mardi 18 décembre 2012

Le goût des listes






(Nonobstant: petit effet d'annonce. Notation infra-paginale d'une enquête épistémologique à paraître en ces colonnes, de grande paresse ET de haute volée, donc, sur l'Etat d'une "critique" qui n'intéresse plus grand monde, il est vrai, mais un monde désormais tout petit-petit, peu ou prou réduit au nombre de followers sur un mur à graffitis facebookesque).

Lu sur un forum voisin le nouveau "concept" marketing-subtil proposé dans la dernière livraison des dcd, revue trend-tendance destinée à divertir quelques cadres dynamiques un chouïa stressés par la violence mortifère des rapports sociaux.
Il s'y agit de répertorier les "tares" minant le cinéma contemporain, selon la taxinomie suivante:

1. Le pitch
2. La continuité dialoguée
3. Le syndrome Natasha Kampusch
4. Le culte de la maîtrise
5. Un sérieux de pape
6. Des films sans images
7. Les acteurs interchangeables
8. Les non-lieux du montage
9. Le radical chic
10. La fantaisie pas drôle


C'est beau et fascinant, quelque part, cet exercice de style. En ce qu'il énonce, au plus près d'une vérité mi-dite mi-tue aux abords d'un inconscient en semi-travail, les 10 tendances dominantes dudit trendmag depuis au moins une décennie:

1. La pensée-pitch
2. La continuité monologuée
3. Le syndrome François Bégaudeau
4. La maitrise du culte-de-soi
5. Un papisme du fun
6. Des articles sans idées
7. Des rédacteurs interchangeables
8. Le montage de non-lieux analytiques
9. Le radical chic du snobisme endogamique
10. La fantaisie pas drôle d'un sous-produit de Flair & Cosmopolitan.



dimanche 9 décembre 2012

Pour en finir (un peu) avec Werner Herzog.



Herzog a fait des films impressionnants et/ou admirables, de fiction, de 1968 à 1982 essentiellement. Ce fut sa grande période, ce qui suivra après ne m'a guère convaincu, si bien que je tends à penser que son grand Œuvre est désormais clos. On ne peut pas être et avoir été, selon la formule. J'ai l'impression, certes discutable, que dans le cas de Herzog (et tant de cinéastes qui furent grands dans les 70s), on ne peut avoir déjà fait et faire encore, hélas.

Sa grande idée, qui innerve tout son cinéma, et recourant bcp au simulacre, au canular même, c'est de souligner tout en les magnifiant  l'échec, la vanité, l'inutilité, de l'expérience dite du "sublime" ou de la "grandeur". Le sublime en question, s'il existe chez Herzog, tient paradoxalement dans l'échec des tentatives pour l'atteindre. Le cinéma de Herzog est un cinéma d'ironie. Les deux figures complémentaires (très souvent morbides) qu'il convoque constamment sur cette échelle de la démesure ou plutôt de la hors-mesure marginale: les géants (conquistadors, princes, créateurs d'opéra, etc) et les nains (nains, marginaux, fous, vampires, princes aussi - K. Hauser le simplet incarnant l'unité du plus petit et du plus grand) échouent également soit dans leur "volonté de puissance", soit dans leur "rêve de grandeur", et révèlent cette grandeur ou puissance par l'assomption tragique de cet échec. Le sublime est ainsi dans l'échec du projet autant que dans sa vanité, et lorsqu'il réussit, il n'est que vanité. Tout est toujours vanité chez Herzog. Le fantasme de la plus grande grandeur s'y égale à la réalité de la plus petite valeur.
Dans Aguirre, le conquérant ne conquiert que du vide, et s'il fondera un royaume sur la terre, c'est, ultimement, le royaume des singes, enfanté dans l'inceste et la dégénérescence. Dans Fitzcarraldo: faire passer un bateau par dessus une montagne, entreprise dont l'ampleur majusculaire n'a d'égal que sa minusculaire inutilité. Ils y parviennent, mais ça ne servira à rien, ça aura juste tué quelques autochtones. Monter un opéra avec Caruso au milieu de la jungle amazonienne, l'opération échoue lamentablement. Tout le film s'achemine vers la fin "sublime", qui est justement que le projet n'aboutira pas, et qu'au lieu de l'opéra convoité, Caruso viendra chanter dans une barque dérisoire cheminant au milieu du fleuve, accompagné par un gramophone.  


Je précise fictions, plus haut, parce que les "documentaires" de Herzog, chez moi, ça passe pas. Que ce soient "documentaires", "pseudo-documentaires" sous forme de "canulars", c'est allé en s'aggravant. J'avais été impressionné par Grizzly Man, à l'époque, parce que naïf, j'avais cru que ça évoquait, fut-ce sur un mode de la "réélaboration", un événement réel. En y repensant, c'était vraiment abusé, comme dispositif.
Passe encore quand Herzog filme les espaces (la Soufrière, une grotte, etc), même si dans ces cas, sa présence voire son omniprésence, en "off" et/ou dans le champ, sont déjà assez rebutantes. Herzog semble croire, en effet, que son "point de vue" revendiqué, et le commentaire subjectif, comme genre à part entière, qui autorise ce point de vue, est intéressant. Or, faut bien le dire, et en ce qui me concerne, il l'est très peu, et souvent pas du tout. Qu'a-t-il à dire, au fond, de si important, précieux, nécessaire, qui mérite d'être entendu? Je me pose franchement ces questions, car trois fois sur quatre, j'ai envie de couper le son. Sa "vision du monde", ses "opinions personnelles", assénées en permanence, sous la forme d'un "journal intime" ou "carnet de route", c'est le plus souvent un mélange de "philosophie de grand bazar" et de considérations de bistrot. Herzog semble visiblement croire qu'il a des choses à dire, sur des tas de sujets, que son apport discursif personnel apporte une touche singulière qui le met à part de la norme standardisée du docu "tv". Hélas, c'est pas vraiment le cas.

Mais là où ça s'aggrave pour de bon, c'est quand il s'arroge la fonction et le pouvoir de l'intervieweur, qui plus est sur des sujets, encore "extrêmes" (puisque c'est assez sa marque de fabrique), mais "sociaux": là, ça devient franchement insupportable. Il fait à ce point les questions et les réponses, impose autoritairement ses vues, ses jugements, ses "analyses", que les interviewés ne servent à rien, ou presque. Il pourrait tout aussi bien leur dire, 9 fois sur 10: "taisez-vous, c'est moi qui parle".

Il n'y a pas un accueil de la parole, du témoignage de l'autre: c'est toujours une sorte de montage, même quand ça se présente en "temps réel", d'une parole qui ne s'exprime que dans le cadre très déterminé de la "pensée" de Herzog qui, toujours, impose ses démonstrations et ses conclusions. On a vraiment l'impression que Herzog croit que son "point de vue", sa "vision du monde", donc, sont à ce point intéressants et pertinents qu'ils doivent imprégner chaque cm de sa pellicule. Herzog y campe constamment dans une position de surplomb, de maitrise, de pouvoir, de tous ces sujets-événements qu'il survole avec l'aplomb du gars qui a un avis passionnant, édifiant, et décisif sur tout. Alors qu'en fait, y radote pas mal, un peu comme un "vieux con". Je me demande même s'il ne sucre pas un peu les fraises, depuis une bonne décennie...

Alors que ces "documentaires" semblent se vouer à rendre la sensation d'un événement (sous les formes les plus diverses) dont la démesure excède le sentiment et/ou jugement subjectifs (un peu l'expérience du "sublime" au sens de Kant), c'est tout le contraire d'une expérience de l'événement qui nous est proposée. C'est la mise en scène, distribuée, calibrée, contrôlée, intervention et temps de parole des intervenants compris, des "opinions" de Herzog sur ces événements, avec des imgs à la Haroun Tazieff, plus un peu de testostérone.

Y compris voire surtout lorsque leur parole est fragile, ou fragilisée, parce qu'émise en état ou situation de crise, de tension, de désespoir, de drame. Situations et états que Herzog exploite, met en scène, instrumentalise, souvent provoque lui-même, sans vergogne, en maître de cérémonie, à la fois voyeur et exégète des psychodrames qui se jouent sous sa caméra et son micro. Et le plus souvent, ça lui donne l'occasion de livrer ses états d'âme, ses sentiments personnels, ses jugements de valeur, bref son éclairage si précieux et si important sur l'événement qui a lieu. Ce qui parachève la dimension d'obscénité de son dispositif, car le spectateur n'a d'autre alternative que se faire le voyeur et confident consentants d'un spectacle aussi complaisamment orchestré.

On peut sans crainte parler de manipulation d'affects pour un sensationnalisme choc. Le résultat donne à penser: on ne voit pas trop en quoi, finalement, au bout du compte, le produit livré se distingue des pseudo-reportages sensationnalistes et tendancieux proposés par les chaines de télé, Tf1, par exemple. On parle d'images d'une "rare puissance évocatrice", sans doute. J'y vois pour ma part une sorte de mix lourdingue et indigeste entre Ushuaya, Complément d'enquête, Faites-entrer l'accusé, Strip-Tease et ça se discute… Mieux, ces produits du câble américain, où on traque des délinquants, un échappé de prison, un violeur, à pied, à cheval, en voiture, ou depuis un hélicoptère.
C'est un peu les aventures de Tintin version burnée: Tintin en Amérique, Tintin au Congo, Tintin chez les skieurs, Tintin fait de la spéléologie, Tintin dans les couloirs de la mort, Tintin visite des terres dévastées par un tremblement de terre, Tintin visite des terres brûlées par un incendie, etc etc etc.



De la taille des écrans



Bien chers tous.

De retour après une assez longue absence méritée. Et merci pour ce plébiscite.


Quoi de neuf, sinon?
Ces derniers jours, j'ai cassé ma tirelire où deux larfeuilles de 100 euros longuement économisés me brûlaient les doigts et quémandaient leur consomption.
Alors, me suis-je dit, à quoi pourrais-je bien consacrer cette dépense de pure jouissance? J'avais déjà tout, j'étais un homme comblé, heureux. Un lecteur mp3, divers casques et oreillettes de factures décentes, aux propriétés d'isolation phonique vitales pour moi (because of saloperie de voisinage: chronique imminente sur ce sujet). Des disques durs remplis à craquer de super-films en attente. De bons livres. De la bonne zique. Bref, tout ce qui peut contribuer au bonheur terrestre et supraterrestre.

Mais avais-je vraiment tout? N'y avait-il point quelque chose qui me manquait, de façon lancinante?


Souvenez-vous, j'ai souvent parlé de mon vieil écran sony pal trinitron 55 cm de diagonale, auquel je voue pour ainsi dire un culte. De presque 20 ans d'âge. Seulement voilà. Sa connectique se limitant à une péritel et à une entrée rca jaune, souffrait depuis quelques temps déjà de probs de faux contacts. Il fallait que je passe au moins 10 minutes avant chaque séance à tenter de trouver la bonne manière de maintenir la fiche, à l'aide d'une gomme pour la soutenir et la bloquer. ça me rendait complètement zinzin. Puis souvent, l'image disparaissait en plein film et je devais tout recommencer.

Donc oui, une ombre pernicieuse voilait mon plaisir d'être-au-monde.


C'est alors que je conçus ce désir brillant. M'acheter un bon écran d'ordi. J'avais depuis 6 ans un écran flatron de 19 pouces (4/3 donc). Qui m'assurait certes quelque satisfaction, mais dans la limite de sa conception. Vous savez en effet que les traditionnelles dalles d'ordi (TN) pâtissent d'un défaut rédhibitoire: l'angle de vision très limité, qui fait que si vous changez de position, l'écran s'assombrit sur le bas; vous devez rester planté comme un piquet à minerve, si vous tentez de retoucher des images, par ex. Sans parler des couleurs, qui sont faussées, et tout ça.

J'investigue sur le net, et je découvre la nouvelle génération d'écrans d'ordi à prix démacrotique pourvus d'une dalle IPS. Pour celles et ceux qui ignoreraient encore de le savoir, les dalles IPS offrent un angle de vision beaucoup plus ouvert (178, voire 180°). Et je me dirige sur un modèle, toujours flatron, IPS et avec couleurs justes certifiées et calibrées en usine, d'une marque que j'apprécie mais dont je ne citerai que les initiales de début et de fin, afin de ne pas faire de la publicité gratuite (même si, vous le savez aussi, je suis doué pour la vente d'objets techniques et non techniques de la vie usuelle): L. et G.


A rétro-éclairage led. Et de 23 pouces. Soit une diagonale qui surclasse tant ma vieille télé que mon presque vieil écran d'ordi. Avec 23 pouces, vous êtes ferré. Vous pouvez enfin apprécier les films en scope ou en 16/9, sans pan & scaner. De toute façon, sur mon vieux sony, je pouvais pas pan & scaner, et je mirais les films en 16/9 sur un rectangle rikiki flanqué de deux barres noires gigantesques.


Je me précipite donc, à couilles rabattues et le palpitant battant la breloque d'excitation (un poil asthmatiforme) au supermarché de l'électronique du centre-ville. Et je ressors vainqueur, serrant dans mes mains fébriles l'objet de mon brûlant désir.

Alors, qu'en dire? C'est tout simplement magnifique, et les mots sont impuissants. La dalle IPS tient toutes ses promesses, la résolution impec, les couleurs sont tellement justes que j'ai enfin compris pq mes captures d'img étaient nases. Je redécouvre littéralement le monde. Puisque mon écran d'ordi est quasi ma seule fenêtre sur le dit monde.
Et les films. Je redécouvre les films, comme jamais je n'eus pu soupçonner qu'ils pussent s'offrir à mes pupilles fascinées.

C'est bien simple, l'angle de vision est tellement ouvert que je peux m'installer tranquillos dans mon vieux fauteuil pour mater les films. C'est une révolution, non copernicienne certes (quoique), qui bouleverse tant mes habitudes que j'ai l'impression de changer de mode d'existence.


Voilà à quoi j'ai passé mon temps ces derniers jours. Et c'est avec plaisir que je reviens vous lire, l'esprit un peu moins moins accaparé par la magnificence de cet nouvel objet, ludique, instructif, et pas chiant.

Quant au mythe fameux, et persistant (cultivé par une certaine sphère "cinéphile-puriste"), du Format, du Grand format, en dehors duquel tout est usuellement rikiki, j'en ai souvent débattu. Mais je me sens obligé, de cette nécessité impérieuse qui commande, comme dab, toute entreprise inutile et d'un intérêt erratique, d'en rajouter une petite couche.


En réalité et en vérité, que ne le note-t-on plus souvent, dès lors qu'on dispose d'un bon écran, bien calibré, et doté d'une résolution full HD, il importe peu que ce soit un écran géant, comme on dit: face à un écran géant, le spectateur va rechercher la bonne distance, celle qui lui convient, pour embrasser ce qu'il voit d'un regard synoptique, ni trop près, ni trop loin. Comme dans une salle. Dans une salle, si l'écran était gigantesque, je choisissais toujours une place située dans le dernier tiers des gradins, parce que c'était, pour moi, la distance en deçà de laquelle mes yeux se perdaient dans la grandeur de l'écran et ne pouvaient "synthétiser" l'information qu'ils en recevaient.

Simple petit test: quand vous regardez un écran, tv, ordi, ou dans un cinéma, placez vos mains verticalement et latéralement, de part et d'autre de vos tempes, jusqu'à la limite du champ de vision que vous avez de cet écran, et à la distance que vous avez choisie: celle qui vous est la plus confortable pour une vision à la fois détaillée et synoptique. C'est ça, votre angle de vision en question. Mesurez-le, en cm, horizontalement et en diagonale, et vous verrez que vous tendez, plus ou moins machinalement, à rechercher cet angle là (chez moi, +- 20 cm). Et en conséquence, à établir entre l'écran et vous une distance déterminée, variable en fonction de la taille de cet écran, qui vous permettra de retrouver ledit angle. Quelle que soit la taille de l'écran. Chez soi ou en salle.
C'est pourquoi, mes zamès, cette affaire de "Format", le fameux format dit originaire en deçà duquel on ne verrait plus un film, selon Godard lui-même, mais une "carte postale" du film, si elle avait sa pertinence du temps des écrans cathodiques chiches en résolution (et du choix exclusif de ne voir un film que diffusé par la télé, dans une copie plus ou moins pourrave, doublé et haché de pubs), n'a plus guère de sens, et peut être rangée une fois pour toutes dans le domaine des arlésiennes et des spéculations vaines contribuant à déboiser l'Amazonie.
Notons-le, just in case: par format j'entend ici dimension de l'écran, et non, bien évidemment, Ratio - 4/3, 16/9, etc -, cadre de vision voulu par le cinéaste, qui ne dépend pas de moi, même si, en fonction de ce ratio imposé, je choisis, moi, telle ou telle distance de regard la mieux adaptée à ma saisie synoptique.
La lumière (ou image-lumière) projetée sur ou devant une toile-écran n'est pas en soi plus "juste", ou "vraie", ou "naturelle", etc, qu'un rétro-éclairage, et partant ne détermine pas plus la nature d'une image cinématographique. Ce n'est pas parce que le cinéma est né techniquement de cette façon, comme projection de lumière sur un écran-toile, en fonction des contraintes et limitations spécifiques imposées par la technologie de l'époque, que c'est cette technique qui définit, une fois pour toutes, selon on ne sait trop quelle invariance absolue, une image cinématographique sous sa forme "matérielle" et "essentielle".
ça, ça m'amuse beaucoup, par contre: c'est typiquement le genre de considération fumeuse, s'abritant sous des considérations "techniques" et invoquant une "empirie" première, inaltérable, qui en réalité renvoie à un ésotérisme archaïque, sur l'ombre et la lumière (qu'est-ce qui vient en premier, l'ombre ou la lumière, l’œuf ou la poule, blablabla), à une métaphysique-théologie ininterrogée de la Donation, de la Lumière de la Vérité, du Rayon miraculeux, etc etc.
Bien entendu, derrière ce genre d'assertions parées d'un objectivisme techniciste indiscutable, se cachent des problèmes empiriques d'une autre nature: la question du privilège, de la ligne de démarcation, d'une coupure "magique" (comme la Lanterne du même nom), sociale mais redistribuée dans le champ esthétique, entre ceux qui auraient accès à cette Lumière, d'origine, et les autres. Entre ceux qui ont un accès direct, vrai, premier, inaltéré, à la Lumière, et ceux qui n'y ont un accès que dérivé, faux, succédané, altéré, etc. Entre ceux - et ce genre de discours fait encore flores dans la "cinéphilie" fondamentaliste et aristocratique à l'insu de son plein gré - qui seuls ont accès à l'expérience véritable, authentique, du "cinématographe", et le tout venant, le vulgum pecus consumériste à qui sont destinés les petits postes de tv, petits postes, petits écrans, rikiki, mal étalonnés, mal réglés, et qui l'aliènent, bien sûr, l'hypnotisent, le massifient, lui font tout voir tout petit, le pauvre, l'aliéné, le passif. Aux uns le soleil, aux autres la caverne; aux uns les tableaux, grandeur nature, vus comme ils doivent l'être, aux autres les cartes postales. Aux uns le Concert a la salle Pleyel, aux autre la bouille de mp3, etc, etc.
Il en va de même avec tous ces discours clé-en-main, prémâchés, corporatistes, ressassés par les "spécialistes", de la photo, de l'argentique, de la hi-fi authentique du vrai son, etc, qui se font un devoir sacré de vous rappeler que le "numérique", c'est quelque part comme le bonheur: l'infini à la portée des caniches, l'horreur, l'horreur, tout ce qu'on a perdu, du mouvement, de la texture, du grain, de la voix, de la tessiture, de tout.
Alors que pas du tout, tsss. Allons. Tout ce débat sur le bon vieil analogique réglé à la main, menacé par l'automate digital. Le bon vieil artisan menacé par l'inhumaine et froide technologie. La plume d'oie menacée par Gutenberg. Discours de spécialistes veillant jalousement à leurs prérogatives, à leur domaine de compétence, car ce qui les menace, les terrifie ( tout comme la dispersion des sources du savoir et du discours, par le numérique, menace de délégitimation les Compétents organiques qui craignent pour la pérennité de leurs chapelles et moquent rageusement l'insondable ignorance de tous les anonymes qui s'intronisent, à leur place, journalistes, commentateurs, penseurs, artistes, sociologues, chanteurs, etc.), c'est qu'une des dimensions de la technologie consiste à rendre accessible à un nombre toujours plus inquantifiable les outils que maitrisaient seuls, ou prétendaient maitriser seuls, quelques uns.
Aux uns, gardiens de la Vérité templière, de la Haute Culture, menacée par la dégradation, la dégénérescence dans la consommation nivelante de tout ce qui fut le Beau, avant, le Trésor civilisationnel, de claironner partout que cette Culture décline, car tout le monde prétend, fantasme, y avoir égalitairement accès, prenant l'ombre pour la lumière. Cela, ils le claironnent sur le petit écran, édifiant les petits, leur montrant de quelle hauteur précise descend la lumière de la Vérité, du Savoir et du Beau, avant de repartir, satisfaits, s'émouvoir sur les grandes toiles, qui sont à leur bonne dimension, hauteur, de vie, de vue, et de savoir.

Rancière a bien raison de souligner que le partage social renvoie essentiellement au partage esthétique, au partage du sensible, au double sens du mot partage, ce qui divise, et ce qui unit. Preuve en est: est toujours crainte, redoutée quelque part, affectée d'un voile de mépris en sourdine, celui de celui qui Sait (par exemple, qui Sait ce qu'est le cinéma, dans son Essence, sa Praxis et sa Tèchnè, ce qu'est Aimer le cinéma, etc; bref qui en détient la spécialité, la prérogative), l'émancipation du spectateur, à savoir le fait qu'il s'accorde, s'autorise, de consommer, lui aussi, les images, l'imaginaire, sans se sentir tenu de respecter les autorisations, mesures et partitions qui l'assignent à tel lieu, tel espace, tel format réservés...



dimanche 14 octobre 2012

Interlude



... Avant d'imminentes nourritures substantielles et mensuelles.

Parce que, attention, ce n'est pas encore fini. Ah non. J'ai encore des trucs (assez) importants à dire. Et personne m'empêchera de les dire. Ce blog mourra, s'il doit mourir, en même temps que moi, anonyme et solitaire, perdu sur des chemins déserts, inhospitaliers, et un quart d'heure avant sa mort il sera encore en vie, comme disait l'aut'plouc, là.
J'annonce, ici même, quelques uns des futurs sujets qu'il me brûle d'aborder. Premièrement, avez-vous déjà entendu parler des casques anti-bruit peltor optime III (35 db snr)? Si oui ou non, ne vous inquiétez, je vous ferai le topo détaillé, une tranche d'existence vraie, je ne vous dis que ça. Suivront aussi: une auto-interview où je dévoilerai un pan de ma méthode de travail, pour les lecteurs sans talent qui aimeraient s'instruire (en s'amusant - moi, la pédagogie amusante, j'ai ça dans la peau), c'est histoire de rendre service, de servir à quelque chose; de nouvelles chroniques ciné, aussi, où il sera le moins possible question de films, comme dab.

Je précise, là, parce que, récemment, j'ai passé une soirée dans une taverne, avec une jadis-amie à qui j'ai communiqué les données suivantes, que je rappelle à tout qui veut l'entendre et même s'il n'a aucune envie de l'entendre.

Voilà, en substance, ce que je tenais à lui rappeler dans un geste phatique (et rare, pour qui cause à ses contemporains une fois tous les 4 mois. Alors tous les 4 mois, je déballe tout, on peut plus m'arrêter, impossible d'en placer une): 

certes, selon ma propre perception, je suis socialement, économiquement, symboliquement, logiquement, phénoménologiquement, et de bien d'autres manières encore, inexistant; certes je suis à peu près bon à rien dans la vie; certes j'hésite, quand je me lève le soir, entre prendre un aller-simple pour la Sibérie septentrionale et dresser un inventaire des objets usuels et artefactuels qui m'entourent, lesquels m'intéressent bien plus que mes contemporains bipèdes sans plumes (et non, y a pas de honte à le dire: les gens vous disent qu'ils s'intéressent aux gens, mais ils se trompent en raison d'un problème de distorsion cognitive qu'il conviendrait d'analyser, bien que ça ne soit pas trop grave: on peut vivre avec, à peu près normalement, ladite normalité n'étant qu'une somme mal comprise de problèmes de distorsion cognitive); 

certes j'ai très peu existé jusqu'ici - entendons par-là m'individuer (dans un permis de bâtir, construire, entreprendre, un permis de s'autoriser, un plan d'avenir, de carrière, de fuite, un noyau de motivation essentielle dans laquelle on puise la matière d'objectifs opérationnels, comme disent les professionnels de la didactologie utile) - et il est fort improbable à mon grand âge que j'accède à ce type d'existence: pour changer de mode de vie faut déjà avoir un mode de vie, ça me paraît évident, on va pas ratiociner là-dessus des pécales de gate infalsifiables; 

et certes ce n'est pas un problème, au fond et en fait, aussi longtemps que des gens - qui existent suffisamment, en tout cas plus que moi, pour exercer les prérogatives de ce que nous nommerons, en termes génériques, un pouvoir - ne se mettent pas dans l'obligation (salariée ou gratuite) de vous démontrer que vous en avez bel et bien un, de problème; etc, etc.


A ce compte rendu - ne souffrant aucune discussion - de l'état des choses usuelles, inusuelles et artefactuelles qui composent mon inexistence oublieuse, activement oublieuse dans sa passivité fondamentale, de tout ce qui fait passer de l'existence à l'existant, comme disait Lévinas, cette jadis-amie me répondit, là encore en substance:

- "oui mais, tu fais quelque chose dans la vie. D'accord, tu ne travailles pas, mais tu tiens un blog".
- "c'est vrai, je tiens un blog. C'est pas tant que j'aime écrire, et même je peux dire que j'aime pas tellement écrire, je préférerais ne rien écrire. Mais voilà, de temps à autre, je sors un truc ou l'autre, comme ça, sans trop y réfléchir. ça sort parce que ça doit sortir. Et bon, pourquoi pas? Le temps a passé, trois ans, et pas mal de textes se sont accumulés, qui dessinent, peut-être, peut-être pas, une certaine forme de "continuité conceptuelle". Enfin, je crois. Les liens se tissent entre les textes, ça doit être le côté obsessionnel, ruminant ... A propos, tu le lis encore, mon blog - ou du moins tu le parcours de temps à autre, de ci de là?
- "(d'un air vaguement dédaigneux) enfin, c'est surtout des critiques de films, on dirait. Pas tellement des articles de fond, ou à portée générale. Y a plus vraiment de "philosophie" ..
- "Oui, c'est vrai, y a des critiques, de films, mais tu sais, ça parle très peu de cinéma, en fait. C'est un prétexte, si on veut, pour écrire sur autre chose, pas nécessairement "philosophiquement", d'ailleurs. Le vrai mobile de ces textes, c'est, si tu veux, enfin je le pense, c'est comment dire une tentative de faire de l'humour... Le but, c'est de rire, mais bon je sais, c'est pas forcément drôle, pour ceux qui ne trouvent pas ça drôle, bien sûr. En tout cas, moi, ça me fait marrer. Enfin, les textes qui sont marrants..."
- "Oui, sans doute, mais à vrai dire, c'est trop long! Je ne vais jamais jusqu'au bout, désolée, donc je ne sais pas vraiment de quoi ça parle. C'est que tu vois, moi je travaille, j'ai des obligations très accaparantes, des tas de soucis professionnels, bien peu de temps libre... C'est comme ça, tu sais, quand on travaille, quand on a une vie active, une vie de famille, des engagements, on n'a plus trop le temps de lire... enfin, des blogs.
- " Je t'en prie, c'est bien normal, ne te justifie pas. Oui bon, c'est vrai, c'est long, je sais. Je devrais faire plus court, sans doute, pour ceux qui travaillent, qui n'ont pas le temps."

(Je n'ose pas poser la question, la vraie question, qui me taraude: elle lit jamais jusqu'au bout parce qu'elle a pas le temps ou parce que ça ne l'intéresse pas? Ou un mélange des deux: ça n'a pas le temps de l'intéresser, elle est pas assez intéressée pour y donner du temps. Parce que, on peut imaginer, on est en droit d'imaginer que si quelqu'un entame la lecture d'un texte qui l'intéresse en quelque façon, il trouvera le temps de poursuivre. Fut-ce dans un temps différé, ajourné: il se promettra d'y revenir, etc.)


Bref, cette conversation me laissa déprimé. Je me sentais rendu à la vacuité et l'inutilité de ma condition d'inexistant, de chômiste, qu'a tellement - ô tellement - de temps libre devant lui pour graphopathiser (une fois par mois, voire une fois tous les deux mois) des textes bien trop longs pour capter l'intérêt de gens qui travaillent, qui mènent une existence très active, cernée de soucis, d'obligations et de responsabilités.


C'est comme si on me disait, donc: "oui bon tu ne travailles pas, mais tu tiens un blog, au moins, c'est bien, ça, tu as du temps pour ça. Et pour moi qui travaille et qui n'ai pas beaucoup de temps, les textes de ton blog sont trop longs, donc je lis jamais jusqu'au bout."


Voilà, c'est ça. Je dirais bien, en guise de conclusion:

attention, ici, c'est un blog tenu par quelqu'un qui a trop de temps et qui donc écrit de trop longs textes. C'est un blog qui s'adresse à toute personne qui a trop de temps à perdre, ou du moins qui n'est retenue par aucune forme d'obligation, de souci ou de responsabilité. C'est un blog destiné à d'hypothétiques lecteurs qui savent pas quoi foutre de leur temps, et qui pour meubler ce temps libre sont susceptibles de lire mes textes jusqu'au bout, quitte à s'ennuyer ferme.

ça constituera ma mise en garde: vous travaillez, vous avez des soucis, des obligations, des responsabilités dans une vie plutôt trépidante, ce blog ne vous est pas destiné. Ce blog est destiné aux quelques personnes qui, comme moi, n'ont ni obligation ni responsabilité, dont la vie ne trépide pas du tout, ce qui ne les empêche pas d'avoir des soucis. Comme moi. Car cette absence d'obligation, de responsabilité et de trépidations, ça me donne bien du souci.


D'autant que c'est quasiment le contraire: moi, mon problème, s'il fallait vraiment en dégager un, c'est que je n'ai pas le temps, au sens premier, le plus douloureux, existentiel, si vous voulez. Je n'ai pas accès au temps, au devenir, à cet inexistant qui fait ex-sister, et qui, éventuellement, rend libre. Je ne sais pas, je n'ai pas appris et n'apprendrai sans doute jamais comment passer dans, ou par, ce temps qui jamais ne passe ni ne devient, pas plus en soi que pour soi. Je suis prisonnier d'un non-temps fondamental (qui est peut-être le vrai nom du temps), épais, opaque comme le sarcophage d'une antique momie. Un non-temps antédiluvien, pré-historique, immémorial, reptilien, qui n'est pas l'éternité de Parménide, bien sûr. Qui en est bien plutôt la fracturation, l'expulsion, de toute origine. Immobile, il erre. Fracture, expulsion qui ne vont nulle part, n'engendrent ou ne fabriquent nul travail, nulle histoire.


Mais je ne vais pas m'en lamenter outre mesure, car je pense que personne (ce qu'on nomme "les gens", donc) ne dispose du temps. Ils ont bien raison, les gens qui triment, allez, de se plaindre qu'il n'ont pas le temps. Ils ne l'ont pas, c'est sûr., qui le contestera? Mais ils ne l'ont pas davantage que ceux qui sont censé l'avoir, parce qu'ils ne font rien ou triment à ne rien faire.
En gros, permettez moi de simplifier, personne n'a le temps. Y a ceux qui s'en souviennent, parce qu'ils ne font rien plutôt que quelque chose, et ceux qui aimeraient l'oublier, parce qu'ils font quelque chose plutôt que rien.

Je ne parle pas de tous ceux, la majorité écrasante et écrasée, bien sûr, qui est sommée de travailler, brûlant son énergie par les deux bouts de la chandelle, et qui préfèrerait bien légitimement ne pas passer le temps autrement. Je parle de ceux qui vous expliquent à quel point ils aiment leur labeur, un labeur choisi dans lequel ils ont la chance, le privilège, de s'épanouir. On les décrit souvent, et eux-mêmes aiment assez se décrire ainsi, comme des bourreaux de travail. Et dieu sait, vous expliquent-ils, qu'ils ont travaillé dur, avec un soupçon de chance et une louche d'infatigable entrain, pour gagner ce droit de devenir maîtres et possesseurs de leur temps (ainsi que celui des autres, suivant la hiérarchie à laquelle leur maîtrise les destine).

Sont-ils bêtes, fats et veules, et je leur souhaite bien du malheur: ils ne maîtrisent ni ne possèdent le temps, allons. Bien au contraire il fuient, conjurent, redoutent, comme la peste, l'expérience "authentique" du temps. Qui n'est peut-être pas celle dont parle un Heidegger, ou un Hegel. Le temps n'est peut être rien d'humain, ou d'anthropogène. Il ne s'engendre peut-être pas vers l'avenir. Ce temps qu'on dit humain, ou historique, le temps du projet, du travail, de l'action transformatrice du non-temps (celui qu'on dit cyclique), ce n'est peut-être que l'illusion hallucinée de celui qui s'agite en brassant l'air. Et en faisant du bruit. Beaucoup de bruit, même. D'où la nécessité impérieuse d'aborder la question des casques anti-bruit, peltor optime III et autres, détournés de leur vocation première (protéger les travailleurs du bruit des machines).

Derrière ce temps qu'on dit humain, temps de l'à-venir, et qui tente vainement de la masquer, de la travestir, il y a cette zone blanche, cette zone neutre, d'un temps originaire, inqualifiable, opaque, secrètement immobile, tapi dans l'ombre et dont le silence inquiétant se compare à un long mugissement en sourdine: le temps arrêté des momies, qui ne passe pas, non, qui ne passera pas. Il n'est ni le temps de la "nature", ni le temps de "l'homme". Il est un interrègne, un Interland. C'est un temps de l'effondrement, de la pétrification immémoriale. C'est le temps de l'impossible même dont sont tissés tous les possibles et les promesses du possible. Et qui se rappelle au souvenir de ceux qui captent sa fréquence lancinante, discrète, presque étouffée derrière les bruits du sens, de la passion et des travaux.





J'aimerais, pour clore ce billet, citer une info qui vient de me tomber sous les yeux et a retenu en quelque manière mon attention. J'ai trouvé ça sur le site de RTL.be. Histoire de terminer sur un truc intéressant, et d'actualité.


Sean Penn était apparemment en extase devant son ex-femme Madonna lors de son concert à Los Angeles jeudi soir.

CoverMedia |
 
Sean Penn « a porté sa main sur sa poitrine » alors qu’il assistait au concert sexy de son ex-femme Madonna. Madonna se produisait au Staples Center de Los Angeles mardi soir et Sean était au premier rang et au centre. L’acteur de 52 ans et la chanteuse de 54 ans ont été mariés de 1985 à 1989 et ont vécu une histoire d’amour tumultueuse.
Le couple était profondément amoureux même si leur mariage ne fonctionnait pas et Sean n’arrivait pas à ôter ses yeux de son ancienne compagne lorsqu’elle était sur scène.
« Il haletait presque, a déclaré un témoin à Radar Online. A chaque fois qu’elle se projetait en avant ou qu’elle se penchait, il disait : “Oh là ! Je n’en peux plus ! Elle est trop sexy ! ” A un moment, elle a regardé Sean droit dans les yeux, a souri, et a enlevé son pantalon et a montré ses fesses à la foule, mais c’était comme si elle montrait cela à Sean ! Il a ri et il a porté sa main à son cœur comme s'il allait s’évanouir. Elle portait un string noir en dentelle et son derrière avait l’air parfait ! Si lisse et ferme… comme celui d’une femme de 20 ans ! »


Ma foi, comment dire. J'en ai littéralement rien à secouer. A 47 ans, j'ai un derrière qui n'a pas l'air parfait, mais qui l'est bel et bien. Lisse et ferme sous le poil. Une courbe affolante, surtout quand je cambre. Apparemment, ça n'intéresse personne. Tout simplement parce que je n'ai plus trop l'occasion de le montrer ou de l'épiler. Et quelque part, c'est dommage. J'en connais qui pourraient s'évanouir.

 

Là-dessus, je vous dis à plus tard. Je vais me coucher. Il est midi, ce dimanche. Ici, on est allé voter, au Boulevard de la constitution. C'est dans un hall des sports désaffecté, aménagé en bureau de vote. Bon, ok, tout le monde s'en branle.

A très bientôt.

Jerzy P.





vendredi 14 septembre 2012

La résistible ascension d'Oskar Werner (Le spectateur dans tous ses états, part IV)



C'est combien fascinant, cette interview.

De la même façon qu'on peut parler de "politique politicienne", on pourrait parler de "critique criticienne" ou de "cinéphilie cinéphileuse".

Le gars Oskar n'a rien à dire sur rien. Dans la "vie", il semblerait qu'il aimerait être ou devenir "critique de cinéma".

Faut cependant bien savoir qu'en premier lieu lui importent les films, non les critiques. Les critiques l'attirèrent, le premier jour du reste de sa vie, quand il vit des "couvs alléchantes" comme celles des Cahiers: Michael Mann, Eastwood, Spielberg, Shyamalan, etc. "Du petit lait" pour un "gars comme lui", "biberonné au grand cinéma hollywoodien contemporain". Comme 50 millions de gars biberonnés au grand cinéma hollywoodien contemporain.

A partir de ce jour glorieux ou funeste, bien des tempêtes sous son crâne malmenèrent gravement les valeurs existentielles auxquelles il s'était cru attaché. Après plusieurs nuits noires d'angoisse, voire de déréliction, pendant lesquelles il crut bien ne plus être l'Oskar cinéphiliquement biberonné qu'il avait connu, s'opéra, "dieu merci", une conversion. Après vision d'une autre "couv alléchante" sur Zodiac et une mise à l'honneur de Tarantino.

Cette épiphanie l'irradiant jusqu'à la moelle du fémur, il l'aima ou ne l'aima pas, mais elle le laissa rarement indifférent, et il n'en sortit pas complètement indemne - selon les formules consacrées par la critique allocinesque:  une inextinguible passion se noua en lui pour cette revue, qui, à l'instar de la Phénoménologie de l'Esprit (du cinéma), changea définitivement son expérience (du cinéma).


Fort de cette instruction décisive, Oskar fait, depuis, un pas de plus que ces estimés confrères de la confrérie qu'il désire peut-être, qui sait, intégrer, et qui causent de cinoche comme on vante les mérites d'un camembert ou inspecte les ingrédients d'une poudre à lessiver: il "écrit" sur les Critiques eux-mêmes, le monde même de la critique. ça le passionne littéralement, le monde de la critique, ce braintrust permanent de têtes pensantes qui lancent des pensées comme des balles phosphorescentes dans la nuit.

Prenant son courage à deux mains, car il fallait bien du culot pour oser exposer de la sorte sa Weltanschauung naissante du cinéma, il s'en fut, en première instance, barbouiller le "mur" facebookesque de Trucmuche. Ce qui attira dûment l'attention de Brizmouche sur ce jeune chien fou passionné qu'il fut et demeure, à tant d'égards.

Il nous raconte comment il a connu untel, et untel. Qu'un jour, prenant le tortillard vers la Cité des Lumières, il est allé boire un verre avec Chose, parce que Machin était absent, etc. De ces agapes étincelantes jusqu'à pas d'heure et arrosées jusqu'à plus soif à la terrasse des estaminets germanopratins, naquit la folle idée révolutionnaire d'une revue, "sorte d’équivalent de So Foot version ciné."


Il égrène ensuite les noms de revues comme on compterait les perles sur un collier d'un chihuahua à ses mémères.


Pour le reste, s'il "avoue que ses connaissances sont assez limitées", il confesse également que le "désir d'écrire" lui est comme chevillé au corps.

"Même s'il a tout fait pour retarder le passage à l'acte". Par "manque de confiance en soi", sans doute. Peut-être aussi, plus humblement encore, par "lucidité": il sait très bien, dit-il, qu'il "n'atteindra jamais le niveau des auteurs qu'il admire". ça pèse sur lui comme une "chape de plomb", le pauvre chou, mais il "apprend peu à peu à s'en libérer".

Il appelle "auteurs" les critiques en question.

Exemples d'auteurs qu'il admire ou semble admirer: Bégaudeau, Burdeau.

Deux Phares dans la nuit de l'univers de la Critique "établie". Les guillemets s'imposent, précise-t-il. Histoire peut-être de suggérer qu'ils ne sont pas si "établis" que ça, qu'à chaque papelard ils risquent sinon leur existence physique, du moins leur expulsion sans préavis hors des territoires de l'Establishment cinécritique. Avec une perte sèche des émoluments y afférents. Et que ça ne lui déplairait pas trop de rejoindre cette team d'enfer entre Miami et Vice. Juste récompense pour son admiration trop chihuahuesque, ou plus modestement, léchouilleuse avec pudeur.


Et patati et patata.


Cet entretien passionné et passionnant se conclut sur un programme d'écriture en forme de promesse d'avenir:

"Il y a un travail à faire aujourd’hui sur la critique de cinéma".

Pour sûr.


vendredi 7 septembre 2012

Tapiola (Jean Sibelius, 1926)



Allez, j'en remets une petite couche sur Sibelius. Cette fois, on fait (relativement) court: place à youtube.


Après la septième symphonie, donc, il n'a pas encore dit son dernier mot.
Son dernier mot, c'est donc, bien sûr, l'opus 112 (1926), Tapiola. Puis 30 ans de silence (enfin plus ou moins) jusqu'à sa mort.

Le lieu, ou domaine, ou site, du dieu Tapio, le dieu de la forêt dans le Kalevala.
"Là, s’étendent du Nord les vieilles forêts sombres, mystérieuses en leurs songes farouches; elles abritent la grande Divinité des bois, les Sylvains familiers s’agitent dans leurs ombres."

Je trouve de belles formules dans ce texte, suscitant le désir de la découverte pour qui n'a jamais écouté Tapiola.
L'auteur insiste peut-être un peu trop sur cette affaire de forêt, de vie sauvage, de cellules organiques, de prolifération biologique, etc... On invoque souvent ces métaphores s'agissant du processus compositionnel sibélien (par croissance thématique, etc), mais il ne faudrait pas trop prendre tout ça au pied de la lettre. A trop suivre cette pente, on risque de sombrer dans les poncifs sur la musique à programme, mimétique et illustrative, dénoncés aussi bien par Debussy que par Stravinsky. Et ça affadirait considérablement le mystère de cette musique...
Sibelius lui-même nous met en garde contre cet analogisme, en recourant à... une analogie:
" If someone writes about my music and finds, let us say, a feeling of nature in it, all well and good. Let him say that, as long as we have it clear within ourselves, we do not become a part of the music's innermost sound and sense through analysis ... Compositions are like butterflies. Touch them even once and the dust of hue is gone. They can, of course, still fly, but are nowhere as beautiful ... "

Une des pièces les plus obsédantes, les plus secrètes, de l'histoire de la musique (pas moins), selon moi bien sûr, et quelques autres. La première fois que j'ai entendu ça, à la radio, j'avais 12 ans, par là. Je savais rien de ce morceau, ni qui l'avait écrit, ni quand, ni pourquoi, etc. Mais je sentais que dès la première note, il fallait que ça suive inexorablement son cours jusqu'à la dernière. Un pur bloc compact, minéral, une nappe phréatique, une fréquence souterraine, une géo-musique plane mais insondable. J'ai bien écouté Tapiola 500 fois, sans déconner. J'en ai toujours pas épuisé la substance.

Et voici, toujours selon moi, comment il faut jouer Tapiola, le juste tempo, la juste sonorité. Ne me demandez pas comment je le sais, je le sais, c'est tout, immémorialement, depuis mon cerveau reptilien, pour reprendre une métaphore foireuse.

Allez - et c'est un ordre -, interrompez toute activité et prenez 20 minutes de votre journée (multipliées par trois) pour écouter ce truc, ce monolithe stellaire, cette stèle monolithique...
 
 
Parmi la tripotée de très belles versions disponibles sur YT, j'en choisis donc 3, parce qu'il est toujours nécessaire d'écouter une pièce essentielle au moins 3 fois.
La version de Leif Segerstam est peut-être celle qui m'envoûte le plus.
 
 



La version de Neeme Järvi (avec l'orchestre de Göteborg, DG 2000), indispensable:






Karajan - avec le BPO, DG 1964 - nous emmène loin, très loin, dans ces contrées reculées où la main du serpent ne s'aventurerait point à mettre le? A mettre le? Le pied, je me tue à le dire. Alliage du phréatique et du tellurique. Moins chantant mais plus paniquant que Jarvi, plus douloureux, aussi, comme une brûlure persistante. K. rumine cette affaire de longue date, déjà, on sent que ça lui a travaille bien le siphon. Sibelius, avant de se rétracter, disait que K. était le seul qui comprenait son travail. Serait-ce le plus beau Tapiola gravé sur disque? Je serais tenté de le dire. Avec Segerstam. Si vous trouvez mieux, n'hésitez pas à m'en informer, j'fais la collec... (Il y a bien sûr Osmo Vänskä... Cependant, il va un chouïa trop vite). 
 
 
 

 
 

lundi 3 septembre 2012

L'anguille (Imamura, 1997)



Signifiance et interprétose sont les deux maladies de la terre. Il n'est guère étonnant, au vu (longtemps postposé) de cette Anguille, de lire de passionnantes interprétations filaires et autres enfilages de perles psychanalytico-cruciverbistes à la Sibony, tant ce Imamura nous surexplique, de la première à la dernière seconde, son compendium symbolique de grand bazar, avec une grosse gouache qui tache et la subtilité d'un théâtre-farce de guignol, mode d'emploi et bastonnades compris.

Dès la première séquence, je me suis senti empatouillé dans une mixture carnavalesque de Brian de Palma et de Max Pécas, et ça n'a cessé de s'aggraver jusqu'au générique de fin salvateur.

Je reste interdit devant cette fable indigeste et lourdingue, filant son épaisse métaphore aussi sûrement qu'une délégation d'éléphants se marchant sur les arpions dans un salon de coiffure. C'est qu'il s'agit d'une œuvre puissamment symbolique, tout à la fois foisonnante et triviale par delà son symbolisme, nous explique-t-on. Je ne vois pas trop ce que ça a de foisonnant, étant donné que tout ce qu'on y raconte, tout ce qu'on y dit, tous les personnages, gravitent autour d'un même et unique noyau de signification lancinant et répétitif. Qu'elle soit triviale, ça ne fait aucun doute, tant elle l'est avec bcp d'insistance, comme un petit théâtre du grotesque: chaque perso y est un archétype pittoresque. On se croirait dans le Petit Baigneur de Robert Dhery (qui est plus drôle, et moins freudien). C'est vraiment "les branquignols" à la campagne.

Nous avons le bonze agent probatoire et son épouse, qui font office de gentils conseillers conjugaux, le charpentier obsédé par son bateau qu'il retape, et spécialiste en reproduction des anguilles, l'ex-assassin obsédé par son anguille, l'employé de voirie obsédé par les extraterrestres et qui veut les attirer avec l''enseigne giroscopique, l'ex suicidée - clone de l'épouse assassinée - qui s'amourache obsessionnellement de l'ex-assassin, sa mère "dérangée' obsédée par Carmen de Bizet, l'ex de la suicidée, pdg véreux et amateur de vibromasseurs, obsédé par le magot de la mère; l'ex-taulard bituré obsédé par le viol, et enfin le type gominé en raybanes obsédé par Elvis, ou la rock-attitude.

Tout ce petit monde haut en couleur s'agite bruyamment autour du salon de coiffure, chacun apportant à point nommé, en vertu de son dada, sa petite contribution à l'éclosion de l'amour qui n'a jamais connu de loi. C'est trivial dans la symbolique, qui nous est assénée sans relâche, et certainement jamais par delà cette symbolique appuyée.

Pour le climat de folie douce où les strates sociales se télescopent en un ballet dérisoire et charmant, pas pour le reste bien sûr, ça m'a fait pas mal penser à quelques jours avec moi, de Claude Sautet (qui est d'ailleurs un assez bon film), en plus mécanique.

Cette allégorie démonstrative sur la "seconde naissance" d'un homme jaloux et impuissant, aligne laborieusement toutes ses figures et stations attendues. On en a rapidement saisi les ressorts et l'enjeu. L'agitation y est vaine autant que les "surprises" fausses. On assiste, en prenant son mal en patience, au déroulé ultra-prévisible d'une démonstration qu'on avait dûment comprise, mode d'emploi aidant, dès le premier quart d'heure. Et pour les rares qui n'auraient pas encore compris, tout ça nous est ré-expliqué encore, dans le monologue final du perso principal sur sa barque, lorsqu'il fait ses adieux à son anguille, laquelle représentait le petit homme fécondé par toutes les mères inconnues du vaste océan.

La morale de cette fable imamouresque me semble en outre assez douteuse.

Car enfin, si l'on admet - tout le film chemine (lourdement, donc) vers cette conclusion éventée dès l'exposition - que le perso principal à fantasmé/déliré la tromperie de sa femme, l'amant, le coït, la Scène de jouissance, en manière d'oblitération de son angoisse d'impuissance et de sa peur des femmes, peur du désir ou de la jouissance qu'on aime à dire féminins, le film a l'air de se ficher complètement de cette pauvre épouse assassinée.

La grande affaire du film, finalement, c'est: comment cet homme, au fond un brave type, peut se pardonner à lui-même (de n'avoir jamais pardonné à sa femme, qu'il aimait, pour une tromperie qui n'a jamais existé, purement produite par sa peur de n'être pas suffisamment viril). Et se pardonnant, se réconcilier avec la dimension non sexuelle de l'amour. Car le clone de l'épouse décédée ne cesse de s'imposer à lui comme aimant, sans condition, par delà toute demande de jouissance sexuelle. Ainsi peut-il recommencer à aimer les femmes, sans en avoir peur, sans voir mise à l'épreuve sa virilité, et même devenir père sans procréation.

C'est quand-même formidable, cette conclusion (si émouvante, on dira même "humaniste"): on nous expliquera que tout tourne autour du "désir féminin" (qui se satisferait aisément de l'Amour "vrai", qui est "Manque du phallus", ou "Phallus en tant que Manque", cad tout voué à la célébration d'un phallus purement signifiant, cad symbolique, castré, langagier, comme autre Nom du désir, etc).

Or une telle "vision" du "désir féminin" est le concentré de tous les clichés psychanalytiques phallocratiques et phallo-centrés séculaires, admis comme une quasi-évidence par tous les amateurs de la rhétorique post-freudienne à ce sujet. Bien plus: cette manière d'entretien ou monologue du "masculin" avec son désir - ou avec le "désir féminin" envisagé depuis son seul désir posé comme définissant et délimitant lui-même la différence sexuelle -, est tellement saillante, obsessionnellement saillante même, que ça justifie, dans la construction même de cette fable, que l'épouse assassinée soit purement et simplement escamotée, rendue accessoire, rendue à une irréalité dont à peu près tout le monde se fout éperdument dans le film.
Ce qui est important, de toute évidence, ce n'est pas cette femme, réelle, personne de chair et de sang qu'on peut à tout prendre biffer de coups de couteaux rageurs, ce qui est important, c'est que l'homme prenne conscience de l'irréalité de la tromperie, se pardonne à lui-même, surmonte sa peur des femmes, et se voit offrir la chance de recommencer une "nouvelle vie", aimer à nouveau, délivré de l'obsession phallique.
Une bien belle fable "généreuse", donc, qui, sous l'apparence de pointer subversivement la puissance de l'amour derrière l'illusion phallocrate, le mythe de la virilité, consacre un phallo(go)centrisme absolument sans limite, où l'homme retrouve sa virilité plénière pour laquelle la femme n'est qu'un outil de confirmation rassurant: les femmes, oui bon, elles aiment le sexe, la bite, la pénétration, ouida, mais après tout, elles n'y accordent aucune importance: un vibromasseur peut faire l'affaire. Ce qui les meut, c'est l'amour, l'amour absolu, éternel, tel qu'en lui-même, au delà de la hiérarchisation du social, au delà de la cupidité des hommes, etc.

Le sexe, c'est l'obsession des Hommes. Il fallait, pour comprendre enfin cette bouleversante "Vérité", poignarder l'épouse, pure abstraction commandant le déroulé du récit, et retrouver dans son clone réapparaissant l'image rassurante d'une femme toute tendue, au delà du légitime plaisir (partagé) qu'elle tire de l'homme (pas lui, mais un autre, un médiocre arriviste, via un vibromasseur quelconque, en attendant que cet homme durement traumatisé se soigne et veuille bien accepter, finalement, l'offrande de son casse-croute offert en vain par dessus le pont), toute tendue, donc, vers sa fonction naturelle et éminente: la Mère généreuse, magnanime et égalisante, confectionneuse de casse-croutes, aimante et protectrice de tous les petits hommes du vaste océan, sans distinction de classes ni d'origines. Bref, sublime synthèse de la Maman et de la Putain comme on l'aime dans toutes les crèches et les westerns bien burnés, qui n'oublient pas la beauté des sentiments.
Je dis westerns, parce que j'ai lu quelque part sur la toile qu'avec ce film quasi testamentaire, Imamura retrouvait la beauté du classicisme et de l'humanisme fordiens... Ben oui, forcément. Ford, un grand féministe, lui aussi.



La piscine (Jacques Deray, 1968)



Tain c'est vraiment trop nul.

Une espèce de truc mou prestigieux, chabrolisant (on pense à une variante de la femme infidèle)), genre "qualité française deluxe".

Schneider a un très beau dorsal, faut en convenir, mais c'est quoi cette manie de lui tirer en un chignon effrayant le cuir chevelu, jusqu'à décollement de la rétine? ça lui fait une choucroute immonde sur une hydrocéphalite. Pis elle a les yeux filmés tellement luminescents qu'on dirait qu'elle va pointer un auriculaire crochu, comme dans la série Les Envahisseurs. Delon, je sais pas, il croit qu'il a encore vingt ans, faut absolument qu'il exhibe tout le temps son sternum déjà mou, sa taille insuffisamment échancrée, et ses seins déjà menacés de flasquose. Ronet est trop chiant en faux-vrai bon vivant exubérant, on a envie qu'il meure dès les cinq premières minutes. Quant à Birkin, elle convainc en lolita perverse à l'insu de son plein gré, portant la jupette rase-moquette avec une classe certaine, mais dieu qu'elle joue mal, en écarquillant ses pupilles bovines à tout propos, même sans propos.
On se fiche éperdument de ce huis-clos conjugal tropézien tout en fausse tension dont on a deviné avant même le générique les tenants et les aboutissants. A propos du générique, y a un gag marrant: on nous annonce à gros titres et à grands renforts de "dadidouwi dadouwawa" la musique signée Michel - badadiwawou - Legrand. Le prob, c'est qu'après, on l'entend plus du tout cette musique. Sauf à la conclusion ultime, puis au générique de fin: douwiwiiii, wouadadi-douhaa". 


The man from earth (Richard Schenkman, 2007)



Cent fois j'ai voulu arrêter, mais au moment de prendre la télécommande, quelque chose d'hypnotique me retenait.

C'est une pièce de théâtre dans un appart au milieu des bois. Y a un gars, prof d'on sait pas quoi dans une univ on sait pas où, qui décide de se faire la malle en douce après 10 ans de service. Ses collègues le rejoignent pendant qu'il fait ses paquets à sa maison de campagne: tu allais nous larguer sans dire au revoir, hein, mon cochon.
Le mec est embêté, comme contrarié.
Se forme une sorte de comité pour un colloque improvisé, chacun chacune ayant sa petite spécialité pour une causette en bonne et due forme. Plus une étudiante, amenée là sur la selle de moto d'un prof d'anthropologie à katogan et bluejean délavé..
Et là, le mec cloue tout le monde: il leur révèle qu'il est un homme de cro-magnon. Il a des milliers d'années mais ça se marque pas trop sur son visage. C'est pour ça que tous les 10 ans, il change de bled, pour pas trop attirer l'attention.
Les collègues sont un brin sceptiques. Ils le pressent de questions. Régulièrement, l'un ou l'autre s'agace: "dis donc, es-tu bien sûr que tu n'essaies pas de nous faire une blague?"
Mais il a réponse à tout, et super-chiadée. Chaque spécialiste est collé dans sa spécialité, et l'a mauvaise. Le prof à katogan se méfie trop, y pense que le gars a pété une durite et menace de psychopathologie sévère. Il appelle en loucedé un gros pote psychanalyste, qui se radine, pour une séance de divan improvisée. Mais l'homme de cro-magnon ne veut pas en démordre. D'autant que le big scoop est imminent: il a été plein de mecs, et notamment Jésus. Et là, il troue le cul de la pimbèche catho-intégriste. Il lui révèle qu'il a tiré son enseignement de Bouddha, un mec formidable qui a été son maître. Pis son message a été altéré par toute une série de fanatiques prêts à croire toutes les sornettes possibles et imaginables. La vieille peau manque de caner d'apoplexie. Le psy se fâche tout rouge, brandit un revolver.

Je peux pas tout vous raconter, y a plein de rebondissements comme dans un Agatha Christie. Mais je note une réplique savoureuse de l'étudiante (en anthropologie, à l'univ donc): "aviez-vous un dinosaure domestique?". "- Non, réplique le mec patient comme le Jésus qu'il est, ils vivaient à une autre période". Un film où on apprend plein de trucs. Je vous le recommande.


Y a un gus, quelque part sur la toile, qui semble trouver que c'est un bon film. ça ajoute au mystère.



Quand Pauline s'ennuyait à la plage (le spectateur dans tous ses états, part. III)







Grosse envie de me plonger dans les deux volumes de Chroniques de Pauline Kael.

(P. Kael est morte en 2001. Date peut-être fatidique pour elle, quand on se souvient qu'elle désigne un des films qui l'affligea le plus au monde.)

Pour le peu que je glane sur le net, en français, ça me chipote, les jugements de Kael. Impression que la logique qui les organise est davantage de l'ordre du pulsionnel. Je peine à saisir leur ligne de force ou de cohérence, même si j'affectionne assez cette manière de parler des films.

Elle pratique la mauvaise foi d'une part, l'emportement subjectif de l'autre, ce que je fais aussi, donc ça me gêne pas trop. Ce qui me gêne, bien entendu, c'est quand elle les applique à des films que j'aime.

Je tombe sur ses formules à l'égard d'Antonioni, et là, ça me chipote franchement.



Blow-up
:

« Antonioni charge son atmosphère d’un tel symbolisme obscur et d’un sentiment d’importance si pesant que les spectateurs se servent du film comme dépotoir du rebut intellectuel. On nous sert des phrases toutes faites du genre : "la froide mort du cœur", "un érotisme glaçant dans sa désolation", et "un monde tellement saturé de stimuli synthétiques que les vrais sentiments sont étouffés" et cetera, car Antonioni inspire ce type de jargon. »

J'ai rien vu de ce qu'elle y voit, c'est elle qui reconstruit, me semble-t-il, le film dans le sens de sa détestation. Elle ne nous parle pas du film, mais des phrases que ce dernier inspire chez un certain type de public. Là est sa mauvaise foi, car si on a le droit (parfois même le devoir) de s'agacer des postures et effets de mode suscitées par des œuvres, ça n'engage pas forcément les œuvres elles-mêmes, ça n'autorise pas à les réduire à leur seule réception. Kael semble assez coutumière de ce genre de tour de passe-passe critique. Souvent, elle aime ou pas en fonction de la production de discours et d'attitudes que suscite tel film dans un microcosme situé, et elle jette l'enfant avec l'eau du bain. Mutatis mutandis, c'est un peu procéder comme ces chroniqueurs légitimés qui vous expliquaient dans leur tribune, sans rire, que si Breivik le tueur norvégien affichait sur sa page facebook qu'il était fan de Kafka et d'Orwell, cela ne saurait étonner, car l’œuvre de Kafka ou d'Orwell est porteuse d'une vision paranoïaque, misanthrope et nihiliste de la société.

On dira alors, plus modérément, en termes de positionnement "esthétique", que Kael fustige un certain type de cinéma qui, selon ses critères, serait plus dans l'abstraction ou le formalisme. Mais si c'était le cas (je ne le crois pas vraiment, au vu de ses emportements ambivalents), ce serait plutôt elle qui s'enferme, et nous enfermerait, dans cette alternative binaire et fausse entre "froid" et "chaud", "vrai" et "faux", "abstrait" et "concret", etc. Ce n'est donc pas là que ça se passe. La "congruence" de la "vision du monde" que dessine Kael à travers ses goûts "faits de mille dégoûts", puisqu'il s'agit aussi d'aimer contre une "vision du monde" qu'on associe à des œuvres, n'en est pas moins problématique.

D'une main, elle voue aux gémonies the deer hunter de Cimino (merci Dr. Apfegluck pour la citation):
 "[...] La substance même du film – le contraste entre la communauté de Clairton et le chaos vietnamien – offre un message isolationniste classique : l’Asie devrait être laissée aux Asiatiques, et nous devrions rester chez nous, mais si nous sommes contraints d’aller là bas, nous leur montrerons de quoi nous sommes capables [...]"

De l'autre, elle porte aux nues extatiques le maniérisme opératique d'un Coppola ou d'un De Palma. Apocalypse now est-il fondamentalement moins puant politiquement et éthiquement que Voyage au bout de l'enfer? En outre, cette dénonciation de "l'isolationnisme" est tout aussi courte qu'ambiguë: cela n'invalide nullement le principe d'une guerre à visée expansionniste et/ou impérialiste, et ça n'effleure que du bout des lèvres le différentialisme racialiste ressassé en sourdine par la plupart des films "de guerre" de l'époque, sous la forme d'un "trauma" qui ne concerne jamais que le seul point de vue américain, et dont "l'antimilitarisme" n'est à tout prendre qu'une façade autorisant de se plonger avec délectation dans le vertige de l'apocalypse guerrière.

Le cinéma d'Antonioni lui apparaît comme l'archétype de la "pause post-analytique". Y promènent leur "désenchantement" des "personnages [qui] sont des intellectuels en carton-pâte, rejoignant la vision bourgeoise de la stérilité artistique" (ça s'applique autant à la dolce vita). Par contre, les mignardises post-analytiques du cinéma de De-Palma, avec son défilé lancinant d'Obsessions kitsch à la body double ou phantom of the paradise, elle trouve ça ultra-formidable...

Elle s'extasie devant le boursouflé, terriblement daté et vain (qualification qu'elle affectionne pour parler de... Kubrick, voir infra) blow out, mais soupire avec bcp d'agacement devant Fellini Roma.

Elle hait le "fascisme" de dirty Harry, tandis qu'elle se trouve fascinée par celui de straw dogs, à propos duquel elle rédige un article fort élogieux ("premier film américain qui soit une œuvre d'art fasciste"). 

Si on veut lire quelqu'un qui n'est pas franchement "fasciné" par Peckinpah, ce serait intéressant de se rapporter à l'analyse du straubien Louis Seguin (1929-2008) (dans Une critique dispersée, 10/18, 1976, faut fouiner dans les occasions): il ne fait pas dans la dentelle à propos de ce film. J'aime bcp Peckinpah, et aussi Straw dogs, mais quand je lis Seguin, j'en ai un peu honte. Il faut dire que lorsqu'on parcourt ce recueil - que je recommande car ça défrise -, on est enclin à mettre à la poubelle 90% de la production cinématographique...
Seguin applique à Straw dogs ce traitement même que Kael réserve au seul Deer hunter, mais va davantage vers le fond du problème:

"Son récit abandonne les alibis du passé pour l'âpreté du présent et les terres abstraites de la légende pour ces lieux d'exil où l'homme américain apporte sa volonté de paix mais se voit contraint, malgré sa répugnance, d'user contre un indigène sanguinaire de son génie, de son courage et de sa technique. [...]
Peckinpah reprend sans ironie la fable du petit tailleur en l'accommodant à la sauce trouble du fascisme. La publicité montre cet axe: "il devient un homme en en tuant sept autres". [...] Peckinpah clôt avec assez de conséquence un cycle des alibis moraux de la répression. Il montre avec le mérite minimum de sa naïveté leur mécanisme et leur destin. Mais l'autocritique de cette paranoïa sera réservée au splendide a clockwork orange de Stanley Kubrick".

Une lecture qui se justifie amplement, considérant que Peckinpah lui-même présentait ce film comme une pierre jetée dans le jardin des militants pacifistes de "gauche" (on est en pleine période de contestation de l'intervention américaine au Vietnam) qui se voilent la face sur la nature fondamentalement violente, animale et barbare de l'être humain.
Par ailleurs, les thèses du paléoanthropologue, dramaturge et scénariste Robert Ardrey (African genesis, The territorial imperative, ouvrages qui lient la naissance des "civilisations" à la naissance de "l'art de tuer") exercent à cette époque une forte influence non seulement sur Peckinpah, mais encore nombre de cinéastes et scénaristes œuvrant à Hollywwod, dont... A.C. Clarke & Kubrick qui s'inspirèrent notamment de sa killer ape theory pour la genèse de 2001...


C'est d'ailleurs curieux de constater à quel point les analyses de Seguin présentent une sorte de symétrie inversée avec celles de Kael. Il se tient dans l'ombre d'un travail de taupe creusant des trous dans les séductions de l'industrie des loisirs, elle se tient comme une diva redoutée dans la lumière coruscante des sunlights, distribuant les bons et les mauvais points à qui l'amuse, l'émeut ou la divertit ou au contraire la mortifie d'ennui et "insulte son intelligence".
Ce qu'elle aime, il l'exécute; ce qu'il apprécie, elle l'expédie.

Paul Schrader était son grand chou-chou. Mais l'idéologie douteuse innervant les scénari et films de ce dernier est-elle fondamentalement si différente de celle d'un Friedkin, qu'elle déteste? Cohérente dans ses amours ou désamours ou plus simplement pusillanime dans sa possessive maternance (dont même Coppola semble se plaindre)?

D'un autre côté, elle loue Altman, mais en quoi Altman serait-il plus proche de la "vie" qu'un Antonioni? Le dispositif de mise en scène d'un Altman n'est pas moins artificiel ou concerté que celui d'un Antonioni, même s'il produit une expérience qui semble être à l'opposé. Le critère décisif, ce serait quoi, alors? Que ce dernier serait typiquement "américain", et pas l'autre? Sauf quand il se prend pour Bergman (trois femmes)? On se perd en conjectures.

Elle porte aux nues Godard, surtout pour bande à part, qu'elle voit comme un manifeste existentialiste (si on veut) pour un "style de vie". Mais Godard n'est pas moins formaliste, distancié, froid, intellectualiste, qu'un Antonioni si on se met à jouer sur ce genre de poncifs binaires. Et bande à part n'est pas si séparé du reste de l’œuvre de Godard (Pierrot le fou, que Kael ne supporte pas), n'en déplaise à ceux qui s'échinent à repérer des "périodes" ou des schizes "magiques" chez un cinéaste, triant le bon grain de l'ivraie et créant ainsi une ligne de démarcation rassurante entre ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas chez ce dernier.

Elle réclame de l'humain, du concret, du corps, de la sensualité, de la violence (et justement un de ses dadas semble être de dichotomiser continellement la "tête" et les "jambes", comme dans l'émission de Pierre Bellemarre, jadis); elle vomit les tièdes, selon l'expression consacrée, mais elle supporte pas Cassavetes, trop "collant" ou "promiscuitant" à son goût.

La posture de l'authenticité prisée par un certain "naturalisme" à cœur ouvert l'indispose fortement (surtout quand ça vire au sentimentalisme "trop honnête" et narcissique pour être vraiment honnête: Eustache, sa maman et sa putain - et j'aurais tendance à lui donner raison); ce qui ne l'empêche pas de suspecter systématiquement de froideur chirurgicale ou vivisectionniste les cinéastes chez qui à l'inverse le feu couve intensément sous la glace, comme on aime à dire quand on cause de la musique de Ravel. Kubrick et Antonioni constituent à cet égard une sorte de paradoxe inquiétant, indécidable, l'incitant à sortir inlassablement la grosse artillerie pour les rabattre univoquement sur l'ennui distingué que génèrent les "dissertations", "thèses" et autres "pensums" de salon dépourvus d'affect, selon l'antienne.

Elle adore the warriors de Walter Hill, moi aussi, et perso, je ressens dans the warriors une tonalité affective et esthétique fort proche de ce qui me touche dans l'univers d'Antonioni. Je développe pas, ça nous entrainera trop loin. Juste dire que voilà un film à sa façon aussi ludique, abstrait et lunaire que le serait éventuellement "blow up". Avec même une dimension statuaire à la Marienbad ("A voir ces films, on pourrait se dire que la détresse morale est la dernière trouvaille des grands couturiers", écrit-elle au sujet du Resnais).



Elle vénère le dernier tango à Paris, qui lui a procuré une telle émotion qu'elle n'hésite pas à comparer sa vision au choc de la première du Sacre du printemps en 1913.

Grand bien lui fasse.

Le dernier tango, dont je n'ai jamais pu pousser la vision au delà de 50 minutes (principalement par ennui), concentre à mon sens tout ce qu'on peut faire en matière de « froide mort du cœur », « érotisme glaçant dans sa désolation », et « monde tellement saturé de stimuli synthétiques que les vrais sentiments sont étouffés ».
Quant au reste de la filmo de Bertolucci, y compris 1900, j'y vois pour ma part tellement d'artifices, didactismes lourdauds, vacuités languides et morbidités chic et choc, que je donnerais tout Bertolucci pour cinq minutes de l'émotion que me procure ce Barry Lyndon à propos duquel elle déclare:
« Kubrick refuse de nous divertir, même de nous émouvoir, ce qui fait de ce film l'un des plus vains qu'il m'ait été donné de voir. », ajoutant même: "Ceux qui partagent la morale de Kubrick, selon laquelle les humains sont dégoûtants mais les choses exquises, s’y retrouveront certainement".
Ah, l'éternel poncif - dont elle lança en partie la mode - et qui la rend proche, pour une fois, d'Antonioni: "Vous savez, dans 2001, les meilleures choses sont les machines, qui sont bien plus splendides que ces idiots d’humains". (On s'amusera - ou pas - en consultant ici et quelques jugements proférés par des cinéastes renommés sur l’œuvre de leurs estimés confrères).


[Nota bene sur Kubrick: on réduit encore si souvent les films de Kubrick à des procès d'abstraction, à des démiurgies froides et désincarnées, où tout est décidé, déterminé, plié à l'avance; entomologiques: on y regarderait les hommes se débattre comme dans une toile d'araignée, et blablabla. Rien de plus faux selon moi: ce sont justement parmi les films les plus ouverts, qui se signalent avant tout par leur incroyable richesse plastique, au sens de "ce qui peut changer de forme sans se détruire". Le goût de Kubrick pour les symétries, loin d'enclore l'espace, est perspectiviste comme les œuvres des grands maîtres de la renaissance, férus du nombre d'Or. Il ouvre au spectateur les cadres de la rêverie poétique, du vagabondage, il construit l'oeil amoureux des espaces qu'il recrée et habite. On a raison de rendre justice au Kubrick sensoriel, dont la plus grande abstraction rejoint la plus grande sensualité. Ligeti, son "frère" en musique, pourrait-on dire, y a pas plus sensoriel.
Pauline Kael est peut-être bien rigolote, c'est vrai, un peu, mais pour le coup elle manquait vraiment de sensualité (pareil à propos d'Antonioni. Alors, on rit, un peu, mais on a un peu honte d'être otage de ce rire là. Il y a un fond nauséabond, poujadiste, dans cette hargne contre le soi-disant "intellectualisme"). Kojève avait écrit un papier sur les toiles de son oncle Kandinsky. Il les qualifiait de "peintures concrètes". On peut mutatis mutandis appliquer ce terme à Kubrick. Shining, 2001, Barry Lyndon, EWS, sont des films que je peux voir et revoir sans jamais me lasser, toujours un plaisir immense. Le terme de "film-cerveau" a suscité beaucoup de malentendus, aussi. Car dans les ukases de la critique, on en est venu à confondre paresseusement "film cerveau" et "film cérébral", ce qui bien sûr n'est pas du tout la même chose. Il y a tellement de films prétendument consacrés au corps et aux corps qui sont cérébraux, cousus des lèvres et d'la bite que c'en est étouffant. Pas un seul angle où se réfugier pour avoir juste le droit de regarder sans être emmerdé le motif d'un tapis, un lampadaire projeter sa lumière indirecte sur un lambris, une fanfare de mirlitons dans un pâturage anglais, les vitrines d'une rue commerçante illuminées par les lampions de Noël, etc. Alors non seulement on a du plaisir à regarder, dans les films de Kubrick, mais en plus, on a le droit de construire, à son rythme, sa lecture, sa compréhension, ses jeux de renvois et ses références, car ce ne sont pas les échos et les mises en abyme qui manquent. C'est quand même sympa, pour nous, spectateurs, je trouve.]


Chacun verra donc midi ou minuit à sa porte.
Fin de l'article de Seguin sur Le dernier tango:
 [...] L'écrivain de Madame Edwarda n'est pas le moraliste de cette perdition dont le dernier tango offre un aussi complaisant spectacle. Il n'affirme que l'irrégularité du langage érotique, sa progression au détour de sa propre loi [...]. Ainsi sa figure préférée est-elle l'ellipse et son récit la seule forme achevée, systématique, du vouloir dire.
Faute de le reconnaître, Bertolucci ne sait offrir qu'un catalogue. Loin de tout délire c'est au boniment, à la forfanterie du de plus en plus fort qu'il nous convoque. Le dernier tango est le film d'un camelot économe et désuet qui partage avec d'autres cinéastes de sa génération les velléités d'un dandysme timide, l'obsession du nouveau riche, le désir inconséquent d'exhiber sans l'offrir le détail de son acquis. Sa bravade décorative lui fait rechercher l'échantillon, le signe voyant et le banal, bref: l'esthétique du on, le décor où l'on tourne, le costume que l'on porte et l'hôtel où l'on couche. Ses fantasmes, malgré les jurons et les "mets-moi deux doigts dans le cul", s'en remettent, et c'est ce qui fait leur succès, au seul pouvoir de la lésine. Le dernier tango mime la passion virile de l'accumulation. Et puisque ce cinéma parcimonieux de voyageur de commerce louche vers Bataille, laissons à Bataille le dernier mot:
"En tant que classe possédant la richesse, ayant reçu de la richesse l'obligation de la dépense fonctionnelle, la bourgeoisie moderne se caractérise par le refus de principe qu'elle oppose à cette obligation".

Alors, manifestement, ce qui lui tient à cœur, comme je le mentionnais plus haut, c'est d'adresser des piques à une catégorie socio-économiquement déterminée de critiques-spectacteurs "bourgeois", catégorie qu'elle reconstruit, objective et fantasme essentiellement depuis sa position paradoxale (car peu interrogée par elle-même) de "critique influente" et "prescriptrice d'opinion" dans le chic et intello the New Yorker.

Toujours à propos de blow up:

« Les gens me semblent terriblement prêts à abandonner logique, perspective et humour pour subir la dernière pénitence à la mode ; à peine installés dans leur appartement de l’Upper East Side, les critiques new-yorkais écrivent comme s’ils s’apprêtaient à partir en retraite monacale le lendemain matin. »


Mais parlez pour vous, madame. Je n'ai pas d'appartement dans l'Upper East side et me contrefous des dernières pénitences à la mode. Pourquoi devrais-je me ranger dans la catégorie des intellectualistes snobs qui se couchent systématiquement devant des impostures arty? Je n'ai jamais été "à la mode", n'ai jamais mis les pieds dans une cave "underground" ni rêvé de briser la guitare de Jeff Beck pour faire mon intéressant. Si le "swinging London" des sixties m'interpelle autant qu'une motte de beurre, il faut donc que j'aie retiré autre chose de la vision de blow up.



En somme, Kael n'envisage pas une seconde que ce qui ne l'affecte pas puisse éventuellement témoigner de son incapacité d'être affectée, elle: si d'aventure d'autres étaient affectés par ce qui échoue à l'affecter, c'est forcément parce qu'ils sont abusés et faux-cul. Vous ne sauriez être affecté par ce qui ne m'affecte pas, donc, vous avez l'illusion d'être affecté, par conformisme, par peur de passer pour un imbécile. C'est ce genre d'intimidation que pratiquait aussi un Jean-Louis Bory.

La formule, devenue quasiment un ukase publicitaire, caractérisant l'intransigeance de Kael, c'est "la critique qui regarde avant de révérer"... Mais ça donne pas mal de grain à moudre à la posture "beauf", entendons par là un "anti-intellectualisme" revendiqué et burné, autorisant à déprécier à bon compte, et sous couvert de ne "pas s'en laisser conter", les films qui manquent de "fun" au sens qu'exaltera la cinéphilie d'un Tarantino (lequel considère Kael, il le répète souvent, comme sa "seule école de cinéma").


A propos de Zabriskie Point:

« On est embarrassé pour Antonioni non parce qu’il insulte l’Amérique – tout le monde le fait, on y est habitués –, mais parce qu’il insulte notre intelligence. »


Mais qui décide, à la place du spectateur, de son intelligence?
Et c'est un peu fatigant, cette façon de glisser du je" du plaisir (ou du déplaisir) perceptif à un "nous" englobant, qui plus est national...


mercredi 22 août 2012

Hadewijch (Bruno Dumont, 2009)



Je dois dire que j’ai trouvé ça très mauvais, poseur, clichetonnant, pénétré de fausse profondeur, de fausse altitude, de fausses évidences, de représentations toutes faites, de schémas imposés, pavloviens, de valeurs morales réactionnaires, de dogmes, d’idéologie omniprésente, de démonstrations, de pure abstraction déguisée en pure sensation. En un mot : fumeux. Fumisterie et mystification.
Sans parler d’une forme de racisme « spontané », dira-t-on, assez brut de décoffrage. L’Arabe, il ne sait pas trop ce qui lui a pris: une pulsion, un instinct, il lui fallait absolument chouraver une mobylette. Chassez le naturel, il revient au galop. La pauvre fille milliardaire, elle, elle a d’autres problèmes viscéraux: elle veut s’unir à Jésus, ce qui l’empêche certes de s’unir charnellement à l’Arabe voleur de mobylettes. Mais quelque part, cette disjonction va permettre un détour intéressant, par le grand frère, un théologien. Un bref dévoiement de l’appel christique dans les impasses de la religion musulmane, laquelle va rapidement se révéler, comme de juste, poseuse de bombinettes et pourvoyeuse de mort.
Quel naturaliste, quel vériste, ce Dumont. Quelle finesse, quelle justesse dans la monstration du réel dans toute son évidente crudité. Et quelle expérience mystique, nom d’une pipe: à la fin, la fille est sauvée de la noyade. Par la main tendue de l’ex-taulard au corps décharné, le mec du terroir, le Nord célinien, sorte de martyr aux grands n’oeils tristes pleins d’innocence. Rencontre de Jésus réincarné parmi les humbles de la terre. Le vrai message du christianisme primitif, quoi. Quelque chose à quoi on ne s’attendait pas du tout, mais alors pas du tout. Ce n’est pas du tout un schéma convenu, une imagerie d’Epinal. Ah non ! Ne confondons pas tout: le cliché est transcendé par la beauté formelle, austériforme, qui atteint à la justesse vraie dans l’artifice. Comme quand on filme un âne qui est plus qu’un âne, presque un Roi mage quelque part, tout en restant un âne en tant qu’âne et essence de l’âne. Et c’est ça qui est beau. Et ça va nous chercher directement aux tréfonds enfouis de notre âme comprimée dans le corset des poncifs. Au delà des poncifs. Moi, j’appelle ça la grâce. Il n’y a plus qu’à se taire, et ressentir la beauté des choses, c’est tout.
Une évidence, par contre, qu’on pressentait, le côté Bernanos du bonhomme, c’est que Dumont est très à droite. Il emprunte tout son arsenal de mystique de grand bazar aux ukases de la droite spiritualiste. Avec tout son folklore du « Nord », les taiseux, les purs, les idiots, les bonnes sœurs, etc., qui sont en contact direct, non corrompu, avec la terre nourricière, branchés au suc même des éléments. Pure puissance de l’invisible. Voir l’invisible, voir avec le cœur, l’âme redevenue innocente, l’œil intérieur de l’aveugle qui voit mieux, miracle des mains nues, etc. Encore un (tout petit) effort, et il sera complètement barrésien ou maurrassien.
Dans le bonus, cet ex-philosophe catholico-bressonien, saint-innocent roué – se foutant gentiment de notre figure (si ça se trouve) – fait le procès de la philosophie (enfin la philosophie dite « rationnelle », dont Derrida nous montrera peut-être qu’elle n’est pas l’opposé de la folie, mais elle-même un affolement), et nous explique à quel point la mystique va plus loin, plus vite, plus fort, au delà des mots: c’est du senti et du ressenti, au delà de tout bazar. Oui, on s’en doutait un peu. C’était assez voyant, même si c’était purement invisible ou purement quelque chose de… pur.
C’est qu’il cause bien, le Dumont. J’en étais comme deux ronds de flan. Encore un peu, je filais fissa m’acheter l’intégrale de Nicolas de Cues dans l’édition reliée pur cuir de vachette des bocages normands. Toutes les deux minutes, il nous sort sa formule impressionnante, une sorte de toc : « et puis l’actrice est montée en grâce », « la caméra est montée en grâce », « le paysage est monté en grâce », « je suis monté en grâce ». Mais monte où tu veux et sur ce que tu veux, mon gars… « Monte là-dessus », comme disait Harold. Prends l’ascenseur céleste, tu monteras plus vite encore. Opposition rabâchée entre le concept (abstrait) et les sens (concrets), en amont l’archaïque dichotomie entre « la raison » et « l’instinct ». N’en déplaise à ce gauchiste de Deleuze qui ne distingue pas les deux, les concepts et la vie, le sens et les sens, la sensation et sa logique, le point de vue et la construction de sa perspective, et aimait le cinéma, certainement en se trompant d’objet.

C’est la position thésique de la Droite, de la vieille Droite, de la Droite éternelle: camper fermement sur l’idée de la non-idée, du non-logos. Soit la perpétuelle dénégation, par la pensée, le discours, de la possibilité même de la pensée et du discours. Il s’agit toujours d’invoquer ce qui serait au delà de la logique, du logos. Parler pour dire qu’on ne peut pas parler : c’est la tension la plus originaire, le dilemme parménidien, d’où est née la philosophie, n’importe où, il y a quelques milliers d’années. Je dis la « philosophie », je pourrais tout aussi bien dire la peinture, la sculpture, n’importe quoi : une trace. La première main imprimée dans la glaise, etc. Si la vie était sans mots, sans pensée, pure immanence, on ne se servirait pas des mots pour la dire, l’affirmer. Or on la dit, on la pense, fût-ce pour affirmer que c’est indicible, impensable, indiscutable (qui sont des mots, rien que des mots).
La mystique elle-même, que les mystiques opposent au logos de la philosophie (ou de n’importe quelle forme de discours, articulation), est l’opération d’un travail, d’une transformation – de « soi » (si on est « individualiste » ou plutôt « solipsiste » – il faudrait parvenir à distinguer « individualisme » et « solipsisme ») ou du « monde » (si on est un peu « partageur », acquis à l’idée qu’on n’est pas seul au monde). Elle n’est donc pas donnée à l’état « naturel », « brut ». Nulle part, en aucun lieu, fût-il pure intériorité. Un mensonge tenace. Le plus vieux cinoche qu’on se fait à soi-même, à guichets fermés, avant l’apparition des toiles.
Célébrer ad libitum, comme le fait Dumont, le vécu, la vie, les sens, l’action, purs, contre le langage, la réflexivité, le sens, la pensée, c’est donc un jeu de et dans le langage. C’est une construction de langage, de pensée. Le plus vieux stéréotype du monde, le plus bateau, et certainement le plus consensuellement rabâché. L’éternel appel aux sens, au réel, qui clôt toute émission de langage (corruptrice, malsaine, impurifiante).

On me pardonnera de conclure ce billet par un détour aussi bref qu’expéditif par l’histoire philosophique des concepts.
Parménide, découvrant la différence entre les choses, ou étants, et le fait de les nommer comme tels, de penser leur essence (Être ou Un), ne concluait-il pas déjà que si, par le logos, on ne pouvait ni dire ni penser autre chose que l’Essence identique à soi dans sa pureté inaltérée, tautologique, alors il fallait se taire, refuser la voie du logos, qui est un non-être, un discours tenu contre l’Être ou la Substance? Discourir sur l’Être ou l’Un, c’est donc sortir hors de l’Être ou l’Un, de la Vérité, c’est se contredire, sombrer dans l’erreur. Mais cela, il lui fallait le dire, le penser. Il lui fallait, pour refuser la contradiction, originairement se contredire. « Il ne faut pas parler (de l’Être/Un) » ne peut dès lors qu’être une affirmation fausse, contradictoire : si elle était vraie, non seulement on n’aurait pas besoin de la dire, mais encore on ne pourrait pas la dire.
Ainsi l’acte de naissance même du discours de la métaphysique, son « premier moteur », furent sa contradiction première, tensionnelle, qu’elle n’a eu de cesse depuis de résoudre, annuler, recouvrir, oublier. Le grand projet de toutes les métaphysiques étant précisément, dirait Derrida, d’en sortir, de la métaphysique, d’en finir – en tant que discours – avec tous les discours.
Cette contradiction et ce paradoxe sont pourtant insolubles, insurmontables. Ils engagent ce que Derrida nommait la clôture de la métaphysique, sa « finitude » : à l’origine, il n’y a que la différence, le retard, la trace, et c’est cela qu’on nomme « logos », ou « écriture », archi-écriture – qui ne seraient pas simplement ou uniquement  l’opération d’écrire, avec des signes, mais l’expérience même de la dispersion originaire de toute présence (« immédiate »). Ce qu’on appelle aussi le temps, qui est aussi le nom de l’espace : espacement.

Aussi ce retard ou cette différence originaires sont-ils la condition de possibilité même de ce qu’on nomme la Droite, pour en revenir au problème de ce film : la Droite comme métaphysique et comme politique. A quoi reconnaît-on une métaphysique-politique de droite ? Précisément à ceci qu’elle ne cesse de réitérer la contradiction « parménidienne ». A ceci qu’elle entend imposer, de force, par la force, celle de « l’évidence » bien sûr, mais pas que, l’idée de la non-idée, l’idée que l’Être est là, magiquement, tout seul, vécu, pur, immédiat, tautologique, sans aucun logos pour le dire.
C’est le destin de la métaphysique, dirait encore Heidegger, que de se constituer, dans l’oubli de l’onto-logie, oubli de la différence entre l’étant (ce qui est) et la question, que pose le logos, de l’Être (qui n’est rien d’étant), comme onto-théologie de la Substance, soit ce retour à un fond pur, hors de ou en deçà du logos, Nature ou Esprit.
La nature, toute seule, perçue par absolument personne, ou du point de vue sans point de vue, celui de Dieu, régie par ses seules lois (sélection, adaptation, prédation, etc), ou maman Gaïa, que sais-je, est peut-être « de droite », vilaine, sans cœur, et tout ça. Mais c’est l’homme qui le dit, ça, quand il essaye de penser la nature, quand il bâtit le concept de « nature », quand il ne cesse d’adosser la pensée à l’impensé qui fait penser.