samedi 26 septembre 2009

l'affaire Val-Siné (3): la ténébreuse clarté du baragouin térébrant de Daniel Franco, philosophe.


(5 août 2008, suite)

Les « petits traités » valétudinaires de philosophie « par temps obscurs » se multiplient désormais, à l’ombre des grands chênes tutélaires médiacrates. Au mépris de la sagesse potagère qui nous enseigne pourtant que rien, hélas, ne pousse en leur voisinage, hormis quelques variétés d’endives *** tortillant âprement de l’encolure dans le geste désespérément opiniâtre d’appeler à elles la lumière des néons, et leurs cinq minutes éphémères de gloire .
*** (endive. N. fém. Bourgeon hypertrophié de la chicorée de Bruxelles (witloof) obtenu par forçage dans l’obscurité et consommé cru ou cuit.)
Un nouveau venu, intrépide, est venu tâter du klaxon. Histoire de mettre à profit l’embouteillage estival des Idées, et de ne pas, une fois encore, ce serait trop bête, rester en rade, intermittent de la société du spectacle, sur le bord de la grande autoroute du soleil. Ce genre d’opportunité se présente rarement. Il faut savoir saisir le « kaïros ».
L’aspirant vedette au semainier vespéral, c’est donc Daniel Franco, jusqu’ici obscur cruciverbiste conceptuel (cf. ci-bas), et exerçant provisoirement, pourquoi non, sa créativité itérative dans la dramaturgie scénique.
Belge, né en 1968, et vivant à Bruxelles, apprend-on.
« Formation :
Licence et une maîtrise en philosophie à l’Université Libre de Bruxelles, sous la direction de Pierre Verstraeten
Doctorat en philosophie à l’Université de Paris VIIII, sous la direction d’Alain Badiou.
A été ou est encore… :
Enseignant à l’Institut polytechnique de Paris Jussieu
Conseiller dramaturgique pour Bernard Sobel, au Théâtre National de Gennevilliers ».
Ce monsieur a donc parfait sa formation sous la direction d’Alain Badiou.
Ce serait pure calomnie et procès stalinien ad-hominem que d’oser suggérer, ne serait-ce qu’un instant, que le mobile souterrain qui structure les admirables vaticinations logico-sémantiques qui nous sont offertes là en colliers de « rebonds » intarissables, ressemble à s’y méprendre à quelque vilain affect de jalousie et de ressentiment, s’arc-boutant au prétexte providentiel de flatter les « nouveaux philosophes » d’aujourd’hui et de toujours, par une magnifique chorégraphie toute en contorsions pseudo-savantes.
Aussi convient-il de ne pas se contenter de le suggérer, mais encore de l’établir. Et par le menu, même si la tâche est fastidieuse.
Mais après tout, nous sommes en vacances, nous aussi.
Mais avant de nous plonger dans les agapes de cette para-philosophie de bistrot éditorial dont notre nominaliste au pied agile fait ses choux gras – une improbable science pataphysicienne (qui s’ignore) de la transformation de tout énoncé en n’importe quoi qui serait à minima son contraire, ce « monde des non-A » dont le nexialisme science-fictionnesque d’Alfred Van Vogt, nous le rappelions, plane encore confusément sur les abracadabrantes uchronies géo-politiques de l’éditorialiste Alexandre Adler -, consultons la notice bio-bibliographique que Daniel Franco se consacre modestement à lui-même, et à son dessein :
« Daniel Franco est philosophe et vit à Bruxelles.
Depuis plusieurs années, il publie dans de nombreuses revues (Les Temps Modernes, Purple Journal, Pylone). Certaines pages d’opinion ont également paru dans les journaux Le Monde et Libération.
Ces écrits portent notamment sur la situation tragique au Moyen Orient, qu’il inscrit dans le champ aujourd’hui labouré en tous sens de ce qu’on appelle les « quêtes identitaires ». Il mobilise à ce sujet le legs mythologique ancien, non comme des matrices intemporelles, des cadres inusables, mais comme une sorte de calmant, l’auxiliaire de cette vue dégagée que les Grecs appelaient « théorie ». Œdipe, après avoir résolu l’énigme du Sphinx à Thèbes, libère cette autre peste qui lacère toute peau, qui réfute toute apparence : la volonté d’identité. Cette volonté est vaine, et déçue nécessairement, pour la raison que l’identité n’existe pas, ou pas à la manière d’un objet pour la volonté. Seule existe, et à peine saisissable, à la façon d’un mystère, la ressemblance. Narcisse, fils du fleuve Céphyse, au bord de l’eau, en est le héros émerveillé et dramatiquement inassouvi. Les morales sont limpides : Oedipe à la fin se crève les yeux; Narcisse jusque dans l’extrême douleur s’empêche de les fermer. C’est dans la filiation de ce regard à toute épreuve, somme toute très peu narcissique, que nous souhaitons déployer notre réflexion et jeter, vraiment jeter, nos filets. »
Diantre ! Vaste et noble programme que voilà, n’était l’onctuosité vague d’un « gai-savoir » fort mal imité, et dont l’imitation engendre un charivari nébuleux qui, déjà, berce nos oreilles .
Le « legs mythologique ancien », comme une sorte de « calmant », « auxiliaire de la théorie », remède contre cette « peste qui lacère toute peau : la volonté d’identité ». Jetant, vraiment, jetant ses filets dans la filiation de ce regard, il est bien dommage que Daniel Franco se crève aussitôt l’œil perçant, pour aboutir au résultat résolument inverse de ce qu’il préconisait : à savoir se jeter, tout brûlant, lui aussi, dans le feu vif du vertige identitaire qu’il dénonce. Encore une apprentie midinette sur le retour qui s’est brûlée les ailes, à trop vouloir tâter de la volupté des phares aveuglants de la pensée contemporaine télévisuelle, donc.
Le primo-pataquès au sujet d’un développement de Badiou incroyablement mal compris («il serait terrible pour les juifs, cette multiplicité vivante, de laisser le mot dont ils se réclament, et qui est lié de longue date aux aventures de l’universel, devenir l’emblème du capitalisme modernisé, de la xénophobie antiarabe ou antiafricaine et des guerres américaines») , et synthétisé comme seuls les bâcleurs de seconde session examinatoire en sont capables, ayant été « upgradé » par l’impétrant récipiendaire lui-même, il importe donc, si on n’a vraiment que ça à faire, d’examiner les sidérants syllogismes auxquels sa mise au point donne lieu.
Nous lisons en effet, dans l’addendum :
« J’ai écrit dans mon papier qu’on était amené à en conclure, « en bonne logique, que s’attaquer à l’oligarchie revenait toujours jusqu’à un certain point à s’attaquer aux juifs ». J’ajoutais : « que derrière le très reconnu pouvoir des riches opère secrètement un règne des juifs » : cette dernière phrase, j’en conviens, est excessive et indéfendable. Si on me l’accorde, je souhaite l’annuler. »
Passons rapidement, et par pudeur, sur cette mansuétude de type joffrinesque qui consiste à annuler « magiquement » ses propres contorsions sémantiques par de plates excuses, que seuls quelques rabat-joie jésuitiques renâcleraient à accorder.
Ce n’est pas que ce soit excessif et indéfendable, cela relève tout simplement de ce qu’il faut bien appeler, sans crainte ni tremblement, de la malhonnêteté intellectuelle, de la fraude.
Cette malhonnêteté, sous les auspices d’un sophisme nov’languien qui vaudrait séance tenante à notre érudit-polémiste de prytanées une annulation rétro-active de la mention de bachelier, assortie d’une proposition de réorientation drastique du cursus vers une formation de greffier en procès staliniens en Syldavie septentrionale, a en effet de quoi surprendre :
il s’agit « simplement » de renverser, cul par dessus tête, un argumentaire visant à mettre en garde la tentation d’ériger en « identité essentialiste » le statut universaliste, multiplicitaire, du Juif : son cosmopolitisme, le façonnement de son identité dans et par les différences, les greffes géo-culturelles, la destinerrance, dirait Jacques Derrida.
Que les Juifs, représentants éminents, dans l’histoire et la formation de l’Europe, de cette destinerrance, aient été précisément ce peuple non assignable à un sol, une Nation, une loi du sol et du sang, inquiétant par là les identités archaïques et fantasmées du collectif, voilà bien ce qui précisément jetait dans l’effroi, la terreur, la crispation identitaire, la haine xéno-phobe fondamentale, vertige d’un ciment identitaire, ces idéologues mystiques de l’Identité à soi-même des peuples, que furent les Drumont, les Maurras les Bernanos.
Il serait terrible, donc, que soient attisées de nouvelles haines identitaires, désignés à la vindicte de nouveaux boucs-émissaires, infligés de nouveaux stigmates ethno-religieux, encouragés les « chocs » des civilisations, par le pilonnage incessant de ces sophismes médiatiques, de cette rhétorique irresponsable de « diabolisations » en tous genre que pratiquent ceux qui aujourd’hui stigmatisent le pluri-ethnisme, EN LEUR NOM, au nom des Juifs, persécutés précisément par la logique délirante des pires fantasmes identitaires, aux effets inéluctablement meurtriers et bellicistes.
Voilà ce qui serait terrible, en effet. Cet usage de la victimologie appliquée, qui rabaisse lui-même la dignité du Juif, sa positivité, sa multiplicité, sa complexité, échappant aux codages identitaires et territorialistes. Ce retournement, cette intériorisation du stigmate, qui l’inciteraient à se définir et à s’envisager essentiellement comme victime. Les vrais philosophes, de Spinoza à Deleuze, ont toujours dénoncé avec force l’affirmation de soi par réactivité, le mensonge d’une éthique négative, d’une éthique qui ne peut penser le Bien que sur le fond d’un mal radical ou originaire. Badiou, qu’on l’apprécie ou pas, est un de derniers philosophes à s’inscrire aujourd’hui dans cette rare lignée.
Et voilà que sous les auspices d’une rhétorique frauduleuse, Daniel Franco se met en devoir de faire de « A » un « non-A » et de « non-A » un « A » : prétendant, croit-il, mener bataille contre le mythe de l’identité, il brandit une identité par réactivité, une identité qui ne saurait être que de victime, pour qualifier d’antisémite un penseur qui nous met en garde, dans la grande tradition d’un rationalisme universaliste, contre le syllogisme redoutable consistant à « retourner » le refus de l’oppression au nom des vertiges identitaires en vertige identitaire autorisant la stigmatisation de l’autre par de nouvelles oppressions.
Consistant, pour le dire autrement, à instrumentaliser purement et simplement le concept d’identité : refuser que le statut de Juif soit instrumentalisé au nom de l’affirmation belliciste d’un désir d’empire fondé sur le choc civilisationnel, c’est distribuer la haine du Juif. La paix, c’est la guerre, la guerre, c’est la paix.
Seuls quelques demeurés semi-trotskystes, et céliniens de la grande banlieue, refusent encore de souscrire à cette saine, évidente et implacable logique. Honte à eux. Ils feront triste mine dans les poubelles de l’Histoire, quand Philippe Val, messager éclairé des valeurs laïques et républicaines, sera enterré au Panthéon.
Examinons à présent comment, dans l’auto-absolution de son propre pataquès, Monsieur Franco, tel l’Ouroboros, n’en finit plus de se consommer lui-même, en s’égarant, à l’infini, dans le labyrinthe de la machine « volapuk » à pomper et à improviser des sophismes, qu’il a lui-même engendrée :
« La question que je pose est celle-ci : quel rapport entre la critique de l’oligarchie et les juifs ? Comment celui qui critique l’oligarchie ou la démocratie minimale et minable qui lui sert d’alibi, en vient-il à parler des juifs ? Autant que je sache, nul besoin de parler des juifs pour critiquer les inégalités de pouvoir soutenues par des inégalités de richesse. »
Autant en effet que vous le sachiez, Monsieur Franco, c’est vous-même, en votre complétude auto-suffisante, qui avez déduit votre conclusion de vos propres prémisses : ayant vous-même postulé, en l’effaçant aussitôt, l’adéquation oligarchie-Juifs, c’est vous et vous seul qui en conséquence avez « besoin » de parler des Juifs pour parler de ceux qui critiquent les oligarchies. Vous exploitez vous-même, en le posant comme principe de votre « démonstration », le stéréotype ou amalgame antisémite de l’adéquation juif/oligarque, pour ensuite valider l’adéquation antisémite/anti-oligarque.
Inutile de rappeler, par incidence, que cette profuse dialectique rame à côté de la montre en or, puisque Alexandre Adler s’est chargé de vous instruire au sujet d’un autre amalgame fâcheux, qui a la vie dure chez les boutiquiers feignants et les militants staliniens d’une paresse chère à Paul Lafargue : Sarkozy n’est pas « majoritairement » juif (en l’attente de l’expertise de tests adn qui pourraient faire prochainement les gros titres du Figaro), quoique symboliquement juif par le seul fait que ceux qui critiquent le sarkozysme voit en lui une « intolérable promotion de l’Etranger » (sur ce coup, Adler n’a franchement pas manqué d’un certain toupet, quand on sait à quel point la politique sarkozyenne actuelle de « gestion » du non-Français est un modèle envié d’hospitalité).
Mais plus ponctuellement, vous amalgamez, en l’escamotant, votre gigantomachie ultra-personnelle vis-à-vis de Badiou, laquelle semble motiver l’essentiel de votre intervention dans le champ médiatique, profitant pour cela de l’amalgame préalablement agencé par BHL lors de son intervention dans l’affaire Siné/Val, qui n’en demandait pas tant.
D’amalgame en amalgames d’amalgames, vous irez loi, mon petit (vieux).
Il faut dire que la non-pensée médiatique que vous flattez, lustrez même, vilain stratège en vedettariat mondain que vous êtes, se nourrit quasi exclusivement de cette syllogistique incomparable, dont l’écran de fumée nous divertit tant et tant depuis que les ailes des nains de la pensée, brassant l’air de leurs frénétiques et infatigables moignons, ne les empêchent nullement de voler, et de planer, en haute altitude, sur le paysage « intellectuel » franco-français qu’ils se sont bâti à leur propre mesure.
Cheminons, avec vous, vers la fine pointe de votre ultime ( ?) et vaudevillesque rebond :
« A-t-on connaissance d’intellectuels juifs favorables au capitalisme, aux invasions américaines et hostiles sans mesure aux Africains et aux Arabes, sans doute aux populations d’Islam ? Oui, on les connaît ? Combien sont-ils, une poignée ? Une dizaine ? D’après le Talmud, le monde repose sur la présence de dix justes. Faut-il croire que dans le Talmud de Badiou, le sens du mot ’juif’repose sur dix salauds ? Si les juifs sont « liés de longue date aux aventures de l’universel » – ce qui est exact et c’est même peu dire – par quel renversement démoniaque ces mêmes juifs devraient-ils s’inquiéter du destin de leur nom au seul motif qu’une dizaine d’entre eux ont depuis peu rompu ce lien. Cette phrase, pour moi, c’est l’horreur pure. J’ai rappelé dans mon texte que la série «le capitalisme, la xénophobie, les guerres» reprenait point par point un très vieux et tenace grief. Avec cette phrase, Alain Badiou pose le pied dans la boue. Connaissant son œuvre, je peux témoigner parmi de nombreux autres que cette boue lui est absolument étrangère. L’accusation s’en trouve plus légère ; une explication est d’autant plus requise. »
Saluons cet brillant exercice de chantage qui repose essentiellement sur une confusion persistante qui annule d’emblée l’ensemble de votre prétendu combat contre le mythe des Identités :
une fois de plus, dans votre théâtrale geste, c’est vous-même, en votre plénitude, qui, à l’instar des « nouveaux philosophes » précités, folâtrez dans les plus téméraires amalgames et stéréotypes identitaires entre Juif, Capitaliste, citoyen d’Israël, militant sioniste, etc.
Tout juif n’est pas « par essence » capitaliste, tout capitaliste n’est pas « par essence » juif, tout juif n’est pas « par essence » militant sioniste, tout militant sioniste n’est pas « par essence » capitaliste, tout militant sioniste n’est pas « par essence » militant anti-palestinien, tout militant pro-palestinien n’est pas « par essence » non-juif, etc etc.
Ça fait donc beaucoup de monde.
Vous jouez, vous, par contre, inlassablement, d’une ambiguité entretenue sur le nom de « Juif », en vertu de laquelle, comme tant attendu, vous vous auto-accordez le droit de soupçonner d’antisémitisme toute personne, et votre golem intime en particulier, qui se refuse précisément à ces honteux et frauduleux amalgames. Qui, à part vous et quelques rhéteurs, diabolisent en définitive une « essence » du Juif ? Qui, mais qui ?
Cher pompier et pompeux pyromane, maintenant que vous vous êtes à jamais immolé sur l’autel de la tartufferie intellectuelle, en tentant le coup de dé ultime destiné à vous faire passer pour un philosophe digne de débattre avec un autre philosophe aux yeux de pseudo-philosophes médiatiques, que ne retournez-vous à vos cyber-journaux intimes, où tant de plumivores douloureusement lyriques régalent, et vous le faites si bien, les amateurs de mauvaises imitations pseudo-poétiques, mais authentiquement fumeuses, des vrais Bégayeurs de la pensée ?


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