Affichage des articles dont le libellé est Onfray (Michel). Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Onfray (Michel). Afficher tous les articles

mardi 11 mai 2010

Onfray ou "je jouis partout". 2) addendum


1.

… En ces temps d'obscurantisme où les guignols médiatiques et les philosophes d'opérette syldave squattent sans désemparer les écrans noirs de nos nuits blanches, ou le contraire, l'essentiel a été dit, l'est et le sera, ou presque, à propos de la dernière livraison graphopathique du grand disciple d'Aristippe de Cyrène et de Sycophante d'Apoplexie, Michel Onfray.

L'œuvre de Freud, les postulats de la psychanalyse freudienne sont critiquables, datés, certes. C'est pas un scoop. Les écoles et collèges proto-lacaniens qui se forgèrent en déplaçant son contenu, du côté de la linguistique et de l'anthropologie structurales, puis de la formalisation "mathématique", sont critiquables, datés. Certes. Tout cela est bien connu.

Tristesse de voir, par ailleurs, un Mikkel Borch-Jacobsen défendre ici le bateleur de plateaux-télé-repas, raidir au gré des années ses positions critiques, en leur temps roboratives (avec "le sujet freudien", puis "Lacan. Le Maître absolu"), les appauvrir dans les croisades dogmatiques bien connues elles aussi, synthétisées pour de bonnes et mauvaises raisons, dans le collectif "Livre noir de la psychanalyse".
Il y avait eu, bien avant, les assauts corporatistes des "experts" en techno-comportementalisme scientifique (le pas assez oublié Van Rillaer, qui a inspiré des cliques de gangsters-ronds de cuir du stimulus-réponse salarié, dans les départements scientifiques de psychologie de l'ULg et d'ailleurs, puis Bénesteau, etc). Il y avait le courant systémique de Palo Alto, autrement plus intéressant.

Bien sûr, il y a des psychanalystes qui pioncent pendant les séances, et j'en ai connu un,  psychanalyste freudien mais aussi neuro-psy, avant de prendre mon courage à deux mains et finir par oser lui dire au-revoir. Mais ça, je pouvais comprendre, qu'il soit fatigué, le pauvre homme. Le récit de ma vie et de mes misères m'accablait tant moi-même, à la longue, tant de devoirs ennuyeux à faire, et m'angoissait plus encore son silence lorsque j'aurais préféré me taire, passer à autre chose, sortir me promener dans les bois d'la cour. Alors, oui, peut-être, c'était un bon effet "placebo". A moitié remboursé par la mutuelle, faut le préciser. Mais au fond, ça n'a rien changé à ma vie. Je suis resté avec mes problèmes sans solution et mes solutions problématiques, et j'apprends à vivre avec, cahin-caha. Je mourirai guéri, en somme, comme aurait pu dire l'autre. Puisqu'un quart d'heure avant sa mort, il ne l'avait pas encore dit. Possiblement vrai.

Bien sûr, s'embarquer en tant qu'"analysant" dans une "cure" analytique - comme de juste "interminable" -, ce n'est pas tant se mettre en tâche de "devenir un penseur de sa vie" (comme l'énonce le suave Sibony, dont les admirables rhapsodies spiraloïdes et jaculatoires égrenant inlassablement ses ouvrages nous ravissaient tant, dans les eighties), c'est plus souvent s'encourager à macérer dans ses névroses, entretenir et couver ses problèmes, les générer, se ligoter dans une cartographie de l'intime, comme Spider, s'y assujettir, s'infantiliser et s'inféoder soi-même dans une servitude volontaire, sous la férule d'un Signifiant maître et intériorisé.
Et c'est assez vrai, ce que disait Watzlawick: que la recherche de la solution crée en grande partie le problème. Et que la "pratique de l'analysant" s'apparente à bien des égards à une forme de "maladie mentale" consistant à se prendre elle-même pour son propre remède. Et Deleuze l'a très bien montré, d'une autre façon. 

Et bien sûr, faudrait nuancer tout ça. Ne pas jeter l'enfant, toujours en friche, avec l'eau du bain. Freud, c'est passionnant. Lacan, c'est passionnant. Pas mal de freudiens, pas mal de lacaniens, dit "orthodoxes", moins.

A la limite, on s'en fout un peu que les corporatismes de l'orthodoxie freudo-lacanienne en pâtissent ou à l'inverse en profitent (et la tribune de Roudinesco est affligeante elle-même). Ils sont de toute façon à l'agonie, guettés par l'aphasie promise d'un vortex glossolalique qui n'en finit plus d'aspirer des imitations de psychose langagière (cf. point 3 ci-après).

Mais Onfray n'est pas le Deleuze, pas plus que le Sartre, de nos temps féodaux.  Onfray ne profitera pas de son coup éditorial, qui devrait (oui, bon, c'est pas sûr) le ridiculiser une fois pour toutes en tant qu'oracle médiatique multicartes asphyxiant toute pensée dans l'espace public et déterminant "l'agenda médiatique" des sujets à débattre... 


Onfray est devenu, au fil des ans, une référence majeure du combat prétendument "laïque", en Belgique par exemple. On l'y invite partout. Sans compter les écoles, les cours de morale. On y lit désormais du Onfray comme du Voltaire. 

On ne peut plus quasiment parler d'athéisme sans devoir se coltiner les aficionados d'Onfray. On serait entré dans une nouvelle "guerre des religions", il faudrait choisir son camp. Les amis de la raison joyeuse et libre-penseuse contre les prêtres sinistrosants et pervers; les croisés de l'Aufklärung libératrice contre les croisés de l'obscurantisme qui menace; les féministes tonsurées, anticléricales et fourestiennes, contre les phallocrates intégristes brimant leur Fatima soumise sous le voile oppresseur; les allumés du balcon d'la loge contre les incendiaires de la terrasse.

Onfray, ce n'est pas tant la question de la médiocrité de sa pensée qui pose problème. C'est que, cheminant, son ancrage idéologique est devenu de plus en plus transparent (une version du "nietzschéisme" parmi les plus délétères, et, sans plaisanter, il se réclame  encore de Deleuze).

Onfray a largement profité de l'absence quasi absolue de voix intellectuelles sérieuses, c'est-à-dire académiquement élitaires - comme il se doit, du point de vue de son Barnum (quoique, mafieuses et œdipianisées, à n'en point douter, elles le sont. Pire qu'un Scorsese ou le cabinet de feu Guy Mathot) - dans le champ des médias, pour faire fructifier son merchandising de "contre-histoire de la philosophie" censée valoriser les "petits" maîtres occultés par la soi-disant philosophie officielle: celle qui dispense dans les Universités vaticanes la doctrine des sacro-saintes momies vermoulues, agités du bocal et autres entéléchies incorporelles, à l'exclusion des francs-tireurs isolés, des Jonathan Livingston Seagull  planant solitairement sur la mer des Sargasses. 
Ce qui est bien sûr n'importe quoi, comme vision. Mais ça permettait de sculpter la posture du rebelle Onfray qui dérangerait l'ordre établi, et tout ça.  Pour un très large public, trop longtemps biberonné à François de Clozets et Pierre Bellemare, la philosophie télévisuelle en France, c'est désormais Onfray, l'irréductible, un esprit libre, un chenapan, un sacré sacripant, comme disait Lanzmann au sujet du courageux Zénon Ligre des Lumières bis - comme on cause de "cinéma bis" - Robert Redeker.
C'est un peu le mélomane hétérodoxe de la salle Pleyel venant nous expliquer à quel point les figures de Debussy et Ravel ont occulté le génie de Maurice Le Flem, Charles Koechlin, ou Jean-Roger Ducasse, les reléguant aux rayons honnis des sabbats démoniaques. Ou le cinéphile transversal réhabilitant Jésus Franco ou Bruno Mattéi contre les cacochymes felliniens et antonioniens surcotés des messes festivalières corporatistes.

On voit aujourd'hui le résultat.

L'université "populaire" de Caen, au nom du "peuple", mais sans les "remugles" latrinaires de la masse "impuissante", "haineuse", "aigrie" et "jalouse", on n'ose imaginer à quelle altitude de rigueur, et préservée de toute "self-indulgence", ça doit voler... Avec son auditoire select de thuriféraires fervents. Raël n'est plus très loin.

Onfray, se sentant les coudées franches, courtisé par tous les salons télévisuels et radiophoniques, a pu délirer tranquillement, assuré des béni-oui-oui de la posture "anti-théologique", poussant sa petite gueulante à moulinets multidirectionnels tantôt à gauche, tantôt à droite, mais, graduellement, de plus en plus uni-dimensionnellement binaires: le diable et le bon dieu, l'obscurité et la lumière, etc. Il doit avoir désormais son portrait accroché dans toutes les arrière-cuisines de salles de kermesses des maisons de la laïcité.

Il était temps de s'occuper un peu d'Onfray, de lui tailler un chouette costard, à la dada.

Aujourd'hui, quelques philosophes dits "universitaires" prennent brièvement le temps de répondre: démystifier un faux démystificateur, déboulonner une idole misérable pour temps de misère.
Pourquoi feraient-ils leur "dégoûté", refusant d'intervenir dans l'espace dit public?
Au contraire, c'est la fonction de la philosophie, minimalement, que d'intervenir dans le champ de l'opinion. Surtout quand l'opinion, et quelle opinion, est devenue la seule pensée audible et autorisée. 

N'en doutons pas, Onfray criera à l'opération policière des clercs et des ronds-de-cuir de la pensée autorisée, officielle, normative, dominante, à l'encontre du joyeux farfadet vitaliste costumé, par provocation postanarchiste, en Don Camillo des talk-shows. Futur portrait de l'auteur en "ennemi public", victime sacrifiée sur l'autel d'une alma-mater castratrice. Apostille négociable au best-seller épistolaire Houellebecq-BHL.

Mais tout ça, c'est la faute au pensionnat de Giel. Et ça l'a tarabusté jusqu'à Sainte-Ursule. Postmaturé chez les curés, le "grand petit homme" voit de l'orgone partout et veut fonder sa propre école. On a vu ça 50.000 fois.
Comme quoi, c'est bien vrai qu'un "penseur" se déduit de sa bio-graphie; elle regarde aussi la nôtre, celle des amis de la graphie. 

Ainsi s'est-il sculpté lui-même. 
Couvé au couvent, le self made man, "récusé" dans son bocage, bâtit, au terme d'un labeur sacrificiel intense, riche en épiphanies, "hapax existentiels" et conversions, sa petite entreprise lui permettant enfin de goûter et de faire partager aux prolétaires du monde entier les privilèges de l'establishment: jouir et faire jouir. 
Claude Vorilhon, qui n'est pas la moitié d'un con, l'avait finement intuitionné, qui le reconnut aussitôt comme son pair, le consacrant prêtre honoraire "malgré lui". Mais par une fierté mal placée, par soif de respectabilité autant que par haine du miroir tendu par le frère-siamois stellaire à deux doigts de faire capoter son plan de carrière dans la jet-set, Onfray le snoba. Et avec quelle rage expiatoire! Tout l'arsenal des fioles d'eau bénite et des anathèmes sismiques pour un exorcisme purificateur. C'était immérité, autant que dommage. Ils auraient pu faire chanteur folk breton ensemble. Et Alan Stivell (que j'adore) aurait pu s'aligner...
 

Ce qui compte, donc, c'est d'enlever le masque du "nietzschéisme" frelaté d'Onfray, exhiber la dimension authentiquement réactionnaire de sa "pensée", la médiocrité omni-directionnelle de sa production démagogique et béhachélisante dans la course à l'auto-intronisation comme "philosophe-héraut de ces temps", et dont la nullité insulte constamment la rigueur de ceux dont il prétend se réclamer.

Car qui, dans l'état de régression idéologique massif de la pensée "française", sert et exploite manifestement les clivages socio-économiques, détruit l'héritage des penseurs dont il se réclame pour proclamer le "salut" dans la jouissance hédoniste et cynique du nanti, cette prérogative du privilégié, cette vulgarité du possédant, censée triompher de toutes les négativités, de la misère, des conflits sociaux, comme Saint George terrassant le dragon?

Qui, par son omni-visibilité, se distingue par sa participation plus qu'active aux montages idéologiques, sous le nom bafoué de "laïcité", des "guerres de religions" et autres problématiques de pseudo-identité "laïque" obstruant telle une super-structure mentale le temps de cerveau disponible, pour escamoter les vrais problèmes concrets?

Qui détruit les enjeux de la philosophe qu'il exploite, comme un combat de catch entre les "puissants" et les "impuissants", profitant à l'aliénation, la misère sociale qui seule rend possible la fertilisation de sa tige bulbaire étoilée?

Qui, supprimant "Freud" comme un prurit (6000 pages étudiées à la loupe sur son i-phone en quelques semaines, et révélées sous leur vrai jour, enfin: un athlète), nous promet le retour d'un joyeux paganisme de carton-pâte qui profite déjà et ne profitera qu'à ceux qui en sont les légitimes bénéficiaires?

Qu'est-ce que c'est que ce soi-disant "trublion" des tubes digestifs télévisuels qui nous explique, comme Ferry, sans rire, ou d'un rictus constipé par la bouffissure de son amour de lui-même, que la "philosophie", comme propédeutique privée, de tout un chacun, pour lui-même, détient les bonnes "réponses" aux eschatologies de tous genres, au bonheur et au malheur, en ces temps de démembrement systématique de tous les droits sociaux et économiques? Qu'il n'y a qu'à se plonger dans Aristippe de Cyrène, Synoch de Smyrne,  Deconokos de Pleintubos, Lapidaule d'Halicarnasse, ou Anarchadix de Dher? Et sécréter sa petite perle résiliente?

Qui fait son beurre personnel en exploitant de la façon la plus grotesque les notions de "passions tristes" et de "passions joyeuses"?

Qui transforme les enjeux concrets de la philosophe en pure construction mentale déréalisée, en joutes purement abstraites, dignes de séminaires jésuitiques sous cellule capitonnée?

Qui est le nouveau dieu des kermesses des "centres d'action laïque" (en Belgique) qui ne fédèrent que des mémères bagouzées à chihuahuas, des masseurs sexagénaires, des orgastologues férus de l'orgone de Wilhelm Reich, des excités de la calotte pour qui les deux problèmes le plus urgentissimes de notre époque sont l'émancipation dévoilante de la femme afghane tenue sous le joug de la phallocratie islamiste et la guerre contre les curés pédophiles dans des paroisses du Sacré-Cœur?

Etc
Etc
Etc

Onfray.

Et depuis longtemps.

Pour qui roule Onfray?

Pour lui-même, voyons.

Il est temps de dégonfler cette baudruche surexposée et confite de son importance, ce Napoléon du marketing libertaire.


A l'aportaââche, nom te tieu. 



2.

"Onfray rejoint la pensée unique anti-internet", par Philippe Cohen (17/4/ 2010).

Littératures de vespasiennes , par Michel Onfray (17/4/2010) :


 " Jadis, dans les latrines, on pouvait lire sur les murs des graffitis dans lesquels s'exprimait toute la misère sexuelle du monde. Pas besoin d'une sociologie très appuyée pour saisir ce qui travaille l'âme du quidam au moment de sacrifier aux nécessités des sphincters : on se vide, on se lâche, on éclabousse avec les remugles de son animalité et l'on grave ses cogitations dans le marbre d'une porte en bois... On a les rostres qu'on peut ! Aujourd'hui, cette fonction a quitté les toilettes publiques, désormais entretenues comme un bloc opératoire, pour rejoindre des lieux guère plus recommandables : les commentaires postés au pied des articles sur les sites Internet. C'est en effet là qu'on trouve l'équivalent des littératures de vespasiennes d'hier...
Internet offre tous les avantages de la lettre anonyme : vite fait, bien fait, caché dans la nuit du pseudonyme, posté en catimini d'un simple clic, le sycophante peut laisser libre cours à ses passions tristes, l'envie, la jalousie, la méchanceté, la haine, le ressentiment, l'amertume, la rancoeur, etc. Le cuisinier raté détruit la cuisine d'un chef qui travaille bien dix heures par jour avec son équipe ; le musicien loupé dégomme l'interprétation d'un quatuor qui aura superbement joué ; l'écrivain manqué donne des leçons sur un livre qu'il ne connaîtra que par la prestation de son auteur à la télévision ; le quidam qui se sera rêvé acteur ou cinéaste percera la poche de son fiel après avoir vu un film, etc.
L'extension des libertés d'expression s'est souvent faite du côté des mauvaisetés. Certes, le critique appointé dans un journal est mû par les mêmes ressorts, du moins le support qui l'appointe veillera à sa réputation et l'autocensure produira quelque effet en modérant (parfois) l'ardeur des fameuses passions tristes. De même la signature oblige un peu. Si l'on n'est pas étouffé par la dignité, le sens de l'honneur, la droiture, du moins, on ne peut pas totalement se vautrer dans l'ignominie, car le lecteur sait qui parle et peut, avec un minimum d'esprit sociologique, comprendre que ce qui l'anime n'est guère plus élevé : renvoi d'ascenseur, construction d'une position dominante dans un champ spécifique, droit d'entrée dans une institution, gages pour une future cooptation monnayable, etc.
L'anonymat d'Internet interdit qu'on puisse un tant soit peu espérer un gramme de morale. A quoi bon la vertu puisqu'ici plus qu'ailleurs on mesure l'effet de la dialectique sadienne des prospérités du vice et des malheurs de la vertu ?
Ces réflexions me viennent dans le train de retour vers ma campagne alors que je consulte sur mon iPhone un article concernant l'excellent livre de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham. Voilà un livre magnifique qui nous sort de l'égotisme parisien et mondain du moment, un texte pur comme un diamant qui se soucie d'un monde que la littérature refuse, récuse, exècre, méprise (les "gens de peu" pour le dire dans les mots du regretté Pierre Sansot **), un travail littéraire qui est en même temps sociologique et politique sans être pédant, universitaire ou militant, un fragment d'autobiographie sans narcissisme, un remarquable travail de psychologie à la française dans l'esprit des Caractères, de La Bruyère, un récit qui hisse le journalisme à la hauteur de l'oeuvre d'art, quand bien souvent on doit déplorer l'inverse, un texte qui mélange le style sec de Stendhal, l'information de Zola, la vitesse de Céline - et quelques nains éructent en postant leurs "commentaires" !
En substance : on reproche à Florence Aubenas d'illustrer les travers de la gauche caviar avec une compassion feinte de riche pour les pauvres ; on l'accuse de tromperie parce que, journaliste, elle se fait passer pour une demandeuse d'emploi ; on lui prête une motivation vénale en affirmant qu'elle gagne de l'argent avec la misère des autres, dès lors on veut bien la créditer de sincérité si et seulement si elle verse ses droits d'auteur à une association charitable ; on la taxe d'immoralité car elle prend le travail de gens qui en auraient vraiment besoin ; on lui dénie le droit de parler du simple fait que, fausse pauvre et vraie nantie, elle sait que son expérience n'aura qu'un temps et qu'elle pourra rentrer chez elle dans un quartier chic de Paris... Arrêtons là...
Pourquoi tant de haine ? La réponse est simple : le livre est un succès de librairie et, le mois dernier, il se trouvait en tête des ventes. Dès lors, nul besoin de le lire pour pouvoir en parler, on peut alors économiser l'usage de la raison raisonnable et raisonnante du cortex, le cerveau reptilien suffira : on l'aura entendue à la radio, vue à la télévision, lue dans des entretiens de presse, cela suffira pour porter un jugement définitif. Pas d'instruction du dossier, avec une simple lecture par exemple, mais tout de suite la juridiction d'exception et l'échafaud au plus vite.
Le commentaire anonyme sur Internet est une guillotine virtuelle. Il fait jouir les impuissants *** qui ne jubilent que du sang versé. Demain est un autre jour, il suffira de regarder un peu cette télévision qu'on prétend détester mais devant laquelle on se vautre pour trouver une nouvelle victime expiatoire à sa propre médiocrité, à sa vacuité, à sa misère mentale. En démocratie, le mal est relativement contenu.
Dans un régime totalitaire, ce cheptel permet de recruter les acteurs de l'"effroyable banalité du mal" - pour utiliser entière cette fois-ci l'expression d'Hannah Arendt. "



(**) Oui mais-z-alors, qui donc va se soucier de la littérature des "gens de peu" dans les latrines, récusée, exécrée, méprisée?

(***) Conclusion: la misère du monde n'est pas économique. Elle est sexuelle. Michel Onfray jouit sans entraves. Michel Onfray ne se cache pas pour jouir. Parce qu'il est puissant.
Et il a un "i-phone". Graffitis haineux de jalousie dans les latrines de l'université "populaire" de Caen.  




Car ce texte, c'est bien plus intéressant que tout le reste (la polémique éditoriale): ça donne envie de "philosopher".

Le mec qui crée une université "populaire" contre l'élitisme, les représentants de la norme, pour les sans-grade, les gens de "peu",  les "exécrés", les "méprisés" (ce sont ses propres termes, par lesquels il loue le noble objet de souci d'une consœur contre le parisianisme mondain), l'anarchie, la rébellion, etc, et qui se lâche sévère à propos des vespasiennes du net, pour défendre sa potine (Aubenas-Günter Walraff), qui écrit un texte "pur comme un diamant", "en tête des ventes", qui a eu le courage de se mettre dans la peau d'une chômiste pour vivre la misère de l'intérieur et la dénoncer à l'extérieur.

Elle se fait trainer dans la boue, la pauvre. On la traite comme une moins que rien. Deux fois, donc. Et le mec de vitupérer dans les colonnes du Monde sur les remugles de l'animalité, l'impuissance à jouir des quidams, la médiocrité des anonymes, la haine, la jalousie et les passions tristes, l'effroyable banalité du mal, les sources du totalitarisme, etc. 

Ça, c'est intéressant. Au sujet d'une certaine "gauche" (les Val et consort) qui squatte les médias, et qui nous met constamment en garde contre la tentation "poujadiste" de la dé-professionnalisation des élites. On connaît la rengaine: tout le monde se croit compétent, tout le monde s'intronise journaliste, philosophe, de nos jours, et gratuitement, qui plus est. Alors qu'on ne s'étonne pas que le discrédit jeté sur les professionnels de l'information, que l'insane pouvoir des masses anonymes et sans "un gramme de morale" nous précipitent à nouveau, un jour, dans les entrailles encore fumantes de la bête immonde, etc.

Oui, c'est intéressant, de méditer, un peu, sur le lien entre ce texte et le dernier pavé d'Onfray: les latrines de l'inconscient versus l'hédonisme solaire, l'usage de Nietzsche, la vraie nature de son "nietzschéisme", où sont les maitres, où sont les esclaves, où sont ceux qui "jouissent", où sont les "impuissants", la désignation des fascismes et des oppresseurs, tout ça.

Un truc marrant (enfin, si on veut), c'est qu'on ne comprend pas trop, du coup, pourquoi Onfray accuse Freud d'accointances avec "le fascisme", de glorifier la figure du "chef". 
En effet, il suffit de mettre en regard son cri de révolte supra avec ces lignes du Malaise dans la civilisation: il tient exactement le même discours. A ceci près que si le texte de Freud peut s'examiner et se contester en termes d'analyse descriptive, éventuellement de "dialectique du maître et de l'esclave", le caractère prescriptif du "coup de gueule" d'Onfray ne fait, lui, aucun doute - tout y est, et c'est un cri du "cœur" naturaliste - :

« ...on ne peut se dispenser de la domination de la masse par une minorité, car les masses sont inertes et dépourvues de discernement, elles n'aiment pas le renoncement pulsionnel, ne peuvent être convaincues par des arguments que celui-ci est inévitable, et les individus qui les composent se confortent mutuellement en donnant libre cours à leur dérèglement. Seule l'influence d'individus exemplaires, qu'ils reconnaissent comme leurs meneurs, peut les amener à des prestations de travail et à des renonciations dont dépend l'existence de la culture. »

Enfin, bien au-delà de lui-même, le "cas" est intéressant, et éminemment reproductible. Il nous dit quelque chose des mécanismes de la pensée, des ruses de la raison, des systèmes de blocage dans le processus de la "libération". 

Qui contestera que les "médias" sont un lieu décisif où "la philosophie" se joue? Le négliger, c'est à l'inverse camper dans la "pureté", l'illusion que "la philosophie" aurait son territoire délimité, clos, avec ses problématiques propres. 

En ce qu'il est aussi un miroir "réfléchissant" dans lequel une part importante du "social" se désire et se reconnaît, un modèle de réussite, une scénographie à suivre et à imiter, loin d'être simplement un "épiphénomène" médiatique, Onfray, sa vie, son œuvre, nous enjoignent de penser à l'état du monde. Ou du moins à un état de notre société, de ses valeurs, de ses productions, des directions qu'elle s'apprête à prendre, prend déjà, ou retrouve.



lundi 10 mai 2010

Onfray ou "je jouis partout". 1) documentation scolaire

-->
  
Je notais (veuille pardonner cette mansuétude), dans une "chronique" d'octobre 2009:


" Michel Onfray [a] fait son beurre avec de grosses ficelles de soft-pensée médiatique en distribuant les cartes d'un western-péplum se jouant entre d'un côté les grands systèmes rationalistes-dogmatiques frigides, les momies célébrées par l'académisme universitaire (= idéalisme judéo-chrétien mortifiant se consacrant dans la prêtrise psychanalytique, etc) et, de l'autre, les penseurs "rebelles", "subversifs" refoulés par l'Ordre et la pensée dominante (= empiristes, penseurs du corps et de la jouissance).

Résultat: Onfray est kiffé à donf par les masseurs libertins quinquagénaires,  les centres d'action laïque à la belche où on célèbre la messe de l'homme-dieu de Luc Ferry (son concurrent déjà ringardisé) dans des salles de patronage clairsemées plus déprimantes qu'une soirée tupperware, et les fans de folklore anticlérical (alors qu'il a l'air d'un curé costumé pour le remake de Don Camillo); ça fait un chouette créneau, de passionnants plateaux télé chez FOG certes, mais ça fait pas une pensée.
[…]
Deleuze, sans cesse annexé par Onfray autant que par Stengers, n'a, lui, cessé d'élaborer un "empirisme transcendantal" (et après tout, qu'est-ce qu'un champ transcendantal sinon un champ empirique qui se pense ou tente de se penser, et pour cela se pense et se tient dans un écart - constructiviste - avec lui-même - et c'est ce champ que j'appelle, moi, "anthropologie"), et pour cela n'a jamais donné dans le réductionnisme plat ou aplatissant. Il pensait en philosophe rigoureux, avec Spinoza, Nietzsche, Leibniz, Hume, etc.
[…]
Le manichéisme opportuniste d'un Onfray, pour revenir brièvement à son cas, consiste ainsi en une instrumentalisation appauvrissante et binarisante de Deleuze (qui n'a jamais valorisé les dualismes grossiers).
Et légèrement (?) démago: la pensée dominante est plus facilement du côté de l'empirisme pragmatique et de la célébration de la "jouissance", et on ne se fait guère trop suer en vérité dans les universités à étudier l'idéalisme transcendantal de Kant; la "rationalité" n'y a pas si bonne presse, ou alors c'est bon pour les "ringards" aveugles au "post-modernisme" et nostalgiques de la "philosophie d'empire": aucun rapport sérieux avec la déconstruction rigoureuse menée par Derrida, faut-il le dire. "



Mais une fois n'est pas coutume: compilation.

Pour rappel:


1.
-->

-->Par Etienne Balibar, Alain Badiou, Michel Deguy, Jean-Luc Nancy

03/05/2010

" Ce qui nous gêne dans le récent assaut mené contre Freud n’est pas qu’on nous propose critique et discussion, tant historique que théorique. C’est plutôt qu’en vérité la charge massive et qui se veut accablante fait disparaître son objet même. «Freud», ce n’est ni simplement une vie, ni simplement une doctrine, ni simplement une éventuelle secrète contradiction des deux. Freud, c’est un travail de pensée, c’est un effort - particulièrement complexe, difficile, jamais assuré de ses résultats (moins sans doute que la grande majorité des penseurs, théoriciens, philosophes, comme on voudra les nommer) - et c’est un effort tel qu’il n’a pas cessé d’ouvrir, au-delà de Freud lui-même, un foisonnement de recherches dont les motifs ont été de très diverses manières de demander : «Au fond, de quoi s’agit-il ? Comment peut-on travailler plus avant cette immense friche ?»
Nous n’entrons pas ici dans le débat technique, historique, épistémologique. D’autres sont mieux qualifiés pour le faire. Ce que nous voulons dire est plus large. En effet, il en va de même pour Freud que pour Kant au gré de M.Onfray qui croit avoir hérité du marteau de Nietzsche (auquel d’ailleurs, heureusement, Nietzsche ne se réduit pas). On prélève, figé, ce qui sert la thèse et on ignore avec superbe tout ce qui chez l’auteur et après lui a déplacé, compliqué voire transformé la donne. Mais en vérité, c’est la philosophie tout entière qui est soumise à ce traitement. Faisant jouer un ressort bien connu, on dénonce la domination des «grands» et l’abaissement où ils ont tenu les «petits», vifs et joyeux trublions de l’austère célébration de l’«être», de la «vérité» et de toutes autres machines à brimer les corps et à favoriser les passions tristes. On sera donc hédoniste (un «isme» de plus, c’est peu prudent, mais on n’y prend pas garde) et on secouera d’un rire dionysiaque la raide ordonnance apollinienne de ce qui se donne comme «la» philosophie. Nietzsche, pourtant, est bien loin de seulement opposer Dionysos et Apollon : mais ici comme ailleurs, on ne va pas se compliquer les choses, il faut seulement frapper.
On ne veut rien savoir de ceci, que les philosophes n’ont jamais cessé d’interroger, de mettre en question, de déconstruire ou de remettre en jeu «la» philosophie elle-même. En vérité, la philosophie, loin d’être succession de quelques «vues» ou «systèmes», est toujours d’abord relance - et relance sans garantie - d’un questionnement sur elle-même. Cela s’atteste avec chaque «grande» pensée. C’est pourquoi il n’est jamais simplement possible de déclarer qu’on tient la vraie, la bonne «philosophie».
Encore moins est-il possible de réduire une œuvre de pensée à néant lorsqu’elle a fait ses preuves de fécondité - bien entendu, avec toutes les difficultés, incertitudes, apories ou défaillances que cette même fécondité fera déceler. Mais notre déglingueur n’en a cure : ce qui lui importe, c’est de dénoncer, de déboulonner et de danser gaiement sur les statues qu’il suppose effondrées. Comme il se doit, cela fait du bruit, cela attire les chalands et avec eux ce qu’on appelle les médias ravis de trouver du scandale aussi dans les imposantes demeures de la «pure pensée».
Comme il est entendu que le mal est désormais toujours plus ou moins fasciste (ou «totalitaire») c’est de fascisme qu’on accusera le penseur, lorsqu’on trouve un biais opportun pour le faire. Mais là aussi, le ressort est bien connu : on sait d’avance qu’on ne pourra mieux démolir un auteur, récent ou ancien, qu’en le traitant de fasciste. Le procédé a lui-même quelque chose de - ne disons pas «fasciste» mais au moins doctrinaire, réducteur et oppresseur. Car on n’est pas au large, dans cet espace réputé libertaire : le garde-chiourme et l’anathème y sont postés partout.
Voilà pourquoi nous disons qu’il n’y a pas eu discussion ni critique de Freud, pas plus que de Kant ni de bien d’autres ni pour finir de la philosophie. Il y a un phénomène, un prurit idéologique dont on pourrait d’ailleurs retracer les provenances. Ce n’est même pas que tout soit simplement faux ou condamnable : nous ne parlons d’aucun de ces points de vue. Nous disons seulement qu’on se moque des gens et qu’il est temps de le dire.
La philosophie connaît aujourd’hui une vogue qui favorise ses images publiques, voire publicitaires, ses publications alléchantes, l’idée de quelques recettes possibles de «sagesse». Il faut d’autant plus se méfier de ce que toutes les vogues libèrent : complaisance, ambiance de foire, grandes gueules. On nous répondra sans doute que nous ne représentons qu’une mince élite nantie, confite dans l’Université, dans la belle âme et le discours savant. Toujours les petits contre les grands et certaine idée du «peuple» (joyeux) contre les (tristes) «doctes». Non, nous ne sommes ni plus tristes ni plus doctes que le docteur démolisseur. Nous pensons que l’esprit public mérite mieux que d’être assourdi par le fracas de ses bulldozers et qu’il faut lui permettre de retrouver le sens de l’audition. "


Voir aussi :

-->L’art de ne pas lire Freud. Par Jacob Rogozinski.



2. 

Michel Onfray : un retour de l’obscurantisme. Par Jean-Daniel Causse

30/4/2010
-->
" Que retenir de la petite polémique suscitée par le livre de Michel Onfray sur Freud – Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne – qui a été fort bien orchestré par tout un appareil médiatique ? Que dire du brûlot d’Onfray dont on saisit sans peine qu’il répond à l’idée que l’on se fait aujourd’hui d’un bon produit marketing (on en parle, on en fait parler, on le vend à tous les rayons) ? Conservons simplement ceci qui prend valeur de symptôme : Onfray, c’est un retour de l’obscurantisme. L’affirmer est un paradoxe apparent puisque le Monsieur en question se veut justement pourfendeur de tout ce qui, dans les religions, philosophies, ou en divers lieux de pensée, lui apparaît sous ce nom-là d’obscurantisme. Ce qu’est l’obscurantisme ? C’est ce qui « plonge dans l’obscurité », notamment le mépris du savoir et de la connaissance. Il est toujours facile de dénoncer l’obscurantisme qui se manifeste dans des formes de la religion, ou dans certaines attitudes morales ou culturelles. C’est tellement un lieu commun. Il est un peu plus compliqué de le dévoiler là où il se manifeste sous une apparence contraire, là où il se cache dans un discours qui se veut moderne, rationnel, sans entraves, critiques aussi à l’égard des conventions bourgeoises, référés à de grandes figures de la pensée. Mais, au fond, c’est bien ce que Nietzsche analyse avec tant d’acuité dans la Généalogie de la morale quand il montre cette inversion des valeurs qui permet à l’homme du ressentiment, par un effet de trompe l’œil, de faire passer sa haine si profonde pour de l’amour, sa violence pour de la douceur, son désir de vengeance pour de la justice, etc. Le procédé n’a pas changé : on peut tout aussi bien faire passer l’obscurantisme pour de la raison éclairée, et le mépris du savoir pour le respect de la vérité. La falsification est toujours de mise. « L’obscurantisme est revenu – écrivait Bourdieu – mais cette fois, nous avons affaire à des gens qui se recommandent de la raison ». Onfray est de ceux-là. Mais il n’est que le signe de quelque chose qui travaille l’époque. Nous aurons beau jeu de stigmatiser, du haut de notre suffisance, des religions et des cultures que nous jugeons contraire à notre vision d’un monde moderne. Nous ne voyons plus ce qui est au cœur de nous-même.
Onfray obscurantiste ? Il suffit de relire – si on a peu de courage – son Traité d’athéologie, et on verra que, de cet ouvrage de 2005 à l’essai qu’il vient de publier sur Freud, la méthode est toujours la même. Deux exemples suffiront : dans ses lettres, l’apôtre Paul écrit qu’il souffre de ce qu’il appelle une « écharde dans la chair ». Tous les spécialistes du christianisme primitif s’accordent pour dire qu’on ne sait pas quelle est la nature de ce mal (les hypothèses sont multiples). Mais Onfray, lui, « sait » et déclare tout tranquillement que Paul souffre d’« impuissance sexuelle » et que, de ce fait, il serait « incapable de mener une vie sexuelle digne de ce nom ». On pourrait trouver cela cocasse s’il n’en faisait pas la clef de compréhension de toute la pensée paulinienne, se condamnant à passer complètement à côté d’une pensée aux multiples facettes, et qui déploie, pour une part, justement une kénose du divin, c’est-à-dire une déconstruction des représentations classiques de Dieu (cf. à ce propos Agamben, Badiou, Derrida, Nancy, etc.). Et Freud ? D’après Le crépuscule d’une idole, toute la théorie de l’Œdipe découlerait ce que le petit Sigmund aurait vu sa mère nue et n’aurait pu s’empêcher de la désirer. Est-ce cela une pensée honnête, et informée ? Peut-on ignorer que Freud n’invente pas l’Œdipe, mais qu’il reprend un mythe qui est justement récit de l’immémorial et énonciation d’une structure ? Même chose pour la question du nazisme : dans son athéologie, Onfray fait du christianisme, notamment de l’Évangile de Jean, l’origine directe du nazisme – rien de moins – tout en balayant par ailleurs d’un revers de la main les liens entre nazisme et néo-paganisme. Il écrit : « Hitler était disciple de saint Jean », ignorant tout de l’utilisation du mot « juif » dans le quatrième Évangile, sans rien mettre en perspective, sans distance. Il peut bien faire dire alors ce qu’il veut aux textes qu’il étudie. Dans son nouvel ouvrage, c’est Freud qu’Onfray dévoile comme défenseur d’un régime autoritaire, et la psychanalyse comme adéquate aux totalitarismes. Freud n’a-t-il pas dédicacé un de ses ouvrages à Mussolini ? On reste confondu devant les courts-circuits opérés, l’utilisation des sources, laissant de côté toute complexité pour faire valoir des causalités directes et univoques : ceci mène à cela, CQFD. Onfray lit à la manière des fondamentalistes : hors contexte, de façon littérale, sans faire fonctionner le conflit des interprétations. Le jeu financier en vaut sans doute la chandelle puisque les livres se vendent, et que nombreux sont ceux sur qui la séduction opère. Dans un temps où « plus c’est gros, plus ça semble vrai », il n’y a pas de raison que le filon s’épuise. Le plus drôle, évidemment, est de se vouloir en même temps dans la foulée Nietzsche : que la démystification nietzschéenne elle-même serve une semblable opération de mystification, il fallait le faire… Eh bien, il l’a fait. Jusqu’au jour où, sans doute, le masque tombera de lui-même. "


Jean-Daniel Causse est professeur à l’Université de Montpellier III, département de psychanalyse.



3.
( Toujours d'actualité, contre "l'agenda de la pensée" dicté par les haut-parleurs médiatiques, dont le magazine culturel de Laurent Ruquier et consort: )


-->

Publié par "les mots sont importants". 





-->" Il est difficile de l’ignorer, sauf à boycotter radios, télévisions, presse et devantures de kiosques : Michel Onfray vient d’ajouter Sigmund Freud à son tableau de chasse. Après Saint-Paul et Mahomet, déclarés responsables de tous les maux de la terre par le plus médiatique des hédonistes libertaires, c’est au tour du fondateur de la psychanalyse de payer pour ses péchés : imposture, affabulation, arrivisme et complaisance pour le fascisme ! Faisant feu de tout bois, et notamment de ces combustibles bon marché que sont le contresens, la contre-vérité, l’approximation, le raccourci et le moralisme le plus grégaire, Michel Onfray nous explique même, entre mille autres perfidies, que Sigmund Freud était, tenez-vous bien, la faute est accablante... cocaïnomane ! Il se trouve que la chose était (très) connue (en gros : par quiconque a visionné un 52 minutes sur la vie de Freud, ou lu sa notice wikipedia), mais personne n’avait encore songé à en faire un argument à charge contre une oeuvre théorique et clinique – sinon quelques énervés à la droite de la droite et dans les franges les plus puritaines du troisième âge. Sans être, au collectif Les mots sont importants, des inconditionnels de Freud et du freudisme, et tout en étant même sensibles à certaines critiques au vitriol comme celles de Gilles Deleuze et Félix Guattari [1], nous ne pouvons nous empêcher de trouver lamentable ce réquisitoire aussi outrancier dans sa forme qu’indigent sur le fond, et fatigante cette manie qu’ont les philosophes télévisuels de décrocher le jackpot éditorial en crachant sur le cadavre d’un grand penseur : après BHL et Marx, Luc Ferry et Foucault, Comte-Sponville et Nietzsche, Nathalie Heinich et Bourdieu, voici donc Onfray et Freud... Plutôt que de consacrer de l’énergie à déconstruire un livre qui n’en vaut pas la peine, au risque en outre d’alimenter le buzz onfresque, il nous paraît plus constructif de conseiller la lecture de Deleuze et Guattari, et celle des passionnants livres de Freud que sont notamment Le malaise dans la civilisation, L’avenir d’une illusion, L’inquiétante étrangeté ou encore les Cinq leçons sur la psychanalyse... Et pour ce qui concerne Michel Onfray, il nous paraît suffisant et nécessaire de populariser à nouveau une récente proposition de loi élaborée par la SPINOZA (Société Pour l’Interdiction des Nuisances Onfresques Zet Anarchoracistes). "


-->[1] Cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’anti-Oedipe, Minuit, 1972. Cf. aussi la présentation que fait Gilles Deleuze de ce livre dans L’abécédaire réalisé par Claire Parnet et Pierre-André Boutang, à la lettre D comme Désir.




-->
" Exposé des motifs.


Il est question, ces derniers jours, ces derniers mois et ces dernières années ainsi que ces prochains jours, ces prochains mois et ces prochaines années, d’une nouvelle loi d’interdiction de la burqa et/ou du niqab et/ou du voile intégral et/ou du bandana islamique et/ou du bandeau islamique et/ou du chignon islamique et/ou de la casquette islamique et/ou du verlan islamique et/ou de l’identité islamique et/ou du repli islamique et/ou des minarets islamiques et/ou des Quick hallal et/ou de la liste NPA Vaucluse et/ou de Tariq Ramadan et/ou du Coran et/ou des menus sans cochon et/ou des boissons non-alcoolisées.
Nous considérons que la méthode est excellente : dans notre démocratie malade et dévirilisée, il est temps de remettre un peu d’interdit et de répression. Il faut, pour reprendre le joli mot de Fadela Amara, éradiquer ! [1] Ou pour reprendre les jolis mots de Nicolas Sarkozy : liquider et nettoyer ! Ou, pour reprendre le joli mot d’Élisabeth Lévy : remettre un peu de schlague ! [2]. Mais nous estimons qu’il y a erreur sur la cible. Nous considérons quant à nous que l’urgence, pour la sauvegarde de la démocratie, pour l’avenir de la pensée et pour notre épanouissement personnel, est à une interdiction absolue de tout affichage ostensible de la grande gueule de Michel Onfray – dans le service public de télévision et de radiodiffusion, naturellement, mais aussi dans les lieux d’enseignement et de recherche, dans les administrations, dans les hôpitaux et dans tout l’espace public.
Il s’agit pour nous d’une question de principe : Michel Onfray doit être banni de l’espace public car il est incompatible avec les valeurs de la démocratie, de l’émancipation humaine et du simple bon goût. Sa suffisance et ses poses philosophantes sont une insulte ostensible à toute la corporation des philosophes ; son catéchisme antireligieux est une insulte à ce que la libre-pensée a produit de meilleur ; son anticalotinisme crétin, son hédonisme benêt et son aristocratisme puant sont une insulte à Épicure, à Lucrèce, à Spinoza, à Nietzsche, à Deleuze, à Bourdieu et à tous les grands auteurs dont il se réclame et qu’il ne fait que trahir, salir et détourner à son profit.
Ne soyons pas angéliques : la « gauche radicale » qu’il dit incarner est une mystification, un double discours dans lequel il est passé maître ! En effet, comme pour mieux nous embrouiller, Michel Onfray se dit lui-même, et sans rire, libertaire et libéral, anarchiste et partisan de l’économie de marché, propalestinien et sioniste [3] [note du bloggeur:  le dernier point ce n'est pas obligatoirement antinomique]. Il affirme également, sans honte, que c’est Camus qui avait raison contre Sartre sur la question algérienne : en clair, qu’on a raison, lorsqu’il s’agit d’Algériens, de « préférer sa mère à la justice » et de refuser à un peuple le droit de disposer de lui-même.
Si Michel Onfray se réclame volontiers du peuple de gauche, la seule compagnie populaire qu’il affectionne est une petite bourgeoisie suffisamment docile et complexée pour aller l’écouter religieusement lorsqu’il pontifie à « l’Université populaire de Caen » [4]. En dehors de cette relation pas franchement libertaire et égalitaire avec une plèbe pas franchement plébéienne, l’engagement politique de Michel Onfray se résume à des billets soporifiques pour Siné Hebdo, des livres aussi creux et sinistres que leurs titres sont grandiloquents et prétentieux (attention : L’art de jouir, La sculpture de soi, La sagesse tragique, La puissance d’exister, Politique du rebelle, Traité de résistance et d’insoumission, À côté du désir d’éternité, Fragments d’Egypte ou encore Pour une érotique solaire ! – sans oublier les grotesquissimes quatre volumes de son Journal hédoniste intitulés, tenez-vous bien : Le désir d’être un volcan, Les vertus de la foudre, L’Archipel des comètes et La lueur des orages désirés !), quelques escales opportunistes à Saint-Germain-des-Prés au cours desquelles il se prosterne avec la dernière servilité devant le Nabab BHL (comme l’a révélé dernièrement Le Plan B) [5], un brunch philosophique chez Philosophie magazine en compagnie du chef de file de l’extrême droite plurielle, Nicolas Sarkozy en personne [6] et enfin d’innombrables apparitions télévisées au cours desquelles sa suffisance, son égo surdimensionné et son invraisemblable mépris de l’autre crèvent littéralement l’écran.
Par ailleurs, puisque la question du sexisme a été soulevée à propos du voile, nous tenons à préciser que Michel Onfray est un gros sexiste. Son Panthéon est quasi-intégralement couillu, son œuvre totalement androcentrée, son ethos et ses postures grotesquement virilistes. Il ne faut pas oublier non plus le ridicule concours de bites télévisuel auquel Michel Onfray se livra un jour avec le romancier François Bégaudeau : le jeune coq venait de publier un Anti-manuel de littérature presque aussi mauvais que l’onfresque Anti-manuel de philosophie, et le vieux coq, en bon capitaliste libertaire, pour le coup plus capitaliste que libertaire, était sorti de son épicurienne ataraxie [7] et avait eu l’élégante idée de lui réclamer des royalties pour le « concept » tellement génial et tellement novateur de l’anti-manuel ! Le masque tombait définitivement : derrière les austères lunettes rectangulaires et la philosophale crinière grisonnante, un petit entrepreneur obsédé par l’argent. Sous le costume trop grand pour lui du sage qui méprise les « désirs vains » de gloire et de fortune [8], un petit Jacques Séguéla, sans la Rolex et les UV.
De surcroît, en bon VRP de lui même, Michel Onfray surfe depuis longtemps sur la vague islamophobe qui s’est emparée du pays. On se souvient notamment d’une minable prestation télévisée au cours de laquelle, avec l’air inspiré du grand sage qui nous révèle le secret de fabrication de l’eau tiède, il expliqua que la plus nuisible de ces nuisances fondamentales que sont les religions était, devinez laquelle, gagné : l’Islam ! [9]. On se souvient aussi d’une pétition raciste qu’il a lancé « pour un soutien sans réserve » au catholique anti-mahométan Robert Redeker [10]. On se souvient encore d’une préface à un indigent pamphlet anti-musulman, dans laquelle il appelle à la « défense » des « valeurs de l’Occident » [11]
On se souvient enfin d’une récente émission (« Ce soir ou jamais ») au cours de laquelle il fit preuve d’une paternalisme inouï à l’égard d’Houria Bouteldja. Cette dernière le lui fit remarquer simplement, poliment mais fermement, ce qui provoqua cette réaction grotesque en forme d’aveu :
« Arrêtez, sinon je vais finir par embrasser Éric Besson sur la bouche ! ».
Dernièrement, enfin, lui qui vendrait père, mère, frères, sœurs, fils, filles et amis pour une minute de prime time chez Frédéric Taddéi, Guillaume Durand ou Franz Olivier Giesbert, lui qui n’a jamais participé à quoi que ce soit de collectif dont il ne soit pas le chef, lui qui n’a sans doute pas collé d’affiches ou distribué de tracts depuis fort longtemps (à moins que ce ne soit depuis toujours), lui qui ne roule que pour lui-même, lui qui ne vit que par et pour les grands médias, Michel Onfray donc, a jugé utile d’aller, dans une tribune publiée par Le Monde le 19 février dernier, cracher son venin sur Ilham Moussaïd « la voilée du NPA », en lui reprochant devinez quoi, à elle, militante active du NPA, issue des quartiers populaires d’Avignon, elle qui milite au quotidien dans un parti anticapitaliste, elle qui n’a rien demandé à personne et qui s’est fait littéralement harceler par les grands partis et les grands médias ? En lui reprochant de n’être qu’une petite écervelée en quête de… gloire « médiatique » ! [12]
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres qu’on ne saurait répertorier ici de manière exhaustive, mais auxquelles pourra se consacrer une mission parlementaire , nous estimons qu’il est urgent de réagir. Un bras de fer s’est engagé entre la démocratie et l’occidentalisme intégriste de Michel Onfray. Seul un signal fort pourra mettre un frein à l’obscurantisme franchouillard, au mépris social et à la haine raciale dont Michel Onfray est le porte-drapeau. C’est pourquoi nous soumettons au peuple de France la proposition de loi suivante.
Article unique
La grande gueule de Michel Onfray est interdite dans l’ensemble de l’espace public.
Toute infraction à cette loi est punie d’un entartage.



Post-scriptum La SPINOZA est la Société Pour l’Interdiction des Nuisances Onfresques Zet Anarchoracistes Pour soutenir cette initiative citoyenne, adresser vos signatures à l’adresse suivante : contact.lmsi@hotmail.fr


Notes :


[1] Sur cette charmante formule amarienne, cf. Isabelle Stengers et Philippe Pignarre, « Les plus religieux ne sont pas ceux qu’on croit ».
[2] Sur cette délicieuse formule léviste, cf. cette réaction.
[3] Sur l’anarchisme procapitaliste de Michel Onfray, cf. Jean-Pierre Garnier, « Le libertaire du président ».
[4] Vendues en CD et multidiffusées sur France Culture, ces conférences de « l’Université populaire » sont construites sur le modèle le plus académique du cours magistral d’histoire de la philosophie. Elles sont de facture médiocre, dépourvues de toute originalité et mortellement ennuyeuses, malgré les pathétiques efforts du maître des lieux pour les ponctuer de « bons mots » d’une ringardise achevée.
[5] Dans une dépêche intitulée « Un BHL en culottes courtes », Le Plan B n° 22, de février 2010, relate :
« Le Plan B allait-il débourser 18 euros pour s’infliger le “débat” organisé le 19 janvier par Le Monde, en partenariat avec la FNAC et le club du 3ème âge de Saint-Germain-des Prés ? Oui, car l’événement était de taille : dans la cave qui lui sert d’auditorium, le quotidien du soir élevait Michel Onfray au rang de philosophe pour retraités germanopratins (PPRG), en l’invitant à disserter sur Albert Camus avec Jean Daniel et Bernard-Henri Lévy. Devant 250 octogénaires somnolents et l’ambassadeur de Suède, le penseur “libertaire” fait le paon pour séduire “Bernard” (sic). Il secoue sa chevelure en citant Nietzsche, Heidegger, Kierkegaard, Wagner, Helvétius, Plotin ; béachélise Camus en louant son “hédonisme tragique” ; applaudit aux sentences du maître (“Tout est juste, je consens à tout ce qu’a dit Bernard”), le cajole (“On peut avoir une belle plume et être un vrai philosophe, Bernard l’incarne”). Cette assertion loufoque provoque des rires dans l’assistance, uqi commence à se traîner vers la sortie, mais le petit Michel trépigne pour finir son oral : “Quand j’ai lu La Barbarie à visage humain [le premier livre, nul, de BHL], j’y ai vu du lyrisme”.
[6] Cf. Philosophie magazine, n°8, printemps 2007. Sur cette sympathique causerie, et plus largement sur la connivence idéologique entre les deux convives, cf. notre analyse à paraîre aux Éditions Spinozistes : De qui Michel Onfray est-il le con ?.
[7] l’ataraxie , absence de trouble, est l’idéal de sagesse que préconise Epicure, le maître à penser de Michel Onfray.
[8] Cf. Epicure, Lettres et maximes, Presses Universitaires de France
[9] Cf. « De l’athéologie à l’islamophobie. À propos d’une prestation télévisuelle de Michel Onfray.
[10] Cf. Pierre Tevanian, « La faute à Voltaire ? Quelques réflexions sur la liberté d’expression, à l’issue de l’affaire Redeker ». Ce texte démontre le caractère raciste de la pétition onfresque.
[11] Cf. Sébastien Fontenelle, « Défense De L’Occident – Et Lancement D’Un Appel D’Offres Pour La Production D’Un Individu Post-Islamique ».
[12] Onfray qualifie le combat d’Ilham Moussaïd de « provocation éthologique » et de « combat médiatique », avec cet argument imparable : « Dans un monde où la télévision constitue le réel, ce morceau de tissu assure qu’on attirera les caméras et les polémiques ». Il aurait été plus exact de dire que la télévision constitue le réel de nos piètres penseurs, et que le port de ce « morceau de tissu », quelles que soient ses motivations profondes, aura toujours comme effet indésirable d’attirer les Michel Onfray. "