samedi 20 avril 2013

Absentia (Mike Flanagan, 2011)




Petit film indépendant dont quasi personne ne parle sous nos latitudes mais jouissant d'une certaine réputation. Méritée. Coup de cœur perso.
ça doit s'aborder avec le moins d'info possible. Aussi j'incite tout qui serait curieux de l'aborder avec un minimum de fraicheur à stopper ici la lecture de cette notule farcie de spoilers en tous genres.

Cet objet filmique fragile (cad dont le destin couru d'avance était de rejoindre le rayon foutraque des direct-to-video ou direct-to-streaming) se tient tout du long sur une ligne à la fois discrète et subtile, consistant à faire travailler par "en dessous", "à côté", l'affect ou sentiment qui est le véritable motif annoncé dans le titre (aucune surprise à ce niveau là, donc).

Il est clair qui si on regarde cette petite production l'œil sévère en coin, et goguenard (du genre: "haha, on me la fait pas à moi"), avec une attente déterminée, spécifique, de ce que doit ou devrait être un film "fantastique" ou d"horreur" réussi, selon un cahier de charges, des critères "objectifs" faisant "consensus", une grammaire de "genre" à respecter, on ne manquera pas d'être déçu. Et sous cet angle, c'est aussi un film déceptif, dans un sens qui pour moi lui donne d'autant plus d'intérêt et d'attrait.

Ce qui me séduit le plus dans ce film, c'est justement ce que certains lui reprochent, qui apparaît bien comme une carence, un défaut, mais pas forcément au sens péjoratif. Il ne va pas "jusqu'au bout de ses idées", il ne fait rien de ses motifs, qui ne vont nulle part.
Au propre comme au figuré, il sous-traite ou soustrait ses motifs (topologie, narration, personnages). Plusieurs directions, axes dramatiques se profilent, qui semblent alléchants, pour l'amateur de "fantastique", ou de "récit psychologique": aucun n'est véritablement exploité. Régulièrement semble s'annoncer un rebondissement, une "scène à faire", une action-climax, une résolution dramaturgique sous forme de "twist": rien de tout cela n'arrive. La stagnation est privilégiée sur la progression, la rupture sur la continuité, l'élision sur le "développement". Traitement judicieux selon moi, qui permet d'entretenir un climat de tension permanente, là où tant de films de genre s'appliquent laborieusement à actualiser toutes leurs promesses dans le but louable de contenter l'amateur du genre.
(Dans ce domaine bien délicat, le plus sûr chemin menant à l'ennui profond, - et le plus fréquenté - consiste 1. à fournir le lot de scènes qu'il attend de pied ferme, 2. à fournir un supplément de scènes censément "inattendues", car il espère bien, s'attend bien à être surpris au delà de ses attentes - d'où: bouse téléphonée de A à Z.)

A la façon d'une musique "low-fi" s'attachant à la fréquence la plus discrète, ou d'expérimentations de musique concrète se concentrant sur ce qu'on appelle le "bruit blanc", ce film opère par soustractions et suspensions (le soundtrack, remarquable, contribuant pour beaucoup à sa dimension hypnotique et contemplative). De telle façon que ne subsiste qu'un paysage purement émotionnel, une atmosphère, constitués par la simple conjonction de quelque figures "pauvres" en nombre limité: - deux soeurs - tunnel - mari disparu - traversée.
Parlant d'émotion: la relation entre les deux sœurs est peut-être ce qu'il y a de plus émouvant, par la justesse de ton de deux actrices (Katie Parker et Courtney Bell) ayant une réelle épaisseur humaine, chose très rare dans le genre dédié.

Avant d'être ce qu'il est aussi, à savoir un film "d'horreur", c'est un film de l’intériorité et du sentiment, inscrit dans une certaine mouvance "minimaliste" - où s'entrecroiseraient de façon improbable Weir (période australienne), Lynch, Van Sant, Akerman, Antonioni... Ces analogies restant réductrices, bien entendu.
Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas d'être (pour moi) oppressant, très efficace dans sa manière "discrète" de faire naitre l'angoisse à partir une simple durée, de cadres et de plans très sobres, où il ne se "passe" à proprement parler rien pendant une bonne moitié de film (une femme assise, une femme faisant son jogging, un trottoir, un intérieur...).

Absentia pourrait presque s'envisager dans sa composition comme un film "abstrait", s'accordant ainsi à son motif principal, sa figure: ce qui, dans l'image, a été soustrait de la présence, infigurable en ce sens. On se méprend souvent, bien sûr, sur le sens qu'on peut prêter au terme d'abstraction pour une composition picturale, musicale, ou cinématographique (Snow, etc). "Abstrait"- au sens ici de non-figuratif ou non-figurable - n'étant pas le contraire de "concret", mais pouvant se recevoir, s'éprouver au contraire comme une expérience très matérielle, très concrète. C'est le cas pour moi de ce "petit film", qui parvient dans sa manière restreinte, ténue, à peindre et faire entendre un pur affect: le sentiment matériel, concret de "l'absence". Mais aussi de la solitude, du deuil, de la mélancolie de la perte (la scène des parents venus visiter leur fils "revenu", pour s'entendre dire qu'il a disparu à nouveau: c'est aussi bouleversant que comique, et ça dure 15 secondes à peine).

Absentia travaille également constamment sur le caractère ambigu, mieux, indécidable de ce qu'il donne à regarder. Indécision entre le rêve et la réalité, l'hallucination et le désir... Quelle histoire nous est ici racontée, que se passe-t-il au juste, et depuis quel point de vue, depuis quel temps vécu ?
La dimension "paranormale" ne serait-elle que l'apparence que prend ici l'absence, le manque, la perte, la solitude, pour tel ou tel personnage, leur matérialisation? (un insecte, mais quel genre d'insecte: que l'on porte en soi comme une maladie, qui ronge de l'intérieur? Un monde souterrain, mais de quel ordre: en écho parasite du Livre des Morts tibétain dans lequel on cherche l'apaisement, la réconciliation avec les disparus? Qu'est-ce au juste que ce tunnel qu'on traverse ou pas, lieu de "passage", "d'échange" dans lequel on disparait? etc.)
Depuis quel "point de vue" donc, ce récit, une forme de rêve ou cauchemar éveillé, est vécu? Depuis celui de la toxicomane, qui fuit en permanence quelque chose "on the road", celui de sa sœur dépressive, qui à l'inverse fuit en ne parvenant jamais à quitter son domicile, celui du policier-détective amoureux d'elle "en viager", celui du psychopathe, fils d'un autre disparu? Ou à l'inverse, leurs drames personnels, de solitude, enchevêtrés, sont-ils élevés à la puissance de cette dimension fantastique, de cette "légende urbaine"?

Cette absence de certitude est aussi la matière que traite concrètement le film. Et c'est porté à l'intensité du sentiment, comme ce trouble de la matérialisation soudaine, dans un coin du plan, d'un mari disparu depuis 7 ans, et qui revient sans jamais vraiment revenir, réapparait sans jamais vraiment réapparaitre, au moment où on le déclare enfin "décédé in absentia", au moment où le travail du deuil semble trouver son issue. Un mort jamais tout à fait mort, un vivant jamais tout à fait vivant. Non pas à la manière d'un "mort-vivant", mais à la manière d'un fantôme, un "revenant": une présence-absence habitant une inter-zone, un inter-land, mince cloison, étroit corridor entre le monde des morts et celui des vivants, ni chez les uns, ni chez les autres, en exil. Tout le film se situe dans ce battement indécis, stagnant et paniquant, qui fait les deuils impossibles, la maladie du deuil. Maladie réfractée en chacun des protagonistes, qui incorpore ("encrypte") pour lui-même un objet à la fois chéri et perdu, qui le dévore.

Terreur, oui, mais une terreur à la Blanchot (on pense, un peu, à Thomas l'obscur, qui à sa manière est un livre de terreur).

Retro-gaming 2 (Rule of rose, 2006)




Il y a de ça un an environ, je passe par acquis de conscience au magazin des occases. Je tombe sur Rule of Rose. Réputé introuvable (du moins dans la zone du périphérique où je crèche).

35 euros.


Je me dis: ah oui. C'est vraiment bcp. Oui, mais c'est rare. Ok, c'est peut-être rare, mais c'est peut-être une demi-merde, aussi. ça dépasse difficilement les 12/13 dans les tests. Oui, mais ça veut rien dire: ils mettent 19 à Okami, qui est d'un ennui mortel, et que je trouve juste très laid. Si ça se trouve, c'est un chef d’œuvre méconnu. Non, c'est une arnaque. Y a deux mois, j'avais essayé de le commander. Le type me disait qu'il était dispo dans un de leurs stores à Namur. Qu'on pouvait le faire venir, et qu'il m'en couterait 17 euros à tout casser. Trois semaines d'attente. Puis je reviens: ah non, finalement, il était déjà réservé.
Puis je le trouve, là, 15 jours après, sur l'étagère, qui me nargue. C'est évident que le mec spécule sur mon désir. L'est pas con. Et il a de la mémoire.


Tout ce qu'on peut acheter avec 35 euros... Ma ps2 d'occasion (une silver, en plus) m'en a coûté 45, sans la manette ni les cables. Et elle fonctionne impec. Achetée par sûreté, au cas où mon ancienne mourait d'un coup.


J'achète le jeu et je crains d'avoir fait une grosse, une très grosse bêtise. Je rentre péniblement chez moi, affligé d'une claudication d'ordre psychosomatique non douteux, en empruntant des tas de ruelles ténébreuses pour retarder l'épreuve du Réel. A savoir que je viens de délibérément, méthodiquement, glisser 35 euros, par billets de 5 plus la menue monnaie, dans la fente d'une bouche d'égoût.

Arrivé dans mon cloaque cosy aux fenêtres occultées (la lumière du jour j'aime pas trop ça, c'est pas bon pour mon teint), je range le jeu derrière un double rayonnage de bouquins poussérieux bouffés au mites (de la coll. Epiméthée, cover brun caca d'oie et à tarif prohibitif, dont je demande encore comment j'ai bien pu mettre des sous là-dedans). Pour en oublier jusqu'à l'existence.
A 23h54, surmontant une forme de dégoût visqueux qui s'était emparé de toute mon étantité non phénoménalisable, je l'en ressors. J'allume la console. 35 euros... A la grâce de dieu...


* * * * *

Bon.


ça vaut pas 35 euros en occasion. ça vaut 35 euros neuf, il y a 6 ans.



Donc, ça va, je me suis fait à moitié arnaquer.


J''y joue 3h (considérant ma lenteur, ça doit représenter un 1/8è du jeu). Le lendemain soir, j'y rejoue 4h. Et  je peux dire que c'est bien, vraiment très très bien.



1. Titre jouissant d'une aura maudite usurpée, qui lui a finalement fait bcp de tort: l'UMP avait voulu l'interdire lors d'un débat parlementaire. Soi-disant malsain car touchant à des tabous sur "le monde de l'enfance". Si on va par là, il faut interdire 99 % de la production "fantastique". Le "club des aristocrates" étant infiniment plus x-rated et macabre, sans la féérie, que celui de ROR, bien entendu.


2. Le "gameplay" est très daté, même lors de sa sortie (2006). Si on le compare, bien sûr, à RE4. Mais il ne joue pas du tout dans cette division. D'où un immense malentendu: il s'est fait aussitôt incendier par tous les joueurs qui attendaient une tuerie en termes de maniabilité, tant pour la caméra que pour les déplacements et les combats.
Des combats, y en a pas bcp, déjà. On est une jeune fille qui se déplace avec la grâce d'une danseuse de tango atteinte de lombalgie et percluse de rhumatismes; et on brandit en guise d'arme défensive des trucs du genre fourchette rouillée. Les attaques sont aussi imprécises que les esquives à moitié foirées. C'est là justement que ça devient intéressant. Le but n'est pas de jouer à Tekken. C'est une limitation géniale, puisqu'elle concourt au sentiment de vulnérabilité et d'impuissance, propres aux "mauvais rêves".

3. On retrouve le mode exploratoire de quasi tous les "survival": couloirs et portes, clefs, mécanismes et énigmes tirés par les cheveux, pour notre plus grand plaisir. Mais c'est pas vraiment un "survival". Tout est dans l'atmosphère. Mix de conte vénéneux façon Hansel & Gretel, de hantises à la Henry James, de mystères à la Jules Verne, et de (rares) monstruosités de fête foraine à la Bradbury. ça mise énormément sur le scénario, prenant, envoûtant, volant 150 coudées au dessus des R.E. (qui se foutaient - et nous aussi - du scénario comme de leur premier bavoir).

4. On l'a comparé à un Silent Hill raté. Or ça n'a rien avoir avec le climat d'un silent hill. L'élément de comparaison pertinent, mais qui ne joue nullement en défaveur de ROR, c'est le parti pris assumé d'un "gameplay" à l'ancienne: raide, statique, minimaliste.
C'est d'une certaine façon plus malsain que SH. Moins paniquant, moins cardiaque, mais plus insidieux, comme une morsure entêtante. Plus neurasthénique (SH, c'est une dynamique de cauchemar quelque part plus conforme aux codes du cinéma de terreur "psychique").

5. La proposition musicale est très culottée: un quatuor à cordes, ou un violoncelle en solo. ça crée une ambiance qu'on ne retrouve pas ailleurs. Le bémol, c'est que la partition n'est pas suffisamment variée, ça peut agacer.


6. Le jeu est beau, contrairement à ce qu'on dit. Et sobre. ça a été fait avec bcp de soin et d'amour, rien n'est bâclé. Il a son univers. les cinématiques sont extraordinaires. D'une perversité rare et d'une mise en scène élégantissime.

Haunting ground est sans conteste plus beau, gracieux, raffiné. Mais je n'ai pas ici le problème que j'ai avec HG: le stress permanent d'une progression à rebours. Dans HG, on n'avance qu'en fuyant, disais-je , et cette contrainte décourage. De plus, les phases d'attaque-poursuite surgissent de façon aléatoire, et presque pas de temps morts. Fausse-bonne idée en vertu de laquelle moins on sait quand on va être attaqué, plus on a peur. Trop simpliste comme postulat, confondant angoisse et stress, car c'est plutôt le contraire à mon sens: on flippe d'autant plus qu'on sait qu'à tel endroit précis, et pas à un autre, quelque chose nous attend...


7. Conclusion provisoire: HG & ROR s'imposent tous les deux, pour tout amateur/teuse de survival-horror "japan old school" qui se respecte, à titre de reliques muséales uniques, de ces choses qu'on ne refera plus jamais, je pense. Et je donne ma préférence à ROR. Voilà. Et c'est pas à cause des 35 euros. (Non, parce que j'entends déjà certains esprits tordus murmurer dans mon oreille interne que je tente en loucedé de justifier rétro-activement mon investissement. N'importe quoi...)


* * * *

Horreur et lois de la vexation universelle. Je retourne au même magasin 2 mois plus tard. Et là, qu'est-ce que je vois? Pas la peine d'en dire plus, vous m'avez compris... Sous cellophane, en plus, dans son état de sortie d'usine il y a 6 ans (alors que le mien est griffé). 12 Euros. Oh les... Bande de salauds... Fumiers. J'ai failli le racheter, comme si je devais me rembourser selon les règles d'une arithmétique absurde.
ça m'est déjà arrivé, d'ailleurs, de racheter un truc que j'avais payé cher, simplement parce que je retombais dessus à un prix dérisoire. Comme si ça devait annuler magiquement l'outrage de la première dépense, corriger un déséquilibre dans l'harmonie des sphères. Pathétique. Mais là je me suis retenu. Pour qui me prennent-ils, ces bandits: une vache à lait? Allez basta hein. Pas deux fois, Lisette. Trop is te veel en te veel is trop.