4 août 2008. Intervention sur le blog d'André Gunthert, Actualités de la Recherche en histoire visuelle)
Ainsi s'exprime Laurent Joffrin:
« Pour notre part, nous apportons tout notre soutien à Philippe Val et à l’ensemble de l’équipe de Charlie Hebdo qui, numéro après numéro, s’efforcent d’œuvrer à la critique des idéologies de la haine raciale et de leur manifestation. Nous espérons instamment que, dans les jours qui viennent, le lamentable spectacle consistant à prendre pour cible des personnes rigoureuses en matière de racisme et d’antisémitisme cessera. »
Personnes rigoureuses en matière d’antisémitisme et de racisme ? Œuvrant à la critique des idéologies de la haine raciale et de leur manifestation ?
Il ne nous a guère semblé que monsieur Philippe Val témoignait de rigueur, d’équanimité ou d’esprit d’analyse dans ces domaines. Nous allons préciser pourquoi. Quant à sa prétendue vigilance républicaine assortie de courage iconoclaste, le temps passant, elle tend largement à se confondre, voire se dissoudre, avec l’exercice mondain de la flagornerie consistant à quêter et obtenir la légitimité symbolique, sur le plan des compétences et de la rigueur, d’intellectuels médiatiques auto-intronisés, entendons surtout par là des dilettantes de la pensée, dont le seul « terrain » véritable est essentiellement celui de l’auto-promotion par hyper-visibilité et omni-radotage.
Toujours les mêmes depuis plus 30 ans – how long how long chantait Neil Young -, à squatter les hauts-parleurs bourdonnants et frétillants du faire entendre et du faire dire, toujours du côté du manche des pouvoirs et des légitimations unilatérales : un constant appel du pied aux restaurations de tous poils, pas tellement « nouveaux réactionnaires », allez, mais réactionnaires très anciens, de toujours, dont la soft-pensée vitupérante se pare, par la grâce de cette Novlangue entretenue de confusionnisme et des amalgames les plus tristement burlesques, des attributs qui lui sont très exactement contraires : un soi-disant progressisme démocratique.
Souvenons-nous de Deleuze, qui écrivait, en 1977 :
« Les rapports de force ont tout à fait changé, entre journalistes et intellectuels. Tout a commencé avec la télé, et les numéros de dressage que les interviewers ont fait subir aux intellectuels consentants. Le journal n'a plus besoin du livre. je ne dis pas que ce retournement, cette domestication de l'intellectuel, cette journalisation, soit une catastrophe. C'est comme ça : au moment même où l'écriture et la pensée tendaient à abandonner la fonction-auteur, au moment où les créations ne passaient plus par la fonction-auteur, celle-ci se trouvait reprise par la radio et la télé, et par le journalisme. Les journalistes devenaient les nouveaux auteurs, et les écrivains qui souhaitaient encore être des auteurs devaient passer par les journalistes, ou devenir leurs propres journalistes. Une fonction tombée dans un certain discrédit. retrouvait une modernité et un nouveau conformisme, en changeant de lieu et d'objet. C'est cela qui a rendu possible les entreprises de marketing intellectuel. ».(Deleuze, "les nouveaux philosophes", 1977)
30 ans plus tard, rien n’a changé, évidemment. Toujours les mêmes cuistres, les restaurateurs de toujours, lesquels se sont fait de la martyrologie un juteux et endurant fond de commerce, vivant, et nous intimidant par là, de cadavres et de charniers, comme l’écrivait encore Deleuze.
Dans ce contexte désolant de confiscation de la rigueur par des écornifleurs d’opérette qu’aucun intellectuel rigoureux n’a jamais pris au sérieux, la figure médiatique de Philippe Val, son destin spirituel, son œuvre, ses courageuses prises de position en moult domaines, prend tout son sel.
Ce fin lettré, ce redoutable iconoclaste, ce Danube de la tolérance voltairienne, ce chantre de la politesse et des vertus du débat public entre médiacrates triés sur le volet, qui médite longuement sur les scolies de Spinoza dans les notes infrapaginales d’Alain Minc, nous éblouit chaque jour que Dieu fait par l’extrême rigueur de ses croisades éthiques, politiques et morales.
Ardent défenseur de Robert Redeker, un fin prosateur, que l’ignorance et l’inculture érigées en pamphlets, si courageux, et tellement intempestifs, ont amené à se signaler par ses désormais historiques considérations amalgamantes et réductionnistes sur la religion musulmane.
Le dossier était copieux, dans le registre de l’incompétence opportuniste, c’est-à-dire l’art de surfer sur les peurs identitaires et collectives, en agitant les sombres grelots du totalitarisme, du fascisme, mais encore de l’invasion de nos contrées de progressisme laïque et de justice économique par des hordes de fanatiques barbichus, ourdissant dans l’ombre de leurs grottes séculaires le déclin et la chute de l’occident démocratique.
Aussitôt adoubé par BHL (le spécialiste international de la complotite crypto-fascho-islamiste, journaliste d’investigation extrêmement rigoureux), et paradoxalement promis aux sunlights des plateaux ruquiens par la perfidie des menaces prononcées à l’encontre de son intégrité physique par quelques illuminés aussi ignares et dogmatiques que ledit récipiendaire.
Heureusement, déjà, que monsieur Philippe Val, chantre courageux de la laïcité républicaine, faisait rempart en brassant l’air, tout en clamant avec vigueur et rigueur le droit imprescriptible à la caricature, au pamphlet, vis à vis de TOUTES les religions. Lorsqu’il s’est agi de publier une saine et roborative représentation du prophète, selon tous les stéréotypes ethnico-faciaux du musulman, au nez de préférence crochu, et aux sourcils de préférence broussailleux.
Le même saisissant art de croquer, avec toutes les caractéristiques y afférant, on ne sait trop quel représentant iconique du prophète, mais ethnologiquement bien situé, aux sombres desseins envahissants et hostiles, bien entendu, joints à l’inénarrable rictus stercoraire du fanatique de base, n’aurait pas déparé, par son esthétique plus que relativement nauséabonde, et dans un passé encore récent, dans un édito de « je suis partout », s’il s’était agi de « croquer » le Juif.
Mais ne faisons pas deux poids deux mesures. Monsieur Philippe Val, avec la rigueur et la compétence du vilipendeur de toutes les formes de racisme religieux ou ethnique, a su surmonter avec panache ce type de scrupules éthiques, en nos temps sombres, troubles et menacés.
Il a su avec courage ne pas surfer sur les peurs archaïques d’invasions barbares, éviter de brasser l’air dans les espaces démago-populistes de jadis-Le Pen, et, avec une imparable rigueur dans l’analyse socio-ethno-politique de la mondialisation, ne pas emboîter le pas aux harangues sur le choc des civilisations martelées par quelque idéologue rigoureux néocon.
Non content de protéger hardiment nos libertés publiques - menacées par qui, sinon bien sûr par des hordes, forcément invisibles et venues d’ailleurs, cachées, anonymes, comploteuses, essaimant par prédilection dans la forêt vierge, inextricablement touffue, de la cyber-sphère, cette zone de non droit et d’impolitesse, et non pas, bien sûr, par une famille-cartel de philanthropes et globe-trotters d’entreprises, gérant avec maestria le déplacement des flux capitaux en se les partageant avec beaucoup de tact et d’éducation, par une démantibulation sans précédent de tous les acquis économiques et sociaux depuis Léon Blum – non content, donc, de nous alerter sur les vrais dangers qui nous menacent, monsieur Philippe Val, qui n’hésite jamais, question de courtoisie, à crier haro sur les baudets qui donnent dans la « théorie du complot », traque la bête immonde antisémite dans les colonnes même de son intempestif, bien gaulois et bien gaulé organe de presse destiné à titiller nos consciences endormies.
A ces fins, il est absolument nécessaire, que dis-je, vital, afin de persévérer dans l’être selon les réquisits d’un conatus spinozien mal lu et mal entendu, d’appliquer cette magnifique nouvelle grille sémiotique de la Novlangue paranoïaque des BHL & Finkielkraut, pour qui tout individu majeur et vacciné qui conteste les légitimités des pouvoirs en place, n’est, ni plus ni moins que… un antisémite !
C’est leur running-gag à eux, leur concept massif, l’unique concept « dent creuse » qu’ils eurent jamais dans leur longue existence de penseurs acharnés et rigoureux. La Novlangue en question, on le sait bien, consistant à accoler cette épithète infâme envers à peu près tout qui n’acquiesce pas à la magnifique vision du monde partagée par ces « happy few » du bien dire et du bien penser, et de se réserver, unilatéralement, le droit imprescriptible d’amalgamer, eux, en fonction de la direction du vent, critique de la politique israélienne, critique de la lutte anti-terrorisme américaine, anti-sionisme, anti-sémitisme, anti-judaïsme.
C’est bien simple : on peut, et même on a le devoir de redekeriser la perception du monde musulman, en n’hésitant jamais, au grand jamais, à amalgamer musulmans, islamistes, islamo-fascistes, totalitaristes, crypto-islamo-gauchistes-altermondialistes, la liste des étiquettes à rallonge témoignant d’une rare inventivité, mais étant de somme finie.
Mais si, avec l’humour, évidemment douteux, amalgamant, certes certes (ni plus ni moins que les caricatures susmentionnées, charriant leur lot sonnant et trébuchant de stéréotypes racistes, beaufisants et manquant de courtoisie) d’un Siné on tacle, par une charge aussi médiocre qu’inappropriée (c’est ça qui désole le plus) les mérites du rejeton du président de la république française des amis de TF1 et des nouvelles spiritualités très en adéquation avec les brain-trusts monopolistiques, alors là, on ne va pas prendre de gants, on ne va pas se fendre d’un édito pompeux, pompier et flagorneur sur le droit « d’insolence », avec des envolées voltairiennes creuses et des ronds de jambe tout en finesse à l’attention des nouveaux-anciens clercs, toujours sur la brèche et le doigt fébrilement suspendu au dessus de l’argumentaire décisif : « antisémite ! ».
Félicitations, Monsieur Val, à peu près chacune de vos rigoureuses initiatives est un « marqueur », que dis-je, un phare illuminant le morne quotidien de nos pensées, étourdies par la baisse de notre puissance d’être/achat, au point de négliger tous ces antisémites haineux qui nous cernent.
Et surtout, Monsieur Val, vous avez bien raison de diaboliser ainsi la Toile : livrée aux insanités d’un peuple anonyme, beaufisant, ourdissant dans l’ombre de sombres desseins haineux à votre encontre, et à l’encontre de tous ces phares-marqueurs de la pensée qui nous expliquent ce qu’il faut comprendre, depuis les colonnes autorisées de la presse d’opinion et de débats, la seule, la vraie, celle qui ne ment jamais, loin de la glu crétinisante (à en croire Yves Calvi, lui-même grand agitateur d’idées) où s’entoilent les non-abonnés et les incultes, celle qui ne s’adresse essentiellement, vu la conjoncture des happy-few, qu’à ceux qui en sont les légitimes bénéficiaires, comme dirait Pierre Dac, et qui vous toise dans le blanc des yeux en vous défiant : « viens l’dire ici si t’es un homme » !
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