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lundi 15 août 2022

1979


[La notule qui suit date du 23 septembre 2013. Je dis ça pour mes futur.e.s biographes qui auront pour tâche importante, et urgente, de dater mes archives de la mère Docu et du père Pétuel. Je sais, un rien m'amuse, et on me compare parfois à Jean Roucas.]



 

 

1979, année fatale s’il en fut. C'est le moment, du moins pour pas mal de gens de ma génération (cad nés au milieu des années 60), où tout bascule. Esthétiquement, que ce soit musicalement ou cinématographiquement, c'est l'année du chant du cygne, avant l'entrée dans ce long tunnel sans rémission des années 80, horrible décennie, les années fric, les années Tapie, l'enterrement de l'idée de la gauche sous le déguisement de son épiphanie gouvernementale, les années Véronique & Davina, les années Ferris Bueller, Huey Lewis, Phil Collins. Les années où la culture remplace l'art, le cd le vinyle, les yuppies les punks, l'identité et le développement personnel l'aliénation sociale et l'internationale des prolétaires. On le sentait confusément, mais s'annonçait le "développement durable" du complexe militaro-industriel. Hello, this is the central scrutinizer, plastic people has won, ponke.

Décennie du kitsch, du recyclage, des perruques peroxydées, des néons fushia saturés, de l'esthétique rétro avec images floues hamiltoniennes, du tout-au-décor, du son sec de synthés pop et de batteries plates. La décennie où triomphent Luc Besson, Jean-Jacques Beineix, Adrian Lyne, Lawrence Kasdan, Léos Carax, Roland Joffé, Gilles Béhat, Alan Rudolph, Lars Von Trier et Percy Adlon.

Un ami d'enfance, un type étrange, féru de jazz, de rock, de ciné, de matos hi-fi et d'encyclopédies Universalis, bref un verviétois, m'exposait régulièrement sa théorie au sujet de ce qu'il nommait le "basculement épistémique" lié à 1979. Il avait toujours prétendu, déjà, qu'il mourrait avant 25 ans. Il décréta ensuite qu'il était bel et bien mort après 79, devenu fantôme hantant ses propres souvenirs. 


Son point de vue était celui d'un radicaliste ne souffrant aucune contradiction. Il m'expliquait, avec moult détails, le déclin brutal des appareils de hi-fi, qui n'étaient plus fabriqués pareil (amplis, tourne-disques, baffles), des techniques de prise de son (époque Impulse, Blue Note). Il avait une théorie assez convaincante sur les drums et le drumming: après 79, on a changé la manière de tendre la peau de tambour sur les batteries, ce qui a provoqué une mutation radicale du son: sec, sans relief ni profondeur. Un des détails permettant selon lui de saisir que le jazz était mort en 1979. La complexité du continuum rythmique (à la Elvin Jones) était devenu impossible. Même le jeu sur les cymbales avait changé, comme les cymbales elles-mêmes, et le "drive de cymbales" s'était perdu. Tony Williams, celui de la période Miles Davis E.S.P, The sorcerer, Miles Smiles et Nefertiti (quatre disques terrassants, des sommets du jazz moderne), ne maîtrisait plus sa fabuleuse technique du "drive de cymbales". 

 


Le son des contrebasses avait lui aussi changé, aussi bien en raison d'une nouvelle façon de frotter les cordes que d'une nouvelle façon de les tendre: il devint "enrhumé". Jazzistiquement mou et réverbéré, avec Eddie Gomez, Steve Swallow, etc. Mingus est mort en 79. "Et ce n'est pas par hasard!", ajoutait cet ami.

Dans nos échanges surréalistes, je jouais le rôle du gars tourné vers "l'avenir" et protestais constamment, en citant des tas de contre-exemples de tant et tant de nouveaux disques, de nouveaux films merveilleux.

La décennie 80 consacre l'empire du jazz-rock et de la fusion. Weather report, parmi d'autres, en fournit l'étalon. Bien que formé en 71, la formation (désormais on dira "groupe") signe avec Night passage - le bien nommé - et sa soupe de synthés brumeux l'entrée dans un vide commercial et sonore toujours d'actualité, où surnageait ça et là la basse magnifique de Jaco Pastorius, l'intrus de la bande. L'autre groupe "séminal", comme on aimait à dire, était Steps Ahead. Pauvreté essentielle du jeu de saxo de Michael Brecker, salué comme un monstre de virtuosité et éventuellement fils spirituel de John Coltrane lui-même (alors qu'il jouait toujours les mêmes arpèges en grappes descendantes, je peux vous les chanter: tidoudidou di, tidoudidou di, tidididi). 

De jadis grands groupes de "prog-rock" comme Soft Machine se muent en machines molles pour de bon, débitant au kilomètre et à la pression de vains chapelets de saucisses-fusion juste bonnes à sonoriser un Derrick, un Tatort ou des séquences pour peep-shows.
79 fut la dernière année du rock aventureux des middle-seventies, autant que la dernière du punk qui suivit juste après (et qui littéralement ne m'a jamais défrisé même un sourcil). Le passage à 1980 ayant été également fatal pour un nombre incalculable de groupes, décrétés "jurassiques", condamnés pour survivre à embrasser la nouvelle mode des batteries mates, des boîtes à rythmes creuses et des synthés criards. Pour mieux comprendre, passez vous la bande son de Live and die in LA de Friedkin. Celui-là même qui se plaignait amèrement que Lucas et Spielberg aient signé l'arrêt de mort du Nouvel Hollywood en remplaçant un cinéma d'auteurs adultes par un merchandising infantile.

En musique électronique, 79 fut l'année où l'on quitta les mellotrons, les monstrueux moog et séquenceurs analogiques délivrant les nappes et les drones propices aux rêveries hypnotiques et mystiques. Klaus Schulze signifia ce passage en signant en 80 "Dig it", contenant le fameux Death of an analogue, sorte de chant funèbre purcellien au titre explicite et redoutable.




Après 79, au cinéma, on ne prend plus la route, on ne taille plus la zone, avec une caisse pourrie de location, dans les vastes déserts de l’Amérique. Plus jamais on ne se perdait, après 79. Exit Easy-rider, Alice dans les villes, Falsche Bewegung, Scarecrow, The Passenger, Two Lane Blacktop, Vanishing point, Badlands, Electra glide in blue, Le plein de super, Les petites fugues, etc. On s’enferme dans des décors confinés, comme à l'époque de l'occupation. Après 79, on ne compte plus les films dont le décor est exclusivement un night-club à néons vaporeux, noyé dans le fumigène, avec quelques plans de trottoirs aux reflets vert-rouge mouillés.

La césure se lisait aussi chez Ridley Scott : entre Alien (de 79) et Blade runner (82).
L'espace avait mystérieusement disparu de l'un à l'autre. Dans le premier, sens des espaces infinis qui effrayent, monstrueux dédales de Giger déroulant leurs ossuaires et leurs vortex. Dans le second, esthétique pub d'un néo-Tokyo tout en néons qui clignotent, et plus aucun plan large qui respire. Revoyez Blade-Runner. Les seules vues d'ensemble, suggérant des architectures gigantesques sous la voûte étoilée, sont de brefs inserts, toujours le même plan faisant office d'interlude, sur une nappe du regretté Vangelis (si génial dans les 70s). Quant aux personnages, ils sont tous corsetés dans des fanfreluches fashion à paillettes dorées, le visage peint au rimmel et la chevelure léonine brillantinée, tandis qu'ils assertent des poncifs mortifiants sur l'homme, dieu, les robots, la bonne et moi. 

 Après 79, en résumé, on pouvait parallèlement mesurer, toujours selon cet ami, l'effet cataclysmique d'une vaste régression politique, idéologique, spéculative, philosophique, etc. Les grands mouvements utopiques, anarchistes, libertaires, imaginaires ou imaginants avaient brusquement disparu dans un appel d'air. Deleuze disait que les années 80 étaient une période très pauvre. On n'invente plus des pensées, on pense sur des objets préexistants et prédéfinis. Règne absolu de la communication. La création des concepts philosophiques a cédé la place à la création de concepts publicitaires. Il décrivait les années 80 comme une longue traversée du désert, du moins pour celles et ceux qui l'ont vu arriver, car "il y a pire que traverser un désert : naître dedans" (je poursuis cette idée dans le prochain texte).


On relèvera encore en musique le cas éminemment tragique de Mike Oldfield, qui aligna de Tubular bells (73) à Incantations (78) une série de chefs d’œuvre, commit encore deux chouettes albums avec Platinum (79) et QE2 (80) avant de sombrer graduellement dans un vacuum intersidéral post-ron hubbardien, un trou noir, le fameux trou noir dans lequel s'apprêtait à sombrer une génération entière, qui désormais raserait les murs, membre fantôme indésirable d'une société toujours plus avide de transparence, de définitions de soi-même prêtes à consommer-penser-classer, hideuse comme une planche anatomique étale. Bien sûr à toute règle il y a des exceptions, des sursauts exceptionnels, qui n'infirment en rien ladite règle, contrairement à l'adage, mais la confirment: ici Amarok (où il se souvient de lui-même avant que l'éternité le change tel qu'en un autre). 

Tournée "exposed" (79) - qui fut un relatif échec commercial. En résulta un double LP (ainsi qu'un dvd, désormais trouvable sur YT) qui compta dans ma vie d'ado presque autant que la découverte de Music for 18 musicians de Steve Reich.

 


On pourrait multiplier les exemples. Je me contenterai ici, pour ne pas alourdir mon propos semi-sérieux, de 7 exemples que j'espère éloquents: le dernier grand disque de Pink Floyd, le dernier chef d’œuvre de Frank Zappa, le chef d’œuvre de Richard Gotainer, le dernier grand Magma, le dernier grand Aksaq Maboul, le plus beau disque de Alan Stivell, le dernier disque de Alfred Deller.

 




 
 



 

mardi 18 février 2014

Aqualung (Jethro Tull, 1971)



On sait peu que plusieurs morceaux figurant sur Aqualung (1971, l'album le plus réputé de Jethro Tull) étaient déjà enregistrés, un an plus tôt, dans des versions bcp plus belles, mieux enregistrées, et plus longues aussi.
Comme en témoignent ci-dessous ces versions de Wond'ring aloud, again et de My god.

Un des problèmes d'Aqualung fut qu'il fut très mal enregistré. Les chansons sont belles (pour la plupart), mais je n'y aime pas du tout le son (suraigu, criard, crachotant, sans relief aucun, basses inexistantes, voix de IA ruinée, hachée-menue...). Les remastérisations successives n'ont hélas jamais rien pu y changer (du moins à ce jour), à force de réducteurs de bruit se surajoutant à des augmentateurs de bruit, du nettoyage de chaque piste overdubbée ne laissant subsister qu'une dynamique squelettique sur pas mal de morceaux...

Ian Anderson n'est toujours pas satisfait à ce jour de l'enregistrement, et il a raison. Je pense que c'est provisoirement insauvable...



(1) Version de Wond'ring aloud 1970, studios Morgan.

 




 (2) Version 1971: 1'54'', et la mieux épargnée de l'album du point de vue technique (sans doute peu d'overdubbing).


 


" Pour le lieu, si Jethro Tull est habitué aux Studios Morgan (où sont enregistrés ses deux précédents albums Stand Up et Benefit), le groupe opte cette fois pour les Island Studios, à Basing Street, le lieu étant affilié à leur label Chrysalis Records. Jethro Tull rencontre Led Zeppelin, autre célèbre groupe de hard rock britannique, qui enregistrait son quatrième album au même moment.
Deux studios étant disponibles, Jethro Tull obtiennent le plus large, Led Zeppelin préférant travailler dans le petit. Consistant en une ancienne église, les Island Studios disposent des dernières innovations en termes d'enregistrement. Néanmoins, Ian Anderson exprimera par la suite son insatisfaction vis-à-vis du lieu, se plaignant de la mauvaise qualité sonore, jugeant que tout semblait « discordant » et « désagréable », rendant l'enregistrement assez difficile8. De plus, le mastering pose quelques problèmes, Ian Anderson n'étant pas satisfait du résultat final des sessions. Plusieurs essais sont donc réalisés pour aboutir à un niveau de qualité sonore convenable. En outre, le label de Jethro Tull impose des délais assez serrés au groupe pour l'enregistrement de l'album, n'excédant pas « trois ou quatre semaines ». Ian Anderson évoque aussi l'utilisation fréquente de la technique de l'overdubbing (ou re-recording), consistant à enregistrer le chant et l'orchestre séparément... " (Wiki)

 (3) Version de My god 1970, studios Morgan. Simplement, comparer la prise de son, d'abord. Ensuite, mesurer l'abîme qualitatif séparant cette version (bien plus audacieuse, presque free-jazz, mais aussi "dervishesque": on est pour la partie instrumentale dans les eaux d'un Terry Riley) de la version rachitique, crachotante et proto-moyenâgeuse de 1971.
 
 

 


(4) Version 1971:

 

                                  

" Si Ian Anderson parvient à trouver un claviériste, il rencontre un autre problème lié à la composition du groupe : le bassiste original, Glenn Cornick, qui fait partie de Jethro Tull depuis sa formation en 1967, est viré du groupe après la tournée américaine de 1970. Anderson justifie cette décision qu'il a prise lui-même par les riffs lourds de la basse de Cornick, qui ne s'adaptent pas au son orienté rock progressif que recherche le groupe à l'époque. En vérité, l'une des raisons principales de l'éviction du bassiste est son style de vie, jugé inadéquat par Anderson ; le tempérament festif de Cornick pendant la tournée américaine, ainsi que son recours à la drogue et à l'alcool, entre autres, poussent le leader de Jethro Tull à l'écarter de la formation. Cependant, avant son départ, Cornick participe à la composition de plusieurs chansons qui apparaîtront sur l'album, dont Wond'ring Again, la version originale de Wond'ring Aloud, cinquième piste de l'album.
Cornick enregistre également une première version de My God avec le groupe, qui ne sera finalement pas incluse sur l'album à sa sortie. Le bassiste exprime d'ailleurs son incompréhension vis-à-vis de la décision d'Anderson d'écarter cette dernière : « C'était une excellente version qui n'a pas été incluse sur l'album. Je ne sais pas pourquoi Ian a modifié une grande partie des paroles. Je me rappelle, en tant que membre du groupe, que nous la jouions pour plus d'un an. J'étais très accoutumé à la chanson et je pense que nous l'interprétions très bien. Nous avions aussi enregistré quelques autres morceaux, mais leur titre m'était inconnu » " (Wiki)


... Ajoutez à tout cela quatre songs (5) admirables, qui devaient figurer sur l'édition originale (réintégrés dans l'édition 2011 du 40è anniversaire) : Life is a long song, Up the pool, Just trying to be, Dr Bogenbroom ...

Vous comprenez alors que Aqualung aurait dû être un bien plus grand album encore...
 
Edit: Est sortie depuis une copieuse édition "40th anniversary", proposant un remixage remarquable de Steven Wilson et incluant les quatre songs ci-dessous, plus les versions premières de Wond'ring Aloud et My god.


(5)












mardi 11 février 2014

Lester Bangs meets Vietnamese folk music



L'article de Lester Bangs pour Creem en 1973, " Jethro Tull in Vietnam ", n'est consultable sur le net dans son intégralité que sur Tull Press, une extension du site officiel de JT, où sont recensés tous les articles de presse de 68 à nos jours. 
Le sens du titre de cet article, c'est que la musique de JT, ça ressemble à la la ''musique folklorique vietnamienne''. C'est fin, dis donc, comme humour, mais pas très gentil pour les Vietnamiens, surtout. ça veut dire quoi? Que si JT c'est de la shit-music, comme il le suggère non sans insistance (même s'il reconnaît que ce sont des professionnels compétents, et qui savent concevoir un show pour subjuguer les kids - et leur chouraver leur argent de poche), la première analogie avec cette musique qui se présente à son esprit, ce serait la musique folklorique vietnamienne: donc shit-music aussi?

http://www.tullpress.com/crmay73.htm
It has always amazed me (he says) how you Americans can feed yourselves the worst kind of garbage and still survive, but now at last I think I understand. I don't like Jethro Tull either — I never have, not even when all my friends were bending my ear with This Was — but not, perhaps, for the same reasons which have driven you to such extremes.

    I don't like them because you are right. They do sound like Vietnamese folk music, and I'm no folkie! I despise that jerky, over-rhythmic, open-ended clatter. Give me progressive jazz anytime — Peanuts Hucko, 'Big' Tiny Little — and I am happy. A man must move with the times, and the times demand bop: how can a man in my position say that bop is wrong? I didn't get here by swimming against the tide. I see the American GIs walking by the Palace every day with those bop records in their hands, and every once in a while I go down and ask them to show them to me. I speak to them in the language that they understand: 'What's the word, Thunderbird?' And they reply that the word is 'rebop'. All these records they show me, all of these people, Chuck Berry, Elvis Presley, the Rolling Stones, I have understood through my communication with your people, are rebop, be it good or bad.

    But, as anyone can see, Vietnamese music is not rebop. It's not even bop. It's just something frozen and awkward, but insistent for all of that. These old cultures die hard. Which is why they still play that wretched noise in the rice paddies, and why something like Jethro Tull is popular with your people. Because some people, you know, just can't take rebop. And the reason for which I do not like Jethro Tull and, I would suspect, you do not like Jethro Tull is that they have no rebop!


Anderson a dû se marrer (mais d'un rire un peu 'jaune', qui sait) à l'époque en découvrant cette livraison de Bangs.

Bon, c'est assez drôle, par moments. N'empêche, la mauvaise foi, voire la mécompréhension, sont assez " hénaurmes ".

Et d'après ce que j'ai pu lire ici et là, ça semblait être un trait distinctif éminent chez LB, aka l'homme qu'avait du goût (là où tous les autres n'avaient que des goûts de chiottes...). Ne s'est-il pas fait connaître en éreintant un disque de MC5, pour ensuite déclarer que c'était son groupe préféré? On semble ne plus pouvoir compter les revirements à 360 degrés de Bangs, tant ses jugements se contredisaient perpétuellement. Bangs qui, aime-t-on à dire, pratiquait sa crépitante machine à écrire comme un riff de Hendrix ou l'organe vocal de Don Van Vliet, ce en quoi il était un véritable créateur de rock, dans l'héritage de la beat littérature et patati et patata...
Bangs préférait le jazz, en fait, lis-je aussi ça et là, et au fond semblait considérer - un peu comme une sorte de Holden Caulfield du gonzo - que le rock était assez bien le royaume de l'imposture, de l'escroquerie et de la bêtise. Sans compter la consommation sexuelle, par des ponkes qui l'ont bien déçu, des groupies backstage. 
Y a un peu de vrai là-dedans, évidemment, mais ça, point n'est besoin d'être grand clerc pour le saisir... Alors, on aurait l'espèce de trajectoire de l'enfant brûlé de Stig Dagerman, épris d'innocence et de bonté, entretenant une sorte de relation d'amour/haine ambivalente avec ce monde du rock où il cherchait peut-être, comme un Graal, un Zeitgeist dont le topos serait la 'culture populaire', si ça veut encore dire quelque chose.
Homme passionné de musique, ne vivant que pour et par la musique, et qu'on représente littéralement transfusé, entre malédiction et rédemption, par tous ces disques qu'il aimait, qui donnèrent un sens à sa vie ou la changèrent (comme Astral weeks, de Van Morrison).


Mais là n'est pas mon propos. En lisant son article sur JT, deux choses me frappent:

1)

Le côté un peu " mauvaise langue ". Parce qu'il a de la culture musicale basée (en jazz notamment), il se fait fort de nous instruire que Ian Anderson a piqué tout son jeu, ses riffs, etc, de flûte, à Roland Kirk. Il laisse entendre qu'Anderson est sur ce point malhonnête, qu'il pourrait au moins rendre à César.
Et d'ironiser sur le fait que le grand Rahsaan (j'ai découvert il y a bien longtemps Kirk précisément grâce à Anderson, et j'ai tous ses disques aussi), s'il était, lui, le vrai, l'authentique, l'original mc Coy, cad ici le Wild man, au moins ne se commettait pas dans l'histrionisme consistant à plaquer sa flûte contre ses parties génitales, etc.
Perfidement, donc, il ajoute que s'il n'a pas pu s'entretenir directement avec Anderson sur ce déni d'influence supposé, il a eu une conversation avec le batteur de JT, Barriemore Barlow, lui confirmant indirectement un tel déni: leur musique proviendrait exclusivement de l'esprit et de l'expérience de JT. Complètement originale donc, transpose/traduit déjà (?) Bangs, sans précédents, n'étant redevable d'aucune tradition. Et Bangs ajoute que cette assertion, dans laquelle on ignore la part de ce qui fut dit et la part de ce qu'il y ajoute lui-même, représentait probablement le sentiment général circulant dans le groupe.
Anderson has always trotted out old Roland Kirk riffs: flute vocalisms, overblowing, even the histrionics which became the eye of his stage business. Roland Kirk never to my knowledge stuck his flute between his legs in the crudest sort of phallic stage ploy, as Anderson does. But Roland Kirk was the original Wild Man of the concert flute, and Anderson should admit the debt he owes him.

I doubt if he would. I was unable to talk to him, but I spoke to Jethro drummer Barrie Barlow in the hotel bar after a gig last spring, and he scoffed at the idea of Ian being influenced by Kirk or anyone else. Their music, he went on, came totally out of the minds and experience of Jethro Tull, had no precedents, fit into no tradition, and was completely original. Which probably represents the general sentiments within the band.


Bangs prend-il ici un peu les gens pour un pojama-people? En excluant le cas, improbable dira-t-on, où il n'a pas jugé bon de poser sur sa platine This Was (68), il ne peut pas ignorer que l'hommage à Kirk (morceau: Serenade to a cuckoo) n'est qu'une parmi les nombreuses déclarations d'influence qu'Anderson ne cessa de multiplier dès le début. Dès ses premières interviews, en effet, il expliquait à tout journaliste de la presse pop-rock qu'il avait choisi la flûte après avoir écouté RRK. Par dépit de ne pouvoir jouer de la guitare comme Clapton. Et qu'il apprit à en jouer, en écoutant RRK, un an et demi à peine avant l'enregistrement du premier album (This Was, donc).




 
 
[ Le jeu de flûte d'Anderson, éminemment kirkien à ses débuts, et d'une virtuosité assez hallucinante si on pense qu'il avait appris à jouer de cet instrument en un an et demi, s'est par ailleurs complexifié assez tôt, et plus encore avec les années. Lorsqu'il se mit à explorer, notamment, les folklores (pas seulement scottish et irish, mais aussi indien, etc), élaborant pour cela de nouvelles techniques pour des types et conceptions de flûtes (tin whistle, bansurî, etc) très éloignées de la traversière. ]

Je trouve ce genre de manipe (au sujet de Kirk) pas très intègre, donc.


2)

Un autre passage de son article indique qu'il n'a manifestement rien percuté de l'esprit et de l'intention initiaux de la grande pièce montée Thick as a brick (1972).

Il ironise en effet, en enfonçant lourdement le clou, sur l'escroquerie des Concept-albums en vogue à l'époque. Sorte de décadence ou de dégénérescence, donc, par l'hypertrophie prétentieuse masquant un vide musical désolant, du rock des origines. Du Rock pur, en son énergie et urgence adolescente, on imagine: on balance des morceaux de 2 à 3 minutes maxi. 
ça, c'était le rock des origines, selon l'antienne: on se prend pas le chou, on fonce et on balance la sauce, ce qui prouve qu'on est jeune et vivant et qu'on dit merde à tout. Etc. En fait, on le sait aussi, le format court des morceaux obéissait surtout à la contingence commerciale du passage en radio. Le morceau long étant l'apanage des disques de jazz lorsque le genre aborda les rives du free (Coltrane, Coleman, Shepp, etc etc), et qui, eux, ne passaient pas dans les radios (sauf les confidentielles, destinées à un public d'amateurs): fallait acheter les albums des compagnies dédiées à cette musique.

L'escroquerie supposée, ici, renvoie à un but commercial assez paradoxal et pas très convaincant sur le seul plan logique: à en croire Bangs, qui présente ici JT comme la dernière attraction en date pour ados décérébrés qui manquent l'école pour pas rater un de leurs concerts où ils se déguisent en lapins (on imagine assez mal ça, aujourd'hui), le but pour les compagnies discographiques est de s'en mettre peu ou prou plein les poches en obligeant ces jeunes à claquer leurs économies dans des LPs à deux morceaux longs de 20 minutes de musique indigente, artificiellement gonflée pour le remplissage. You had to take the whole pie at once or not at all.
On imagine un raisonnement, là encore, habitant dans une mythologie fondamentaliste et orthodoxe du rock comme musique de l'urgence et de la vitesse, qui se consomme en 45 tours sur des platines pourraves-ça-passe-ou-ça-casse, etc.

Que l'éléphantesque prog-rock fasse la hype au moment où Bangs écrit son article, ça ne peut dans cet esprit de mythologie correspondre qu'à une mutation inquiétante signalant la dégradation du 'rock' premier, ou 'primitif' (comme pure énergie négatrice de la Culture majusculaire et pompeuse des adultes) et qui serait à la musique ce que la pure présence de la phonè platonienne serait à l'écriture médiate, disséminante, coupée du lien direct (séminal) avec la Vérité donnant son essence dans un accès direct, hors-gramme.
Les rockeurs ont la tête qui enfle, donc: ils se prennent pour des compositeurs sérieux, et infligent aux petits jeunes d'interminables pièces montées dont seul un homme sachant de quoi il parle parce qu'il a une Oreille musicale avertie et un goût assez raffiné sait percevoir la pauvreté et l'incurie. Oreille, Goût, et Culture musicale: trois choses qui manquent finalement, dans sa logique, à ce public de jeunes veaux qui se ruent sans discernement sur ces escroqueries commerciales de Concept-albums.

Bizarre, cette ambivalence dans ses jugements de valeur - considérant sa dilection pour le rock brut dont on aime à dire qu'il fut le premier à le conceptualiser par le terme ''punk' (ce qui est faux, là aussi: ça vient de Zappa, en 66) :
on a ainsi l'impression que LB méprise un peu le public de la musique rock qu'il célèbre. Puisqu'au fond, cette musique pré-punk qu'il appelle de ses voeux (une musique qu'on peut jouer même si on ne se sait pas jouer de la musique, selon le slogan), il la réserve, l'assigne à un certain type de public-jeune (l'éternel public jeune rebelle, etc) incapable de distinguer, d'après lui, l'escroquerie musicale dans la shit-progmusic prétentieuse. Et pourquoi, sinon par manque de culture musicale sérieuse (ici, par ex., leur méconnaissance de tout ce que c'est censé piquer honteusement au jazz, mais en le vitrifiant) ? Lacune qu'il stigmatise, donc (qu'il le veuille ou non) dans son ironie sur la hype autour de JT... Y a comme une torsion un peu perverse dans ces dogmes et déclarations à l'emporte-pièce qui jouent sur deux tableaux: fuck à la culture et en même temps fuck aux incultes qui confondent la merde et le caviar...

In any case, they've earned the right to be arrogant. Aqualung was a giant and the follow-up, Thick As A Brick, was over a year in the making and even bigger. Bigger in every way: the only time in rock history previous to this that a single song had covered two sides of an LP was Canned Heat's 'Refried Boogie' on Livin' The Blues, and that was just an extended jam. 'Brick' was a moose of a whole other hue: a series of variations (though they really didn't vary enough to sustain forty minutes) on a single, simple theme, which began as a sort of wistful English folk melody and wound through march tempos, high energy guitar, glockenspiels, dramatic staccato outbursts like something from a movie soundtrack and plenty of soloing by Anderson, all the way from the top of side one to the end of the album.



Mais quand bien même. Admettons la valeur de ce raisonnement plus ou moins masqué derrière l'attaque sur la cible de choix, offrant d'ailleurs la verge pour se faire fouetter: le prog-rock et ses concepts-albums.
Eh bien, en l'occurrence sur l'album Thick as a brick, Bangs se fourvoie sur toute la ligne. Il n'a pas compris, disais-je, l'humour, le gag qui sont à l'origine de TAAB:

L'histoire est pourtant connue, là aussi. On sait qu'Anderson récusa dès le début la qualification de l'album Aqualung (1971) comme Concept album. TAAB fut pensé comme une réplique ironique, à la fois au concept de Concept-album, et à la musique pratiquée à l'époque par Yes, Soft machine, Emerson-Lake-Palmer, etc. C'est, à la base, un foutage de gueule, qui formule précisément, à sa manière, par l'objet même, la critique que Bangs adresse à TAAB. " Thick as a brick " veut dire plusieurs choses. Eventuellement: "épais comme une brique'', au sens de: "lourd comme un pavé indigeste". Mais c'est surtout une expression qui signifie aussi ''idiot, stupide, bête comme ses pieds''.

Le gag du disque, indépendamment de sa valeur musicale discutable et discutée, c'est la réponse de l'arrosé arroseur: vous m'accusiez d'avoir fait un concept-album? Je vais vous en faire un, de Concept-album. Un seul morceau de 45 minutes, seulement interrompu par l'obligation de passer de la face A à la face B. TAAB se présente, dans son Concept, comme un canular, une parodie du Concept-album: en pousser le bouchon, la surenchère, jusqu'à réaliser, en effet, le premier Concept-album radical - on n'avait jamais fait ça avant (un seul morceau sur un disque), qui joue réflexivement sur le concept de Concept-album tout en s'en moquant gentiment. Ainsi, le parangon même du Concept-album - qu'est resté TAAB dans l'esprit de bcp - fut en même temps sa ''déconstruction'' critique, si on peut appeler ça ainsi...

Album ironisant également sur les prétentions 'philosophiques' ou 'métaphysiques' pompeuses des Concepts-albums de ses collègues...
Là-encore, l'affaire est connue. L'album se présentait initalement sous la forme d'un immense journal (The St. Cleve Chronicle & Linwell Advertiser) à déplier, chroniquant un fait-divers: un enfant de 8 ans a écrit un long poème génial, reçoit un prix dans la commune de x (imaginaire), et se voit retirer ce prix après avoir prononcé un gros mot lors de la conférence de presse. L'idée est géniale, d'ailleurs, comme le journal. Dans un esprit tout à fait montypythonesque, tous les articles, brèves, infos, textes, encadrés (dont IA déclara que leur conception prit plus de temps que de composer et enregistrer l'album) sont remplis de double-sens, de jokes, renvoyant au texte chanté sur l'album. Texte abscons et joliment fumeux dont l'auteur est donc cet enfant-prodige, mais grossier: le fameux enfant-poète Gerald Bostock (aka ''little Milton'').
Dans les concerts, Ian Anderson poussait l'humour jusqu'à dérisionner le concept même du concert: interrompre soudain l'exécution de ce flot de musique et de poésie, par un téléphone sonnant sur un bureau. Quelqu'un réclamant de parler à une personne 'x' dans l'assistance. Comme si le concert n'avait d'importance que fort secondaire, une routine automatique, presque une corvée... Ce qui n'empêchait nullement le Tull d'être reconnu comme un des meilleurs groupes scéniques des seventies.

Geste de provocation et colossale auto-dérision, donc, que là encore Bangs, indubitablement, n'a pas perçues. Manque de curiosité, peut-être...

The whole thing was built around a longish poem by Anderson, which itself set new records in the Tull canon of lofty sentiments and Biblically righteous denunciations of contemporary mores. The very first line was "I really don't mind if you sit this one out," a classic hook which set the tone for the entire piece, which was crammed with couplets like

    The sandcastle virtues are all swept away
    In the tidal destruction of the moral melee

Where was this stuff coming from, anyway, and what did it say about the way not only Anderson and Tull but perhaps most of all their audience related to the world around them? Did they really feel that self-righteous about things in general? Or was it, like 'American Pie', just a bunch of words that could have as much meaning as you wanted to invest or none at all, and happened to fit the music nicely? Ask a Tull freak and you'll get a blank look; most of them, it seems, have never stopped to analyze it. They just know what they like, which is fine.



Il y avait donc, de toute évidence (sauf pour nombre de fans qui ont vraiment cru que l'histoire racontée dans le journal était vraie), dans cet album aussi, une geste 'anti-establishment' (comme on disait à l'époque), l'establishment visé étant aussi (mais pas que) l'industrie du rock, sa prétention, et la hype - dans les compagnies discographiques - de Concept-albums fait par de Super-groupes.

La pique était aussi maligne que drôle et efficace. Car, vrai-faux ou faux-vrai Concept-album ou pas, TAAB offrait malgré tout une réelle fraicheur musicale, plus un humour, une dérision, un commentaire social acerbe, et une façon de ne pas se prendre au sérieux tout en se prenant au sérieux. Fraicheur, dérision et humour dont manquaient assez les supergroupes visés, se prenant trop au sérieux dans leurs 'performances' de virtuosité instrumentale et leurs prétentions 'mysticisantes' (Yes).

Aujourd'hui, on peut en prendre la mesure: les Concept-albums de l'époque ont mal vieilli, mais TAAB est resté pour bcp (et pas que les fans du Tull) à la fois LE Concept-album prototypal, le plus réussi, le moins ''boring''. Et dont la popularité ne s'est jamais démentie. Vivant, festif, un bijou d'inventions, transitions, climats variés, où ça chante vraiment, où les orgues Hammond donnent de la chaleur, superbement joué et superbement composé. Même la poésie absconse, hermétique, hyper-intellectualiste pour de rire, a une réelle saveur poétique. Et ptêt même, de ci de là, un peu de sens.

(Trad. bilingue complète, au bons soins de La coccinelle, ici.)





L'objet du litige, ou du différend: ci-dessous. Avec un très beau son (meilleur que sur mon cd, qui est pourtant remastérisé):







dimanche 18 mars 2012

Une nuit du fantastique (à Verviers)



Alors, nous, les Verviétois, et spécialement les "cinéphiles verviétois" (remember: un cinéphile verviétois c'est quelqu'un qui regardait bcp les ciné-clubs à la tv française au début des 80s), Gérardmer, ça nous fait sourire gentiment..


Le fantastique, les Verviétois en sont des spécialistes éminents. Car Verviers ne fut pas seulement la capitale de l'industrie lainière. Ce fut aussi le siège des usines Marabout. Une des plus grosses chaines d'édition d'Europe jusque dans les 70s.

Non, je raconte ça pour édifier mon contemporain, et s'il en a rien à chourer, je m'en cague aussi. 

Qui ne connaît pas les Marabout-sf et les Marabout-fantastique? 
Les Œuvres complètes des Rosny-Ainé (de Bruxelles) - qui ont écrit, rappelons-le, la guerre du feu, y furent éditées en un gros pavé et à un nombre considérable d'exemplaires, mais ça n'intéressait absolument personne. On les voyait trainer un peu partout: chez les dentistes, sur les présentoirs de vieux journaux usagers, sur les toiles cirées humides des tables de café, parfois mêmes empilés avec une ficelle sur les paliers de portes d'entrée de particuliers (bossant peut-être chez Marabout).

L’œuvre complète des Rosny-Ainé, si on voulait sans se fouler faire plaisir à quelqu'un, on la lui offrait. Et généralement il était pas content. Il vous disait: "khé gros rapiat, ti, sou là..."


J'ai toujours mon pavé. Je me demande dans quel carton de déménagement jamais ouvert depuis 25 ans il est en train de moisir.


Il y avait aussi chez Marabout, bien sûr, l’œuvre complète de Jean Ray (les Harry Dickson, Malpertuis, etc), Claude Seignolle (la Malvenue), Jacques Spitz (la guerre des mouches), Jacques Sternberg (Univers zéro), Thomas Owen (la truie, pitié pour les ombres), Jean-Pierre Bours (celui qui pourrissait), José Moselli (la fin d'Illa), Sprague de Camp, Poe, Hawthorne, Lovecraft, puis Dick, Ballard, etc, etc.

Henri Vernes (Charles-Henri Dewisme), bien sûr. Bob Morane, ce fut et ça reste essentiellement Marabout.

Dans les Bob Morane, je mentionne, pour les connaisseurs, les cinq volumes du cycle Ananké, relativement "hors série", tant dans la forme que dans le fond. Un petit bijou de littérature fantastique. Bob Morane et Bill Ballantine se retrouvent dans un monde parallèle, où il ne fait jamais nuit: Ananké. Ils ont passé une porte, avec une rosace dessus, qui ne peut se franchir que dans un sens. Dans Ananké, il y a des dizaines de mondes étranges, chacun délimité par une porte à rosace. Et ils passent leur temps à chercher la sortie de ce "foutu monde pourri".

Je relis régulièrement le cycle d'Ananké: c'est imaginatif et effrayant. Le cycle des années 70 paru chez Marabout, à ne surtout pas confondre avec les produits dérivés (bds, dessins animés).

Réédité dans les 90s par Jacques Lefrancq, en un seul volume (1050 pages). C'est vaguement devenu un objet de collection. Si vous tombez dessus, dans une bouquinerie, n'hésitez pas.
Certains murmurent que c'est pas Henri Vernes qui l'aurait écrit, mais... un dessinateur de bd, qui fut même rédacteur en chef du journal Spirou, et avant cela, éditeur chez Marabout: Philippe Vandooren.



Plus la pataphysique, évidemment. Verviers fut la capitale de la pataphysique. André Blavier, auteur de la fameuse Anthologie des fous littéraires, était le directeur de la bibli municipale où il avait installé le fond international Raymond Queneau. Il y organisait régulièrement des colloques internationaux de pataphysique. J'y ai jamais foutu un patin, ça m'intéressait pas. J'étais trop plongé dans Bob Morane. Aujourd'hui, je le regrette un peu, mais sans excès.

Verviers était un des (nombreux) trous du cul du monde, mais c'était avant tout le trou du cul du bizarre. Tout partait de Verviers, et y revenait. Cf. psittacus project 5.3.1. & 5.3.2.
André Delvaux a signé un film magnifique, Belle, qui se déroule entre Verviers, Eupen, et les Fagnes, avec le suisse Jean Luc Bideau. C'est l'histoire d'un conférencier spécialiste d'Apollinaire qui se perd dans les fagnes, y rencontre une femme étrange habitant dans une hutte: une slave qui cause pas un mot de français. J'apprends qu'on vient enfin de le sortir en dvd.





Y avait aussi quelques nuits du fantastique, données dans l'unique cinéma de Verviers qui n'était pas un ciné-club.
Je me souviens d'une de ces nuits. La programmation, c'était:


1- Les griffes de la nuit

2- Alien (ma première vision. Scotché. ça reste un de mes films préférés, pour sa beauté visuelle)

3- Une bouse oubliée (mais je me souviens d'un mec dans la salle, un punk canal historique - oui, y avait quelques rares punks, à Verviers - qui s'est mis à hurler comme un forcené "une brochette au ketchup, une!", ce qui a détendu tout le monde vu que le film était une purge)

4- Suspiria


Un ancien de l'athénée (on en sortait juste, on entrait dans la vie par la grande porte), dont j'ignorais qu'il était fan de films d'horreur (- un "sportif" comme dans les Stephen King, qui m'avait martyrisé tout au long de ma scolarité; y cachait mes fringues dans les vestiaires pendant le cours de gym, adorait me taper dessus pendant la récré avec deux trois potes baraqués -) vient me voir au premier entracte.

"Ah, t'es là aussi, toi? Serre m'en cinq, mec. Tu m'en veux plus, hein? On était jeunes, j'étais con.
"Non oh non, je ne t'en veux plus, je ne t'en ai jamais voulu, d'ailleurs"
"Qu'est-ce tu fais, toi, maintenant?
"Ben je commence une candi en philo... Et toi?
"Ah tiens, ça m'étonne pas du tout de toi, ça, t'as toujours été fort en disserts. Ben moi, je gagne ma vie, et je suis déjà marié, ouaih! Je vends des aspirateurs, mec. Et tu sais quoi? J'adore ça. Je suis super-doué pour la vente. Les affaires marchent très fort.
"Waouw. Mais c'est super, dis!
"Ouaip. Eh oh, putain, c'est génial, hein, Les griffes de la nuit!
"Mwoui, bof...
"Quoi, tu ne vas me dire que t'as pas aimé ce film, quand-même! Ou alors t'y connais rien en cinéma, mec!
"Ben non, c'est mauvais, je suis désolé, le mec qui court partout, là, en faisant "bouh", avec son masque de carnaval. Allez, c'est pas sérieux. Puis le truc avec les cauchemars, là, c'est pas comme ça du tout les rêves. On y croit pas une seconde. Puis tout est toujours plus ou moins dans l'obscurité, avec des fumigènes et de gros effets de lumière, pfff.
"Mais si, c'est comme ça dans les rêves! Tu connais rien aux rêves non plus, ma parole. Moi, je fais des rêves exactement pareil. Je te le dis, mec, tu connais rien aux bons films, t'es trop intello, toujours à décortiquer, oui mais ceci ou mais cela. Faut te décoincer un peu le cul, mec. Ce film, c'est un chef d’œuvre, je te dis, un chef d’œuvre!
"Mais non, je suis pas coincé du cul. C'est un navet, je vais dire, avec de gros effets nuls, et prévisible une heure à l'avance. J'aime les bons films, c'est tout, et je suis bon public, je suis pas coincé, ah non, funeste erreur...
"Whouais whouais, a t'taleure.


Au deuxième entracte (après la bouse):


"Alors Alien, t'as sans doute pas aimé non plus ptêt?"
"Ah si! Ah si! C'est gé-nial hein!
"Ah whouais, oufti toi, putain, chef d’œuvre ce truc!
"Tout à fait, je suis d'accord avec toi. Un pur chef d’œuvre! Mais attention, on n'est pas du tout dans la même catégorie: c'est du Ridley Scott hein (j'avais rien vu d'autre de Ridley Scott, mais j'avais chez moi le dico du cinéma de Jean Tulard de 1982).
"Ah bon, quand-même, t'as pas que de la merde dans les yeux, ouf. Mais pour Les griffes de la nuit, t'es complètement largué. C'est LE film de l'année. Bon on se retrouve après le dernier, si tu veux. Tu connais?
"Ben, je connais Dario Argento, oui, de réputation. Y paraît que ce film est un grand classique du cinéma d'horreur. Très subtil. Plutôt dans le genre film d'auteur, tu vois? Assez exigeant.
"Ah ouais?
"Oui oui, un grrrand cinéaste italien, un maîître du fantastique". (toujours le dico à la con)
"Bon ben on va voir ça. A t'taleure.
"Taleure.


Arrive le film. Oh misère... J'avais honte, mais honte. Je ne voulais qu'une chose, c'était me barrer après le film à quatre pattes par la travée ouest, pour pas que le gars me repère. Tellement je trouvais ça mauvais, criard, ringard, kitsch, ennuyeux, vain. Aujourd'hui encore, je comprends pas le prestige dont continue à jouir Argento.

Mais le gars m'avait à l’œil. Alain Noldus, y s'appelait. Les Noldus, c'est connu, ça vous tient à l’œil.

Sitôt le film terminé, au générique, il m'arrive par derrière et par surprise et me ricane dans la nuque: "c'est ça, ton chef d'oeuvre? Ouarf ouarf! Le maître du fantastique! Putain! J'ai failli ronfler comme un gros porc! (il était plus de 3h du mat, faut dire. Moi même j'étais gavé).

"Oui, bon, j'admets, c'était pas terrible du tout. C'était même euh... franchement nul.
"Aaaah, quand-même. T'as pas que de la merde dans les yeux, je suis un peu rassuré. Bon, au moins, t'as aimé Alien, t'es pas encore complètement foutu, comme mec. Bon, je dois y aller, ma femme m'attend. Content de t'avoir revu! Ah, dommage qu'on parlait pas de cinéma, toi et moi, à l'époque!
"Oui, dommage.
Alain Noldus est déjà loin, fendant la file d'un pas alerte et décontracté, avec un sourire super-classe.
"Salut, dis! (j'agite la main comme une fiotte, sincèrement ému, comme s'il prenait le trans-europ-express).

De fait, je n'ai jamais revu Alain Noldus. Vendre des aspirateurs, ça me botterait pas mal. Ptêt qu'il a fait fortune, qu'il dirige d'immenses succursales d'électro-ménager sur la route de Fléron ou autres. J'aurais même pas besoin de lui envoyer un CV, si ça se trouve, vu qu'il s'en fout complètement. Et à juste titre, vu que je me demande moi-même encore à quoi ça pourrait bien me servir, mon diplôme et mon CV de merde.





jeudi 23 février 2012

Mehdi Belhaj Kacem et l'hystérie transcendantale.



C'est plus d'actualité, c'est un vieux post formolique recyclé, c'est pas d'un intérêt hallucinant, et c'est pas très gentil.
ça ne pouvait donc finir que sur ce blog.


Le prochaine fois, ce sera un peu plus sérieux. On causera de Jacques Rancière.

En attendant, ben quoi, on a le droit de se marrer un peu, c'est le droit de l'expression d'l'homme.



Revenons sur cette étonnante série de rimbalderies gériatriques publiées par MBK sur la règle du jeu, le site de BHL (seul disciple rigoureusement authentique - à mes yeux - d'Althusser, son Maître, à qui il rend régulièrement hommage dans ce style pompeux-boursouflé-traumatique qui fait penser à du Chateaubriand version pif gadget). C'était au moment de la révolution tunisienne, et ça semble avoir été pondu sous l'emprise d'une demi-surdouzaine de champis hallucinogènes.



(février 2011)


Ce MBK est véritablement le Frégoli de la néophilosophie slapstick montée en kit, une sorte de girouette multidirectionnelle de compétition.
La palme de l'obscénité lui revient peut-être, bien plus qu'à Badiou. Car il se vautre, pour le coup, dans des jaculations métaphysiques complètement déréalisées, celles là même qu'il reproche à ses anciennes amours fusionnelles.
Kant... blablabla... Hegel... blablabla... Luther... Sainte trinité... Rousseau... blablabliblibloblo... Quel rapport, au juste, avec ce qui se passe?

Il s'imagine sans doute "penser" à la hauteur de l'événement, embrasser l'Histoire en marche, mais qui trop embrasse mal étreint. Graphopathie, opium des autodidactes. La patience du concept, y connaît pas. Monsieur est trop pressé, il croit que l'urgence justifie n'importe quel délire, papillonnage nerveux.

Complètement à l'ouest, même pas dans le ciel des idées pures platoniciennes, mais planant là-haut, tout là-haut, dans la constellation des jeux de mots sonores: bout d'ficelle, selle de ch'val, ch'val de course...


Ce type est incontestablement un hystérique, et c'est pas une insulte psychanalytique: il s'applique à lui-même cette grille très moderne, et gambade dans le psychanalysme comme un jeune chien fou déjà trop vieux. Sans doute dans l'intention de nous divertir un petit peu. Et je dois dire que c'est réussi. Donc, ce serait dommage de ne pas lui rendre hommage pour ces précieux moments de poilade qu'on oublie si vite, dans l'ordre du consommé-jeté instantané d'un art germanopratin du bavardage.


Alors donc. Il passe le plus clair de son temps à se chercher des maîtres, nous suggère-t-il avec une impudeur insistante qui secoue les cocotiers et les palmiers en pot à l'entrée de quelque night-club absolument moderne. Et il s'en est trouvé un nouveau: BHL, davantage à sa portée.

Un nouveau clan, en attendant le suivant: les anciens-nouveaux philosophes. Sa prochaine illumination/révélation, en compagnie du "maître-penseur" André Glux, ce sera que Hegel est le ferment du totalitarisme, etc. Il nous pondra donc inévitablement 5 kilomètres de prose pour faire son erratum.


Qui sera le prochain? Patrick Sébastien? Il est bien parti.




[...]

Mais revenons un instant sur cette affaire d'idolâtrie.


Hystérique, c'est au sens ici de Lacan, pas de Charcot, of course: célébrer le phallus (logos) du maître élu (l'universitaire), tenir haut son sceptre comme un ostensoir, l'adorer et le cajoler, et dans l'opération même, le tenir en échec, défier son savoir en démontrant son impuissance devant la jouissance, laquelle est "au delà du savoir". Mutique, ou, dans son envers symétrique: logorrhéique.

Bref, le couple infernal du maître et de l'hystérique.

De ce point de vue, MBK est une super danseuse-étoile se consumant passionnément sur les feux de la rampe.



Chaque penseur important a ses perroquets idolâtres lui vouant un amour embarrassant et encombrant, convulsif, par ailleurs toujours menacé de désaveu. Puis ils s'en vont "délirer" sur un autre objet.

Deleuze a ses "deleuzolâtres", Derrida ses "derridolâtres", Lacan ses "lacanolâtres", Badiou ses "badiousolâtres", Heidegger ses "Fédier", etc.
J'en ai vu, et entendu, se réunissant dans des séminaires pour des séances de "jeux de mots" en circuit fermé. Mauvaise imitation de psychose pour colloques de colloqués. Locus solus, mais sans Roussel. Et sans le K. Roussel, pas de têtes qui tournent (hihihi).


Mais la pensée de ces 6 là, pour ne citer qu'eux, ne se réduit pas aux esthétiques et postures rhétoriques qu'ils suscitent.


Dans une de ses œuvres maitresses, antiscolastique et philosophie (consultable en son épilogue ici), pierre angulaire décisive du système philosophique pensé personnellement par lui-même, suite à sa formation accélérée sous l'égide protectrice de Badiou, Nancy, "Lacoue", et qqes autres, grandement stimulé dans sa graphopathie, MBK réussit le triple tour de force consistant:

1) à enfoncer des portes largement ouvertes depuis des lustres en s'imaginant béatement percer des coffres-forts scellés avec de la colle super-U;

2) à réinventer quasiment à chaque ligne le fil à couper le beurre, en énonçant par exemple des audaces fracassantes, du genre l'homme a rompu avec son animalité, c'est pourquoi j'ai l'intention d'inventer une théorie nouvelle dont je pressens les linéaments dans Hegel: une anthropologie fondée empiriquement sur la négativité qui se révèle dans la dialectique du m. et de l'e. alors que chez Badiou la négativité est a priori. Et ça, c'est moi tout seul qui l'ai pensé, car j'applique la pensée de Badiou dans la réalité, moi. Et si tu veux, bon, j'ai trouvé des éléments dans Jean-Luc Nancy qui m'ont un peu inspiré cette idée nouvelle, mais sinon, pour l'ensemble, c'est moi et c'est que moi, etc;

3) à maintenir cette exigence de pensée tout au long de l'ouvrage, et ainsi frayer avec une audace inouïe des chemins de traverse où jamais la main du serpent ne s'est aventurée à mettre le? à mettre le? Le pied, voyons, rhooo. Y a en 3 qui suivent.

Lisons un passage, quasi au hasard, instructif sur la problématique fort datée de l'hystérie.
Nous semblons pénétrer ici, à pas feutrés, dans un couvent clos, où un jeune séminariste au charme fou, élevé en anaérobie par frère Tocq, un vieux lacanien "macho", et frère Luc, un vieil heideggerien manquant de tonus, graphopathise le soir venu, dans son journal intime, sa joie émue d'être en passe de dynamiter la pensée française contemporaine internationale:

"cher journal, Dioudiou est rien qu'un vilain macho qui pense toujours avoir raison, et Jeannot est bien trop occupé à astiquer les hosties au presbytère pour s'occuper de moi, etc".

On évoquait Canine, et aussi Le village, l'autre jour. Des fictions ou contes, sur le principe d'une didactologie, disons, dans un univers cadenassé, où on élève ses poussins en batterie. Alors, forcément, le poussin, un jour, il veut ouvrir la cage aux oiseaux, et se laisser s'envoler, c'est beau, pour inventer par exemple l'introduction à la lecture de Hegel de Kojève, dans sa version la plus pauvre, "fukuyamienne", etc, mais le déduisant à partir de Badiou, non, plutôt Nancy, non, plutôt Lacoue, non, plutôt...


(attention, ça fait peur)


Blablablabla… Je pense que nous sommes, et de plus en plus, au moins d’accord sur un point : il est très dangereux d’ontologiser le politique. Dangereux pas parce que cela risquerait de nous conduire à on ne sait quel désastre (le désastre est ce qui est là de toute façon, tout le monde est d’accord là-dessus), mais tout simplement parce que la politique anthropologique (y en a-t-il une autre ?) n’a rien d’ontologique, mais est, éventuellement, une conséquence de l’aptitude qu’a l’animal humain de s’approprier l’être (par l’ontologie mathématique justement, mais entre autres, dois-je loyalement tenir « contre » Badiou). Blibliblablabloblo… Pour Badiou, l’événement est « simple » rupture avec l’Origine. Ce que pense Rousseau, c’est : l’Origine comme rupture avec l’Origine. Telle est la différence radicale de ma conception de l’événement et de celle de Badiou, toutes proportions gardées par ailleurs, comme on dit. C’est en rompant avec l’Origine animale que s’origine la politique, c’est-à-dire « l’inégalité entre les hommes ». (Plus radical encore, ce qui ne peut que « déplaire » à Badiou : c’est à l’être-à-la-science qu’on « doit » l’existence du politique dans la clôture anthropologique, c’est-à-dire expropriation, servitude, torture, guerre, etc. Voire : la politique tout entière est une mimèsis de la science. Cela, je l’ai démontré philosophiquement, dans une toile sophistiquée d’inférences et de déductions précises, et pas simplement assené sans arguments, comme le fait toujours la mauvaise philosophie. Blublubblobloblabla…. Mettons les points sur les i. Ma médiation globale de l’événement, mes conceptions de la subjectivation, de l’Origine comme co-dépendance des procédures génériques entre elles (pour Badiou, tout est séparé, et notamment les « vérités » : c’est ça aussi que j’appelle « machisme transcendantal », et même pas en mauvaise part : ma pensée qui n’est certes pas une « philosophie positive »- est plus « féminine » de ce point de vue, interrogeant les procédures de vérités dans leur co-dépendance organique : j’y reviendrai plus loin), la dialectique métaphysique que j’organise de la Mort (appropriation d’être et pathétique Ŕtragique- du disparaître sont rigoureusement -« mathématiquement »- proportionnés3), donc de la « vie », etc., ma pensée, ne t’en déplaise, ne doit plus rien à Badiou. Son concept de vérité, et lui seul, reste entièrement le mien, c’est-à-dire que je l’applique. Mais je l’applique, et c’est à ce détail que tout se joue, à des vérités négatives autant que positives (plus exactement : à la négativité comme condition de production des vérités positives). Blablabla etc



(Ceci logé dans d'interminables méditations en free style, où l'auteur s'exhorte à réfléchir intensément sur la place et l'importance de l'hystérie féminine dans la quadraturation "papa, maman, la bonne et moi". Là on est dans du Feydeau, très 19è. Il va alors dérouler une quête fébrile de son identité entre Deleuze "le maso" et Badiou le "macho". Et s'il était la part maudite de ceux là, le principe "féminin" hystérique qui transgresse ce bel ordonnancement duel, tenant en échec ces deux positions. Hein? Hein? Soit une Aufhebung à lui tout seul, une suppression-conservation-dépassement d'onc'dioudiou et d'onc'gillou. Bref, c'est lourd de conséquence sur l'avenir du philosophème à la rue d'Ulm, et donc l'Aufhebung de la métaphysique occidentale elle-même. Mais j'avoue, tendant la verge pour me faire fouetter, que je n'ai pas suivi jusqu'au bout cette scolastique œdipienne passionnante)



Oui. C'est plus terrifiant qu'une astounding story de Bradbury ou de Julien Green (genre le voyageur sur la terre): un jeune homme déjà vieux est séquestré par un oncle gâtique dans un manoir, ou un monastère, voulant à tout prix en faire son secrétaire particulier, et le modeler à son image.
Mais le jh déjà vieux se rebiffe, il fait des rêves fous et fulgurants. Il imagine en son for intérieur des paysages philosophiques nouveaux, jamais pensés. Et il sent, depuis quelques temps, sa beauté et sa jeunesse flétrir au contact du vieux crouton qui radote avec ses histoires d'axiomes purs, thésiques.

"rhoo et crotte à la fin, n'y en marre hein. Je me suis laissé dire que de l'autre côté du pont, dans la maison à Bernard-Henri, ça bande un peu moins mou. Bernard Henry me fait des œillades langoureuses, ces dernières semaines, suite à la révolution en Tunisie et tout ça. Genre de me dire, tu vois Mehdi, il est temps de rallier la cause pour laquelle nous nous battons, depuis Soljénitsyne, la Serbie, le Darfour. Rejoins-nous! Laisse tomber ce vieux stalinien antisémite qui t'empêche de profiter de la vie.
Un peu moins de rigorisme militaire, grands dieux, qu'on s'amuse un peu, mais on étouffe dans cette caserne, à la fin. Y a pas d'mal à s'faire du bien. Il faut que je change de crèmerie, sinon je vais péter un câble. Dioudiou passe toutes ses soirées à remater sa vieille vhs de Dirty Harry; tu parles de soirées glamour, hein. Non, mais on s'enkyste, ici. Et j'ai plus le droit de sortir après 23 heures, soi-disant comme quoi je manque de discipline et d'assiduité aux séminaires de dioudiou. ça devient lourd, vraiment. Je ne le su-pporte plus. Et toujours négligé, dans son horrîîîîble pull jaune en laine mitée, sous prétexe qu'on doit se serrer la ceinture, faire des économies pour la révolution, et patati et patataaa. OooOh, la barbe!"




D'ailleurs, la scène de ménage s'intensifie, à l'heure où je vous cause, sur nos téléscripteurs, à une échelle intime qui tutoie "le sens de l'histoire". Il s'agit de laver son linge sale familial à la face (passionnée) du monde. Un mini-opéra transgressif circonscrit à une aire géographique allant de l'école à la garderie.
Pour qui fantasmait encore, sur ce cas, un enthousiasme kantien désintéressé devant l'événement révolutionnaire, y a plus vraiment à tortiller.
Biberonné et cerné par des "processus de subjectivation" gouvernés par les schèmes du lacanisme où le nom du père a remplacé mon papa, KBM se libère, en gesticulant, de ses manceps, et prend à témoin l'Histoire universelle, que désormais, il vole de ses propres ailes. On est content pour lui, mais qu'est-ce que ça peut bien nous faire?

Ce qui surprend toujours, et laisse songeur, c'est cet incroyable nombrilisme non-copernicien, depuis lequel il ne doute pas que ses propres miasmes intimes et règlements de compte intra-psychiques se hissent à la hauteur d'une bio-graphie philosophique éclairant le monde (on songe ici à l'auto-mise en scène de bhl vivant sur le terrain les convulsions du monde en tant que super-reporter), de type nietzschéenne ici, et aussi gigantomachique que la lutte à mains nues de Frodon contre les Nazgûls.
(Non, désolé, moi c'est pas pareil, confondons pas tout: je dégage des idéal-types à "universalité située", c'est très scientifique comme loisir. Un loisir qui me laisse peu de temps pour aller faire Saturnin le canard sur la chaine télé locale RTC-Liège, comme Daniel Salvatore Schiffer.
L'Oscar Wilde des plateaux talk-pub pour le fromage belge. Dans sa période "lévinassienne". Avant de devenir le spécialiste local de la philosophie du dandysme, un créneau plus porteur dans le plan média. Et qui permet de renouveler un peu sa garde-robe. Oui, il y aura droit aussi, prochainement, à sa séquence muppet. Y a pas d'raison.)

Nous vous tiendrons au courant, minute par minute, de ce violent conflit armé qui vient d'éclater, à l'angle de la rue d'Ulm et de la rue Soufflot. Il concerne le destin de la métaphysique occidentale.


Mieux vaut en rire, avant d'en pleurer. En exclusivité, et bientôt chez Mireille Dumas:


Lu les textes de Badiou et Zizek sur la Révolution tunisienne. Plus nuls encore que prévisible. Pas même la peine de réagir à chaud. Le 1789 du monde arabe. Un coup d’arrêt à l’islam politique, contrairement à tout ce que veut faire croire la propagande occidentale, et par exemple – à chaud – la pathétique tentative de récupération d’Ahmadinejad, qui sent que les mois, au « mieux » les années, du parti-État des mollahs sont comptés. Une commune à l’échelle de tout un pays. Un mai 68 réussi. Peut-être la première Révolution situationniste de l’Histoire. Lotta continua, enfin non dévoyé… Je continue à m’amuser, paresseusement, – j’écris énormément sur la situation, quand je peux, par ailleurs ; ça ne fait que trois jours, une éternité –, pour ce blog, en vous recopiant la lettre écrite à la chère badiousiste insultante. Je me dis parfois que je suis d’une courtoisie exquise… Je vous dirai la prochaine fois ce qu’elle a osé me dire. « Alain n’a pas mis deux jours, par exemple, pour sortir sa fraisière : il a dit, devant de proches amis, que je sortais un livre « commandité » par BHL, sic. Archifaux : c’est moi qui suis allé vers BHL. J’ai très vite su que ce serait lui mon éditeur, et je ne le regrette pas. J’ai attendu deux mois avant de lui présenter quelque chose – il ne s’attendait même pas au contenu… –. Il est archiprofessionnel, et j’ai d’ores et déjà hâte de publier d’autres choses chez lui, loin du funeste cas d’Alain B. Qu’en l’occurrence, je lui rende un service inestimable (lui a même dit : « miraculeux »), c’est ça que j’appelle : ne pas faire son oie blanche, comme l’autre tout le temps (l’Incorruptible, la Vertu, le Bien sans mélange, les Vérités éternelles, etc., de la part d’un personnage qui est le démenti vivant de tous ses mots). Le secrétaire de BH m’avait demandé un texte pour La règle du jeu, à l’insu même de son patron (numéro où se trouvent nombre de personnalités parfaitement de gauche…) et en le rédigeant (je sortais d’une assez grave dépression, à cause de tout ça) a très vite germé l’idée d’un livre auquel je songeais depuis des années, pour lequel j’accumulais des notes dont je ne parlais à personne ; le livre est sorti pour ainsi dire d’un jet, à la Nietzsche. C’est une des références constantes du livre : la rupture de Nietzsche avec Bayreuth. La « réhabilitation » actuelle de Wagner tentée par le maoïste français et le stalinien slovène a, tout de même, un sens idéologique malheureusement très précis. C’est la moindre des responsabilités éthiques d’un philosophe qui a lu que de dire aux gens : il y a des philosophes, sur la question, bien plus puissants que ces deux-là : Adorno (« Quasi una fantasia », « Essai sur Wagner »), Lacoue-Labarthe (« Musica ficta »). Et bien sûr Nietzsche. Et il était de mon devoir de me donner le maximum de moyens pour être entendu là-dessus. Le fait que j’ai été « ami » – je vais quand même revenir sur cette appellation… – avec Alain Trucmuche ne fait que me justifier davantage à prendre mes responsabilités sur ce point. Mon livre n’a rien à voir avec tous ceux écrits à ce jour contre Badiou. Il est le premier qui le délimite historiquement, littéralement et dans tous les sens. Vous savez mieux que quiconque que je fus le premier de ma génération à signaler son génie métaphysique, à le défendre, et à le lire comme très peu de personnes, de son propre aveu, l’ont lu. J’ai tout lu, y compris ses nombreux « discours du rectorat » des seventies… Il était donc temps de faire un bilan, et de dire ce que je pense depuis longtemps : sorti de son génie métaphysique, dont je montre dans ce livre à quoi il sert (par exemple : qu’appelle-t-il la vie ? La mort ? Le Mal ? La division des sexes ? Je vous pose personnellement la question. Et j’attends, sincèrement, un jour ou l’autre la réponse), tout ce que Badiou appelle « éthique », « politique », « communisme », « amour », ne vaut strictement rien. » Le « sens de l’Histoire » ? Chiche, kebab.





Bon, OK, parler d'hystérie, c'est user d'un schème daté et contestable, tout comme semble bien datée l'école freudienne de Paris, qui s'est autophagée depuis beau jeu dans sa ptite bouteille, là, et n'intéresse plus grand monde.
Mais ce schème s'autovalide ici, et éclaire le psychodrame, puisqu'il est produit par l'adhésion ou la foi du charbonnier à l'égard des topiques freudo-lacaniennes, vécues comme des opérateurs de "Vérité". On voit les dégâts chez les victimes consentantes de la clinique psychanalytique, et on soupire après un peu de systémique watzlawickienne.


C'est pourquoi je propose de lui substituer une qualification encore plus vieillotte, mais qui a le mérite de trancher le noeud gordien sans s'embarrasser de subtiles contorsions contribuant à déboiser l'Amazonie:


"perruche ventriloque"


Ou, plus simplement encore:


"fumiste".



Avançons-nous à présent, toujours à pas feutrés, sous les volutes bleutées de cette fumisterie.

"J'ai une chance de réussir là où Deleuze à semi-échoué, c'est-à-dire à produire une pop philosophie."


Mazette, vous.




Pop philosophie est une notion dont on fait un peu trop facilement son beurre. Lire Kant, ou Hegel, ou Derrida, Deleuze, Badiou, c'est comme la peinture à l'huile, c'est bien difficile et ça ne donne pas à jerker classieusement en s'agitant comme on lance les dés. Du moins les 20 premières années...

Faut faire ses gammes aussi, perfectionner son petit pas de danse. Et on en a jamais fini, si on souhaite se prétendre (quelle prétention), "philosophe". Pas grand chose à voir, du moins en première instance, donc, avec un "art performance" conceptuel au festival d'Avignon ou que sais-je.


Une philosophie de cocktails littéraires, vaguement "avant-gardiste" ici.

Sous prétexte de fourbir une "anti-scolastique", de rendre à la philosophie sa "praxis", de la libérer des institutions confinées, vers la "Vie", une nouvelle génération de "philosophes" se vautrant avec complaisance dans une pure scolastique, vide, sans destinateur ni destinataire, autologie scintillante, qui ne dit absolument rien, alors qu'elle ambitionne d'exprimer l'urgence des temps présents.
Les concepts ne sont plus que des "gimmicks" et des "jingles", donnant lieu à des démonstrations purement conceptuelles, des "théorèmes" phrastiques, psalmodiant et égrenant des "noms" de penseurs comme on feuillette le catalogue des 3 suisses, au nom desquels sont assénées autant de généralités creuses, et à propos desquels le moins bon "que sais-je" nous en apprendra bien plus.
Et qui n'ont d'autre fonction et d'autre concept, en vérité, que de bâtir leur propre mythologie personnelle.

Le passage de MBK de "Badiou" à "BHL", de ce point de vue, ne doit rien au hasard, mais tout à la logique de son entreprise "philosophique". Il n'est en rien le fruit d'une "révélation" fracassante, à l'instar d'un Claudel découvrant la foi derrière un pilier de Notre Dame - et excipant, c'est le plus douteux, des convulsions du monde, aux fins de se donner l'allure d'un Malraux des temps nouveaux -, mais l'instrument pressant et pressé d'une esthétique de soi. Exactement comme l'aut'zig.

Je vois mal qu'on puisse passer du temps là-dessus. Sauf pour dégonfler la baudruche, chétive pécore s'enflant si bien que...



Le dernier cas d'école sur le "sujet", débattu en ces colonnes, c'était Daniel Franco (déjà oublié): un autre "badiousien" déçu (lui aussi avait fait sa thèse sous sa direction), puis devenu conseiller artistique, mâtiné d'essayiste-poète, dans un théâtre d'avant-garde subventionné.
Il avait saisi le Kaïros pour embrasser la pensée bhl, dans d'interminables rebonds sur le site de libé, consacrés à démontrer que Badiou était antisémite, et se ridiculisant à jamais dans les profondeurs marécageuses du cyber-monde (cad le lieu d'élection des "masses incultes et haineuses" faisant des "graffitis dans les latrines", selon la formule d'Onfray - créateur d'une université populaire contre l'élitisme institutionnel).



MBK, pour moi, philosophiquement, c'est un mix de François Bégaudeau pour le fond, Michel Onfray pour l'audace, et Véronique Bergen ***  pour la forme.
Une "badiou-deleuziste" soustracto-addictive, qui cultive, elle aussi, l'art de la jaculation interminable sur des kilomètres, sorte de pure jouissance scripturale en apesanteur, glossolalique, aux abords d'une "psychose" imitée, donc, d'un "tout au langage" ayant conjuré la pesanteur des "choses".
J'ai tenu dans mes mains, jadis et par hasard, 1500 pages de sa thèse-in-progress, longue coulée verbeuse quasi sans paragraphes, sur Deleuze. Désavouée par son directeur de thèse, Badiou, qui à juste titre n'y voyait qu'un tissu rhétorique - indépendamment du problème posé par la "platonisation" de Deleuze par Badiou -, elle s'en alla la soutenir à Liège. L'objet, rhizomatique, fut réduit de moitié par l'intéressée, vraisemblablement selon un principe de composition aléatoire-contrôlée, comme dirait Witold Lutoslawski. Mais on aurait pu faire du cut-up dans n'importe quel sens; il aurait facilement pu faire le triple, ou ne jamais s'arrêter, et s'exposer à la FIAC, dans un entrepôt. D'un art de "penser" sans jamais relever le stylographe. Puis elle devint une "écrivaine-poète" prisée par le théâtre-poème de Bruxelles - haut-lieu de la snobitude radotante squatté par deux pelés et trois tondues d'une haute-bourgeoise raffinée et aussi fraiche qu'un palmier en pot mais se prenant pour Antonin Artaud, - et accessoirement "philosophe" de plateaux télévisuels, tenant la dragée haute à Luc Ferry (grand moment).
Publie ses "essais" dans une collection baptisée, par un paradoxe délicieux: travaux pratiques.


***  Incise sur la pensée bergenienne:  Par-delà Onfray: la résistivité


[ Attention, la prolifération auto tauto topo logo-graphique psychotisante, en plaquettes de luxe ou en botins kilométriques scellés au fond d'une bouteille de Klein, donc très difficiles à attraper, n'est pas l'apanage exclusif des graphopathes d'une psittacose-toujours "lacaniste" et en partie responsable du  déboisement de l'Amazonie.
Il y a aussi des "badiouso-deleuzistes" soustracto-addictifs et dialectiquement non synthétisables qui s'adonnent à la joie demeurée du scripto-coïtus-psittacistus-ininterruptus, en moult croissances germinatives et rhizomatiques destinées à ne jamais se reterritorialiser dans la zone improbable du générique de fin:


" Si, de façon immanente, toute situation dispose dans le mouvement où elle se construit d’un vis-à-vis qui lui résiste, si les lignes de pouvoir appellent leur doublure par les lignes de contre-pouvoir, il s’agit de voir quels opérateurs logiques de la résistance le schéma dialectique, la voie vitaliste et la coupe axiomatique privilégient.
[…]
Ni bréviaire théorique ni manuel pratique, cet essai entend se tenir au carrefour des résistances de pensées et des pensées de la résistance, pariant pour la bifurcation et l’envol dans le jeu de la matière. A chaque vague d’oppression s’abattant sur le sable, opposer une crête d’écume qui transfigure la mer ; à chaque contradiction du monde, riposter par une dilatation des manières d’exister ; au rétrécissement des forces que l’on porte en soi, répondre par une concentration de l’être en un point doté d’une amplitude maximale.
[…]
Le soulèvement affleure de l’intérieur de l’état de choses dont il ne compose qu’un dehors relatif. Si tout pouvoir engendre le cône de lumière de sa résistance, si leur corrélation vire à l’intrication, la typologie de la résistance s’ancrera dans un critère topologique  - à savoir, la manière dont s’articulent le même et l’autre. C’est le type de nouage produit qui dicte une certaine courbure de résistance : le statut accordé à l’altérité et la façon d’asseoir son rapport au même orienteront sa tenue. "


Ce n'est que l'avant-propos à la préface de l'introduction des 1.500 pages "in progress", en amont comme en aval - et dans l'interrègne d'un mi-temps taupologiquement insurrectionnel -, qui entendront se tenir, d'une main ferme et sans vaciller, sur ce même carrefour des résistances de pensées et des pensées de la résistance. En percutant ad libitum le même grelot tubulaire z'et sonore. La typo s'ancre dans l'topo, c'est l'topo d'la typo. C'est the Big note inane with a big aboli nose. Mais n'est pas La Monte Young qui veut. Ou Monte La qui veut mais Young n'est pas.
Anyway, c'est quand-même très beau. 
Et si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres. Un minimum de respect pour le travail de la pensée, pour la pensée au travail, serait le bienvenu. Collection "travaux pratiques", cela va sans dire. Ne pas déranger, travaux. On oublie trop souvent la praxis du tricot. Une maille à l'envers, une maille à l'endroit...
Quand on pense que certains préfèrent jouer à oxo ou au démineur solitaire... Pff... Faudrait quand-même leur rappeler, de temps à autre, à ces gros nerds inutiles et neuro-végétatifs, que le biglotron universel ne s'est pas construit tout seul, ni en un jour, non plus. Un peu d'tenue, allons. Et le tunnel sous la Manche, ça a coûté beaucoup d'huile de bras et de maillots de corps, aussi. ]
 
 
 


Bergen et MBK, donc, réunis pour le meilleur et pour le rire:





A l'attention de qui, cette "performance philosophique duale"? On ne sait pas trop, mais c'est assez "hype", d'autant qu'un des deux membres de la paire duale est "présent-absent":


Véronique Bergen absente de cette région d'Europe pendant trois mois est restée solidaire du symposium. Elle nous a fait parvenir par la poste une version papier de son texte et une version enregistrée sur cassette. Lors d'une conversation téléphonique elle a exprimé le souhait qu'un portrait de Gilles Deleuze soit projetté (sic) sur l'écran de l'auditorium pendant que son discours serait diffusé pour précéder l'intervention de Mehdi Belhaj Kacem. Ce portrait d'après une photographie a été spécialement réalisé dans ce cadre par le graphiste Guy Peellaert.




Cette absence solidaire de VB de cette région d'Europe pendant trois mois, ça veut certainement dire "performativement" quelque chose qui veut dire quelque chose. Un tel dispositif est un opérateur événementiel, je ne vois que ça. Il traduit dans le champ physique un double mouvement translatif, de soustraction additive et d'addition soustractive. Sur le plan expérimental.



En effet:


Il s'agira d'examiner en quoi la saisie de l'événement comme pli de l'être, flexion de l'Un-Tout (Deleuze) entraîne une précarité dont la localisation, la provenance, les coordonnées et le destin présentent une différence de nature par rapport à celle qui se corrèle à une ontologie du discontinu où l'événement est un supplément rompant avec l'être (Badiou).



On sent le "laboratoire" où se fomentent des concepts et des pensées d'une "radicale nouveauté", dans l'ombre d'un secret très excitant comme une piste de dance dans un club select "underground" où l'on pénètre, le cœur battant, sur carton d'invitation, comme dans After hours.


C'est pas de la "pop'philosophie", même pas du "pop'art". "Mais... Mais, c'est d'la merde?" - "Non, c'est klug".



On pense à Godard visitant les installations des apprentis-plasticiens de l'école du Fresnoy: "ça me parle pas trop, ces machines autistes; ça ne fabrique même pas des cravates".








Véronique Bergen, versant philosophie:


Voir ci-dessus




Bergen, versant littérature:


" Des épées d'argent cinglaient le corps turquoise qui, habile à engloutir la lune au fond de ses abysses, ne livrait aucun récit stable, reine sans roi à l'immense traînée d'écume que fendaient des cormorans. "

Couin-couin.




MBK, versant philosophie:

L’esprit du nihilisme : titre doublement paradoxal, puisque ce livre entreprend parallèlement, et souvent en même temps, de déconstruire le (pseudo-)concept nietzschéo-heideggerien de "nihilisme" et de décrire ce que, par provocation provisionnelle nous appellerons "nihilisme démocratique". C’est graduellement, par la description phénoménologique de la spiritualité exprimée dans la voix moyenne de toute une époque, que se rouvre alors la voie qui a traversé toute la modernité pensante depuis deux siècles : la "redécouverte" de la Tragédie par l’homme sans dieu(x). S’y établit le "secret" découvert à tâtons par cette modernité, sans avoir jamais été énoncé comme tel : renversant la tradition métaphysico-politique de l’Occident, on démontre que ce n’est pas la Loi qui est la condition de la Transgression, mais le contraire. C’est la Transgression qui est la condition de possibilité de toute législation : non seule-ment "morale", politique et civique, mais technique et culturelle. L’enjeu est considérable : si la philosophie, pour la toute première fois de sa tradition, parvenait à renverser le rapport qu’elle a toujours posé entre législation et transgression, démontrant que celle-ci est la condition de possibilité de celle-là et pas l’inverse ; bouleversant au passage le sens même qu’on a toujours accordé au concept de "Transgression", alors la philosophie destituerait enfin la région de pensée qui, avec l’irrationalisme qui lui est propre, et qu’on a plus que jamais raison de qualifier d’"obscurantisme", a toujours "pensé" la précession de la transgression sur la législation : nommément la religion (le "péché originel"). Cette destitution non seulement court-circuiterait le pouvoir du religieux, mais restituerait ce pouvoir, et la tâche d’en penser les conséquences, à cela dont le retrait, depuis trente ans, est le vrai nom du "nihilisme" et du "retour du religieux" : la politique.



MBK, versant littérature:


"Là cherche à me soustraire à sa digestion conquérante se change vite en indigestion enchantée perceptible remue-ménage de la flache au tuf de son bidon l'estomac lourd remonte à l'insuffle des lèvres pareilles à un débouche-chiottes à l'invincible ventouse me démène inutile émotion infernale de la mulsion monstre avant-coureuse du dégueulis entre dans la bouche broyée chuintement du vomi rêche dans la bouche en liquéfaction vers le boyau tenant à peine liquide coule en l'intestin précaire muscles du corps impotents à se bander avale coco avale mes débats plus forfait estomac à l'épreuve abandon paix superbe lèvres jointes dégorge plus forte medley subjectif de son menu en tornades inlassables."



Prout-prout. Du vent.

Circulez y a rien à voir.



Tous les enfants sont poètes, sauf Minou Drouet.
Tous les ados sont philosophes, sauf MBK.

Alors, c'est qui, l'patron, hm? Duke ou le Count?