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vendredi 5 août 2022

Finissons-en (un peu) avec Christopher Nolan

 

 

[Bon, un peu de pop-corn, de nanan, en attendant des pavés plus ambitieux (ou prétentieux, chacun voyant midi à sa porte etc). Repêché dans les cales du cargo, ce truc totalement paresseux et d'un irrespect qui frise la diffamation, mais qui je l'avoue me fait encore marrer. Vu que je suis bon public. C'était en novembre 2014, au moment où sortait Interstellar. Heureusement que ça a été posté dans des letter-box fréquentées par une demi-douzaine de personnes, pas plus, accommodantes de surcroît. Imaginez ce genre de daube posté sur twitter, instagram, ou en guise de capsule YT (façon Durendal et autre MJ), vous vous ramasseriez des tonnes d'insultes, assorties de harcèlements, menaces de vasectomie suivie de mort douloureuse, et vous finiriez suicidé dans une cage d'ascenseur avec une note épinglée dans le dos: "t'es qui, toi? T'as fait quoi dans ta vie?"]


Nolan, il a jamais su raconter quoi que ce soit. Ni filmé une action, quelle qu'elle soit. Y a aucun hasard là-dedans, les deux sont parfaitement liés.
Dès Memento, Nolan nous expliquait les fondements, qui n'ont jamais varié, de son approche du cinéma: substituer à l'enchaînement des images un enchainement de mots, et déstructurer un récit pour faire oublier que ce dernier n'a aucun intérêt.

Prenons n'importe quelle scène de Nolan dans un Batman.
Tout ce qui a trait à un événement, une histoire, une intrigue, Nolan s'emmerde pas avec ça. Il les situe dans un passé, lointain ou récent. De toute façon et nécessairement hors-champ. Et il délègue à un dial imbitable entre deux personnages la fonction de nous le "raconter". Entre ces longs moments ennuyeux, qu'est-ce qui se passe?
Faut revenir à Descartes, d'une certaine façon, pour le comprendre. Descartes se demandait comment pouvait exister le mouvement, la durée (dans un sens qui sera celui d'un Bergson), avec des instants déconnectés, des moments de présent non-liés. Nolan a ce problème. Il est assez malin pour nous faire oublier qu'il est incapable de le résoudre, incapable de transmettre cinématographiquement le sentiment d'une durée quelconque. Dès Memento donc, c'était toute l'affaire: de ce que je ne parviens pas à exprimer une durée continue, qui a un rapport consubstantiel avec le phénomène de la mémoire, je vais inventer un perso qu'a pas de mémoire, qui est, comme moi, incapable de lier des moments de présents vécus comme hétérogènes.


Ainsi dans Batman ou Inception : en dehors d'une imagerie kitsch assez téléphonée sur laquelle se paluchent des esthéticiens au rabais, qui confondent art pictural et chromo de Léda et le cygne accrochés au dessus du lit, près du guéridon, si on s'amuse montre en main à compter la part qui est réservée à "l'action" proprement dite (cad le mouvement, pas forcément une action physique) et la part consacrée aux "dialogues", qu'observe-t-on?
On observe que 80 % minimum de ce qui se "passe" sur l'écran est dévolu à d'interminables bavardages, qui ne sont pas même des "dialogues" (car Nolan est tout aussi incapable d'écrire du dialogue, cad de l'interaction continue, fluide, circulant entre deux persos), mais des notices scientifiques, des modes d'emploi de bidules à bits, qui comptent sur un saut de foi patient du spectateur, qu'on endort, qui ne voit pas qu'on lui fait prendre une vessie verbeuse pour la lanterne des frères Lumière.


De ci, de là, parcimonieusement, pour honorer le cahier des charges, on a, donc: quelques rachitiques scènes de "fight" et d'explosions, qu'on nommera par mansuétude "action". Côté son c'est Nagasaki, la grosse Bertha, en ultra THX atmos, pour faire croire à nos nerfs tympaniques qu'on est dans un cinéma du corps et de la sensation. Mais qu'importe, on observe exactement le même phénomène : cette incapacité à faire de la durée, de la continuité sensori-motrice, avec des moments déconnectés. C'est pour cela que le principe de construction des scènes d'action, chez un Nolan, c'est le montage, et archi-cuter tout partout pour que ce soit bien illisible. Il y a des génies du montage, Peckinpah, Penn, peut-être même Tarantino, qui traduisent des vitesses, des chocs, des secousses, corporelles autant que géologiques, par le simple découpage des plans. Nolan, lui, sait pas faire ça non plus.
Se prenant pour un Houdini post-moderne, il nous offre des vignettes, des photogrammes de fragments de chorégraphies plongés dans le formol, mais se succédant si vite qu'on n'a même pas le temps de cligner de l’œil. 

Pour ce qui est de l'émotion, de l'épaisseur humaine, tout ça, même topo: pour donner l'illusion que dans tout ça y a de l'affect, de l'humain, Nolan s'emmerde pas davantage. Il a dans sa poche un petit schéma avec des cases à cocher pour faire "thématique personnelle" qui signe un auteur: il s'agit de refourguer systématiquement, à chaque film, un ancrage traumatique convenu (mais à qui toute personne vaguement sensible est susceptible de s'identifier): un problème souciant d'épouse décédée ou de fille abandonnée, qui détermine les motivations profondes et même moins profondes du personnage principal.

Que sauver chez Nolan, le nouveau génie prétendu qui sauve le blockbuster en y injectant on ne sait quel vertige métaphysique et pascalien?
Ce qu'on peut sauver, c'est la réhabilitation des conversations au coin du feu, à l'anglaise, entre l'aiguille à tricoter et le verre de bourbon. On s'emmerde comme des rats morts, mais c'est tout un art de l'ennui distingué. Le monde de Nolan semble tout entier sorti de souvenirs de conservations désincarnées, entre gentlemen british - paradigmatiquement un maitre et son valet - sur toute une série de "sujets" parfaitement inintéressants, mais dont l'inintérêt même assure le statut aristocratique de gens qui ont du temps à dilapider dans des papotes mondaines.