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mercredi 13 mars 2013

La mort des Trucs...



Pourquoi ce long silence? Pourquoi cette retraite scripturale lancinante, souciante, voire insupportable - dommageable surtout pour les exigences et les avancées de la Science Universelle, à laquelle je contribue vaille que vaille dans la solitude la plus ingrate et le je m'en fichisme quasi absolu de mes contemporains? Hm?
C'est que - scuzi de souffrir - je suis passé par une sorte de micro-phase dépressive. Après l'inexplicable et soudaine trépanation de mon Lacie Porsche-truc de 2 To qui contenait plus de 300 films (ainsi que plein de choses inavouables loadées avec une ferveur jésuitique sur le net) dont je n'avais pas encore vu le quart, et que j'avais patiemment choisis et engrangés. A vrai dire, je n'en suis pas encore sorti. Y a un terrible et dantesque acting-out qui se prépare. Je le sens dans les turbines rouillées de mon organisme, au son des os qui craquent et au senti des mystérieuses courbatures qui m'affligent.



Laissez-moi vous raconter l'horrible histoire de ce Lacie, saloperie de chien infidèle.



Réputé l'étalon de sa catégorie, ceci justifiant un coût bonbon, vanté partout, comme par ces vendus pourris de chez "les numériques", ce HDD élégant et classieux, à la coque rassurante toute de métal brossé, inspire la confiance, endort toute inquiétude. Le fourbe.

Fort d'une expérience d'archivage heureuse - et qui dure toujours (qu'à dieu ne plaise, et je touche du bois) avec mes déjà vieux Toshiba StorE-Alu 3,5'' (6 ans, quand-même), remplis jusqu'à la couenne, j'avais rangé au rayon des habitudes obsolètes la gravure sur dvd. Habitudes anachroniques autant qu'insatisfaisantes, monologuais-je d'un ton pénétré ne souffrant nulle contradiction: "je vais pas m'faire chier à compresser des bidules de 7,9 gigas, alors que je peux les mater tels qu'en eux-mêmes l'éternité les fige, à loisir, tantôt sur mon merveilleux écran à rétroéclairage led de 23 pouces et à angles de visions ouverts IPS, tantôt sur la tv via mon précieux moviecube Emtec doté d'une connectique digne de Hal (et d'un DD interne Hitachi, une valeur sûre, si)".

Ainsi archivais-je, tranquille et badin, oublieux de l'oubli, chefs d’œuvre et nanars se côtoyant sur mon Lacie dans la plus parfaite égalité démocratique ranciérienne. Sans même penser à en dresser la liste. Plaisir du choix inspiré dans l'instant non délibéré.
Or j'aurais du. Faire quelques captures d'écran de cette putain de liste. Quelques minutes eussent suffit. Car le trauma suscité par l'extinction définitive de ce Lacie porschiné à la flan a engendré lui-même une amnésie quasi-instantanée de son feu-contenu volatilisé. L'horreur, sans nom. Et j'en témoigne: le Nam, en regard d'une expérience aussi extrême, est une douce promenade champêtre. Là résida ma micro-dépression: dans la suture mémorielle, par laquelle je m'interdis alors, et m'interdis encore, de me souvenir de tout ce que j'ai perdu.
Parfois, ces dernières semaines, je passe en trainant les pieds (et ça fait pfschh pfschh sur le balatum mal ciré) devant les rayonnages de la médiathèque, l’œil torve et éteint, un pli amer sur la commissure des lèvres, refusant de lire les titres des pochettes pour ne pas réveiller cette douleur aigüe. On peut sans crainte parler ici de deuil pathologique. Amenez moi un szondien, que je lui épile les moyes...


De cette épreuve malheureuse, il convient, là encore, de tirer des enseignements positifs. Vous ne le savez que trop bien, car c'est ma devise, "une mauvaise expérience vaut mieux qu'un bon conseil".
Désormais, j'ai pigé, là, c'est bon. Mieux vaut archiver les trucs sur des dvds, même à moitié compressés. Ou alors systématiquement copier ses fichiers sur un disque jumeau que t'allumes presque jamais, pour l'éconono, l'éconono - l'économiser, bordel. Un dvd, ça peut te lâcher, s'effacer, dit-on, dans un avenir encore indéterminé, ou passer sous un pneu michelin, une rappe à fromage... Mais tu perds pas 300 films d'un coup, en 1 seconde.

En plus, j'le sais, maintenant: Lacie, ça fait longtemps qu'y fabriquent plus eux-mêmes leurs disques durs. Y s'contentent de la coque, de laisser son design à je ne sais quel Philippe Starck à la manque ou à ne je sais quel concepteur de décapotables automobiles pour rentiers althussériens au gras bide et aux bajoues flacides. Le disque dur lui-même, ici, c'était un Seagate. Seagate... Laisse moi m'marrer... C'est comme si tu confiais la pratique du concept spinozien de Désir à une oblate infibulée, la direction d'un centre pour l'égalité des chances à Patrick Bateman, l'idée de socialisme à Elio Di Rupo. Ou encore - je sais pas moi - comme si tu attribuais un ministère de l'enseignement à Jean-Claude Marcourt, une chronique d'art à Cédric Wautier (*), un Magritte d'or à Jaco Van Dormael, etc.

Non, Toshiba je dis. Avec un Toshiba, tu sais où tu vas: ça ne paie peut-être pas de mine, mais ça chauffe pas, jamais, pis c'est silencieux. Et à un prix défiant toute concurrence. C'est des gens sérieux, chez Toshiba.



(*)


dimanche 9 décembre 2012

De la taille des écrans



Bien chers tous.

De retour après une assez longue absence méritée. Et merci pour ce plébiscite.


Quoi de neuf, sinon?
Ces derniers jours, j'ai cassé ma tirelire où deux larfeuilles de 100 euros longuement économisés me brûlaient les doigts et quémandaient leur consomption.
Alors, me suis-je dit, à quoi pourrais-je bien consacrer cette dépense de pure jouissance? J'avais déjà tout, j'étais un homme comblé, heureux. Un lecteur mp3, divers casques et oreillettes de factures décentes, aux propriétés d'isolation phonique vitales pour moi (because of saloperie de voisinage: chronique imminente sur ce sujet). Des disques durs remplis à craquer de super-films en attente. De bons livres. De la bonne zique. Bref, tout ce qui peut contribuer au bonheur terrestre et supraterrestre.

Mais avais-je vraiment tout? N'y avait-il point quelque chose qui me manquait, de façon lancinante?


Souvenez-vous, j'ai souvent parlé de mon vieil écran sony pal trinitron 55 cm de diagonale, auquel je voue pour ainsi dire un culte. De presque 20 ans d'âge. Seulement voilà. Sa connectique se limitant à une péritel et à une entrée rca jaune, souffrait depuis quelques temps déjà de probs de faux contacts. Il fallait que je passe au moins 10 minutes avant chaque séance à tenter de trouver la bonne manière de maintenir la fiche, à l'aide d'une gomme pour la soutenir et la bloquer. ça me rendait complètement zinzin. Puis souvent, l'image disparaissait en plein film et je devais tout recommencer.

Donc oui, une ombre pernicieuse voilait mon plaisir d'être-au-monde.


C'est alors que je conçus ce désir brillant. M'acheter un bon écran d'ordi. J'avais depuis 6 ans un écran flatron de 19 pouces (4/3 donc). Qui m'assurait certes quelque satisfaction, mais dans la limite de sa conception. Vous savez en effet que les traditionnelles dalles d'ordi (TN) pâtissent d'un défaut rédhibitoire: l'angle de vision très limité, qui fait que si vous changez de position, l'écran s'assombrit sur le bas; vous devez rester planté comme un piquet à minerve, si vous tentez de retoucher des images, par ex. Sans parler des couleurs, qui sont faussées, et tout ça.

J'investigue sur le net, et je découvre la nouvelle génération d'écrans d'ordi à prix démacrotique pourvus d'une dalle IPS. Pour celles et ceux qui ignoreraient encore de le savoir, les dalles IPS offrent un angle de vision beaucoup plus ouvert (178, voire 180°). Et je me dirige sur un modèle, toujours flatron, IPS et avec couleurs justes certifiées et calibrées en usine, d'une marque que j'apprécie mais dont je ne citerai que les initiales de début et de fin, afin de ne pas faire de la publicité gratuite (même si, vous le savez aussi, je suis doué pour la vente d'objets techniques et non techniques de la vie usuelle): L. et G.


A rétro-éclairage led. Et de 23 pouces. Soit une diagonale qui surclasse tant ma vieille télé que mon presque vieil écran d'ordi. Avec 23 pouces, vous êtes ferré. Vous pouvez enfin apprécier les films en scope ou en 16/9, sans pan & scaner. De toute façon, sur mon vieux sony, je pouvais pas pan & scaner, et je mirais les films en 16/9 sur un rectangle rikiki flanqué de deux barres noires gigantesques.


Je me précipite donc, à couilles rabattues et le palpitant battant la breloque d'excitation (un poil asthmatiforme) au supermarché de l'électronique du centre-ville. Et je ressors vainqueur, serrant dans mes mains fébriles l'objet de mon brûlant désir.

Alors, qu'en dire? C'est tout simplement magnifique, et les mots sont impuissants. La dalle IPS tient toutes ses promesses, la résolution impec, les couleurs sont tellement justes que j'ai enfin compris pq mes captures d'img étaient nases. Je redécouvre littéralement le monde. Puisque mon écran d'ordi est quasi ma seule fenêtre sur le dit monde.
Et les films. Je redécouvre les films, comme jamais je n'eus pu soupçonner qu'ils pussent s'offrir à mes pupilles fascinées.

C'est bien simple, l'angle de vision est tellement ouvert que je peux m'installer tranquillos dans mon vieux fauteuil pour mater les films. C'est une révolution, non copernicienne certes (quoique), qui bouleverse tant mes habitudes que j'ai l'impression de changer de mode d'existence.


Voilà à quoi j'ai passé mon temps ces derniers jours. Et c'est avec plaisir que je reviens vous lire, l'esprit un peu moins moins accaparé par la magnificence de cet nouvel objet, ludique, instructif, et pas chiant.

Quant au mythe fameux, et persistant (cultivé par une certaine sphère "cinéphile-puriste"), du Format, du Grand format, en dehors duquel tout est usuellement rikiki, j'en ai souvent débattu. Mais je me sens obligé, de cette nécessité impérieuse qui commande, comme dab, toute entreprise inutile et d'un intérêt erratique, d'en rajouter une petite couche.


En réalité et en vérité, que ne le note-t-on plus souvent, dès lors qu'on dispose d'un bon écran, bien calibré, et doté d'une résolution full HD, il importe peu que ce soit un écran géant, comme on dit: face à un écran géant, le spectateur va rechercher la bonne distance, celle qui lui convient, pour embrasser ce qu'il voit d'un regard synoptique, ni trop près, ni trop loin. Comme dans une salle. Dans une salle, si l'écran était gigantesque, je choisissais toujours une place située dans le dernier tiers des gradins, parce que c'était, pour moi, la distance en deçà de laquelle mes yeux se perdaient dans la grandeur de l'écran et ne pouvaient "synthétiser" l'information qu'ils en recevaient.

Simple petit test: quand vous regardez un écran, tv, ordi, ou dans un cinéma, placez vos mains verticalement et latéralement, de part et d'autre de vos tempes, jusqu'à la limite du champ de vision que vous avez de cet écran, et à la distance que vous avez choisie: celle qui vous est la plus confortable pour une vision à la fois détaillée et synoptique. C'est ça, votre angle de vision en question. Mesurez-le, en cm, horizontalement et en diagonale, et vous verrez que vous tendez, plus ou moins machinalement, à rechercher cet angle là (chez moi, +- 20 cm). Et en conséquence, à établir entre l'écran et vous une distance déterminée, variable en fonction de la taille de cet écran, qui vous permettra de retrouver ledit angle. Quelle que soit la taille de l'écran. Chez soi ou en salle.
C'est pourquoi, mes zamès, cette affaire de "Format", le fameux format dit originaire en deçà duquel on ne verrait plus un film, selon Godard lui-même, mais une "carte postale" du film, si elle avait sa pertinence du temps des écrans cathodiques chiches en résolution (et du choix exclusif de ne voir un film que diffusé par la télé, dans une copie plus ou moins pourrave, doublé et haché de pubs), n'a plus guère de sens, et peut être rangée une fois pour toutes dans le domaine des arlésiennes et des spéculations vaines contribuant à déboiser l'Amazonie.
Notons-le, just in case: par format j'entend ici dimension de l'écran, et non, bien évidemment, Ratio - 4/3, 16/9, etc -, cadre de vision voulu par le cinéaste, qui ne dépend pas de moi, même si, en fonction de ce ratio imposé, je choisis, moi, telle ou telle distance de regard la mieux adaptée à ma saisie synoptique.
La lumière (ou image-lumière) projetée sur ou devant une toile-écran n'est pas en soi plus "juste", ou "vraie", ou "naturelle", etc, qu'un rétro-éclairage, et partant ne détermine pas plus la nature d'une image cinématographique. Ce n'est pas parce que le cinéma est né techniquement de cette façon, comme projection de lumière sur un écran-toile, en fonction des contraintes et limitations spécifiques imposées par la technologie de l'époque, que c'est cette technique qui définit, une fois pour toutes, selon on ne sait trop quelle invariance absolue, une image cinématographique sous sa forme "matérielle" et "essentielle".
ça, ça m'amuse beaucoup, par contre: c'est typiquement le genre de considération fumeuse, s'abritant sous des considérations "techniques" et invoquant une "empirie" première, inaltérable, qui en réalité renvoie à un ésotérisme archaïque, sur l'ombre et la lumière (qu'est-ce qui vient en premier, l'ombre ou la lumière, l’œuf ou la poule, blablabla), à une métaphysique-théologie ininterrogée de la Donation, de la Lumière de la Vérité, du Rayon miraculeux, etc etc.
Bien entendu, derrière ce genre d'assertions parées d'un objectivisme techniciste indiscutable, se cachent des problèmes empiriques d'une autre nature: la question du privilège, de la ligne de démarcation, d'une coupure "magique" (comme la Lanterne du même nom), sociale mais redistribuée dans le champ esthétique, entre ceux qui auraient accès à cette Lumière, d'origine, et les autres. Entre ceux qui ont un accès direct, vrai, premier, inaltéré, à la Lumière, et ceux qui n'y ont un accès que dérivé, faux, succédané, altéré, etc. Entre ceux - et ce genre de discours fait encore flores dans la "cinéphilie" fondamentaliste et aristocratique à l'insu de son plein gré - qui seuls ont accès à l'expérience véritable, authentique, du "cinématographe", et le tout venant, le vulgum pecus consumériste à qui sont destinés les petits postes de tv, petits postes, petits écrans, rikiki, mal étalonnés, mal réglés, et qui l'aliènent, bien sûr, l'hypnotisent, le massifient, lui font tout voir tout petit, le pauvre, l'aliéné, le passif. Aux uns le soleil, aux autres la caverne; aux uns les tableaux, grandeur nature, vus comme ils doivent l'être, aux autres les cartes postales. Aux uns le Concert a la salle Pleyel, aux autre la bouille de mp3, etc, etc.
Il en va de même avec tous ces discours clé-en-main, prémâchés, corporatistes, ressassés par les "spécialistes", de la photo, de l'argentique, de la hi-fi authentique du vrai son, etc, qui se font un devoir sacré de vous rappeler que le "numérique", c'est quelque part comme le bonheur: l'infini à la portée des caniches, l'horreur, l'horreur, tout ce qu'on a perdu, du mouvement, de la texture, du grain, de la voix, de la tessiture, de tout.
Alors que pas du tout, tsss. Allons. Tout ce débat sur le bon vieil analogique réglé à la main, menacé par l'automate digital. Le bon vieil artisan menacé par l'inhumaine et froide technologie. La plume d'oie menacée par Gutenberg. Discours de spécialistes veillant jalousement à leurs prérogatives, à leur domaine de compétence, car ce qui les menace, les terrifie ( tout comme la dispersion des sources du savoir et du discours, par le numérique, menace de délégitimation les Compétents organiques qui craignent pour la pérennité de leurs chapelles et moquent rageusement l'insondable ignorance de tous les anonymes qui s'intronisent, à leur place, journalistes, commentateurs, penseurs, artistes, sociologues, chanteurs, etc.), c'est qu'une des dimensions de la technologie consiste à rendre accessible à un nombre toujours plus inquantifiable les outils que maitrisaient seuls, ou prétendaient maitriser seuls, quelques uns.
Aux uns, gardiens de la Vérité templière, de la Haute Culture, menacée par la dégradation, la dégénérescence dans la consommation nivelante de tout ce qui fut le Beau, avant, le Trésor civilisationnel, de claironner partout que cette Culture décline, car tout le monde prétend, fantasme, y avoir égalitairement accès, prenant l'ombre pour la lumière. Cela, ils le claironnent sur le petit écran, édifiant les petits, leur montrant de quelle hauteur précise descend la lumière de la Vérité, du Savoir et du Beau, avant de repartir, satisfaits, s'émouvoir sur les grandes toiles, qui sont à leur bonne dimension, hauteur, de vie, de vue, et de savoir.

Rancière a bien raison de souligner que le partage social renvoie essentiellement au partage esthétique, au partage du sensible, au double sens du mot partage, ce qui divise, et ce qui unit. Preuve en est: est toujours crainte, redoutée quelque part, affectée d'un voile de mépris en sourdine, celui de celui qui Sait (par exemple, qui Sait ce qu'est le cinéma, dans son Essence, sa Praxis et sa Tèchnè, ce qu'est Aimer le cinéma, etc; bref qui en détient la spécialité, la prérogative), l'émancipation du spectateur, à savoir le fait qu'il s'accorde, s'autorise, de consommer, lui aussi, les images, l'imaginaire, sans se sentir tenu de respecter les autorisations, mesures et partitions qui l'assignent à tel lieu, tel espace, tel format réservés...



mardi 24 juillet 2012

Aidons, un peu, les jeunes auteurs.


Long et harassant est le sentier qui mène à la gloire, et combien casse-burnes les chemins hérissés d'ornières de l'édition, jalousement barrés par de vieux croutons pleins d'amertume. Aussi l'auto-édition offre une solution ultra-rapide et conviviale pour qu'enfin émerge, dans toute sa virginale splendeur, l'auteur trop original, trop audacieux et trop en avance sur son temps pour ne pas susciter le blackout mesquin des cerbères décatis de cette chose molle et vaselineuse que Franz Olivier Giesbert ou Guillaume Durand appellent "littérature", en se grattant la zone sub-fessière d'un auriculaire distrait.
Vous me connaissez, je suis du genre généreux et oblatif: je n'hésite jamais à mouiller ma chemise pour mettre en avant les talents émergents, les nouveaux Anne Rice, les nouveaux Dan Simmons, les nouveaux Ron Hubbard, Rosny Ainé, Jimmy Guieu ou Olaf Stapledon qui forgent, dans la plus ingrate solitude et dévorés d'angoisse, des mondes inouïs, impensés et hallucinants, aux frontières du génie et de la folie. Puisse leur granit montrer à jamais sa borne aux vilains corbaques dans mon genre, qui s'apprêtent à le profaner. Avec toutes mes confuses, cela va sans dire.

C'est ainsi que par le hasard le plus redoutable, mes zamès, je tombai sur la première page, offerte - miracle des mains nues - au cyberquidam désœuvré, d'un roman terrifiant que je poursuis parfois en songe. Songe d'une vie, mort d'un songe qui me hantent for ever, and ever.





Il me faut citer, donc, toutes affaires cessantes et toutes cessations affairées, cette première page de CATALEPSYAN, la fascinante histoire de Esthane Rathon, qui découvre que son père a été tué par un être buveur de sang. Esthane Rathon, devenu Guillian, basculera-t-il du côté sombre de la force ou du côté force de la sombre, à la veille de ses 200 ans? Oô vous ne le saurez pas tout de suite, il vous faudra commander CATALEPSYAN et parcourir au moins la seconde page dont voici toujours-déjà la précédente:


" Chers téléspectateurs, chers auditeurs, en ce 16 mars, près d’un an après que les disparitions et les meurtres en série aient commencé, nous pouvons dresser un premier bilan de 1,6 milliards de morts dans le monde entier!!! Alors que les enquêteurs poursuivent leurs recherches sans aucun résultat, un homme mystérieux, répondant au nom d’Esthane Rathon, m’a remis une lettre aujourd’hui en me disant qu’elle dévoilerait au monde les réponses qu’il se pose en ce moment: qui est le protagoniste de ces massacres qui durent depuis un an? Et quand est-ce que ces meurtres et ces disparitions vont s’arrêter?
Je vais maintenant commencer la lecture de cette lettre:

Lettre à l’humanité
«En ces temps où certains prédisent l’Apocalypse, la fin du monde, sans connaître l’origine du mystérieux fléau qui touche l’espèce humaine et la menace d’extinction, moi, Esthane Rathon (c’est ainsi que je m’appelais avant), je prends la plume pour dévoiler au monde que je suis à l’origine de l’ambiance macabre dans laquelle vous vivez depuis un an.
Mais aujourd’hui, alors que mes troupes et moi continuons à massacrer des milliers de personnes tous les jours, je pense pouvoir avoir assez de forces et de courage pour mettre fin à ce chaos en me donnant la mort, ainsi qu’à tous ceux de mon groupe à qui j’avais ordonné de me suivre dans ce mouvement diabolique qui prédisait la disparition de l’espèce humaine et le règne des forces des Ténèbres sur cette planète. Demain, j’aurai 200 ans. Demain, l’humanité tout entière connaîtra, en effet, l’origine de tous les malheurs qui se sont abattus sur elle dernièrement. En effet, en ce jour de mon anniversaire, j’emporterai dans une mort affreuse tous les coupables de ces meurtres, et je me suiciderai également!
Je ne vous demande pas de me pardonner, mais de me comprendre. C’est donc afin de mieux me justifier aux yeux des proches des victimes de ces meurtres en série prémédités, et de ceux de mes subordonnés, que je joins à cette lettre un carnet contenant le journal de ma vie, dans lequel je réponds à des questions que les hommes se posent:
Tout d’abord, est-ce que la vie existe après la mort? Et si oui, quelles formes peut-elle prendre?
Et ensuite, je répondrai aux questions que vous vous posez tous depuis un an: qui est donc à l’origine des massacres auxquels on assiste impuissamment depuis un an? Et qu’est-ce qui l’a poussé à les organiser?

Adieu...

Guillian, E. R. Le 16 mars 1984. "


Il faut lire, et relire, cette première page de Catalepsyan, car elle est littéralement ensorcelante, envoûtante, catalepsique.
Une leçon d'écriture pour tous ceux qui caressent le rêve, au crépuscule des chimères d'une vie mortelle, de prendre la plume pour le grand Œuvre romanesque.

 " Chers téléspectateurs, chers auditeurs, en ce 16 mars, près d’un an après que les disparitions et les meurtres en série aient commencé, nous pouvons dresser un premier bilan de 1,6 milliards de morts dans le monde entier!!! "

Bonne technique. On introduit subtilement, via le propos d'un personnage secondaire, formidablement campé, les infos précieuses (et précises, 1,6, c'est pas 1,4 ou 1,7, etc) sur tout ce qu'on doit savoir. Ainsi, on est déjà dans l'action, et on ennuie pas son monde. Une façon de mettre de la vie dans le récit, d'emblée, contre l'ennui, tout en frappant l'imagination, c'est de conclure non pas par un, non pas par deux, mais par trois points d'exclamation, qui soulignent fort opportunément le caractère proprement inouï, fracassant, de ladite information (en dépit - ou à cause - du ton enjoué, convivial, du présentateur).

" Alors que les enquêteurs poursuivent leurs recherches sans aucun résultat, "

Précision importante, aux fins d'éviter toute méprise, et que l'imagination du lecteur ne se mette pas à vagabonder en échafaudant moult hypothèses fantaisistes: y a des enquêteurs, c'est du sérieux. Mais ils poursuivent leurs recherches sans aucun résultat. Le journalisme, la science, sont tenus en échec. Donc, grosse inquiétude, dès l'incipit.

" un homme mystérieux, répondant au nom d’Esthane Rathon, m’a remis une lettre aujourd’hui en me disant qu’elle dévoilerait au monde les réponses qu’il se pose en ce moment: qui est le protagoniste de ces massacres qui durent depuis un an? Et quand est-ce que ces meurtres et ces disparitions vont s’arrêter? "

Un homme mystérieux, c'est mystérieux. Dévoiler les réponses que le monde se pose en ce moment, c'est mystérieux aussi: ça défie la logique. Comme le fait que cette lettre mystérieuse dévoile une réponse déjà éventée avant même d'être questionnée. Comme le fait qu'à ces massacres, il y a "un protagoniste". Strange, tout ça. Spéciâl.
Il faut créer un climat de mystère envoûtant, accentué par la mention d'un nom encore plus mystérieux, bien trouvé, répondant au nom en même temps qu'à la réponse. Esthane, c'est bizarre, pas courant, pô banal. Et Rathon, ça sort, comment dire, de l'ordinaire, du tout venant aussi. Tout le mystère est dans le "H". Le "H", ça fait gotHique-genre. Par exemple: Estan, ça fait penser à cabestan, c'est ballot. Raton, c'est moche aussi, c'est pas crédible, un peu ridicule. Estane Raton, ça fait croisement à la dr mengele entre un âne et un raton. Mais EstHane RatHon, ça vous a tout de suite une de ces gueules...

"Je vais maintenant commencer la lecture de cette lettre:  "

Oui, car trop d'infos tue l'info, entrons, nous n'avons que trop tardé, dans le vif du sujet de cette lettre mystérieuse, en prime time, lue par un membre (en 1984) de la dynastie Pujadas (on pense donc forcément à Anthony Perkins, donc à Psychose, et on a les foies rien qu'à visualiser la scène).

 " Lettre à l’humanité "

Chacun est appelé à s'identifier à ce qui se passe. Personne n'est oublié. Petits détails, mais qui comptent.

" En ces temps où certains prédisent l’Apocalypse, la fin du monde, sans connaître l’origine du mystérieux fléau qui touche l’espèce humaine et la menace d’extinction "

Ce sont des temps troublés, des temps obscurantistes, livrés aux boniments de mauvaises langues, qu'on ne nommera pas, par pudeur ou magnanimité. On ne va pas s'abaisser à leurs méthodes délatrices, on préfèrera donc "certains", plus allusif mais aussi plus perfide. Car "certains" sont un peu benêts: ils prédisent un fléau déjà réel et attesté, hélas.
"Certains", aussi, parmi les lecteurs (potentiels), souffrent potentiellement de problèmes d'intellection ou de comprenoire, comme dirait Lacan. Donc il vaut mieux préciser deux fois (au minimum) chaque info: une apocalypse, c'est une fin du monde; et quand un fléau touche l'espèce humaine, ça suggère possiblement qu'il la menace d'extinction.

" moi, Esthane Rathon (c’est ainsi que je m’appelais avant), "

Avant, d'accord, mais avant quoi? Ah ça, lecteur, vous le saurez en poursuivant le récit palpitant qui vous expliquera pourquoi Rathon en a eu ras la couenne de porter le nom d'une infâme bestiole gothique des plinthes. Et peut-être aussi pourquoi il se présente encore, après, sous son appellation d'avant qui, mystérieusement, lui colle encore aux nougats.

 " je prends la plume "

Rathon ou pas, quand on est goth, la plume, qu'on trempe dans l'encrier, est un accessoire important. Un stylo à billes Parker, ça fait parvenu, et Bic, c'est pour les ploucs. Le clavier d'ordi, c'est anachronique; le minitel, ça cadrerait pas avec les candélabres et les factures d'électricité qui s'amoncellent dans la boîte aux lettres en vieux chêne moisi qui grince.

" pour dévoiler au monde que je suis à l’origine de l’ambiance macabre dans laquelle vous vivez depuis un an. "

1,6 milliard (sans "s") de morts, c'est vrai que c'est pas à tous les coups la fête du slip, donc y a comme une ambiance un peu plombée: macabre, osons le dire. Et depuis un an: ter repetitas en 15 lignes. La répétition entêtante d'une même info, ça donne un côté "messe macabre".

" Mais aujourd’hui, alors que mes troupes et moi continuons à massacrer des milliers de personnes tous les jours "

Ambiance de merde, oui!

" je pense pouvoir avoir assez de forces et de courage pour mettre fin à ce chaos en me donnant la mort, ainsi qu’à tous ceux de mon groupe à qui j’avais ordonné de me suivre dans ce mouvement diabolique qui prédisait la disparition de l’espèce humaine et le règne des forces des Ténèbres sur cette planète. "

On dira ce qu'on veut, penser c'est bien, penser pouvoir, c'est mieux, mais penser pouvoir avoir, c'est un luxe que tout le monde ne peut pas se payer. Penser pouvoir avoir les forces et le courage de se donner la mort en même temps que celle de son propre diabolique mouvement, ça implique un self-contrôle, une qualité de caractère en acier trempé et des cojones de taureau. Faut pas avoir la tremblotte.
Question vertigineuse en ombre chinoise: quid de la prédiction, par ce mouvement diabolique, de la disparition de l’espèce humaine et du règne des forces des Ténèbres sur d'autres planètes?

" Demain, j’aurai 200 ans. Demain, l’humanité tout entière connaîtra, en effet, l’origine de tous les malheurs qui se sont abattus sur elle dernièrement. "

Bonne initiative: faire d'une pierre trois coups: célébrer son annif, se flinguer, et lever un obstacle épistémologique majeur voilant à l'humanité l'origine obscure de tous ses malheurs. On va enfin savoir pourquoi on meurt dans une ambiance aussi macabre, dernièrement.

 " En effet, en ce jour de mon anniversaire, j’emporterai dans une mort affreuse tous les coupables de ces meurtres, et je me suiciderai également! "

En effet, y vient de le dire, ça. Mais une fois encore, ne négligeons pas cette part infime du lectorat potentiellement handicapée sur le plan sensori-moteur, ou souffrant de dégénérescence neuronale.

" Je ne vous demande pas de me pardonner, mais de me comprendre. "

Ouida, mais laissez un peu les gens décider comme des personnes adultes, de temps en temps: s'ils ont envie de pardonner, laissez les pardonner. T'façon, les grands criminels de guerre, ils sont rarement bien compris et appréciés à leur juste valeur. Encore une saloperie d'obstacle épistémologique.

" C’est donc afin de mieux me justifier aux yeux des proches des victimes de ces meurtres en série prémédités, et de ceux de mes subordonnés, que je joins à cette lettre un carnet contenant le journal de ma vie, dans lequel je réponds à des questions que les hommes se posent: "

Ce besoin compulsif de se justifier, de tout expliquer, tout le temps, je peux comprendre. Par empathie. Pour se faire comprendre mieux. Mais expliquer, on ne le sait que trop, c'est souvent creuser l'abîme entre le savant et l'ignare, le proche et la victime. Donc, méthode pas forcément top.
Maintenant, un carnet, pour expliquer tout ça, c'est un peu chiche, aussi. Bon, on me dira, y a les carnets de la drôle de guerre, où Sartre a pris le soin de tout bien nous expliquer, mais ça n'a pas empêché Onfray de venir lui cracher sur la gueule 73 ans après.
Mais bon, quand on s'appelle Rathon, qu'on a eu une vie très chargée, trépidante, pleine de rebondissements en tous genres, et qu'on est responsable de 1,6 milliard de morts (synonyme: "meurtres en série". "Prémédités": contraire de "improvisés"), on a quand-même à cœur de livrer ses mémoires dans autre chose qu'un pense-bête pour business-man pressé.

 " Tout d’abord, est-ce que la vie existe après la mort? Et si oui, quelles formes peut-elle prendre? "

Et si non? Imaginez le mec: moi, Rathon, épistémologiquement athée, je vous livre cette information importante: y a pas de vie après la mort. Déjà, ne cherchez pas d'explications de ce côté là, vous iriez au devant d'une grande déconvenue.

" Et ensuite, je répondrai aux questions que vous vous posez tous depuis un an: qui est donc à l’origine des massacres auxquels on assiste impuissamment depuis un an? Et qu’est-ce qui l’a poussé à les organiser? "

 Oui, certes, mais il vient de dire que c'était lui et son propre groupe diabolique qui étaient responsables. Cela suggérerait-il, éventuellement, que d'autres responsabilités, en amont, seraient impliquées? Manière subtile d'annoncer qu'on nous cache encore certaines choses, malgré une dilection un poil obsessionnelle pour la clarté épistémologique.
On relèvera l'adjectif rare, emprunt d'une éloquence un peu désuète, qui situe bien l'origine possiblement nobiliaire de Rathon: on se pose impuissamment une question, et depuis un an (quater repetitas), concernant l'origine de massacres auxquels on assiste impuissamment, depuis un an également (quinter repetitas).

" Adieu...

Guillian, E. R. Le 16 mars 1984. "

Espérons qu'il ne s'inflige pas la mort avant de tout nous dévoiler, sinon nous assisterions impuissamment à la conclusion trop hâtive de la narration qui s'annonce...


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dimanche 25 décembre 2011

Time is out of joint

Joyeuses Pâques à tout le monde, l'année prochaine, et tous mes vœux pour 1979 qui s'achève en cette nuit de Noël, de grand matin.
A 14h32 précisément, d'après mon réveil analogique piloté par les signaux émis par la tour radio de Mainflingen (24km au sud-est de Francfort sur le Main).
Cette tour radio intègre une horloge atomique au césium, ce qui en fait la plus précise du monde d'après la brochure. Et c'est vrai.
Ce bel objet ne produit aucun tic-tac, ne se remonte jamais, change tout seul les heures d'été et d'hiver. Une simple pile "mignon" l'alimente depuis plus de deux ans.. Bref, une pure merveille technologique proposée à un prix véritablement indécent.


vendredi 14 mai 2010

Y se passe des choses...


Je ne sais pas. Comme des signes avant-coureurs d'un bouleversement dans mon existence, la secrète annonce d'un événement considérable. Les événements les plus anodins, d'apparence, prennent une dimension... Je suis aux aguets, c'est dans l'air, ça s'rapproche, c'est sur mes talons. Capter les signes, être aware, saisir le kaïros pendant qu'il est en train de me saisir. La bifurcation adéquate in the right place at the right time. Ce sont des choses qu'on sent. Y a tout un charivari en dedans de soi-même. C'est toute une révolution des cellules qui se met en branle. Quelque chose va viendre. 

Il s'agit de garder la tête froide. Ne pas chercher à induire. Ce serait l'erreur. Car l'évènement n'est pas précédé par sa propre annonce, cela va sans dire. Il s'agit simplement, enfin, faut le dire vite, voire ne pas le dire du tout, de se laisser porter par le flux vibratoire des ondes concomitantes qui concomitent. Le canal est ouvert. Acting is reacting. Ne commencez pas à acter, jusqu'au moment où vous actez. Laissez venir, laissez faire, mais suivez le mouvement, épousez la courbe.
Une activité réceptrice, une réceptivité active.

C'est pas que je veuille m'emballer, mais quand-même, y a des trucs dingues qui n'arrêtent pas de m'arriver en ce moment, je suis submergé par mille et mille interactions qui m'électrisent le neurone. J'avais plus connu une telle activité sensorielle depuis au moins... 10 ans. Allez, on va dire 10 ans.
Parce que j'ai vécu ça, une fois; ça s'est jamais reproduit, mon canal s'est rebouché et c'est dommage. Des synchronicités... Oui, les fameuses synchronicités. C'était comme dans un rêve. Tout arrivait comme si c'était déjà arrivé, tout se mettait en place. C'était comme le déroulement d'un film que je connaissais sur le bout des doigts tout en le découvrant pour la première fois. Tout ce qui était "en moi" était "hors de moi", tout ce qui se passait à l'extérieur était une projection de quelque chose que j'avais à l'intérieur: choses, gens, paroles, paysages, actions. Enfin, bon, ce sont des choses que plusieurs d'entre-vous connaissent certainement. Et ça durait, ça durait... ça semblait ne jamais vouloir s'arrêter.
Alors, ça m'a tellement surpris, cet emboîtement harmonieux, totalement prévisible en même temps que totalement inattendu, cette sensation de "déjà-vu" (à prononcer avec l'accent anglais), persistante, - non, pas de "déjà-vu", en fait, infiniment plus riche: une idée qui ne cesse de s'actualiser intégralement, un désir s'accomplissant perpétuellement, jusque dans les moindres détails, et chaque détail ayant été pensé, conçu, imaginé, fantasmé, auparavant, en un autre temps, en ordre dispersé -; ça m'a tellement effrayé, donc, que j'ai véritablement pris mes jambes à mon cou. Je suis sorti volontairement, à toute allure, du "cadre" où les événements étaient en train de se produire. La quatrième dimension, quoi, ou la cinquième, je sais plus. Et puis, pfft, plus rien.

Mais voilà que ça, je ne dirai pas, recommence, car c'est pas du tout la même chose. C'est un petit peu ça, sauf qu'il n'y a strictement rien de notable qui se passe. C'est même d'une banalité effrayante. C'est le mot juste, pour une fois. Car justement, pourquoi qualifie-t-on la banalité d'effrayante? Elle n'est en rien effrayante, juste ordinaire, pas de quoi casser trois pattes à un canard. Or, ici, elle effraie, presque. Pas qu'elle fasse peur, n'exagérons rien. Non, simplement vécue avec une intensité inaccoutumée.
Quelque chose qui, comment dire, nécessairement arrive, mais on est heureux (et encore, c'est un bien grand mot) que ça arrive. Bien qu'on s'y attende. Il n'y a aucun secret, aucun mystère caché derrière. Et cette absence fondamentale de tout mystère dans l'ordre des choses et des enchainements, c'est justement ça qui vous étonne, vous mobilise.
C'est la routine elle-même qui n'est plus routinière, au point de vous sembler extra-ordinaire. Chaque objet usuel, pour lui-même, vos interactions les plus usuelles à son égard, même répétées, plus généralement les enchaînements de causalité, vous apparaissent dans leur singularité et autant d'événements dignes d'intérêt. Comme si cause et effet ne faisaient plus qu'un, ne se distinguaient plus l'une et l'autre. N'est-ce pas curieux? Vous me direz: ben non, franchement je vois pas, c'est d'une banalité, ce que tu racontes, aucun intérêt, vraiment. Et en un sens, c'est vrai; ça n'a strictement aucun intérêt. Pourtant, ça n'a pas arrêté de la journée.
Bien sûr, c'est sans commune mesure avec l'aventure évoquée plus haut, hélas, trois fois hélas. On en est loin. Y a pas de "déjà-vu" ou de "survenue" ou que sais-je. C'est juste du "vu" et du "vécu". Mais c'est comme des petites miettes de ça - hou là, toutes petites-petites-petites.


Alors. Pas plus tard qu'hier soir. Vers 23h45, pour être précis. Je me rends compte que l'étui à tabac est presque vide. A vue de nez, j'évalue qu'il me reste juste de quoi faire trois tubes de cigarettes.
Et bien ça n'a pas raté. J'ai juste pu en faire trois. Pas une de plus. Pas une de moins. Déjà, étrange.
Je me dis que si je sors dans les cinq minutes, pour me rendre au night-shop - il est à ce moment là 00h15 -, j'y serai à, mettons, 00h25. Considérant que le night-shop est à 5 minutes. C'est exactement ce qui a eu lieu. Mais ce n'est pas tout.
J'entre dans le night-shop. Je dis bonsoir au type. Il me répond bonsoir. Jusque là, c'est normal. Mais voilà que je sors ma carte proton, avec l'intention de vérifier sur le distributeur proton qu'il me restait suffisamment de monnaie. Vérification faite, il me restait 5 euros. Ce dont par ailleurs je me doutais, car j'avais encore la somme en mémoire. Or, l'étui à tabac coûtait 4 € 60 centimes exactement. C'est là que je me suis souvenu de ce fait apparemment anodin: quand je recharge mon proton, c'est presque toujours à la cabine téléphonique qui est deux rues plus loin. Et je recharge toujours pour 5 €. Pour quelle raison? Ahaaa. Justement, parce que sur les cabines, on ne peut pas recharger à moins de 5 €. Or. Pour quelle raison irais-je, en temps normal, c'est-à-dire tout le temps, recharger ma carte proton sur une cabine? Héhéhé... Pour m'acheter du tabac. Vous saisissez le processus? Non, c'est évident; ça fait sens. Ces choses n'arrivent pas par hasard. Moi je dis que les choses n'arrivent pas par hasard. Y a des connexions invisibles. Faut être attentif, c'est tout.

Bon alors je demande: "vous avez du belgam 21"?
Y en avait.
Parce que d'habitude, y en a toujours. Eh bien, cette fois-ci encore, y en avait. Vous me suivez?
Non, mais quand-même. C'est pas moi qui l'invente, ça. C'est des choses réelles.

Mais attendez. 25 mètres plus loin, y a un passage piéton. Que j'emprunte toujours pour rentrer chez moi. A l'aller, je ne le prends pas. Au retour, si. Allez comprendre pourquoi. Bon. Je vais au passage piéton. Et le feu est rouge. Pour les piétons. Mais y a pas de voitures. Aussi loin que je porte le regard, y a pas de voitures. Aussi loin que je tende l'oreille, y a pas de voitures non plus. A cette heure-là, y a jamais de voitures.
Et qu'est-ce que je fais à ce moment là? Mmh? Ahaaaa. Je traverse la rue. A côté du passage piéton. Juste à côté. Comme je le fais d'habitude.

C'est quand même troublant, non?


Je vous tiendrai au courant, bien sûr. Mais je crains que, pffuit.


mercredi 5 mai 2010

dans les 2000 micro-organismes par minute (à peu près)


 22h40. J'écoute dans l'casque "i want you" de Laurent Zyvoul sur le Gothique flamboyant pop dancing tour.
On sonne à la porte.
Diantre, qui ça peut donc bien être à cette heure-ci?
Le ministre de l'enseignement de la communauté française en personne de lui-même, suite à ma lettre de candidature canon pour la promo 2010?
 Mince, j'espère que c'est pas l'aut'zigue de la semaine dernière, un ancien de la faculté, celui que je croise tous les deux ans et qui me tient au courant de l'avancée de ses travaux (après avoir résolu conjointement la quadrature du cercle, le mystère du nombre pi, et bouleversé les lois de passage de la logique modale, un pas décisif a été franchi, avec des applications dans le secteur industriel de la bureautique: une nouvelle logique bivalente non-contradictoire détruisant les illusions de la métaphysique occidentale, et accessoirement inspirée par la pensée d'Auguste Comte. Vazy Marcel, lâche pas le morceau, tu tiens le bon bout, là).

Je me penche à la fenêtre.

Y a un type bizarre tout en bas près de la porte, que j'ai jamais vu de ma vie.

Le sosie parfait de Germain Dufour, mais sans les favoris. Et en plus jeune.

Alors ça c'est pas commun. D'autant que je pense rarement à Germain Dufour.
Pour qui ne le saurait pas, Germain Dufour est un moine capucin liégeois devenu sénateur Ecolo puis candidat communiste puis redevenu prêtre. Puis après je sais pas, on sait plus. Enfin, si, c'est mis dans google qu'il est actuellement "vicaire dominical attaché à la paroisse de Wasmes-Audemetz-Briffoeil, dans l’entité de Péruwelz" (c'est pas du flan. Et tout ce que je vais raconter plus bas, c'est absolument véridique aussi). On le croise parfois sur la place du marché, pieds nus dans ses sandales, comme Jésus. Mais c'est pas lui. C'est pas Dufour.




- Vous êtes monsieur Pericolosospore? Qu'y m'fait. 
- Oui, c'est bien moi. 
- Bonsoir monsieur Pericolosospore, excusez-moi de vous déranger à cette heure-ci. Je m'appelle moi-même Pericolosospore. Je voudrais parler avec vous, et vous demander si vous souhaitez devenir membre du nouveau parti politique que j'ai créé pour les prochaines élections.
- Excusez, je comprends rien à ce que vous me dites, là (il fait venteux). Si vous voulez bien patienter quelques minutes, je descends.

Je descends.

- Voilà. Pardon. Oui, monsieur, c'est pour?
- Vous êtes bien monsieur Pericolosospore?
- Oui je suis Pericolosospore, il n'y a pas de problème, c'est moi (frisson dans l'échine: y m'ont retrouvé, les salauds. Y a la camionnette garée plus loin...)
- Je suis un Pericolosospore aussi.
- Ah bon, vous êtes un Pericolosospore? Comment ça se fait que vous savez que je suis un Pericolosospore?
- Parce que j'ai sonné à votre nom.
- Oui, ça fait sens. [...] Vous sonnez à tous les Pericolosospore? 
- Oui.
- Vous les cherchez dans l'annuaire?
- Oui (sourire malicieux, d'où: pépète)
- Alors, donc, c'est pour... euh...
- Le parti politique.
- C'est-à-dire?
- Le parti écologiste-nationaliste-wallon.
- C'est quoi, ça?
- C'est le parti que j'ai fondé.
- C'est bizarre, comme nom.
- Non, c'est normal: c'est pour l'écologie, le nationalisme et la Wallonie.
- Oui, mais ça va pas bien ensemble, ça.
- Si, ça va ensemble, pourquoi?
- Bon, écoutez, je sais pas moi. Comment on peut être écologiste et nationaliste, tout d'abord?
- C'est normal: c'est les racines. C'est les origines.
- Ah, vous êtes écologiste dans ce sens là... Vous recherchez vos racines?
- Non, je veux défendre mes racines. C'est important, les racines.
- C'est pas du tout évident, si vous me permettez. Et c'est quoi, vos racines?
- Tout d'abord, mes racines, c'est que je m'appelle Pericolosospore.
- Ah bon. Vos racines, c'est Pericolosospore. Vous voulez fonder le parti des Pericolosospore.
- Je commence par les Pericolosospore, c'est logique, non?
- Oui, enfin, ça fait sens, si vous voulez. [...] Vous avez contacté beaucoup de Pericolosospore, déjà?
- Oui, deux.
- Et qu'est-ce qu'ils ont dit? 
- Enfin, c'est à dire... Le premier est parti il y a trois mois. Le deuxième était absent depuis quatre heures.
- Donc, vous n'avez pas pu leur parler?
- Non.
- Alors, je suis le premier Pericolosospore à qui vous parlez.
- Oui, en ce sens, vous êtes le premier (sourire malicieux. D'où: re-pépète)
- Vous savez que c'est très curieux, voire bizarre, votre affaire?
- Non, c'est logique.
- Permettez-moi de vous dire que ça vous semble peut-être logique. Mais ça peut ne pas l'être pour tout le monde. Donc. En résumé. Vous voulez fonder le parti écologiste nationaliste wallon, et vous commencez par les Pericolosospore en tant que Pericolosospore vous-même. C'est la base.
- Oui, c'est la base.
- Bon, allez. Je dois avouer que votre démarche est assez comique. Vous êtes sympathisant du dadaïsme, ou du surréalisme? Allez, c'est un canular, allez. Où est la caméra cachée? Je vous connais, c'est ça? Vous êtes du forum des... enfin, de... Vous êtes Balthazar Claës! (je pointe un doigt scrutateur sur un bouton de sa veste, qu'est plutôt une sorte de parka en raintex).
- (sourire malicieux) Non non, ce n'est pas une blague. C'est très sérieux. C'est un parti écologiste nationaliste wallon, pour combattre les étrangers, les intégristes islamistes et les terroristes.
- Ouhlà, ouhlà. Attendez attendez, là. Qu'est ce que c'est cette histoire d'écologie d'extrême droite, là. C'est n'importe quoi, là. Qui... Quels étrangers, d'abord? C'est des fariboles, tout ça, vous êtes en plein fantasme, là, c'est... c'est, d'où vous sortez ce discours, vous gobez toutes les conneries que vous regardez à la télé ou que vous lisez dans les gazettes, ou je ne sais pas...
- Non non, il suffit de voir ce qui se passe; j'observe autour de moi, je regarde, c'est tout. C'est mon expérience personnelle, je parle de ce que je connais.
- Quoi, comment ça, quelle expérience? Vous connaissez des étrangers intégristes? Vous avez vu des terroristes? Attendez attendez... Je crois, et pardonnez moi si je vous rudoie, mais vous savez que, enfin, quand-même, vous êtes en plein délire, là, vous le savez, quand-même, non?
- Non non, c'est la réalité. Je m'appelle Pericolosospore, et Pericolosospore, c'est un nom belge. Je suis belge, vous êtes belge. C'est dans la généalogie.
- Non non, mais attendez, là. Je suis à peine belge, hein, moi. Pericolosospore, c'est que la moitié de mon nom. Moi, je suis étranger, je suis égyptien pour l'autre moitié. Si ça se trouve, je suis un terroriste.
- Non, vous êtes belge, ça se voit bien que vous êtes belge; vous êtes né ici, vous êtes un Pericolosospore, donc vous avez du sang belge. Nous avons, les Pericolosospore, nos origines du côté celtique, et des Vikings, aussi.

(Bon, alors, ici, je passe sur toute une longue partie, assez technique, au cours de laquelle j'ai tenu à lui expliquer en détail, avec moult argumentations, que la Belgique, ça n'avait pas de racines, qu'y avait pas d'identité des Belges, que les Belges étaient nés d'une opérette, que nous sommes tous des étrangers sur la terre, que la terre elle-même est une planète étrangère, que nous avons étés créés artificiellement, en laboratoire, par des aliens, pleins d'autres trucs, plus politiques, à la Chomsky, sur les voiles, les écrans de fumée pour polluer le temps de cerveau disponible, pour faire peur, pour endormir, faire cauchemarder les asthéniques et bercer les insomniaques, pour cacher, escamoter, les seuls vrais problèmes concrets, qui sont l'écrasement des pauvres par les riches, pis aussi qu'y fallait pas croire Jules César quand il parlait des vikings les plus braves de la Gaule, que Jules César avait été victime d'une erreur de son géo-cartographe personnel, et bien d'autres choses. Il s'est montré sensible à certains aspects de mon argumentaire, pas à d'autres. Je préfère pas préciser lesquels).

- Quoi, sinon, je comprends qu'en fait, vous vous intéressez, pour vous-même, je veux dire, à un problème particulier, qui est celui de vos origines à vous, en gros, quoi. Mais votre origine à vous, vos racines à vous, je veux dire, vos racines généalogiques, de Pericolosospore.
- Oui, c'est normal, c'est logique, tout part de mes racines. Il n'y a rien de plus logique. Je pars de moi-même. Je pars de Pericolosospore. J'étudie aussi la génétique de Pericolosospore.
- Enfin, la génétique, la génétique, c'est pas, c'est pas... Quoi, la génétique?
- Oui, les gènes.
- Non, mais vous confondez tout, hein, c'est grave, hein, ici, non mais c'est très grave, attendez. On parle de la genèse, là.
- La genèse? Comment ça, la genèse? 
- Oui, la genèse du nom de Pericolosospore.
- Non, je ne m'occupe pas de la genèse. Je ne suis pas catholique, je suis écologiste, nationaliste, et wallon.

(Ici, je passe aussi, y a eu tout un exposé assez chiadé sur la genèse, biblique, pas biblique, et dieu dans tout ça, mais bon il se faisait qu'il était athée. Juste écologiste-nationaliste-wallon, rien de plus, rien de moins. On revenait toujours à ça. La base)

- (L'oeil se mettant légèrement à briller, mu par une inspiration subite, et constatant que je faisais un peu "savant" sur les bords) Vous avez fait des recherches sur l'origine de Pericolosospore?
- Ah oui, ça oui. Vous savez, on trouve tout, hein, sur internet, les moteurs de recherche.
- Les moteurs?
- De recherche. Internet. Vous ne... enfin, vous n'avez pas d'ordinateur, je suppose...
- Non, pas actuellement, mais c'est prévu.
- Et bien quand vous aurez l'occasion, vous pourrez trouver des tas d'informations sur l'origine des Pericolosospore. Ah oui, clairement, très clairement. Y a tout.
- Moi, je suis un Pericolosospore de Waremme.
- Ah, pas moi.
- Vous êtes de quelle branche de Pericolosospore?
- Ouhlà... C'est loin, trèès loin. Du côté de Dinant. Une partie seulement, j'insiste.
- (vivement intéressé) Vous connaissez peut-être l'origine précise de Pericolosospore...
- Pas... forcément précisément, mais ce que je sais, ce que je peux vous dire, c'est que "Pericolosospore" a une origine précise du côté du nom donné aux oies élevées dans les campagnes, en basse Normandie. Au Moyen Age. Les pyriscolopores.
- Des Oies?
- Oui, oui, des Oies. Des volatiles, quoi. Des Oies, comme la terrine du même nom.
- En Normandie... C'est étrange.
- En basse Normandie, oui. Mais c'est la réalité.
- Il faudra que je me renseigne.
- Oui, ça, faut le faire, vous apprendrez des tas de choses...
- C'est peut-être une piste intéressante, mais il y en a beaucoup d'autres.
- ça, je ne dis pas. Bien sûr. Mais c'est à creuser. Vous aimez les animaux, je suppose. Non?
- Oui, bien sûr, j'aime la nature, j'aime les animaux. Sinon je ne serais pas écologiste. C'est notre milieu, c'est notre patrimoine, c'est ça qu'il faut préserver.
- Les animaux wallons, surtout. Non?
- Bien sûr, puisque je suis wallon. C'est logique.
- Parce que moi, attention, je ne suis pas écologiste, enfin, pas au sens que je devine être le vôtre. Mais j'aime beaucoup les animaux. Même, je me passionne pour les animaux. Je suis très très curieux des animaux, toutes les variétés d'animaux... C'est un univers fascinant, inépuisable... Et j'ai un respect absolu pour toutes les formes de vie existantes, hein. Par exemple, je n'ai jamais, je dis bien jamais, écrasé ne serait-ce qu'une fourmi.
- Oui, peut-être, les fourmis. Mais non, c'est possible que vous ayez écrasé des tas de fourmis.
- Ah! Oui, à mon corps défendant, vous voulez dire, à mon insu. Oui, ça, c'est possible, malheureusement, on voit pas, on sait pas, y a des herbes, on marche...
- Parce qu'on tue, avec les pots d'échappement des voitures.
- Certainement. Certainement. Avec les pots d'échappement. Oui. Et les roues de vélo sur les terrains de moto-cross. Mais rien qu'en parlant, déjà, en ce moment même, vous et moi, nous engloutissons 2000 micro-organismes. A peu près. Par minute. Et vous savez, par exemple, attention: les enfants qui s'amusent avec les ailes des mouches (je mime un petit enfant qui démembre une mouche).
- (y regarde mes mains d'un air inquiet) Les enfants, les mouches? Ah non, ça moi non, jamais.
- Ah parce que attention, y a des enfants cruels, qui enlèvent les ailes des mouches, pour en faire des araignées. Et puis qui les écrasent contre le mur. Et ça, moi, je ne tolère pas.
- Non non, moi je n'ai pas enlevé les ailes de mouches.
- Vous êtes sûr?  Parce que attention, hein.

(Y a eu ensuite un débat pointu sur les centrales nucléaires, mais je passe aussi)


- (J'lui demande) Vous connaissez Germain Dufour?
- Non.
- Ah bon, j'aurais cru... Parce que vous lui ressemblez étonnamment. Vous avez un air de famille..
- Non... Je ne vois pas qui c'est.
- C'est un écologiste.
- C'est possible... (dubitatif). Ce nom ne me dit rien.
- Vous n'allez jamais à l'église? Vous...
- O-oh, non. Oh non, non non...
- Et sinon, veuillez m'excuser si je vous pose une question personnelle, vous n'êtes pas obligé de me répondre, mais, par curiosité. Vous en avez parlé, dans votre famille, de votre parti écologiste nationaliste wallon?
- J'en ai parlé avec mon père.
- Qu'est-ce qu'il en pense?
- Il n'est pas tellement d'accord... Pour "écologiste".
- Et euh, pardon si je suis encore indiscret, vous faites... quoi, dans la vie?
- Je suis sur la mutuelle.
- Vous êtes sur la mutuelle, euh... Vous êtes chômeur donc, vous... enfin, comme moi.
- Non, à la mutuelle seulement.
- Et avant, vous faisiez quoi?
- J'étais facteur.
- Facteur? Et, quoi... ça na pas marché?
- Quatre mois.
- Vous avez été facteur pendant quatre mois.
- Il y a 18 ans.
- Ah, c'était y a longtemps, alors. 
- Oui, enfin. Pas tellement.   
- Et vous cherchez un autre travail, sinon?
- Oui, j'ai posé ma candidature chez les pompiers.
- Les pompiers. Mais, enfin, les pompiers. Quoi, les... pompiers? (je mime, je sais pas pourquoi, un mec qui agite un volant de bagnole de gauche à droite avec une expression de ravissement idiot. Il opine du chef, presque mélancolique).
- C'est important, les pompiers, c'est un service à la communauté; c'est pour aider les gens, moi, je suis pour rendre service aux gens.
-  Oh, mais c'est un métier très dur, hein. Et très dangereux. En cas de colis piégé, c'est les premiers exposés.
- Justement, c'est pour sauver des vies. J'ai rempli tous les formulaires de sélection. J'attends de passer les entretiens.
- (un accès de cruauté, soudain) Non mais écoutez, c'est pas sérieux. Vous n'avez plus l'âge d'être pompier, écoutez, vous savez qu'y a une limite d'âge, pour les pompiers. Vous avez quel âge, vous, par exemple?
- 47 ans.
- Ah non mais non, attendez, 47 ans, c'est trop vieux, hein. C'est beaucoup trop vieux, ça marchera jamais. Puis, vous ne me semblez pas en grande forme physique, enfin si vous me permettez.
- Oh mais je suis en pleine forme. Déjà parce que je marche beaucoup.
- Oui, la marche, mais bon, la marche...
Mais il faut de la force, euh (je bombe le pectoral), y faut... du muscle (je lève le poing, comme dans une manif de "force ouvrière"). 
- Mais c'est prévu, ça, je vais suivre un entrainement de musculation.
- C'est bien, y faut. C'est un atout. Mais bon, là, c'est pas la priorité pour vous, on est d'accord.
- Non, actuellement, je m'occupe de trouver des adhérents pour mon parti politique. Il y a beaucoup de choses à faire, par rapport aux étrangers, surtout. Les étrangers en Wallonie, les menaces terroristes...
- Ecoutez, je vous écoute, je ne souhaite pas discuter davantage, vous le comprendrez aisément, de votre... projet, de votre parti des Pericolosospore wallons, mais je veux vous dire que, d'abord, il faut bien comprendre ceci. Il faut savoir, voyez-vous, que peut-être, oui, vous allez rencontrer d'autres Pericolosospore, oui, peut-être.
- Sûrement, sûrement.
- Oui, sûrement, enfin bon. Y aura des Pericolosospore, d'accord. Y en aura. C'est sûr. Et c'est sûr aussi que vous allez fédérer des Pericolosospore avec votre programme, mais je peux vous dire une chose. Et excusez-moi de vous le dire franchement, ce n'est pas pour vous blesser, mais les seuls Pericolosospore que vous allez fédérez, ce sera de deux types bien particuliers de Pericolosospore. Premièrement, y aura des... enfin, des "malades" si vous voulez (j'fais des guillemets avec les doigts), des malades de la tête (j'indique  ma zone temporale), vous savez, des détraqués, des gens qui ont, donc, si vous voulez, des problèmes, de santé mentale, en gros, pour simplifier. Tout d'abord. Et peut-être, même sûrement, permettez-moi de vous mettre en garde, et c'est pour votre bien, des violents, des brutaux, des qui vont vous taper dessus, vous imaginez, ça, je pense...
- M'ouiiiii, c'est possible, je ne sais pas, non... (d'un ton sceptique, peu concerné).
- Si si, des violents, et vous le savez peut-être ou peut-être pas, mais vous savez qu'il y a beaucoup de malades mentaux, chez eux, qui sont chez eux. Mais qui pourraient être hors de chez eux. A l'asile psychiatrique. Par exemple. Oui sinon, alors, la deuxième catégorie de Péricolosospore que vous allez fédérer, ce sont des nazis, des skinheads d'extrême-droite, vous savez, qui n'ont plus de cheveux (je tapote mon crâne avec la main) et qu'ont des battes de base-ball dans leur cagibi et tout ça, hein.
- M'ouiii, on verra.
- On verra, on verra. C'est tout vu, attention. Bon, alors, vous allez... voir d'autres Pericolosospore.
- Oui ah ça, oui. Je dois réunir 500 signatures.
- Mais y a pas 500 Pericolosospore. Du moins dans la région liégeoise.
- Non, peut-être pas. Mais j'étends aussi à l'entourage. Je m'intéresse d'abord aux Pericolosospore, parce que c'est mes racines, puis après, la famille, les voisins les amis...
- Comme Jean-Marie Le Pen(w).
- Comment ça?
- Vous connaissez Jean-Marie Le Penw?
- Oui oui, je connais, de nom.
- Oui, Jean-Marie Le Penw, c'est ce qu'il disait: mon père et ma mère comptent plus pour moi que mes frères et mes sœurs; mes frères et sœurs comptent plus que mes neveux et nièces, qui comptent plus que mes cousins, cousines; puis les oncles, les tantes. Mon quartier compte plus pour moi que celui d'en face, et ma ville plus que le département, et mon pays est plus important que le pays d'à côté, etc.
- Et bien oui, c'est naturel, c'est logique.
- C'est logique si vous pensez que vous êtes le centre du monde.
- Oui, mais c'est normal, tout le monde fait comme ça. Vous aussi, vous pensez d'abord aux gens qui sont proches de vous.
- Des Pericolosospore?
- Des Pericolosospore. C'est naturel, c'est logique. Tout le monde fait pareil, vous feriez pareil.
- Mais allez ça veut rien dire, c'est pas naturel du tout, ça. Quoi...Qui... Si... si vous vous êtes un centre, alors tout le monde part aussi de son centre, et alors vous, vous êtes à la périphérie de son centre, et lui au centre de vot'périphérie, ça... ça veut plus rien dire, votre truc. Y a plus de centre, y a plus de périphérie, y a... y a plus rien. Quoi. C'est du délire. Vous êtes un dangereux, vous...
- Pas du tout. Je ne suis pas du tout dangereux. Ils font comme ça dans tous les autres pays, ils pensent d'abord à eux, et ils vivent entre eux. Et ici, les étrangers, ils vivent entre-eux, et ils s'occupent d'abord d'eux, c'est logique. C'est normal qu'ils vivent chez eux, pas chez nous.
- Mais ne faites pas de politique, alors, restez chez vous,  bien tranquille, à vous occuper de vos Pericolosospore à vous, si ça vous chante, et finalement occupez-vous de vous-même et laissez les autres Péricolosospore tranquilles à s'occuper de leur centre dont vous n'êtes même pas la périphérie hein qu'est-ce que c'est que cette histoire; c'est pas ça la politique,  la politique, c'est pas de vouloir organiser le monde à partir de son centre personnel, c'est pas comme ça qu'on fait de la politique, c'est pas...
- Mais si, c'est justement pour ça que je fais de la politique; je vous l'ai expliqué tout à l'heure. Je suis écologiste, nationaliste, et wallon. Et comme je fonde mon parti politique, je commence par les Pericolosospore. Il n'y a rien de plus logique, c'est tout à fait normal. Ce n'est peut-être pas normal pour vous, mais pour moi, c'est tout à fait normal. C'est logique.   
- Non, ce n'est pas logique. C'est même complètement illogique, sachez-le. Vous êtes un intégriste, un intégriste de vous-même.
- Oh-oh-oh, vous vous trompez, je ne suis pas un intégriste, ce n'est pas moi qui suis un intégriste, ce sont les étrangers qui veulent nous imposer leurs lois, et qui commettent des attentats terroristes.
- Écoutez-moi bien, et je vous l'ai dit tout à l'heure: vous vous trompez dans la compréhension de vous-même, de qui vous êtes. Votre centre, ce n'est pas que vous soyez un Pericolosospore wallon, ça, ça veut rien dire. Votre centre, il est où, votre centre? C'est ça la question. 
- Mon centre, c'est mes racines, le pays où je suis né, c'est d'être wallon.  
- Demandez-vous où est vraiment votre centre, quelle est votre place dans la société. C'est ça le problème. Le problème, c'est que vous n'avez pas de place dans la société, wallonne ou pas wallonne. C'est le problème de tous ceux qui comme vous, comme moi, n'ont pas de travail. Ils sont exclus du système économique; ça n'a rien à voir avec les "étrangers". Vous êtes un étranger vous-même. Je suis un étranger. Même sans aucun "étranger", en Belgique, en Wallonie, vous resterez exclu, vous resterez hors de la société. Vous n'irez pas chez les pompiers. Vous n'avez pas les qualifications pour ça, c'est tout. Aucun rapport avec des étrangers quels qu'ils soient. Et vous ne ferez jamais un parti politique, vous avez conscience, de ça?
- Je ne vois pas ce qui s'y oppose. C'est un droit démocratique.
- Les plus nationalistes et les plus xénophobes, en Wallonie ou en Flandre, qui font déjà la même politique que vous, avec vos idées, vous en empêcheront, vous n'irez nulle part. Vous avez l'air d'un militant gauchiste. Ils vous enverront paître: allez, ouste,  du vent, du balais, c'est ça qu'y vont vous dire, les autres Pericolosospore.
- Oh, ce n'est pas sûr du tout (sourire malicieux).
- Non, c'est vrai, ce n'est pas sûr. Vous aurez peut-être une liste de 30 "simplets", c'est tout (j'fais des guillemets avec les doigts). Parce que ce que vous dites, c'est simplet, et ça n'attirera que des simplets. Non pas que vous soyez simplet, comprenons-nous bien, mais peut-être que vous n'êtes pas tout seul. Peut-être que vous êtes conseillé par des gens qui vous utilisent. Vous êtes en contact avec des gens? On vous a promis que vous rentreriez chez les pompiers si vous réunissez le parti des simplets (j'fais plus de guillemets)?
- Non, c'est une initiative personnelle. J'ai adhéré au parti écologiste, mais je les ai quittés, parce qu'ils ne représentaient plus mes idées.
- Si vous voulez faire de la politique, faites de la politique, chez vous, en restant bien tranquille chez vous, avec des idées logiques, pas avec des idées illogiques pour vous exclure vous-même encore plus, et les gens qui sont dans la même situation que vous. 
- C'est justement pour cela que je fonde un nouveau parti, écologiste, nationaliste et wallon. Les étrangers occupent les place des wallons. Sans les étrangers, il n'y aura plus de chômage en Wallonie.
- Non, ça c'est ce que voudraient vous faire croire tous ceux qui vous utilisent, qui vous ont mis ces idées dans la tête, parce que vous ne comprenez rien à la politique ni à l'économie, mais si vous le voulez bien, on va pas reprendre cette conversation à l'infini... Il est tard... Non, moi ce que je vous conseille, c'est de faire chez vous l'arbre généalogique des Pericolosospore; ça, c'est gentil et ça n'embête personne. Y en a qui collectionnent les timbres-postes, vous, vous étudiez l'origine des Pericolosospore, ça suffira bien comme ça.
- Oui... Et donc vous êtes sûr que vous ne voulez pas rejoindre mon parti?
- Non, oui, je suis sûr, ça, il n'y a pas de doute possible là-dessus, non, vraiment. C'est pas douteux du tout pas du tout douteux. C'est...
- Et bien, bonsoir monsieur. Merci de m'avoir accordé votre attention.
- Bonsoir. Prenez bien soin de vous. Et attention, hein, pour les ailes des mouches.
- Non non non, ça non, il n'y a pas de... (fait-il en s'éloignant d'un pas précautionneux).
- Parce que je vous surveille, hein, même de loin. Je vois TOUT (je lève un  index prophétique). Bonsoir. Rentrez-bien... à Waremme.



          
                                          




                                                "Ouete d'Egypte" (photographie Christophe Eyquem)