc, un instant, sur ce texte improvisé - souvenez-vous, magnifique, formidable - autour de "Birdy" d'Alan Parker.
Le lecteur attentif aura bien évidemment pris soin de relever les multiples tropes magnétiquement invoqués ça et là, dans un ballet étourdissant et enchanteur digne de La Péri de Paul Dukas. On est branché sur l'inconscient ou on ne l'est pas. Point n'est besoin d'insister. L'humilité n'insiste jamais. C'est pourquoi je ne m'appesantirai pas outre-mesure. Je me contenterai de dévoiler quelques éléments épars de cette architecture cryptophorique à la fois savante, ignare, et verviétoise.
Tout d'abord, les ailes, l'envol, le vol (frères Wright); et son envers symétrique, le monde de l'eau (océan, plongeon, placenta, etc), et toutes ces choses;
- autres bébêtes, avec ou sans plumes: soldats-baleines, perroquets télépathes, saintexuperys, prométhées, icariens, archéoptéryx-s, tyrannosaurus-Rex-s, etc
- Allusions imbriquées à diverses théories paléo-anthropo-philosophico-psychanalytiques envisagées comme "transformateurs Duchamp". Farpaitement :
Abraham & Törok (L'Unité duelle, dans "L'écorce et le noyau"),
Ferenzci (Thalassa),
Jean-François Lyotard (La chose, l'inhumain, les grands ancêtres, in "examen oral")
Mélanie Klein (théorie du "bon et du mauvais sein" dans "Envie & Gratitude"),
Winnicott (l'objet transitionnel, le "forda", la "couverture de Linus", in "Jeu et réalité"),
K. G. Jung (la persona, in Dialectique du moi et de l'inconscient), etc.
- Tropes littéraires: Mallarmé, Michaux, Lovecraft, Stevenson, Daniel Goossens, Pierre Perret, Heidegger, Baudelaire, Rimbaud, Hergé (frères Loisau-Wright), Saint Ex (citadelle), Kant (le beau et le sublime), etc.
Plus le fluide (glacial, of course), le grano, salis, évidently, la folle, du logis, forcémently. Et les mineurs de fond. Et les naufragés de l'île de la tortue. Et le Paris-Brest. Et toute la smala. Tous à Zanzibar. Tous à Verviers-Central.
- Références cinématographiques:
- Birdy (Alan Parker)
- Reviens moi (Joe Wright)
- Le grand bleu (Besson)
- la ligne rouge (Malick)
- Johnny got his gun (Trumbo)
- Jurassik park, le Soldat Ryan (Spielberg)
- Le testament d'Orphée; la belle et la bête (Cocteau)
- La Chose (Carpenter)
- La nuit du chasseur (Laughton)
- les contrebandiers de Moonfleet (Lang)
- The deer hunter (Cimino)
- Apocalypse now (Coppola)
- Persona (Bergman)
- Ces merveilleux fous volants dans leurs drôle de machines (Annakin)
- Full metal Jacket (Kubrick)
Bref, étourdissant. Quel talent. Christian Tzara peut aller se rhabiller, le pauvre. Et son perroquet aussi. Que son grrraand crick le croque.
Ensuite, L'Origine des oiseaux (nouvelle d'Italo Calvino dans "Temps zéro") & Les Dinosaures (dans "Cosmicomics"), matrices de la machine textuelle hypno-grammato-mnésique.
Tout y conspire. Honnêtement, on ne peut pas comprendre ce texte prodigieux sans les avoir lues.
Un passage, au hasard (que je découvre, actuellement, pour la première fois, en même temps que je le tape):
(c'est un dinosaure qui parle, et qui a réussi à passer inaperçu au milieu du groupe des "Nouveaux", ceux qui n'avaient jamais vu les dinosaures, depuis longtemps disparus, mais en avaient entendu parler):
Elle me raconta: "j'ai rêvé que dans une caverne, il y avait l'unique survivant d'une espèce dont personne ne se rappelle le nom, et moi j'allais pour le lui demander, et il faisait noir, et je savais qu'il était là, et je ne le voyais pas, et je savais bien qui il était et comment il était fait, mais je n'aurais pas su le dire, et je ne savais pas si c'était lui qui répondait à mes questions ou moi aux siennes" [...]Depuis lors, j'avais compris tant de choses, et par-dessus tout de quelle manière les Dinosaures gagnent. D'abord, j'avais cru que leur disparition avait été pour mes frères la magnanime acceptation d'une défaite; maintenant, je savais que plus les Dinosaures disparaissent, plus ils étendent leur empire, et sur des forêts bien plus intimes que celles qui couvrent les continents: dans l'enchevêtrement des pensées de ceux qui demeurent. Dans la pénombre des frayeurs et des doutes de générations désormais ignorantes, ils continuaient à allonger le coup, à soulever leurs pattes griffues, et quand l'ombre ultime de leur image s'était effacée, leur nom continuait à se superposer à toutes les significations du monde, à perpétuer leur présence dans les rapports entre les êtres vivants. A présent que le nom lui-même s'était effacé, il leur revenait de se fondre avec le moule muet et anonyme de la pensée, à travers quoi prennent forme et substance les choses pensées: par les Nouveaux, et par ceux qui viendraient après les Nouveaux, et par ceux qui viendraient après encore." (I. Calvino, Cosmicomics, p.112, Paris, Seuil, coll. "Points")
Confusément, je sens bien, sans pouvoir m'en expliquer davantage, que c'est là, précisément là, qu'opère, ou d'où procède, le chant du psittacus, au point nodal de sa mémoire reptilienne, à l'intersection des gares de Verviers-Central et de Verviers-Central, point non récursif de mon ressouvenir de Stéphane M., quand j'ai ressenti que je n'étais plus le psittacus que j'avais moi-même connu.
Alors, bon, on nous dira: c'est très fâcheux, tout ça... Peut-être, peut-être, mais c'est là, précisément là, que se révèle et se déploie, qu'on l'admette ou pas, la révolution authentiquement copernicienne du Psittacus. Alan Badius l'a bien compris. C'est un grand Marabout, lui aussi. Je me demande même s'il ne jouait pas dans la guerre du feu des frères Rosny Aîné.
Alan Badius et moi, nous n'avons pas besoin de disserter à l'envi: un coup d'oeil trifurqué, et nous nous sommes compris. Nous sommes tous deux des enfants du limon, fruits du croisement heureux, à Verviers-Central même, des archives Queneau de l'Hôtel de ville et des usines Marabout, là même où, sur cet lopin de terre meuble plus ou moins excavé, naquirent conjointement Stéphane Mallarmé et le Monolithe noir de 2001 lui-même. Car c'est un fait établi, quoique dissimulé dans cette crypte - et l'un comme l'autre nous savons, de ce savoir très ancien probablement oublié, souvenir agi et agissant en nous, que c'est là, à Verviers même, que Stéphane vit le jour, en même temps que l'hominisation du singe. Et bien sûr, ça ne fait rire que nous, mais nous rions sous cape.
A Verviers-Central, le temps était hors de ses gonds.
Nous y étions, Alan & moi, unité duelle de l'enfant majuscule, un Infini turbulent.
Notre code chimique et électromagnétique fut ce qui nous permit de nous flairer à l'odeur, comme les néandertaliens, frères so(u)rciers dans la clairière de l'être, parce qu'ils s'écoutaient eux-mêmes tels qu'en eux-mêmes.
Aussi savions-nous que notre "tombeau" était en réalité une crypte, aussi avions-nous toujours eu la foi en l'avènement obscur, au don dévoilé/voilé de notre code chiffré/constellation d'Or. Aussi étions-nous sauvés. Parce que nous étions déjà sortis par réminiscence tellurique de notre chiffre:
"C'ETAIT (issu stellaire)LE NOMBREEXISTÂT-IL (autrement qu'hallucination éparse d'agonie)COMMENÇÂT-IL ET CESSÂT-IL (sourdant que nié et clos quand apparu - enfin - par quelque profusion répandue en rareté)SE CHIFFRÂT- IL (évidence de la somme pour peu qu'une)ILLUMINÂT-ILCE SERAIT(pirenondavantage ni moinsindifféremment mais autant)LE HASARD(Choitla plumerythmique suspens du sinistres'enseveliraux écumes originellesnaguère d'où sursauta son délire jusqu'à une cimeflétriepar la neutralité identique du gouffre)RIEN (de la mémorable crise - ou ce fut l'événement accompli en vue de tout résultat nul - humain)N'AURA EU LIEU ( une élévation ordinaire verse l'absence)QUE LE LIEU (inférieur clapotis quelconque comme pour disperser l'acte videabruptement qui sinonpar son mensongeeût fondéla perditiondans ces paragesdu vagueen quoi toute réalité se dissout)EXCEPTÉ (à l'altitude) -PEUT-ÊTRE […] - UNE CONSTELLATION (froide d'oubli et de désuétude - pas tant - qu'elle énumère - sur quelque surface vacante et supérieure - le heurt successif - sidéralement - d'un compte total en formation)"
Avec les seuls moyens du bord, une caisse à savon évidée en son centre, une cloche tubulaire, quelques macarons, nous avions écrit par avance ce texte, sans même le connaître, ou plutôt, ce texte s'était écrit en nous, au travers des fils innombrables et torsadés que nous tissions inlassablement, chemins de traverse, qui furent tantôt ontologie, tantôt anthropologie structurale, tantôt psychanalyse, clinique du fantôme, approche systémique, anasémique, morale appliquée, pantomime, imitations diverses, thérapie clownesque, rhétorique, linguistique, tintinologie, théorie des champs méta-morphiques et de l'harmonie des sphères, kantisme, leibnizisme, sartrisme, hégélianisme - le tout exclusivement et intégralement lu sur des quatrièmes de couverture de Marabout-sciences-junior;
maïeutique obscure avec bornes de signalisation sonore sous forme de marteaux sans maître qui faisaient tantôt "dong" tantôt "ding", assénés sur la tête de quelques pauvres crânes tondus de passage et qui repartaient aussitôt, migraineux, dans quelque ruelle ténébreuse d'Harry Dickson, et sans demander un putain de Kopeck à qui que ce fût;
aussi par l'invocation de forces occultes qui nous répondirent, depuis la faille de San José, et d'où sortirent un soir de septembre, à notre grand dam, après diverses prières inversées, de sombres borborygmes et invectives recueillis sur la bande magnétique à moitié déchiquetée d'une maxell standard et passées par la touche rewind d'un vieux Sharp tout pourri, quelques grands ancêtres monstrueux aux noms oubliés et imprononçables;
aussi par diverses poudres de perlimpinpin recueillies, filtrées et tamisées à même l'Ab-grund de la forêt noire, dans un commerce clandestin que nous entretenions avec certaines sorcières aux pieds nus et crochus dont nous tairons le nom, appelées à nous par écho-sonar, nous conviant à de sombres sabbats où nous exorcisions les âmes d'enfants morts-nés comprimés entre les pages du Kaddish, et chaque fois (pas toujours), le sortilège bu, par nos cloisons tympaniques transpercées, déployant nos pavillons de fortune, faits de breloques et de peaux de tambours soldées aux puces, nous apprivoisions les mots de la tribu. Sauvés par l'acousmatique, et Alfred Tomatis.
(15 janvier 2008)
(15 janvier 2008)
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