mardi 24 juillet 2012

Aidons, un peu, les jeunes auteurs.


Long et harassant est le sentier qui mène à la gloire, et combien casse-burnes les chemins hérissés d'ornières de l'édition, jalousement barrés par de vieux croutons pleins d'amertume. Aussi l'auto-édition offre une solution ultra-rapide et conviviale pour qu'enfin émerge, dans toute sa virginale splendeur, l'auteur trop original, trop audacieux et trop en avance sur son temps pour ne pas susciter le blackout mesquin des cerbères décatis de cette chose molle et vaselineuse que Franz Olivier Giesbert ou Guillaume Durand appellent "littérature", en se grattant la zone sub-fessière d'un auriculaire distrait.
Vous me connaissez, je suis du genre généreux et oblatif: je n'hésite jamais à mouiller ma chemise pour mettre en avant les talents émergents, les nouveaux Anne Rice, les nouveaux Dan Simmons, les nouveaux Ron Hubbard, Rosny Ainé, Jimmy Guieu ou Olaf Stapledon qui forgent, dans la plus ingrate solitude et dévorés d'angoisse, des mondes inouïs, impensés et hallucinants, aux frontières du génie et de la folie. Puisse leur granit montrer à jamais sa borne aux vilains corbaques dans mon genre, qui s'apprêtent à le profaner. Avec toutes mes confuses, cela va sans dire.

C'est ainsi que par le hasard le plus redoutable, mes zamès, je tombai sur la première page, offerte - miracle des mains nues - au cyberquidam désœuvré, d'un roman terrifiant que je poursuis parfois en songe. Songe d'une vie, mort d'un songe qui me hantent for ever, and ever.





Il me faut citer, donc, toutes affaires cessantes et toutes cessations affairées, cette première page de CATALEPSYAN, la fascinante histoire de Esthane Rathon, qui découvre que son père a été tué par un être buveur de sang. Esthane Rathon, devenu Guillian, basculera-t-il du côté sombre de la force ou du côté force de la sombre, à la veille de ses 200 ans? Oô vous ne le saurez pas tout de suite, il vous faudra commander CATALEPSYAN et parcourir au moins la seconde page dont voici toujours-déjà la précédente:


" Chers téléspectateurs, chers auditeurs, en ce 16 mars, près d’un an après que les disparitions et les meurtres en série aient commencé, nous pouvons dresser un premier bilan de 1,6 milliards de morts dans le monde entier!!! Alors que les enquêteurs poursuivent leurs recherches sans aucun résultat, un homme mystérieux, répondant au nom d’Esthane Rathon, m’a remis une lettre aujourd’hui en me disant qu’elle dévoilerait au monde les réponses qu’il se pose en ce moment: qui est le protagoniste de ces massacres qui durent depuis un an? Et quand est-ce que ces meurtres et ces disparitions vont s’arrêter?
Je vais maintenant commencer la lecture de cette lettre:

Lettre à l’humanité
«En ces temps où certains prédisent l’Apocalypse, la fin du monde, sans connaître l’origine du mystérieux fléau qui touche l’espèce humaine et la menace d’extinction, moi, Esthane Rathon (c’est ainsi que je m’appelais avant), je prends la plume pour dévoiler au monde que je suis à l’origine de l’ambiance macabre dans laquelle vous vivez depuis un an.
Mais aujourd’hui, alors que mes troupes et moi continuons à massacrer des milliers de personnes tous les jours, je pense pouvoir avoir assez de forces et de courage pour mettre fin à ce chaos en me donnant la mort, ainsi qu’à tous ceux de mon groupe à qui j’avais ordonné de me suivre dans ce mouvement diabolique qui prédisait la disparition de l’espèce humaine et le règne des forces des Ténèbres sur cette planète. Demain, j’aurai 200 ans. Demain, l’humanité tout entière connaîtra, en effet, l’origine de tous les malheurs qui se sont abattus sur elle dernièrement. En effet, en ce jour de mon anniversaire, j’emporterai dans une mort affreuse tous les coupables de ces meurtres, et je me suiciderai également!
Je ne vous demande pas de me pardonner, mais de me comprendre. C’est donc afin de mieux me justifier aux yeux des proches des victimes de ces meurtres en série prémédités, et de ceux de mes subordonnés, que je joins à cette lettre un carnet contenant le journal de ma vie, dans lequel je réponds à des questions que les hommes se posent:
Tout d’abord, est-ce que la vie existe après la mort? Et si oui, quelles formes peut-elle prendre?
Et ensuite, je répondrai aux questions que vous vous posez tous depuis un an: qui est donc à l’origine des massacres auxquels on assiste impuissamment depuis un an? Et qu’est-ce qui l’a poussé à les organiser?

Adieu...

Guillian, E. R. Le 16 mars 1984. "


Il faut lire, et relire, cette première page de Catalepsyan, car elle est littéralement ensorcelante, envoûtante, catalepsique.
Une leçon d'écriture pour tous ceux qui caressent le rêve, au crépuscule des chimères d'une vie mortelle, de prendre la plume pour le grand Œuvre romanesque.

 " Chers téléspectateurs, chers auditeurs, en ce 16 mars, près d’un an après que les disparitions et les meurtres en série aient commencé, nous pouvons dresser un premier bilan de 1,6 milliards de morts dans le monde entier!!! "

Bonne technique. On introduit subtilement, via le propos d'un personnage secondaire, formidablement campé, les infos précieuses (et précises, 1,6, c'est pas 1,4 ou 1,7, etc) sur tout ce qu'on doit savoir. Ainsi, on est déjà dans l'action, et on ennuie pas son monde. Une façon de mettre de la vie dans le récit, d'emblée, contre l'ennui, tout en frappant l'imagination, c'est de conclure non pas par un, non pas par deux, mais par trois points d'exclamation, qui soulignent fort opportunément le caractère proprement inouï, fracassant, de ladite information (en dépit - ou à cause - du ton enjoué, convivial, du présentateur).

" Alors que les enquêteurs poursuivent leurs recherches sans aucun résultat, "

Précision importante, aux fins d'éviter toute méprise, et que l'imagination du lecteur ne se mette pas à vagabonder en échafaudant moult hypothèses fantaisistes: y a des enquêteurs, c'est du sérieux. Mais ils poursuivent leurs recherches sans aucun résultat. Le journalisme, la science, sont tenus en échec. Donc, grosse inquiétude, dès l'incipit.

" un homme mystérieux, répondant au nom d’Esthane Rathon, m’a remis une lettre aujourd’hui en me disant qu’elle dévoilerait au monde les réponses qu’il se pose en ce moment: qui est le protagoniste de ces massacres qui durent depuis un an? Et quand est-ce que ces meurtres et ces disparitions vont s’arrêter? "

Un homme mystérieux, c'est mystérieux. Dévoiler les réponses que le monde se pose en ce moment, c'est mystérieux aussi: ça défie la logique. Comme le fait que cette lettre mystérieuse dévoile une réponse déjà éventée avant même d'être questionnée. Comme le fait qu'à ces massacres, il y a "un protagoniste". Strange, tout ça. Spéciâl.
Il faut créer un climat de mystère envoûtant, accentué par la mention d'un nom encore plus mystérieux, bien trouvé, répondant au nom en même temps qu'à la réponse. Esthane, c'est bizarre, pas courant, pô banal. Et Rathon, ça sort, comment dire, de l'ordinaire, du tout venant aussi. Tout le mystère est dans le "H". Le "H", ça fait gotHique-genre. Par exemple: Estan, ça fait penser à cabestan, c'est ballot. Raton, c'est moche aussi, c'est pas crédible, un peu ridicule. Estane Raton, ça fait croisement à la dr mengele entre un âne et un raton. Mais EstHane RatHon, ça vous a tout de suite une de ces gueules...

"Je vais maintenant commencer la lecture de cette lettre:  "

Oui, car trop d'infos tue l'info, entrons, nous n'avons que trop tardé, dans le vif du sujet de cette lettre mystérieuse, en prime time, lue par un membre (en 1984) de la dynastie Pujadas (on pense donc forcément à Anthony Perkins, donc à Psychose, et on a les foies rien qu'à visualiser la scène).

 " Lettre à l’humanité "

Chacun est appelé à s'identifier à ce qui se passe. Personne n'est oublié. Petits détails, mais qui comptent.

" En ces temps où certains prédisent l’Apocalypse, la fin du monde, sans connaître l’origine du mystérieux fléau qui touche l’espèce humaine et la menace d’extinction "

Ce sont des temps troublés, des temps obscurantistes, livrés aux boniments de mauvaises langues, qu'on ne nommera pas, par pudeur ou magnanimité. On ne va pas s'abaisser à leurs méthodes délatrices, on préfèrera donc "certains", plus allusif mais aussi plus perfide. Car "certains" sont un peu benêts: ils prédisent un fléau déjà réel et attesté, hélas.
"Certains", aussi, parmi les lecteurs (potentiels), souffrent potentiellement de problèmes d'intellection ou de comprenoire, comme dirait Lacan. Donc il vaut mieux préciser deux fois (au minimum) chaque info: une apocalypse, c'est une fin du monde; et quand un fléau touche l'espèce humaine, ça suggère possiblement qu'il la menace d'extinction.

" moi, Esthane Rathon (c’est ainsi que je m’appelais avant), "

Avant, d'accord, mais avant quoi? Ah ça, lecteur, vous le saurez en poursuivant le récit palpitant qui vous expliquera pourquoi Rathon en a eu ras la couenne de porter le nom d'une infâme bestiole gothique des plinthes. Et peut-être aussi pourquoi il se présente encore, après, sous son appellation d'avant qui, mystérieusement, lui colle encore aux nougats.

 " je prends la plume "

Rathon ou pas, quand on est goth, la plume, qu'on trempe dans l'encrier, est un accessoire important. Un stylo à billes Parker, ça fait parvenu, et Bic, c'est pour les ploucs. Le clavier d'ordi, c'est anachronique; le minitel, ça cadrerait pas avec les candélabres et les factures d'électricité qui s'amoncellent dans la boîte aux lettres en vieux chêne moisi qui grince.

" pour dévoiler au monde que je suis à l’origine de l’ambiance macabre dans laquelle vous vivez depuis un an. "

1,6 milliard (sans "s") de morts, c'est vrai que c'est pas à tous les coups la fête du slip, donc y a comme une ambiance un peu plombée: macabre, osons le dire. Et depuis un an: ter repetitas en 15 lignes. La répétition entêtante d'une même info, ça donne un côté "messe macabre".

" Mais aujourd’hui, alors que mes troupes et moi continuons à massacrer des milliers de personnes tous les jours "

Ambiance de merde, oui!

" je pense pouvoir avoir assez de forces et de courage pour mettre fin à ce chaos en me donnant la mort, ainsi qu’à tous ceux de mon groupe à qui j’avais ordonné de me suivre dans ce mouvement diabolique qui prédisait la disparition de l’espèce humaine et le règne des forces des Ténèbres sur cette planète. "

On dira ce qu'on veut, penser c'est bien, penser pouvoir, c'est mieux, mais penser pouvoir avoir, c'est un luxe que tout le monde ne peut pas se payer. Penser pouvoir avoir les forces et le courage de se donner la mort en même temps que celle de son propre diabolique mouvement, ça implique un self-contrôle, une qualité de caractère en acier trempé et des cojones de taureau. Faut pas avoir la tremblotte.
Question vertigineuse en ombre chinoise: quid de la prédiction, par ce mouvement diabolique, de la disparition de l’espèce humaine et du règne des forces des Ténèbres sur d'autres planètes?

" Demain, j’aurai 200 ans. Demain, l’humanité tout entière connaîtra, en effet, l’origine de tous les malheurs qui se sont abattus sur elle dernièrement. "

Bonne initiative: faire d'une pierre trois coups: célébrer son annif, se flinguer, et lever un obstacle épistémologique majeur voilant à l'humanité l'origine obscure de tous ses malheurs. On va enfin savoir pourquoi on meurt dans une ambiance aussi macabre, dernièrement.

 " En effet, en ce jour de mon anniversaire, j’emporterai dans une mort affreuse tous les coupables de ces meurtres, et je me suiciderai également! "

En effet, y vient de le dire, ça. Mais une fois encore, ne négligeons pas cette part infime du lectorat potentiellement handicapée sur le plan sensori-moteur, ou souffrant de dégénérescence neuronale.

" Je ne vous demande pas de me pardonner, mais de me comprendre. "

Ouida, mais laissez un peu les gens décider comme des personnes adultes, de temps en temps: s'ils ont envie de pardonner, laissez les pardonner. T'façon, les grands criminels de guerre, ils sont rarement bien compris et appréciés à leur juste valeur. Encore une saloperie d'obstacle épistémologique.

" C’est donc afin de mieux me justifier aux yeux des proches des victimes de ces meurtres en série prémédités, et de ceux de mes subordonnés, que je joins à cette lettre un carnet contenant le journal de ma vie, dans lequel je réponds à des questions que les hommes se posent: "

Ce besoin compulsif de se justifier, de tout expliquer, tout le temps, je peux comprendre. Par empathie. Pour se faire comprendre mieux. Mais expliquer, on ne le sait que trop, c'est souvent creuser l'abîme entre le savant et l'ignare, le proche et la victime. Donc, méthode pas forcément top.
Maintenant, un carnet, pour expliquer tout ça, c'est un peu chiche, aussi. Bon, on me dira, y a les carnets de la drôle de guerre, où Sartre a pris le soin de tout bien nous expliquer, mais ça n'a pas empêché Onfray de venir lui cracher sur la gueule 73 ans après.
Mais bon, quand on s'appelle Rathon, qu'on a eu une vie très chargée, trépidante, pleine de rebondissements en tous genres, et qu'on est responsable de 1,6 milliard de morts (synonyme: "meurtres en série". "Prémédités": contraire de "improvisés"), on a quand-même à cœur de livrer ses mémoires dans autre chose qu'un pense-bête pour business-man pressé.

 " Tout d’abord, est-ce que la vie existe après la mort? Et si oui, quelles formes peut-elle prendre? "

Et si non? Imaginez le mec: moi, Rathon, épistémologiquement athée, je vous livre cette information importante: y a pas de vie après la mort. Déjà, ne cherchez pas d'explications de ce côté là, vous iriez au devant d'une grande déconvenue.

" Et ensuite, je répondrai aux questions que vous vous posez tous depuis un an: qui est donc à l’origine des massacres auxquels on assiste impuissamment depuis un an? Et qu’est-ce qui l’a poussé à les organiser? "

 Oui, certes, mais il vient de dire que c'était lui et son propre groupe diabolique qui étaient responsables. Cela suggérerait-il, éventuellement, que d'autres responsabilités, en amont, seraient impliquées? Manière subtile d'annoncer qu'on nous cache encore certaines choses, malgré une dilection un poil obsessionnelle pour la clarté épistémologique.
On relèvera l'adjectif rare, emprunt d'une éloquence un peu désuète, qui situe bien l'origine possiblement nobiliaire de Rathon: on se pose impuissamment une question, et depuis un an (quater repetitas), concernant l'origine de massacres auxquels on assiste impuissamment, depuis un an également (quinter repetitas).

" Adieu...

Guillian, E. R. Le 16 mars 1984. "

Espérons qu'il ne s'inflige pas la mort avant de tout nous dévoiler, sinon nous assisterions impuissamment à la conclusion trop hâtive de la narration qui s'annonce...


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lundi 23 juillet 2012

Présumé coupable (Peter Hyams, 2008)



Se souvient-on un peu de Peter Hyams?

Oui, bof. Ce troisième couteau a commis un bon film, du moins dans mon souvenir: Capricorne one. Le même gus a livré une suite inutile, assez ennuyeuse, mauvaise quoique pas absolument et irrémédiablement nulle, de 2001: 2010, avec Roy Scheider. Ah oui, aussi Outland, loin de la terre, un trip de sf dormitive avec Sean Connery, et Relic, une soporigène histoire de bestiole gluante se réveillant dans un musée.
En dehors de ça, j'ai rien vu d'autre, jusqu'à hier. L'esprit fatigué, en quête d'un petit thriller quelconque mais qui fasse passer un peu de ce temps qui rarement passe, je me matte, en location gratos heureusement, Présumé coupable, avec Michael Douglas, et une distribution transparente qui n'a pas poussé ma curiosité à aller lire les noms sur la pochette ni à cliquer sur google.

Alors là mes zamès, c'est le ponpon du tromblon, l'acmé du nawak, l'apogée du gâtisme. Paraît que c'est le remake d'un film de Fritz Lang, L'Invraisemblable vérité, et ils auraient dû garder ce titre parfaitement indiqué.

Comment dire, quel angle aborder, comment exprimer la perplexité qui vous étreint, à la vision de cette chose surprenante par son ineptie fondamentale et inéluctable?

Y a un mec, qui est reporter dans un grande chaine de télé, mais à qui on confie des rubriques nases, genre rallyes pour chiens. Il a de l'ambition, pourtant. Il voudrait sortir un scoop d'enfer qui lui donnerait le prix Pulitzer. Pourquoi pas.
Or il se fait qu'un avocat renommé, potentiellement gouverneur du district, en la personne évidemment de Michael Douglas - que nous appellerons Vlad - attire son attention aiguisée. Il se demande, le gars, si le mec n'est pas complètement véreux, pourri, voire malhonnête. En effet, Vlad a fait condamner 17 personnes pour meurtre en 2 ans, et à chaque fois, sur la base d'analyses adn faites sur un objet présenté à la dernière minute. Le gars se demande si c'est pas à tous les coups des preuves bidonnées. Genre un mégot oublié à côté de la victime violée, et y a dedans l'adn de l'assassin. Or le gars et son pote qui travaille dans le même journal télé ont maté une vidéo où Vlad et un flic pourri, qui s'arrange toujours pour diriger l'enquête sur les cas dont Vlad s'occupe, donnent une cigarette à fumer au prévenu, lors d'un entretien juridique. Y s'dit: l'ont foutue après, cette cigarette, sur les lieux du crime.
Ah mais non, leur explique, excédé, leur boss: la photo de la victime montrait déjà ce mégot là et pas un autre. Donc, même si c'est pas clair, mauvaise pioche.

Le gars ambitieux, appelons-le Edouard, ne veut pas en rester là. Il dragouille la collaboratrice de Vlad, une jeune mocheté en tailleur, que nous appellerons Nadia. Parce qu'il la trouve bandante, Nadia. Il lui dit qu'il trouve son chef Vlad louche, qu'il le soupçonne d'être malhonnête, de truquer ses enquêtes. Nadia proteste: c'est parce que c'est un winner brillant et talentueux et toi un loser séduisant, et tu l'envies, c'est tout. Il l'invite à diner et tout, puis ils baisent comme des pécaris enflammés, donc.

Sur ces entrefaits, lui germe une idée géniale, qu'il compte expérimenter avec son pote balourd, une sorte de geek à l'humour de fancy-fair, que nous appellerons Rantanplan. Vu qu'ils sont sûrs que Vlad truque ses procès avec de fausses preuves à conviction, avec un adn rajouté par après, ils vont le confondre de belle manière. Suffit d'attendre le prochain crime crapuleux commis sur une prostituée dont tout le monde se branle, se tenir au courant des éléments de l'enquête, et là, Edouard entre en scène. Il va accumuler des indices faisant croire que c'est lui l'assassin, comme ça la police lui tombera dessus, il se retrouvera dans le prêtoir, en tant qu'accusé, face à Vlad. Et le prix Pulitzer tombera tout cuit dans les paluches d'Edouard et Rantanplan.
Comment vont-ils s'y prendre, au juste? C'est pas évident, certes, mais ils ont aussitôt l'occasion de mettre leur plan à exécution. Une prostituée est assassinée dans un parc. L'assassin a pris la fuite, non sans s'être fait mordre salement au mollet gauche, sous témoins, par un Bull-Terrier croisé Teckel qui passait par là. Le propriétaire du chien l'a d'ailleurs coursé, et a eu le temps de lui flanquer sur la cagoule un peu de bombe lacrymogène. Pis on trouve les empreintes des godasses de l'assassin: une marque de baskets qu'on trouve plus depuis dix ans, c'est dire si elle est rare.

Alors le modus operandi est le suivant: Edouard, flanqué de Rantanplan qui le filme avec une mini-caméra numérique, va acheter à la fourrière un Bull-Terrier croisé Teckel, puis commande sur internet une paire de ces godasses, objet de collection qu'on peut trouver sur E-Bay. Achète au Wallmart une cagoule de gangster, chez un revendeur chelou un couteau et une bombe lacrymogène. Pis il se fait mordre au mollet gauche par le clébard, asperger de lacrymo sur sa cagoule, dans la fente orbitale. Et à chaque fois, bien évidemment, son pote le filme pendant qu'il tient, bien en évidence, un numéro daté du Times, qui prouve que tout ça a été fait un autre jour.
Puis Edouard dit à Rantanplan de cacher le dvd contenant les séquences en lieu sûr, que personne, pas même Edouard, ne doit connaître. Tout comme personne ne doit être au courant, sinon ils risqueraient de gros ennuis pour procédure pas nette, et adieu Pulitzer. Rantanplan répond: "t'inquiète, je garde l'original chez moi, en lieu sûr, et je laisse une copie quelque part que je dis pas où". Ok. Jusque là, on veut bien, à la limite, entériner tous ces postulats, admettre que Rantanplan, ou Hyams, même sans jamais avoir lu Derrida, ont pas percuté qu'avec les données numériques, l'antique question platonicienne du privilège de l'original sur la copie se pose plus tellement.


Comment Edouard se fait coincer, après? Fastoche: il se bourre la gueule un samedi soir, et roule à 250 à l'heure sur l'avenue principale. Pis passe une nuit au poste. Là, un flic honnête, chargé de l'enquête, qui le connaît, en pluche, et qui sait que c'est un brave gars qui fait pas la bringue d'habitude, doublé d'un clampin, vient le voir le matin et lui dit qu'il est libéré sous caution. Edouard la joue pas sympa, maussade. On lui rend ses effets personnels, dont, of course, sa paire de baskets hyper-rares... qu'il enfile ostensiblement sous les yeux médusés du flic futé et très observateur.

ça fait pas un pli. Just in the night, alors qu'Edouard en écrase sur l'édredon, la flicaille vient tambouriner à sa porte, investit son appart et lui passe les menottes, "vous avez le droit de ne rien dire" et tout le baltringue. Edouard continue à la jouer chelou. Il se défend sans grande conviction: la blessure au mollet c'est mon clébard, les baskets je les ai commandés sur le net, mes yeux me font mal parce qu'on a fait la bringue avec des potes en s'arrosant de gaz lacrymogène, ben quoi on a le droit de s'amuser un peu.

Nadia est effondrée par tout ce qui arrive à Edouard, le nouvel amour de sa vie. Elle vient le voir au parloir, toute chamboulée. Edouard lui dit de pas s'inquiéter plus que de raison, et lui jure qu'il est innocent. "Je sais pas, t'as l'air bizarre", dit Nadia. "Je me demande si y a pas un rapport avec mon chef Vlad, t'es obsédé par lui, tout le monde le sait". Edouard ne confirme ni ne dément. Puis Nadia s'inquiète plus du tout de cette hypothèse fantaisiste, et suit, comme tout le monde, les péripéties au tribunal.
Edouard, avant de s'assoir, rappelle discretos à l'oreille de Rantanplan: "surtout, n'oublie pas, tu dois aller chercher les contre-preuves sur le dvd seulement lorsque Vlad sortira son truc bidon avec l'adn rajouté et tout, pas avant!". Au cas où Rantanplan n'avait pas tout capté du stratagème.
L'audience commence, elle va durer une semaine minimum. Mais dès le troisième jour, Vlad, vieux renard, et son flic ripou pas tombé de la dernière pluie, sentent qu'y a anguille sous roche. Le ripou fait sa petite enquête et découvre aisément qu'Edouard a acheté ses godasses sur le net, un clébard agressif à la fourrière, and so on. "Ohooo, dit Vlad, ce sale petit fils de pute d'enfoiré de sa mère, restons sur nos gardes, alors".

Arrive le moment téléphoné, et là on se demande pourquoi Vlad a pas changé sa stratégie d'un iota, de la pièce de vêtement avec l'adn de l'assassin, en l'occurrence l'innocent Edouard. Aussitôt, Edouard se retourne vers Rantaplan, qui est surexcité, et hoche ostensiblement de la tête pour lui signifier que c'est maintenant, go, va chercher le dvd. Rantanplan fonce à couilles rabattues et le palpitant battant la breloque, hors du tribunal, et plonge sur sa bagnole. Y pouvait absolument pas attendre le lendemain, on se demande pourquoi, vu que le procès était loin de se terminer. Il aurait ainsi tranquillement amené son matos, sans attirer l'attention de quiconque et en s'évitant une fluxion de poitrine. C'est que ni Edouard ni Rantanplan ni Hyams donc, même sans avoir jamais lu là encore Derrida, n'ont davantage percuté que tout ça ne se jouait dans l'immédiateté de l'instant, et que leur révélation fracassante ne perdait rien à être légèrement différée.

Mais le flic ripou le course discrètement. Rantanplan roule à tombeau ouvert vers son appart, et là, horreur et putréfaction, il voit qu'il a été cambriolé, a pu le dvd. Reste la copie. Le voilà reparti à tombeau ouvert, de plus en plus nerveux et on le comprend, toujours coursé par le ripou, vers sa banque. Il manque à trois poils près de pas pouvoir retrouver l'emplacement de son coffre-fort perso à cause d'une vieille employée bavarde et passablement gâteuse, mais ouf, son précieux colis en main, le voilà reparti vers le tribunal. C'est à ce moment qu'hélas le flic lui tanne le pot d'échappement et parvient à le faire s'encastrer entre deux camions. Rantanplan est salement amoché. Le flic ripou, qui est en plus du genre cruel satanique, allume tranquilos une sèche et la balance dans sa caisse pleine d'essence qui fuit. Boum. A pu Rantanplan, a pu dvd.

Je passe quelques péripéties. Edouard, manquant de preuves, et bien qu'ayant tenté d'expliquer son plan pour confondre le véreux Vlad, se retrouve condamné, gisant au trou, et donc la ramène moins, vu qu'il s'inquiète pour sa tête. En effet, dans cet Etat, les assassins présumés passent juridictionnellement à l'injection létale avec une facilité déconcertante. Il le savait, ça, que c'était dangerousse comme stratagème, que sa vie dépendait de ce précieux dvd en deux exemplaires uniques au monde, tous les deux partis en fumerolles.
C'est là que Nadia, qui jusque ici s'était montrée discrète, intervient. Edouard la met au parfum. Elle refuse tout d'abord de le croire. Mais faisant sa petite enquête, elle découvre aisément les indices éparpillés qu'avait aisément trouvé le flic ripou: baskets, chien, cagoule, etc, achetés à la va-vite. Mais attention! Vlad se rend vite compte que Nadia est pas nette, et demande à son acolyte de pas la lâcher d'une semelle. Nadia va consulter des experts en imagerie numérique, qui lui font la démonstration aisée que sur toutes les photos des dossiers dont Vlad s'est occupé, l'indice compromettant a été rajouté, par après, au photoshop. ça valait bien la peine qu'Edouard et Rantanplan se décarcassent avec leur plan hyper-risqué. Rantanplan y a laissé la vie, et Edouard attend avec anxiété son imminente injection létale. Merde quoi, tout ce talent gâché.

C'est ici que ça se corse pour Nadia. Alors qu'elle regagne sa bagnole dans un parking à 5 niveaux complètement désert, serrant dans ses mimines la précieuse démo des photos truquées, voilà que le ripou sadique déboule en son bolide inquiétant et s'avise de tenter de l'écraser contre une colonne. Elle échappe à la mort de justesse, grâce au flic honnête du début, celui à qui on avait retiré l'enquête et qui trouvait ça bizarre autant qu'étrange, qui déboule just in time avec son colt 47 magnum. Hop, une prune bien ajustée directement dans le lobe frontal du ripou.

Après, ça se précipite, François de Brigode nous l'explique au JT sur la trois: Vlad, celui qui montait, se retrouve au trou, et Edouard, celui qui descendait, monte en pleine lumière.

Mais attention, y a un twist d'ultra-dernière minute qui nous apprend qu'Edouard était pas tout net non plus, sur un autre truc.
Nadia s'en rend soudain compte en matant De Brigode sur la rediff en boucle, au pieu, à côté d'Edouard qui ronfle du sommeil du juste. Son attention est alors attirée par une brève sur une pauvre femme assassinée, la même femme sur laquelle Edouard avait tourné un reportage non diffusé, qu'il avait montré à Nadia, où il expliquait que cette même pauvre femme avait mis fin à ses jours par désespoir, suite à l'abandon de son nourrisson. Histoire de prouver à Nadia qu'il avait l'étoffe d'un grand documentariste concerné par la question sociale (ce qui avait fait pleurer Nadia d'émotion). Nadia, désemparée, sort du pieu et s'en va fouiller les étagères. Elle tombe à son grand dam sur un dossier vachement compromettant pour Edouard, dont je vous épargne la teneur. Edouard entretemps se réveille, et y a du malaise dans l'air. Nadia lui montre ce dossier prouvant qu'il est lui-même rien qu'un sale tricheur et ptêt même une saloperie d'assassin. Edouard commence à suggérer, tout en tentant de se justifier et protestant de son indéfectible amour, un comportement vaguement menaçant. C'est à ce moment, alors qu'on n'a vu nulle part Nadia sortir un gsm de sa poche, que les sirènes de police se mettent à hurler au lointain. Elle le quitte tranquilos, en passant la porte, le laissant tout dépité et lui assénant le mot qui tue: "va te faire mettre".



Bon, tout ça c'est bien gentil, mais y a ce truc évident, énorme, qui d'emblée ruine absolument tout, et qui fait que le spectateur ne peut pas accorder une nano-seconde d'intérêt à ce scénario formidable, épatant, redoutable et combien fascinant, réglé comme une horlogerie suisse (écrit par Hyams lui-même, sur la base du scénar d'origine):

ça se passe en 2008.

Edouard et Rantanplan bossent dans une grosse chaine télé, à la pointe de la technologie. Moi, avec mes modestes moyens, quand je veux sauvegarder une donnée informatique dont ma vie dépend, j'en fait non pas deux, non pas trois, mais au moins 15 copies sur dvd. Et ces dvds, que j'emballe dans des enveloppes molletonnées, je demande à qqun de confiance de les envoyer, à la date que je décide, à plein de gens et organismes différents. Mais même si je connais pas grand monde, j'en envoie une à moi-même par recommandé, ou à une boîte postale que je loue. Et si, en tant que parano virulent, je fais confiance à personne, j'en cache dans la doublure du matelas d'un oncle gâteux au moment de la sieste ou dans le grenier d'une vague cousine tétraplégique (ou pas). Et si je suis orphelin, j'en enterre dans un pot à bonsaï, j'en scotche dans le vide ventilé, que je dissimule sous une plaque en forme de vide ventilé, etc, etc. Mais oublions, même, les dvds, les clés usb (qu'on peut se caler entre les fesses et récupérer discrètement aux waters en se torchant, même dans un palais de justice, surtout quand on fouille pas, comme là), les mini-disques durs portables Lacie Rikiki, tous ces supports matériels d'un temps déjà antédiluvien. Le père Hyams, je sais pas, on a dû le décongeler comme Hibernatus, et lui dire: "mon gars, tu vas nous mitonner une réadaptation d'un film à suspense de 1956 qui va laisser tout le monde sur le cul, même Michael Douglas, qu'est un peu blasé". La fonction Nas, dispo à partir de n'importe quel HDD multimédia: Hyams, Edouard, Rantanplan, Vlad et Nadia, y connaissent pas, ces blaireaux. Je te fous mes données perso les plus précieuses sur un serveur dédié avec une clé d'accès sécurisée, et basta, je vais pas m'emmerder avec les supports périssables. Non mais oh.





Les aventures de Tintin. Tintin et le secret de la Licorne (Steven Spielberg, 2011)



Bon. Alors.
Je ne comprends pas la mansuétude critique qui a généralement entouré ce film, d'une absence d'intérêt alarmante.

J'étais parti plein de bonne volonté et tout, sans trop me braquer (d'autant que le générique est assez réussi, en effet, sa musique aussi), mais déjà, en tant que bon connaisseur des histoires de tintin, je ne peux pas ne pas dire qu'il n'y a rien strictement rien de l'univers des albums de Hergé dans ce patchwork fagoté n'importe comment. Pendant tout le métrage, sur ce point, on imagine constamment une équipe de scénaristes réunis en braintrust d'entreprise pour aligner quantité de "raccords" bidons puisant superficiellement dans des tas d'éléments épars des albums, les tricoter en une intrigue à deux balles, arroser le tout d'une espèce de sauce médiane annulant toute forme de saveur, sans parler d'une espèce d'humour calibré-standardisé-fadouille.
Une chose est sûre, l'argument "tintin" est un pur cache-misère. Quel rapport au juste avec Le secret de la licorne et Le trésor de R. le R? Pourquoi ne pas s'être contenté de l'histoire racontée dans ces deux albums, même au prix de moult raccourcis ou montages? On nous présente ça comme une sorte d'hommage truffé de références, mais faudrait ptêt voir à pas trop prendre les cons pour des imbéciles. On nous vante un peu partout l'habileté d'un scénario puisant astucieusement dans les albums, avec des jeux de renvois que les vrais "connaisseurs" apprécieront. Or rien, donc, de l'univers de Hergé, ou de son esprit, ou du concept de ses personnages, encore moins de son style d'humour, n'existe a minima, jamais. Quant aux références, appelons ça des gimmicks publicitaires. Le scénario qui nous est livré est d'une pauvreté affligeante, aux connexions logiques totalement artificielles. Rien n'existe, tout est spielberguisé. Et spielberguisé, on sait un peu ce que ça veut dire: le spielberguisme, c'est l'art du gimmick, du clin d'oeil insistant, tout est dans l'arc-réflexe stimulus-réponse pavlovien. Plus l'anéantissement pur et simple de toute forme de singularité, l'énucléation radicale, à la base, de toute forme de personnage existant, que ce soit de chair et d'os, de caoutchouc, ou de pixel. Spielberg a cette particularité, jamais démentie de film en film, d'infantiliser tout objet dont il s'empare, à un rare degré de bêtise standardisée (proche de l'enfance, pour qui confond "état d'enfance" et "état de bêtise"), d'uniformisation dans le vacuum d'un marshmallow, ou suppositoire, incolores, indolores et insipides, y a plus rien à espérer de ce côté là. Même du coté du Spielberg "dépressif" et "noir", qui n'est guère plus dense si on gratte d'un demi-millimètre derrière le spectacle bien agencé.
Du secret, de la licorne, du fantôme de Haddock, de Moulinsart, du Karaboudjan, il ne subsiste plus rien, pour le redire, et ce n'est pas un mince exploit d'être parvenu à vider à ce point de sa substance le monde de tintin, rendu ici à une bimbeloterie de carte postale qui irrésistiblement fait penser à ce qu'a pu faire Woody Allen dans son imbitable et post-gériatrique Midnight in Paris.


S. aurait adapté le Crasmeustache, ou Gil Jourdan, Ric Hochet, Michel Vaillant, ou Blake & Mortimer, Tif & Tondu, Boule & Bill, Gaston Lagaffe, Spirou & Fantasio, Chaminou et le Khrompire, Les Tuniques bleues, tout ce qu'on veut, le résultat aurait été du pareil au même: du bidon, des persos-prétextes, des décors-prétextes, vidés de toute substance, qui n'existeraient pas davantage, qui ne signaleraient aucun monde, aucun agencement, aucun imaginaire, s'agitant juste en vain dans un squelette d'intrigue inutile, un reader digest expédié ou une sorte de mégaremix, farci de rebondissements, de cascades, de courses-poursuites parfaitement ennuyeux, sans aucune, vraiment aucune espèce d'intérêt. Même le plus mauvais Harry Potter a plus de cachet, de singularité, et les persos plus de consistance, c'est dire.
Prenez par ailleurs un bon film d'action, filmé par un mec qui sait faire ça, prenez, je sais pas, moi, les Jason Bourne de Greengrass, l'action y est au moins intéressante, et c'est ce qu'on est en droit d'attendre. Pourquoi est-elle intéressante, palpitante? Parce qu'on s'intéresse à l'enjeu, au sens de ce qu'on regarde, on est impliqué dans quelque chose qui est de l'ordre du sens, et de la narration. Ce Tintin est rempli d'actions jusqu'à la couenne, mais rien n'a jamais aucun sens: nada, l'ennui, tout y est vu, revu et rerevu mille fois, que du stéréotype. Spielberg ne sait pas raconter et n'a rien à raconter, contrairement à ce que ne cessent de nous dire ses admirateurs: c'est tout sauf un conteur. Il n'a pas de monde.
Bien sûr, c'est du Indiana Jones "survitaminé", pour qui en douterait encore. Cette vieille rengaine marketing que l'on nous vend depuis des décennies: Spielberg a "ressuscité", selon la formule hypnotique devenue méthode Coué, "l'âge d'or" du film d'aventures épique et glamoureux hollywoodien, etc etc, en s'inspirant des aventures de Tintin. Et éventuellement de Philippe de Broca, de ses "tribulations d'un chinois en chine". Dit-on. Dans les milieux cinéphiles autorisés. C'est son foyer secret de sensiblité, ça et l'inénarrable "powésie de l'enfance", bien entendu. Nuts. Indiana Jones... Allez quoi, comme on dit à Bruxelles. Pas de ça, Lisette. Ce rutabaga mou et constamment emmerdifiant, instantanément ringard dès sa sortie. Aimez-vous tant les caramels mous, par la barbe du prophète? Faut vraiment être né, comme dit Deleuze, au milieu du désert, le désert des eighties, pour vouer un culte nostalgique à cette soupasse languissante.

Donc ok, c'est Indiana Jones. Aucun esprit ne souffle ici, jamais. C'est un alignement de séquences blètes, obligatoires, au tarif syndical, après dégraissage de tout ce qui aurait pu présenter un intérêt, même minime. L'humour, par hasard et par malchance? Pitié, c'est mauvais, lourd, même et surtout quand ça se voudrait léger, en clin d’œil. On sent parfaitement que S. et sa team ne comprennent strictement rien à l'humour hergéen, aux persos de Hergé: ils transforment automatiquement tout en mauvais slapstick, dans un faux esprit "britannique" qui n'a rien à faire là.

Tintin est une sorte d'abstract pour Hergé, on le sait, mais les autres, Haddock, les Dupondt, Nestor, ou la Castafiore, etc, ont ceci de particulier qu'ils inventent leur typologie propre. Or, la grossière erreur, la première, celle dans laquelle tomberait tout faiseur sans talent, c'est, comme ici, de les accorder à des stéréotypes préexistants: je ne dis pas les stéréotypes que seraient devenus ces personnages "universellement" connus, à travers le temps et l'espace. Car stéréotypes, il ne le sont jamais devenus, pour les lecteurs qui sont entrés dans cet univers. Ils étaient et sont restés, et c'est là un des mystères de l'art hergéen, des types singuliers, inscrits dans une généalogie singulière, de l'ordre de l'intime, peut-être même du privé, tant le lecteur a investi ces personnages de ses propres agencements généalogiques personnels. D'autant que d'albums en albums, ils changent, contrairement à tintin (et encore, pour lui, ça se discute aussi), ils ne restent pas figés dans leur typologie: ils traversent des crises, des remises en question, etc. Les Dupondt, c'est bien plus que simplement deux policiers rondouillards et passablement idiots. Y a en tout personnage des aventures de tintin comme un rébus, une crypte, je ne reviens pas là-dessus, j'en avais déjà causé . Ici, que voit-on? Des stéréotypes énucléés, là encore, non seulement de toute leur généalogie (ce qui serait encore excusable, dans la logique d'un scénario "synthétique" - qui ne synthétise rien du tout), mais encore de toute forme d'intensité personnelle.
Le cheminement intérieur de Haddock est concassé menu, par l'idée scénaristique désastreuse de fondre en un seul motif des éléments du Crabe aux pinces d'or et du Secret de la licorne. Le lien à son ancêtre, à son double, ainsi qu'à ceux de Rackham, "réincarné" dans un personnage secondaire falot, Sakharine (avec les traits de Spielberg: ah cet art du clin d’œil baltringue, comme la houpette de tintin devenue aileron de requin et autres friandises pour fans gâtiques. Faut absolument réciter sa filmo, roublardise d'un fétichisme marchand. C'est L'Oreille cassée qu'il aurait dû adapter): autre trouvaille nulle de scénariste soi-disant futé, qui transpose absurdement une gigantomachie des Héroïcs US façon Batman contre le Joker, et se battant à coups de grues-queues de dinosaures sans doute, en hommage à Jurassik Park. Sinon, c'est du sous-sous Pirates des Caraïbes.

Sans oublier le speech de psychologie pour cadres commerciaux qui n'en veulent, asséné par le vieux loup de mer, un monologue admirable sur la lose et la win, face au mur on l'enfonce mon ptit gars, laisse personne dire que t'es un raté. Et pour sûr, le film n'hésite pas à enfoncer tous les murs, par crainte de ne pas divertir son public-cible de 0 à 7 ans. Dernière entourloupe: l'annonce de la poursuite d'une soif "inextinguible" (hohoho) d'aventures pleines d'explosions et de cascades en tous genres, car le véritable trésor est caché, ultime révélation, en pleine mer. Alors que le message profond des deux albums, c'était, déjà: "nous avons cherché de par le monde un trésor qui a toujours été ici, sous nos yeux". Soit une dérision, un trouble, jetés sur la possibilité même d'une aventure, et que parachèveront L'Affaire Tournesol et surtout Les Bijoux de la castafiore, dé(con)structions minutieuses du concept même de "péripétie" ou d'intrigue.
Mais c'est qu'il y a des biffetons à tirer, si possible. J'imagine la suite: L'Etoile mystérieuse, entre le remake de "the thing" et le remake de "poltergeist", quelque chose dans ce goût-là. Une purge. Réalisée par JJ Abrams, qui connaît par cœur les petits trains électriques si merveilleux de papa Noël-Spielguy, au point de les astiquer pieusement et servilement.

Milou ne sert strictement à rien. Dans les albums (où lui aussi évolue), il formait avec Tintin un binôme psychique "fusionnel". Là, voir et entendre Tintin parler à Milou comme un idiot parlerait simplement à son chien, qui de son côté couine de ci de là, c'est juste ridicule. La castafiore est catastrophiquement ratée, et l'Idée scénaristique de son intervention (le rossignol milanais, arme secrète pour briser la vitre incassable abritant la maquette), non pas "ingénieuse" mais bête à pleurer. Etc etc.



Le tout plombé, faut-il s'étonner (pardon Gertrud), par l'assommante partition musicale de John Williams, inséparable compagnon de route de Spielberg en matière de concassage d'ambiance dans d'insipides cascades d'arpèges rebattus, de motifs conditionnés entendus 50.000 fois. Williams étant au son ce que Spielberg est à l'image, et l'union des deux ce que Skinner est à la psychologie causale: synthétisant tout ce qu'il y a de plus pavlovien dans la musak de films hollywoodiens, une véritable scie. Je ne dis pas que J. Williams n'a pas fait un bon score dans sa vie. Je dis juste qu'il en a fait 90% de trop.


L'animation, alors? Même pas. Y a tous les défauts récurrents de l'usine Dreamworks. De jolis décors, ça et là, d'accord. Mais principalement: de l'esbroufe visuelle, de la pyrotechnie, aucune poésie picturale, de la vitesse, aucune densité. Les mouvements corporels des personnages sont toujours aussi bizarrement chaloupés, impuissants à peser dans l'espace. Un gros problème de gestion de la physique, toujours le même depuis les Zemeckis, qui, finalement, s'en sortaient bien mieux, avec des univers plus riches, plus habités (Beowulf). Les expressions faciales motion-capturesques sont toujours aussi limitées, réduites à quelques grimaces stéréotypées. Même le moins bon Pixar (Cars, par exemple, dont je suis pas fan), tout y existe cent fois plus.



Je n'en finirais pas d'énumérer tous les éléments qui font de cette pseudo-aventure-hommage à tintin un petit film convenu, insignifiant, livré du bout des lèvres comme on enfile des perles de verroterie, sans émotion, sans passion, sans esprit.

La seule séquence que j'ai vraiment goûtée: celle concernant le kleptomane. Le gag du portefeuille relié à la veste par l'élastique incassable, puis la visite des Dupondt dans son intérieur aux étagères remplies de portefeuilles. C'était pas mal, ça. Mais là encore, fallait plomber par un gag consternant de nullité : une dame est assommée sur le trottoir, des petits oiseaux sortent de sa tête, et voilà que se radine de derrière une boutique un mec à casquette, au sourire niais et inexpressif, avec un filet pour attraper les oiseaux. C'est censé amuser quelqu'un ? Qu'il se fasse connaître, sans mentir.

La bibliothèque était jolie, le paquebot bien modélisé. Le début était chouette, qui prenait un peu son temps, juste un peu, jusqu'à l'arrivée redoutée des pan-pan et tout le capharnaüm.


Concluons ce billet passablement désinvolte en rendant la parole au créateur (au sujet de son nouveau chef d’œuvre: War horse, sorti sur nos écrans quatre mois après Tintin) :

" Trop de films, aujourd’hui, obéissent à un rythme frénétique. Je suis soucieux de laisser de l’espace pour la perception du spectateur. Et puis, il fallait se donner le temps de filmer le cheval. "

[...]

" J'ai toujours été stupéfait que l’on s’intéresse autant aux chiens, alors que les chevaux sont si subtils "

[...]

" Avec eux comme avec les enfants, il faut savoir être patient "

Étonnant, non? Bon allez, la tisane, le suppo...



Finissons en, un peu, avec Rainer Werner Fassbinder


J'ai vu à peu près tous les Fassbinder entre 20 et 25 ans, parce qu'à l'époque, on me rebattait les oreilles avec Fassbinder.

Après j'ai cessé de m'y intéresser définitivement. Déjà à l'époque, je trouvais son cinéma balourd, mélange indigeste de mélodrame bourgeois (se revendiquant de Douglas Sirk) et de pseudo-commentaire social parfaitement bidon et confus.
L'acmé du désintérêt fut atteint avec d'une part la vision de l'année des 13 lunes, pochade morbido-complaisante où on a l'air de déclamer du Artaud voix off "genre" sur plan séquence en travelling de cadavres de vaches qu'on équarrit dans un abattoir; d'autre part avec tous les autres s'appellent Ali, insupportable concentré, nauséeux, de tous les clichés les plus paternalistes sur le brave immigré noir (qui cause d'ailleurs "petit nègre") qui vit une histoire d'amour impossible et tragique avec une octogénaire, à cause du manque de tolérance de la société, etc.

ça résume d'ailleurs assez bien l'espèce de catéchisme douteux qui innerve 95% de sa production: romances à deux sous, avant-arrière garde pachydermique, masochisme morbide très poseur mâtiné d'alibis "politiques" sur les "exclus" et les "marginaux" (sa représentation du prolétaire est également grotesque, ridicule, édifiante: cf le droit du plus fort).

Tout ça parti d'un brainstrust théâtralo-communautaire sentant le renfermé, très gniangnian-gouroufiant selon moi dans ses "audaces" anti-théâtre qui n'est qu'un mauvais théâtre didactique de l'absurde à la Camus ("prenez garde à la sainte putain"), au symbolisme lourdingue et appuyé, qui n'enfonce que des portes ouvertes et n'énonce que des platitudes, pour évoluer, ou plutôt sombrer dans les 80s vers le mélo-kitsch dit flamboyant ahurissant de laideur et encore plus imbitable (Lili-Marlen, Maria Braun et consort). L'hyperactivité de Fassbinder, sur laquelle on s'extasie en permanence, ne garantit nullement que ses films furent intéressants. En ce qui me concerne, je n'en ai trouvé aucun intéressant. Et je frissonne d'ennui rien qu'à l'idée de sa production théâtrale pléthorique.

J'ai jamais bien compris l'intérêt du cinéma de Fassbinder, au nihilisme pâteux et complaisant, un jeu de massacre monotone et téléphoné des valeurs bourgeoises, d'une classe bourgeoise, la sienne, et qui semble, à l'instar du cinéma de Chabrol, interpeler et fasciner un certain type de bourgeois spécifique: celui qui trouve sa jouissance dans la haine de la bourgeoisie. Bref, du cinéma de bourgeois, par un bourgeois et pour des bourgeois.

On nous ressert tous les 10 ans une "redécouverte" de Fassbinder comme on redécouvre tous les 10 ans le théâtre de boulevard de Feydeau.

Y paraît que Fassbinder avait des choses à dire sur l'Allemagne, l'histoire de l'Allemagne, l'essence, le devenir, le destin de l'Allemagne, etc.

C'est bien possible, mais outre le fait que je m'en tamponne, du destin de l'Allemagne, je n'ai jamais compris ce qu'il en racontait ni si ça représentait le moindre micro-atome d'intérêt.

Politiquement, c'est aussi confus que douteux, disais-je, individualisme mou bouffant à toutes les gamelles. Fassbinder ne fut jamais de gauche, ce qui plaira à d'aucun qui y verront la confirmation de leur théorie audacieuse, à l'insu de leur plein gré, qui montre que pas mal de mauvais cinéastes pompeux et pompiers étaient de droite. Mais on s'en fout, tant le cinéma de Fassbinder se situe à un niveau infra-politique. Voir pour s'en convaincre "la troisième génération" (les mouvement "gauchistes" sont présentés peu ou prou comme une collection de terroristes dégénérés). C'est pas parce que Fassbinder portait des blousons noirs (à choquer la ménagère de plus de 60 ans dans les 70s) et des pantalons mouleburnes que ça fit de lui un voyou très inquiétant pour l'ordre établi.

Pour moi, je l'ai expliqué en un autre lieu, jadis, Fassbinder est le véritable précurseur de la série Derrick.


The river king (Nick Willing, 2005)



Daubasse presque fascinante par son incohérence.

Enquête mollasse sur la mort d'un collégien, gelé dans une rivière, aux abords d'un collège privé huppé. Meurtre ou suicide? Un festival de poncifs et de mécaniques narratives pavloviennes. Des tas de "fausses pistes" dont on comprend d'emblée qu'elles sont fausses; structure en flash-backs poussifs; rituels de bizutage de fraternités fascisantes; le collège fait vivre la petite ville, donc la police est corrompue par des pots de vins; le duo du flic intègre et du flic pourri (qui essaie de saboter l'enquête, laquelle pourrait nuire à la réputation de l'école); le flic intègre souffre d'un traumatisme personnel en rapport avec le cas; éléments fantastiques à la sixième sens, du genre "mince, y a une tâche bizarre sur toutes les photos, on dirait la silhouette du mec Kevin" - Kevin, le mec qu'est mort? - "Oui, tu ne trouves pas ça bizarre?" - Ah ça, pour être bizarre, c'est bizarre, mon pote. T'es sûr que ça va bien, toi"? - "Ben, peut-être que Kevin essaie de nous communiquer un message"- "Ouaih, c'est ça, et pourquoi pas faire la causette avec des fantômes en direct de l'au-delà, tant qu'on y est?" (dialogues tout le temps comme ça, si); coup de foudre entre le flic intègre et une prof, clone de Meryl Streep, qui doit se marier avec le futur directeur de l'école - un sale con; donc déchirée entre un avenir radieux et un futur incertain, elle met fin à la relation avec le flic; même si elle comprend qu'elle n'aime pas le sale con; la preuve en est administrée par un dial qu'elle a au resto avec lui: elle lui demande "qu'est-ce qu'il y a après, selon toi?" Y répond: "la direction du collège, et un meilleur salaire, je suppose", "après la vie, je voulais dire"... Puis: "pourquoi veux-tu m'épouser?" - "Pourquoi cette question étonnante, chérie? Parce que je me sens bien avec toi, heureux avec toi, voyons" - "Ah, parce que tu te sens bien, heureux, avec moi... Quand je mange de la tarte aux cerises, je me sens bien, heureuse". "Que veux-tu dire par là, chérie?" - "Oh rien, laissons cela" (et le mec, qu'a rien percuté, est rassuré et reprend la lecture de son journal avec un air de grande satisfaction) ; le flic intègre rend son badge, dégoûté par la corruption et le manque d'amour; dialogues ahurissants, donc, genre, encore: "prenons la voiture, ce sera plus rapide qu'en marchant" ou "si on fait analyser cette poudre suspecte par le labo, on en saura certainement davantage" (dial entre les deux flics dans la forêt), "bon, j'appelle Nick, le mec du labo, pour qu'il amène le matériel avant que la nuit tombe, sinon après il fera trop noir pour qu'on puisse y voir quelque chose", "mauvaise idée: tu sais bien que Nick n'a pas de portable, et pas de voiture non plus. En plus il quitte le labo après 18h", "ah oui, c'est vrai, fucking fuck"; ou encore "j'étais pressée de vous revoir pour vous montrer cette tache étrange sur la photo", - "au milieu de la nuit, chez moi, dans mon appartement?" - "oui, je l'admets, j'étais sans doute pressée de vous revoir, tout simplement", "- alors, si je comprends bien, vous n'êtes pas venue que pour l'enquête"? etc etc. Jusqu'à ce qu'y baisent comme des pécaris enflammés, corps nus en surimpression floue, avec des bouts de seins turgides, des filtres colorés, des bouts de fesses ondulant sous une musak langoureuse.

Et tout ça pour quoi? Pour découvrir que, ah non, c'était un suicide. Le pauv'mec, 15 minutes avant sa mort, se faisait tabasser grave par la bande de fachos-blonds du collège. Après avoir été forcé de bouffer des excréments dans la cuvette des wc. Puis laissé pour mort. Mais c'est pas ça qui l'a tué, en fait. Il est mort plus tard, pour un motif qu'a rien à voir.

[Y'aura d'ailleurs une enquête palpitante sur la nature de ces excréments, d'un suspense insoutenable, qui durera plus ou moins la moitié du film. Nick, du labo, a découvert des excréments dans l'estomac de la victime. Mais le flic pourri a caché cet élément du dossier au flic intègre. Ce dernier l'apprend par hasard de la bouche de Nick du labo. Le flic intègre, furax, va parler au commissaire en chef: "pourquoi on m'a caché ça? Seriez-vous donc tous corrompus?" Le chef tente de faire diversion: nous savons tous que la rivière est salement polluée, aussi, partout des merdes de poissons, d'écrevisses et de saloperies diverses, alors ça prouve rien tout ça, arrête de fantasmer ducon, c'est ton traumatisme qui te travaille, va voir un psy".

Mais le flic intègre fait sa petite enquête. Il découvre que la ville avait investi il y a deux ans dans un système d'épuration pour que l'eau de la rivière soit nickel. Alors il va voir en loucedé Nick du labo (qui est un gentil), pour y voir plus clair. Il lui dit: "dis donc, Nick, j'aimerais que tu analyses pour moi l'eau de la rivière". 30 minutes plus tard, dans le film, le flic intègre revoit Nick, entre deux kawas à la cafète. "A propos", dit Nick, j'ai analysé l'eau de la rivière". "Et alors, ça donne quoi?" Nick répond d'un air débonnaire et blasé, avant de quitter le champ: "Pas une merde de poisson, rien, elle est claire, pure, je suis formel, on pourrait presque la boire". Ohoo... Bizarre, ça, suspect, se dit le flic.

15 minutes plus tard, dans le film, le flic intègre a l'idée de faire analyser les excréments en question. Il recroise Nick, par chance. "Dis donc, Nick, j'aimerais que tu analyses pour moi les excréments, car s'il s'avérait qu'ils sont humains, ça nous mettra peut-être sur la piste d'un crime pas normal maquillé en faux suicide". 10 minutes plus tard, dans le film, il tombe à nouveau sur Nick, toujours blasé et affairé. "A propos, dit Nick, j'ai analysé les excréments". "Ah, oh, et alors, à quelle conclusion es-tu parvenu sur ce problème crucial?". Nick, qui lui a déjà quasi tourné le dos, se retourne et répond d'un air jovial, avant de repartir s'occuper de trucs plus importants: "c'est du caca d'homme, aucun doute là-dessus, allez salut, mec, je suis à la bourre".]


Mais voilà: à la toute fin, on découvre, donc, que le collégien, 15 minutes avant sa mort, était encore en vie, comme disait l'autre. Il est allé se jeter dans la rivière juste après, à cause d'un chagrin d'amour. Il a laissé un petit mot enfermé dans une boîte magique sortie de Hellraiser, où il explique qu'il a vu sa meilleure amie (dont il était amoureux - mais qui voulait pas quitter le chef du clan) embrasser le chef du clan (ce qu'elle faisait souvent, puisque c'était son mec); alors il a pas supporté, il quitte ce monde pourri où il n'avait pas sa place. Y a un flash-back qui nous montre le mec se trainer dehors, par terre, tout ensanglanté, la tête explosée, jusqu'à une fenêtre où y voit la meuf et le vilain sadique, ce qui achève de le désespérer.

Aucun lien causal, donc, avec le calvaire d'il y a 15 minutes. Donc tout le monde est innocent dans cette sombre affaire, personne n'est coupable. D'autant que la meilleure amie du suicidé savait pas que son mec sadique lui avait explosé la tronche dans la cuvette. Le mec sadique est renvoyé de l'école, parce que, quand-même, c'est pas bien élevé de foutre la tête de ses camarades de dortoir dans les chiottes en les bourrant de coups de poings et de coups de pieds.

Puis la vie reprend ses droits, l'hiver touche à sa fin, les oiseaux gazouillent à nouveau.

Tout ça, cette énorme erreur d'interprétation (même pourris, corrompus, ses ex-collègues avaient donc raison depuis le début sur la thèse du suicide), ça renvoie le flic à son trauma-refoulement (le suicide de son frère, dont il se sentait "coupable" alors que non, c'était pas de sa faute), trauma remontant du coup à la surface en le soulageant d'un gros poids ( révélation genre "soudain l'été dernier").

Puis happy end: l'ex-flic et la prof se retrouvent dans une soirée de bienfaisance organisée par l'école, et se roulent d'énormes patins romantiques et passionnés, trop longtemps contenus, devant tout le monde, y compris le futur-mari, connard bien baisé.

La purge. Et c'est joué avec les pieds, tout le temps, avec des mimiques dignes du mime Marceau. Sauf le héros, le flic intègre, Edward Burns, aussi expressif qu'une endive, donc intrigant.

Je voulais savoir quoi, alors j'ai regardé jusqu'au bout. C'est comme ça qu'on se fait baiser jusqu'à l'os, et qu'on déprime un chouïa, après.


Somewhere (Sofia Coppola, 2010)



C'est le premier de S. Coppola que je trouve vraiment réussi, pour ma part. Il y a quelque chose de très fort qui passe, là, dans la ténuité, et qui est maintenu de bout en bout. De l'ordre du souvenir que quelque chose a été oublié, on s'y souvient d'un oubli, de quelque chose, quelque part, qui n'a jamais eu lieu ou son lieu.
ça va bcp plus loin que "lost in translation", qui a mon sens était assez raté. Un des problèmes du film, parmi d'autres, c'était Murray, justement, qui se sentait obligé de compenser l'absence d'être-au-monde par une composition de clown triste, charmeur gauche, désarmant de pudeur, etc: tout ça était bien trop lourd d'intériorité signifiée, d'empathie suscitée, justement, et on restait dans le schéma du touriste promenant sa mélancolie touchante dans un pays étranger dont il est déconnecté. Le pas au delà, suite logique, plus radicale, que Somewhere franchit sans fléchir, c'est: avoir disparu sur place, d'emblée, n'avoir jamais été, être déconnecté de soi-même, à l'intérieur, de l'intérieur.

Certains critiques ont déploré l'absence de charisme de Stephen Dorff. C'est passer complètement à côté du film, car c'est justement ça qui lui donne toute son essence. C'est ça qui est réussi, et vraiment drôle, cette fois, tout en étant glaçant. C'était le choix parfait: le prototype de l'acteur de cinéma hollywoodien, inexistant, impersonnel, sans qualités, un homme-enfant inachevé, comme un morceau de cire à moitié fondue, une enveloppe congelée ou pétrifiée comme cette pâte à modeler, ce masque informe dont on recouvre son visage (plan fabuleux). Et quand Dorff dit, vers la fin, au téléphone, à une de ses nombreuses maitresses (qui s'en tape, et le congédie par cette formule cruelle qu'on imagine servie en gimmick aux stars qui dépriment: "pourquoi ne fais-tu pas du bénévolat?"), assis dans sa chambre, pleurant: "je suis rien, moins que rien", on y croit, et c'est bouleversant.
On dit alors que c'est un moment "téléphoné": peut-être, mais ce moment téléphoné est un moment vrai.
On dit encore: Murray savait, lui, qu'il n'était rien, il n'avait pas besoin de signifier cette tautologie, cette évidence était d'ailleurs rachetée par l'élégance de la pudeur, cette politesse du désespoir, etc. Justement, Dorff (ou son perso) ne le sait pas, il n'est pas lézardé comme Murray, alourdi de la conscience de cette lézarde, il est en deçà de toute réflexivité possible (la scène marrante de la séance de presse, où on lui pose notamment la question du "post-moderne"). C'est un homme sans esprit, pour qui toutes les répliques sont écrites à l'avance, et qui le reste du temps n'a rien d'intéressant à dire, jamais, aucune dérision particulière de lui-même. Ce n'est pas non plus le yuppie cynique de "less than zéro". C'est un homme quelconque, ni bon ni mauvais, sans point de vue sur lui-même ou sur les autres, pas nihiliste ni indifférent, plutôt gentil, gentiment fadouille, transparent. Aussi les seules phrases non sollicitées qui sortent de lui, affects vécus simplement d'un désespoir révélé qui ne séduit personne, c'est "pardon de ne pas avoir été là" et "je suis rien".


J'ai quelques réticences, bien sûr. Concernant ce "spleen des acteurs riches", j'ai senti cette possible couche catho-consolatrice derrière: "les riches ne sont pas heureux, leurs paradis sont artificiels, heureux les miséreux, les valets, qui sont dans l'authenticité", etc. Mais j'ai essayé de ne pas trop me braquer là-dessus. Le film adopte un point de vue très distancié, ne sollicitant ni l'empathie ni le rejet. Presque de l'ordre d'une contemplation ethnographique. C'est plus un film sur la machine cinéma, la condition de l'acteur, la disparition, le vide, dans la machine à fabriquer de l'apparition, du plein. Ce n'est pas neuf, bien sûr, comme thème. On connaît tous ces films sur le monde du cinéma, mais la tonalité, l'approche, sont plus inédites qu'on ne le prétend.

Surtout, il laisse une trace, après, vous laisse au dessus de cette faille, une blessure de l'exister qu'il titillait en creux, en négatif, à la fois obstinément et discrètement. C'est pas si souvent.

Je ne partage pas les exécutions en règle concernant la fin, que je trouve très belle. La "parole vraie", dans la voiture, prononcée par sa fille au moment de le laisser et de partir sans sa colo d'enfant riche, enfant de star ("maman n'est jamais là, et toi non plus, tu n'es jamais là"), c'est la douleur de l'absence absolue dans la présence même. Leur absence au monde ensemble, l'homme-enfant et sa fille. "Pardon de ne pas avoir été là", dit-il (et c'est noyé dans le bruit des pales de l'hélicoptère), cad, bien sûr, aussi bien dans le passé que pendant ces vacances: en sa compagnie il n'a jamais été-là, et elle non plus n'a jamais été-là. Il n'étaient pas-là ensemble, et n'allaient jamais nulle-part (ou, ce qui revient au même, allaient toujours "quelque part" qui n'était nulle part).

C'est très différent d'Alice dans les villes, en effet (auquel le film est lié, par de nombreux jeux de renvoi, mais en inversant le propos): pas de périple, de "destinerrance" vécue à deux.
Dans le Wenders, la rencontre avec l'enfant est indissociable du voyage entrepris à deux, par lequel l'homme quitte l'état de déréliction (le paysage américain) et commence à exister dans un mouvement "vrai", à travers le paysage allemand, vers l'hypothétique grand-mère (s'esquisse déjà ce fantasme, chez Wenders, du voyage comme retour aux origines, à la Vieille Europe, après la désillusion du simulacre). Dans Somewhere, l'homme et l'enfant sont à l'inverse pris ensemble, d'un bout à l'autre, dans l'immobilité d'une inexistence qui ne va jamais nulle part, englués. L'origine, le point d'ancrage réel, le lieu natal, cette "italianité", sont eux-mêmes rendus à un simulacre, une irréalité soit purement cinématographique, un folklore imaginaire, sorte de mise en abyme, dans une dérision froide, de la "Famille Coppola" (Dorff est censé dire quelque chose d'un lien improbable avec Al Pacino. Plus tard, à Milan, seuls mots italiens qu'il peut dire, c'est "buongiorno " et "arrivederci"), soit télé-berlusconienne - un show inepte de remise de statuettes.
Et c'est au moment de leur séparation qu'un mouvement de mise en route est amorcé, par le constat douloureux et muet de cet échec que fut leur non-rencontre. C'est un film mélancolique, par soustraction. La mélancolie n'est jamais dans l'image.

On pourrait se dire, dans la dernière séquence, que cet homme sans Dasein, prenant congé de sa fille, séparation qui réouvre sa propre blessure d'enfance, commence enfin à tracer sa ligne de fuite, ex-siste, sort de la boucle tournant en rond du circuit automobile du début. Mais où va-t-il au juste? Vers l'avenir, le rien, sa fille, lui-même, le monde? On ne sait pas trop. Mouvement qui, de plus, ne consiste pas à "tailler la route", mais au contraire à soudain stopper net, à quitter le véhicule, dans une interruption qui est une sortie de route, une mise hors-circuit. (Il y a certes ce sourire, qu'on peut interpréter de différentes façons. Pour ma part, ça veut pas dire grand chose, en tout cas pas au point d'y réduire le film).

Je dirais: "un beau film américain", enfin, comme on peut les aimer. Complètement travaillé par le vide, la perte, l'absence, le dehors, d'autant plus discrètement poignant qu'il n'y a quasiment rien dans le cadre, aucune profondeur sous la surface, aucun dehors discernable, aucun paysage vécu, aucun voyage promis, aucun mouvement possible. Sinon dans la rencontre, après-coup, de deux douleurs se révélant l'une à l'autre, en miroir, au moment où elles repartent chacune vers leur solitude essentielle.