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lundi 18 mai 2015

Under the Skin (Jonathan Glazer, 2013)




Film intéressant mais faussement "singulier": il picore en effet à droite et à gauche toute une série de figures formelles qui sont autant d'emprunts/hommages/références (comme on voudra). Y a du Cronenberg première manière, du Kubrick (2001) et du Lynch pour le côté "expérimental". J'ai pensé à Eraserhead pour les types qui s'enfoncent lentement dans le liquide. Le traitement sonore est lui aussi très "alansplitien". J'ai pensé également à Elephant man.

Bien sûr, les images de la lande sont très belles.
ça se veut "sensoriel-immersif"... (avec en sus de vrais morceaux de vrais "prolétaires" dedans). Mais j'ai l'impression d'avoir déjà vu en mieux de façon isolée les diverses séquences rapiécées qui font la composition artificielle de ce film. Tout ça sonne un peu "creux", dénotant un manque de substance, disais-je.
La fin un peu trop 'je termine en queue de poisson' ne m'a pas bouleversé outre mesure parce que je la sentais trop préméditée dans l'effet même de sa "surprise". Et pourtant dieu sait que je m'émeus facilement.

Ce qui me semble convenu aussi, pour y revenir, et problématique pour le coup, c'est ce changement qui s'opère en cette extra-terrestre qui soudain découvre son "humanité" ou sa "finitude", on ne sait trop. ça ne me touche pas, tout d'abord en raison du parti-pris d'esthétique distanciée du metteur en scène. Je sens bien dans la dernière séquence la tentative de rendre quelque chose d'une sorte de drame de solitude, mais ça reste trop "arty" poseur pour moi... Je ne dis pas que j'ai raison, mais je l'ai senti ainsi. ça m'indispose pour une autre raison, plus importante, que je vais m'efforcer de clarifier plus bas.


En "googlisant", je découvre que Adam Pearson, qui joue l'homme au visage défiguré, ne porte aucune prothèse. Il est atteint d'une forme grave de fibromatose. 
Cette révélation me met mal à l'aise car c'est un moment réellement angoissant dans le film. Et je croyais vraiment que c'était un maquillage.
Pourquoi fallait-il un homme au visage réellement défiguré, pour susciter un malaise? Je ne peux pas m'empêcher de trouver dans cette option une sorte d'exploitation voyeuriste pas très éthique... Et au fond, c'est censé communiquer quoi, la scène avec lui? Un truc du genre "rencontre troublante de la Belle et de la Bête"? Une soi-disant réflexion sur la "monstruosité - derrière - laquelle - se - cache - l'humain - vulnérable - et - sensible - à - qui - sait - réellement - voir - (ou apprend à regarder/sentir) - au  delà des apparences "? Etc? Si c'est cela, je trouve que c'est là aussi fort convenu, bateau. De l'ordre de "l'effet" rhétorique ou publicitaire sans réelle profondeur ni substance.

Pour résumer tout cela, je dirais que l'ensemble des variations signifiantes convoquées ici autour du thème de la peau (ce qu'il y a dedans, sous, etc, la surface/l'intérieur, le dehors/le dedans, la beauté/la laideur, l'extra-terrestre/l'intra-terrestre, etc) me semble en définitive de l'ordre de la rhétorique. C'est le terme qui me semble en effet le mieux convenir. Une rhétorique tellement lisible, signifiante et prévisible qu'elle en vient à contredire la proposition même d"expérience sensorielle/immersive" (qualité que la plupart des spectateurs mettent en avant), proposition qu'elle encadre et circonscrit dans un contenu à la fois pauvre, trop maitrisé ou trop délimité, au point d'annuler toute sensation de dérive, flottement, égarement...

Quand on vise le sensoriel et l'immersif, en gros "l'expérience poétique", on doit justement éviter de cadenasser, verrouiller, formater l'expérience sous l'espèce d'un processus rhétorique trop aisément identifiable, lisible et déchiffrable, se déclinant dans une série de figures attendues. Sinon le soufflé au pruneaux se dégonfle assez vite et ne laisse en définitive apparaître, derrière l'armature bricolée et abstraite qui le soutient, qu'un contenu plat, dépourvu de mystère, unidimensionnel.

Une gageure qu'avait réussi, par exemple, 2001. Que réussissait, mais pas totalement, Eraserhead: là aussi, un certain réseau de correspondances trop aisément signifiant amoindrissait l'étrangeté, laissant apparaître derrière elle l'armature abstraite d'un contenu assez plat et bateau: l'angoisse phobique de l'enfantement et la difficulté d'assumer la responsabilité d'une paternité, chez un homme pris en tenaille entre la figure de l'épouse désérotisée par sa maternité et celle de la femme fatale - sa voisine. Etc.



Mais revenons à la thématique, convoquée de façon insistante, de la rencontre et/ou du "choc" entre humain et inhumain, terrestre et extraterrestre.

J'évoque plus haut l'exploitation voyeuriste de la difformité humaine: elle est pour moi indépendante de la question de savoir si l'acteur est consentant (il est bien sûr consentant). Elle tient au fait que le spectateur, lui, n'en sait à la base rien, et que le réalisateur exploite de manière ambigüe cet effet scopique: pour le surprendre, distiller le malaise.

Le réalisateur joue donc sur le dévoilement ou la surprise, sous la capuche, de la monstruosité du visage de l'auto-stoppeur, et en tire des effets angoissants dans l'économie de la scène.
Que l'acteur consente à cela n'empêche pas pour moi cette dimension d'"exhibition de fête foraine" de la difformité. J'éprouve toujours un malaise face à ce genre de procédé, qui table sur une ambivalence, ou plutôt impose un "double bind": il s'agit à la fois, dans le même temps, de susciter une forme de répulsion chez le spectateur et de le dénier en invoquant un respect de la "différence", une "ouverture" à cette différence...

Il n'y a aucun processus d'ouverture, de respect - ou de "relève" - de cette "différence" dans ce traitement : c'est balancé comme ça, une "scène à faire", en quelque sorte. C'est tout le contraire d'une approche de la "monstruosité" qui, comme dans Elephant man, pose d'abord la question de la répulsion du spectateur, de son regard, de ses préjugés, pour ensuite le confronter à ces derniers et les interroger.

L'extraterrestre est ici à l'homme défiguré ce que la fillette aveugle est à Frankenstein. Elle ne sait pas ce qu'est la "laideur" parce qu'elle ne la voit pas, ne la distingue pas, et pour cela ne rejette pas Frankenstein. Dans les deux cas, c'est un déficit de sens qui rend possible l'amitié, au sens large.

Ici, si l'extraterrestre entre dans un autre rapport, un rapport nouveau, un rapport de non-prédation, avec l'homme au visage difforme, c'est précisément - et paradoxalement - en raison de son absence d'humanité, qui fait que les catégories "laid/beau" lui sont étrangères, ne signifient rien pour elle.

La "morale" de leur rencontre qui est ici esquissée est ainsi d'un ordre très pauvre (celui du "cliché" sans profondeur): il s'agirait en gros de dire que la "différence" physique est d'autant plus acceptée qu'elle n'est pas de prime abord perçue (sur un plan "esthétique", qui est celui de la "sensation"). Il s'agirait aussi de dire que l'opposition entre le "beau" et le "laid" est surmontée par une carence première de perception - ou une perception anhumaine -, et que seule cette "anesthésie" première autorise, on ne sait trop pourquoi, la rencontre des contraires ("la belle et la bête") mais aussi la rencontre d'une éthique (découvrir ici qu'il ne faut pas tuer "l'autre"). Ou encore: seule cette "anesthésie" première permet, dans un second temps (sans donc qu'on comprenne trop bien pourquoi), cette métamorphose à laquelle on assiste: le passage d'un corps "fasciste" (pur, lisse, parfait, insensible) à un corps vulnérable et souffrant...

On ne comprend absolument pas pourquoi un tel processus a lieu, donc. Il y a là une contradiction circulaire qui n'est nulle part interrogée, qui n'est tout simplement pas pensée :
ce passage d'un corps non-sensible, parfait, pure forme, à un corps sensible, intériorisé et souffrant, est rendu possible par sa rencontre avec un corps difforme et souffrant: certes. Mais pourquoi? Pourquoi un corps "fasciste" (cad pur, parfait, insensible, etc) serait affecté par la rencontre d'un corps vulnérable, sensible ?

Selon moi, il n'y a pas de réponse. Simplement parce que ce film ne pense rien. Ne pense rien au sens même de n'être affecté par rien. Il se contente de jouer, à vide, sur des formes abstraites, non liées, et dont il voudrait nous faire croire qu'elles sont concrètes, sensorielles. Ce en quoi il n'est pour moi qu'un exercice rhétorique...