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mardi 24 juillet 2012

Aidons, un peu, les jeunes auteurs.


Long et harassant est le sentier qui mène à la gloire, et combien casse-burnes les chemins hérissés d'ornières de l'édition, jalousement barrés par de vieux croutons pleins d'amertume. Aussi l'auto-édition offre une solution ultra-rapide et conviviale pour qu'enfin émerge, dans toute sa virginale splendeur, l'auteur trop original, trop audacieux et trop en avance sur son temps pour ne pas susciter le blackout mesquin des cerbères décatis de cette chose molle et vaselineuse que Franz Olivier Giesbert ou Guillaume Durand appellent "littérature", en se grattant la zone sub-fessière d'un auriculaire distrait.
Vous me connaissez, je suis du genre généreux et oblatif: je n'hésite jamais à mouiller ma chemise pour mettre en avant les talents émergents, les nouveaux Anne Rice, les nouveaux Dan Simmons, les nouveaux Ron Hubbard, Rosny Ainé, Jimmy Guieu ou Olaf Stapledon qui forgent, dans la plus ingrate solitude et dévorés d'angoisse, des mondes inouïs, impensés et hallucinants, aux frontières du génie et de la folie. Puisse leur granit montrer à jamais sa borne aux vilains corbaques dans mon genre, qui s'apprêtent à le profaner. Avec toutes mes confuses, cela va sans dire.

C'est ainsi que par le hasard le plus redoutable, mes zamès, je tombai sur la première page, offerte - miracle des mains nues - au cyberquidam désœuvré, d'un roman terrifiant que je poursuis parfois en songe. Songe d'une vie, mort d'un songe qui me hantent for ever, and ever.





Il me faut citer, donc, toutes affaires cessantes et toutes cessations affairées, cette première page de CATALEPSYAN, la fascinante histoire de Esthane Rathon, qui découvre que son père a été tué par un être buveur de sang. Esthane Rathon, devenu Guillian, basculera-t-il du côté sombre de la force ou du côté force de la sombre, à la veille de ses 200 ans? Oô vous ne le saurez pas tout de suite, il vous faudra commander CATALEPSYAN et parcourir au moins la seconde page dont voici toujours-déjà la précédente:


" Chers téléspectateurs, chers auditeurs, en ce 16 mars, près d’un an après que les disparitions et les meurtres en série aient commencé, nous pouvons dresser un premier bilan de 1,6 milliards de morts dans le monde entier!!! Alors que les enquêteurs poursuivent leurs recherches sans aucun résultat, un homme mystérieux, répondant au nom d’Esthane Rathon, m’a remis une lettre aujourd’hui en me disant qu’elle dévoilerait au monde les réponses qu’il se pose en ce moment: qui est le protagoniste de ces massacres qui durent depuis un an? Et quand est-ce que ces meurtres et ces disparitions vont s’arrêter?
Je vais maintenant commencer la lecture de cette lettre:

Lettre à l’humanité
«En ces temps où certains prédisent l’Apocalypse, la fin du monde, sans connaître l’origine du mystérieux fléau qui touche l’espèce humaine et la menace d’extinction, moi, Esthane Rathon (c’est ainsi que je m’appelais avant), je prends la plume pour dévoiler au monde que je suis à l’origine de l’ambiance macabre dans laquelle vous vivez depuis un an.
Mais aujourd’hui, alors que mes troupes et moi continuons à massacrer des milliers de personnes tous les jours, je pense pouvoir avoir assez de forces et de courage pour mettre fin à ce chaos en me donnant la mort, ainsi qu’à tous ceux de mon groupe à qui j’avais ordonné de me suivre dans ce mouvement diabolique qui prédisait la disparition de l’espèce humaine et le règne des forces des Ténèbres sur cette planète. Demain, j’aurai 200 ans. Demain, l’humanité tout entière connaîtra, en effet, l’origine de tous les malheurs qui se sont abattus sur elle dernièrement. En effet, en ce jour de mon anniversaire, j’emporterai dans une mort affreuse tous les coupables de ces meurtres, et je me suiciderai également!
Je ne vous demande pas de me pardonner, mais de me comprendre. C’est donc afin de mieux me justifier aux yeux des proches des victimes de ces meurtres en série prémédités, et de ceux de mes subordonnés, que je joins à cette lettre un carnet contenant le journal de ma vie, dans lequel je réponds à des questions que les hommes se posent:
Tout d’abord, est-ce que la vie existe après la mort? Et si oui, quelles formes peut-elle prendre?
Et ensuite, je répondrai aux questions que vous vous posez tous depuis un an: qui est donc à l’origine des massacres auxquels on assiste impuissamment depuis un an? Et qu’est-ce qui l’a poussé à les organiser?

Adieu...

Guillian, E. R. Le 16 mars 1984. "


Il faut lire, et relire, cette première page de Catalepsyan, car elle est littéralement ensorcelante, envoûtante, catalepsique.
Une leçon d'écriture pour tous ceux qui caressent le rêve, au crépuscule des chimères d'une vie mortelle, de prendre la plume pour le grand Œuvre romanesque.

 " Chers téléspectateurs, chers auditeurs, en ce 16 mars, près d’un an après que les disparitions et les meurtres en série aient commencé, nous pouvons dresser un premier bilan de 1,6 milliards de morts dans le monde entier!!! "

Bonne technique. On introduit subtilement, via le propos d'un personnage secondaire, formidablement campé, les infos précieuses (et précises, 1,6, c'est pas 1,4 ou 1,7, etc) sur tout ce qu'on doit savoir. Ainsi, on est déjà dans l'action, et on ennuie pas son monde. Une façon de mettre de la vie dans le récit, d'emblée, contre l'ennui, tout en frappant l'imagination, c'est de conclure non pas par un, non pas par deux, mais par trois points d'exclamation, qui soulignent fort opportunément le caractère proprement inouï, fracassant, de ladite information (en dépit - ou à cause - du ton enjoué, convivial, du présentateur).

" Alors que les enquêteurs poursuivent leurs recherches sans aucun résultat, "

Précision importante, aux fins d'éviter toute méprise, et que l'imagination du lecteur ne se mette pas à vagabonder en échafaudant moult hypothèses fantaisistes: y a des enquêteurs, c'est du sérieux. Mais ils poursuivent leurs recherches sans aucun résultat. Le journalisme, la science, sont tenus en échec. Donc, grosse inquiétude, dès l'incipit.

" un homme mystérieux, répondant au nom d’Esthane Rathon, m’a remis une lettre aujourd’hui en me disant qu’elle dévoilerait au monde les réponses qu’il se pose en ce moment: qui est le protagoniste de ces massacres qui durent depuis un an? Et quand est-ce que ces meurtres et ces disparitions vont s’arrêter? "

Un homme mystérieux, c'est mystérieux. Dévoiler les réponses que le monde se pose en ce moment, c'est mystérieux aussi: ça défie la logique. Comme le fait que cette lettre mystérieuse dévoile une réponse déjà éventée avant même d'être questionnée. Comme le fait qu'à ces massacres, il y a "un protagoniste". Strange, tout ça. Spéciâl.
Il faut créer un climat de mystère envoûtant, accentué par la mention d'un nom encore plus mystérieux, bien trouvé, répondant au nom en même temps qu'à la réponse. Esthane, c'est bizarre, pas courant, pô banal. Et Rathon, ça sort, comment dire, de l'ordinaire, du tout venant aussi. Tout le mystère est dans le "H". Le "H", ça fait gotHique-genre. Par exemple: Estan, ça fait penser à cabestan, c'est ballot. Raton, c'est moche aussi, c'est pas crédible, un peu ridicule. Estane Raton, ça fait croisement à la dr mengele entre un âne et un raton. Mais EstHane RatHon, ça vous a tout de suite une de ces gueules...

"Je vais maintenant commencer la lecture de cette lettre:  "

Oui, car trop d'infos tue l'info, entrons, nous n'avons que trop tardé, dans le vif du sujet de cette lettre mystérieuse, en prime time, lue par un membre (en 1984) de la dynastie Pujadas (on pense donc forcément à Anthony Perkins, donc à Psychose, et on a les foies rien qu'à visualiser la scène).

 " Lettre à l’humanité "

Chacun est appelé à s'identifier à ce qui se passe. Personne n'est oublié. Petits détails, mais qui comptent.

" En ces temps où certains prédisent l’Apocalypse, la fin du monde, sans connaître l’origine du mystérieux fléau qui touche l’espèce humaine et la menace d’extinction "

Ce sont des temps troublés, des temps obscurantistes, livrés aux boniments de mauvaises langues, qu'on ne nommera pas, par pudeur ou magnanimité. On ne va pas s'abaisser à leurs méthodes délatrices, on préfèrera donc "certains", plus allusif mais aussi plus perfide. Car "certains" sont un peu benêts: ils prédisent un fléau déjà réel et attesté, hélas.
"Certains", aussi, parmi les lecteurs (potentiels), souffrent potentiellement de problèmes d'intellection ou de comprenoire, comme dirait Lacan. Donc il vaut mieux préciser deux fois (au minimum) chaque info: une apocalypse, c'est une fin du monde; et quand un fléau touche l'espèce humaine, ça suggère possiblement qu'il la menace d'extinction.

" moi, Esthane Rathon (c’est ainsi que je m’appelais avant), "

Avant, d'accord, mais avant quoi? Ah ça, lecteur, vous le saurez en poursuivant le récit palpitant qui vous expliquera pourquoi Rathon en a eu ras la couenne de porter le nom d'une infâme bestiole gothique des plinthes. Et peut-être aussi pourquoi il se présente encore, après, sous son appellation d'avant qui, mystérieusement, lui colle encore aux nougats.

 " je prends la plume "

Rathon ou pas, quand on est goth, la plume, qu'on trempe dans l'encrier, est un accessoire important. Un stylo à billes Parker, ça fait parvenu, et Bic, c'est pour les ploucs. Le clavier d'ordi, c'est anachronique; le minitel, ça cadrerait pas avec les candélabres et les factures d'électricité qui s'amoncellent dans la boîte aux lettres en vieux chêne moisi qui grince.

" pour dévoiler au monde que je suis à l’origine de l’ambiance macabre dans laquelle vous vivez depuis un an. "

1,6 milliard (sans "s") de morts, c'est vrai que c'est pas à tous les coups la fête du slip, donc y a comme une ambiance un peu plombée: macabre, osons le dire. Et depuis un an: ter repetitas en 15 lignes. La répétition entêtante d'une même info, ça donne un côté "messe macabre".

" Mais aujourd’hui, alors que mes troupes et moi continuons à massacrer des milliers de personnes tous les jours "

Ambiance de merde, oui!

" je pense pouvoir avoir assez de forces et de courage pour mettre fin à ce chaos en me donnant la mort, ainsi qu’à tous ceux de mon groupe à qui j’avais ordonné de me suivre dans ce mouvement diabolique qui prédisait la disparition de l’espèce humaine et le règne des forces des Ténèbres sur cette planète. "

On dira ce qu'on veut, penser c'est bien, penser pouvoir, c'est mieux, mais penser pouvoir avoir, c'est un luxe que tout le monde ne peut pas se payer. Penser pouvoir avoir les forces et le courage de se donner la mort en même temps que celle de son propre diabolique mouvement, ça implique un self-contrôle, une qualité de caractère en acier trempé et des cojones de taureau. Faut pas avoir la tremblotte.
Question vertigineuse en ombre chinoise: quid de la prédiction, par ce mouvement diabolique, de la disparition de l’espèce humaine et du règne des forces des Ténèbres sur d'autres planètes?

" Demain, j’aurai 200 ans. Demain, l’humanité tout entière connaîtra, en effet, l’origine de tous les malheurs qui se sont abattus sur elle dernièrement. "

Bonne initiative: faire d'une pierre trois coups: célébrer son annif, se flinguer, et lever un obstacle épistémologique majeur voilant à l'humanité l'origine obscure de tous ses malheurs. On va enfin savoir pourquoi on meurt dans une ambiance aussi macabre, dernièrement.

 " En effet, en ce jour de mon anniversaire, j’emporterai dans une mort affreuse tous les coupables de ces meurtres, et je me suiciderai également! "

En effet, y vient de le dire, ça. Mais une fois encore, ne négligeons pas cette part infime du lectorat potentiellement handicapée sur le plan sensori-moteur, ou souffrant de dégénérescence neuronale.

" Je ne vous demande pas de me pardonner, mais de me comprendre. "

Ouida, mais laissez un peu les gens décider comme des personnes adultes, de temps en temps: s'ils ont envie de pardonner, laissez les pardonner. T'façon, les grands criminels de guerre, ils sont rarement bien compris et appréciés à leur juste valeur. Encore une saloperie d'obstacle épistémologique.

" C’est donc afin de mieux me justifier aux yeux des proches des victimes de ces meurtres en série prémédités, et de ceux de mes subordonnés, que je joins à cette lettre un carnet contenant le journal de ma vie, dans lequel je réponds à des questions que les hommes se posent: "

Ce besoin compulsif de se justifier, de tout expliquer, tout le temps, je peux comprendre. Par empathie. Pour se faire comprendre mieux. Mais expliquer, on ne le sait que trop, c'est souvent creuser l'abîme entre le savant et l'ignare, le proche et la victime. Donc, méthode pas forcément top.
Maintenant, un carnet, pour expliquer tout ça, c'est un peu chiche, aussi. Bon, on me dira, y a les carnets de la drôle de guerre, où Sartre a pris le soin de tout bien nous expliquer, mais ça n'a pas empêché Onfray de venir lui cracher sur la gueule 73 ans après.
Mais bon, quand on s'appelle Rathon, qu'on a eu une vie très chargée, trépidante, pleine de rebondissements en tous genres, et qu'on est responsable de 1,6 milliard de morts (synonyme: "meurtres en série". "Prémédités": contraire de "improvisés"), on a quand-même à cœur de livrer ses mémoires dans autre chose qu'un pense-bête pour business-man pressé.

 " Tout d’abord, est-ce que la vie existe après la mort? Et si oui, quelles formes peut-elle prendre? "

Et si non? Imaginez le mec: moi, Rathon, épistémologiquement athée, je vous livre cette information importante: y a pas de vie après la mort. Déjà, ne cherchez pas d'explications de ce côté là, vous iriez au devant d'une grande déconvenue.

" Et ensuite, je répondrai aux questions que vous vous posez tous depuis un an: qui est donc à l’origine des massacres auxquels on assiste impuissamment depuis un an? Et qu’est-ce qui l’a poussé à les organiser? "

 Oui, certes, mais il vient de dire que c'était lui et son propre groupe diabolique qui étaient responsables. Cela suggérerait-il, éventuellement, que d'autres responsabilités, en amont, seraient impliquées? Manière subtile d'annoncer qu'on nous cache encore certaines choses, malgré une dilection un poil obsessionnelle pour la clarté épistémologique.
On relèvera l'adjectif rare, emprunt d'une éloquence un peu désuète, qui situe bien l'origine possiblement nobiliaire de Rathon: on se pose impuissamment une question, et depuis un an (quater repetitas), concernant l'origine de massacres auxquels on assiste impuissamment, depuis un an également (quinter repetitas).

" Adieu...

Guillian, E. R. Le 16 mars 1984. "

Espérons qu'il ne s'inflige pas la mort avant de tout nous dévoiler, sinon nous assisterions impuissamment à la conclusion trop hâtive de la narration qui s'annonce...


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