dimanche 25 décembre 2011

C'est si beau (jukebox série 2)





Ce cinéma est un peu gavant, vu depuis le rétroviseur. Les garçons-bouchers et leur muse Virginie Despentes, avec leur petit museum figé de l'authenticité prolétaire: la java, le merlan, l'accordéon, la gentille putain au coeur gros comme ça, dans le port d'Amsterdam, et ça sent la morue jusque dans le cœur des frites, toutes ces cartes postales à la Brel, Prévert ou Amélie Poulain (plus distinguée, il est vrai).


"La lambada, on aime pas ça, nous on préfère la java...". Comme si préférer la java c'était exprimer la nature propre, l'expression de son essence, l'identité à soi d'une classe sociale, de sa condition déterminée une fois pour toutes dans ses prédicats - et s'en proclamer solidaire.

Les garçons-bouchers nous offrent un petit carnaval vengeur. La lambada, c'est forcément une arnaque destinée aux décervelés du petit écran qui bouffent de l'endémol.
Donc, ils se proclament libres et fiers de n'être pas de ce monde-là. On pouvait cependant décoder autrement ce phénomène: un message codé, depuis une fréquence parasitaire, le retour inopiné d'un fantôme brésilien. Sous Vivagel, la joie pure de danseurs de rue, à Bahia ou ailleurs, remuant avec fierté et à juste titre les courbes affolantes de leurs fesses s'entrechoquant et narguant la mort promise. Quelque chose de la joie et de la fureur argentine du saxophone rauque de Barbieri, El Pampero.

Nos garçons-bouchers n'ont pas eu l'oreille médiumnique. Ils s'appliquent à en offrir la version pitre, rendue au grotesque, au nom, croient-ils, de la dignité du prolétaire, du sans grade, qu'ils représentent (croient-ils). Sur le plateau télé, ils brandissent un bon gros doigt d'honneur bravache et gouailleur, adressé aux puissants et aux multinationales
Préférer la java, chez les garçons-bouchers, c'est un peu préférer, sur un tempo désynchronisé, le "nous" du prolétaire français au "nous" du prolétaire du monde entier. Ils auraient pu choisir d'interpréter une autre java, celle qui sublime la lambada et la porte à sa puissance brésilienne internationale.
Aux multinationales, à Tf1, aux flux capitaux cyniques, ils opposent leur douce France profonde, sa montagne de Saint-Jean, son Paris de Gavroche mythique, sa java la plus belle, qui ensorcelle, toute la bimbeloterie d'antiquaire à la Pascal Sevran qui fait "french authentic touch" du pople (oui, bon, Sevran, c'était la 2, juste avant ou après Patrick Sébastien). Lequel n'existe pas. Ce peuple improbable, qu'ils déclinent sur un vieux tourne-disque pathé marconi, est la vieille rengaine que leur chante cette même chaine à longueur de temps; du même ordre que ce tube creux qu'ils piétinent pour étreindre une chimère. Si bien que leur cri festif de révolte sonne un peu comme un: "laissez-nous au moins ça, laissez-nous rêver au prolétariat authentique; vous avez la puissance, laissez-nous le bon coeur". Une ponkerie sans avenir, bien dans la veine Despentes, qui a l'odeur et le goût d'un vieux suppositoire recyclé qu'on s'enfonce dans le derrière avec un délice masochiste et mortifère.

"Fraternité"? "Retour du prolo au grand cœur chassé par la porte et revenu par la fenêtre?" Un peu, un tout petit peu, mais c'est plutôt l'invocation d'une identité de classe qui avant tout est un mensonge, un "nous" trompeur qui est une fausse valeur produite, intégrée et intériorisée, dont les propriétaires réels sont bel et bien les patrons.

Préférer la java, chez les garçons-bouchers, c'est surtout et malheureusement un peu relockouter le "prolétaire" dans une vieille chanson de Frehel, entre la petite gayole du canari et le seau à charbon, l'obliger à aimer son usine (même perdue) et toute une définition de lui-même qui en découle.
Perpétuer le clivage, la division du goût et des classes tel que définis par l'ordre et le goût dominants. Introjecter un apartheid, se le réapproprier sur le mode d'un "en soi", en faire sa fierté, son étendard. "Moi, je suis Barbara, je suis faite comme ça".


ça me fait penser à la chanteuse zaz: "Oubliez donc tous vos clichés Bienvenue dans ma réalité". Mais sa réalité c'est que des clichés imbitables.

" Je veux d'l'amour, d'la joie, de la bonne humeur, ce n'est pas votre argent qui f'ra mon bonheur, moi j'veux crever la main sur le coeur papalapapapala allons ensemble, découvrir ma liberté, oubliez donc tous vos clichés, bienvenue dans ma réalité. "


C'est combien aliénant, ce folkore de l'être-vrai, intériorisé en nature, de l'être humble, pauvre et généreux, et censé rendre hommage aux Manouches. Toute cette réification. Ce socialisme du cœur. Et rendre tout ça festif, désirable. C'est en fait le triomphe du sarkozysme, son petit panthéon fait de Sardou, Mireille Mathieu, Barbelivien, Maritie & Gilbert Carpentier, bientôt Albert Camus; et les garçons-bouchers y ont parfaitement leur place, à l'insu de leur plein gré.



"Moi, je suis comme ça , c'est dans ma nature". Vraiment, ça me file des boutons, cette chanson. Chaque fois que c'est braillé dans les grands centres commerciaux (hier encore), je dois m'enfuir d'un pas rapide, pour respirer.

J'en ai marre de vos bonnes manières, c'est trop pour moi !
Moi je mange avec les mains et j'suis comme ça !
J'parle fort et je suis franche, excusez moi !
Finie l'hypocrisie moi j'me casse de là !
J'en ai marre des langues de bois !
Regardez moi, toute manière j'vous en veux pas et j'suis comme çaaaaaaa (j'suis comme çaaa)
papalapapapala


Zaz et les garçons bouchers, enfants de Coluche. Toute une esthétique sanctifiant la condition du "prolétaire", censée exprimer le "suc" de son "essence", et l'enfermant dans une image de classe qu'il serait censé cultiver et chérir. Tout ce petit commerce de l'authenticité. A chacun son folklore, bien à sa place, ceux qui s'en écartent sont des traitres à leur classe, des aliénés qui intériorisent l'ordre dominant, des étourdis qui se trémoussent sur le dancefloor, étreignant une frivolité sans objet.
Mais charité bien ordonnée commence aussi par soi-même. On a le droit de casser cette imagerie intériorisée d'un peuple authentique, qui est surtout et essentiellement le point de vue de la classe oisive sur la classe dite "laborieuse" dont Lafargue disait que son désir, éventuellement, ce serait de ne plus travailler non plus. Tout comme la classe souveraine, qui fait semblant de travailler, d'être utile, produisant de la valeur-travail, produisant cette inutile fiction qu'elle sert à quelque chose, de l'ordre du "bien commun", de la "chose publique", et que son pognon, elle le mérite. "Vous travaillez? Le palmier aussi agite ses bras". Et si leur argent ne fait pas votre bonheur, madame, rendez-le, comme disait l'autre.


Franchement, je préfère le strass et les paillettes d'un disco importé de Suède à une java parodiant une lambada déracinée. On entend mieux les moody blues qui s'en balancent, cet ampli qui ne veut plus rien dire. Ces cris qui montent au ciel comme une cigarette qui prie, et puis basta.







Une internationale méconnue:


Time is out of joint

Joyeuses Pâques à tout le monde, l'année prochaine, et tous mes vœux pour 1979 qui s'achève en cette nuit de Noël, de grand matin.
A 14h32 précisément, d'après mon réveil analogique piloté par les signaux émis par la tour radio de Mainflingen (24km au sud-est de Francfort sur le Main).
Cette tour radio intègre une horloge atomique au césium, ce qui en fait la plus précise du monde d'après la brochure. Et c'est vrai.
Ce bel objet ne produit aucun tic-tac, ne se remonte jamais, change tout seul les heures d'été et d'hiver. Une simple pile "mignon" l'alimente depuis plus de deux ans.. Bref, une pure merveille technologique proposée à un prix véritablement indécent.


mardi 20 décembre 2011

Reason-project, part 2

De Val fourré à Disney land, ou addendum au triomphe des Lumières.

M'intéressant un peu plus que d'habitude, ces derniers temps, à la "nouvelle" guerre/croisade civilisationnelle de la Raison contre l'obscurantisme, je découvre ce type, Sam Harris. Quasi par hasard, depuis un lien sur la fiche wiki de Michel Onfray. On y mentionne aussi Christopher Hitchens, décédé il y a quelques jours. Tous deux sont perfidement présentés, avec Richard Dawkins, comme les parangons d'une athéologie éclairée et émancipatrice assurée d'un vif succès dans les libraires "outre-atlantique". Perfidement, car il faut vraiment être intellectuellement malhonnête pour concevoir un quelconque rapport entre le néo-vitalisme scientifique de ceux-là et le vitalisme hédoniste, sanitaire et libertaire de notre précieux contre-historien omni-télévisuel de la philosophie.

J'ai souvent mentionné l'oxfordien Richard Dawkins, comme paradigme préoccupant d'un athéime "scientifique" bio-naturaliste, fondé sur le néo-darwinisme sociogénétique. Nouvelle coqueluche des cours de morale laïque de par ici.

Mais que dire de la prochaine coqueluche? 

Précisément inscrit dans cette mouvance, voici donc le nouveau produit scientifique de choc, "post-11 septembre":
Sam Harris, neuroscientiste nous dit-on, docteur en plein de choses, initiateur du "Reason Project", et auteur du best-seller: "the end of the feath" (2004) salué par un "Pen-Martha Allbrand-Kellog Award for first Nonfiction".

Il porte beau, ressemble à Ben Stiller, travaille sa cool-attitude, lâche de bonnes vannes, bon rythme, parfois un peu straight; doit se roder pour l'impro (quelques trous de mémoire de ci de là quand il s'éloigne de ses fiches).

On consultera avec profit sa notice wiki (pas très sérieux sur le plan méthodologique, pour initier une "recherche scientifique" digne de ce nom, mais j'oserais soutenir qu'à toute science wiki convient une notice wiki).


L'hypothèse de travail de Sam Harris, actuellement soumise à un protocole expérimental d'"imagerie par résonance magnétique fonctionnelle", c'est que toutes les religions sont irrationnelles, une aberration neuro-cognitive qui distord la réalité, et doivent à ce titre être combattues.
Pour sortir de ce mauvais pas où la Civilisation s'est enténébrée depuis des millénaires, Harris préconise, du moins en première instance, le "dialogue intolérant" à forme bénigne ("benign, noncoercive & corrective conversational intolerance"). Il s'agit d'exiger rigueur et honnêteté intellectuelles dans tous les domaines. Face à un religieux, on lui demandera les raisons logiques et les preuves valides de ses assertions. En résumé, on reste cool, mais on accepte moins d'écouter des billevesées sans broncher. On hoche la tête de temps à autre pour ne pas vexer son interlocuteur, mais en même temps on lui oppose sans sourciller une incorruptibilité déstabilisante ("ask proofs"). Cette technique permet en même temps de se créer un mur d'invincibilité spatio-temporel nous rendant momentanément imperméable ("safe") aux attaques de notre rationalité ("bad ideas"). Sam Harris cite comme exemple G.W. Bush, lequel avait le toc de placer "Dieu" dans ses discours: personne n'osait moufter alors que s'il avait dit "Zeus" ou "par Toutatis", on aurait crié "au fou". G.W. Bush étant retourné dans son ranch, on est maintenant autorisé à en plaisanter.
Il est vain de penser, sinon, qu'on peut entretenir un dialogue rationnel, "modéré", avec un croyant, qui somme toute est neuro-cognitivement perturbé, inoffensif ou dangereux selon le sport qu'il pratique - badminton ou thaï-boxing.
Mais d'entre les religions, il en est une dont la folie-irrationnelle surpasse toutes les autres et constitue le plus terrible danger que doit aujourd'hui affronter le rationalisme: la religion musulmane.

Un contresens fâcheux circule sur ce sujet, nourri par l'angélisme du "politiquement correct", l'indulgence des défenseurs de la raison et du sécularisme, et l'irresponsabilité des ennemis du patriot act. A cette erreur de raisonnement pernicieuse, il convient de répondre: intolérance bénigne et correctrice pour les ennemis de la tolérance. La tolérance est facteur d'inhibition et de soumission, nous poussant à intérioriser comme sujets tabous les croyances irrationnelles que nous imposent des idéologies religieuses foncièrement intolérantes. Mais en tant que personnes rationnelles et civilisées, nous devons pouvoir corriger bénignement les attaques malignes dont nous sommes l'objet.
"L'affaire des caricatures" constitue un bon indicateur du problème. Ce que révèle cette affaire sur le plan neuro-cognitif, c'est la distorsion de réalité générée par le système de croyance musulman, au plus bas de l'échelle dans l'ordre de la connaissance.
La connaissance des Musulmans repose, nous explique Harris, sur un livre qui, selon leur système de croyance, a été directement dicté par un ange à un individu schizophrène enfermé dans une caverne. Or les fondamentaux de la religion contenue dans ce livre prêchent la haine et non l'amour, la guerre et non la paix, préconisant le châtiment violent, voire la mise à mort, de toute personne irrespectueuse de leur idole. Cette distorsion du réel produit une hallucination perceptive empêchant les Musulmans de distinguer le "civil" du "religieux", le "séculier" du "canonique". A tout stimulus "A" représenté par une moquerie de cette idole, correspondra donc potentiellement une réponse "B" constituée par une agression.
Aussi est-ce entretenir une illusion vaine et dangereuse que de penser que l'on peut discriminer les "modérés" et les "fanatiques". L'impossibilité de se modérer est dans la nature intrinsèque de cette religion. Le problème souciant n'est donc pas celui du "fanatisme" ou du "fondamentalisme". Les autres formes de religions sont aussi zizi-couin-couin dans la cabessa, mais un Jaïniste, par exemple, épris de non-violence, plus il est fanatique moins vous avez à craindre de sa part.

Tel est le phénomène inquiétant que les caricatures du Jyllands-Posten ont permis de dégager scientifiquement. Aux fins de valider ce fait (fact) scientifique, d'autres mises en situation expérimentales seraient à encourager.
Harris estime que nous devons arrêter de nous voiler la face et entériner que nous sommes en guerre avec les Musulmans. Il en va autant de la sauvegarde de nos précieux fluides corporels que de la préservation d'une civilisation ("saine, sociétale, globale") fondée sur la raison.

En conséquence, Sam Harris enjoint "les communautés musulmanes à pratiquer la critique ouverte de leur foi et d'offrir assistance aux gouvernements occidentaux dans la localisation des extrémistes religieux parmi eux. Il [argue] que les musulmans doivent être préparés au profilage ethnique ("ethnic profiling") comme moyen de combattre le terrorisme, s'il est prouvé que l'adhésion à l'Islam est un facteur statistique pour des comportements terroristes".
Pour faciliter l'étude statistique et compléter les données biométriques, les membres des communautés concernées sont invités à se présenter spontanément dans les diverses infrastructures d’accueil psycho-techniques, où ils subiront une batterie de tests d'imagerie burlesque ("funny pictures") par résonance magnétique fonctionnelle.

(Dans un contexte spécifique d'opérations militaires ("modern warfare") et de protection des populations civiles, Sam Harris défend l'usage de la torture. C'est le "ticking-bomb case" ("imagine that a known terrorist has planted a bomb in the heart of a nearby city etc etc etc")



Nombre de conférences de Sam Harris faisant salle comble sont mises à disposition sur youtube. J'en sélectionne deux qui expliquent très bien tout ça - avec les sous-titres compris, par les bons soins d'un collectif  "franco-français".

(à côté de la dimension "télévangéliste" marquée, il est difficile de ne pas remarquer une mise en scène de "l"information" et un pédagogisme que n'aurait certainement pas renié un Goebbels. Voilà qui n'est "guère rassurant", selon l'expression consacrée. Fort heureusement, le combat éclairé que nous menons pour la défense de notre sage raison, en sa juste mesure, pour oublier la misère, et contre le fascisme, nous tient éloignés de ces fadaises d'illuminés)










mercredi 14 décembre 2011

André Camus n'a pas sauvé le monde



Un des derniers plateaux de Taddéi.

Sur la fin, il reçoit Maïwenn pour son "polisse", ne tarissant pas d'éloges, sous le charme jusqu'à l'extase:

"'c'est la première fois dans l'histoire du cinéma, non, qu'on fait un film qui ressemble à ce point à la vie? ça dure deux heures, mais on a l'impression qu'on pourrait ajouter une heure de plus et que ça ne changerait rien. Y a pas de début, y a pas de fin. Et à la fin, on voit pas le mot "Fin". Vous ne pensez pas qu'on n'a jamais proposé un film qui se rapproche autant de la vraie vie?

(Le film en question, on en donne la B.A. Des tranches de vraie qui font tellement "vrai" qu'on dirait un mix de Julie Lescaut, L627, Navarro et inspecteur Moulin, )

Maïwenn:  "oh ben non hein, y en a plein qui ont fait des trucs comme ça, déjà. Par exemple, Altman. J'ai bcp revu, pour faire mon film, "short cuts", que j'adore."

Taddéi: "oui, short cuts, une adaptation des nouvelles de Raymond Carver. Des tranches de vie, c'est vrai, sans début ni fin. Mais comment expliquez-vous que dans votre film, ce soit si vrai, si proche de la vie?"

Maïwenn: "oh ben si ça fait tellement vrai, c'est juste parce que les acteurs jouent trop bien hein."

Taddéi: "ah ça, donc, ah oui".

Maïwenn: "ben oui, c'est proche de la vraie vie parce que c'est une fiction où les acteurs jouent très bien."

Taddéi: "en effet, ils sont tous formidables. Petit extrait. (Viard et Joeystarr au bord de la crise de nerf. Au milieu, plein de pédophiles et d'enfants abusés. Un rythme trépidant, nerveux, caméra à l'épaule. On pense à un Derrick survitaminé supervisé par Ferrara).


Plus tard, il reçoit Béatrice Uria-Monzon, la plus grande mezzo-soprano de l'histoire de l'univers. Qui triomphe dans Carmen.
Extraits.

Taddéi: "c'est un métier très dur. Bcp plus dur que chanteur ou chanteuse de Rock. La critique et les fans sont impitoyables, alors qu'en rock, les fans vont voir le chanteur au concert, et même si c'est mauvais, ils sont contents parce qu'ils aiment le chanteur. Alors qu'à l'opéra, si vous êtes mauvais, on se fait siffler, puis la critique vous descend en flamme."

Béatrice U.M.: "oh c'est pas si différent, prenez Amy Winehouse par exemple. Sur la fin, elle se faisait pas mal siffler, le public était pas content".

Une intervenante: "oh oui mais non, Amy Winehouse, c'était parce qu'elle annulait tout le temps ces concerts à la dernière minute. Une fois, ça va, deux fois, bon, encore, mais à la dixième fois, le public en a un peu assez, quoi."

Un intervenant: "oui mais là, elle est annulée pour de bon, donc, plus trop de problème."



Après la chanteuse, Taddéi s'adresse à un autre intervenant: "qu'avez-vous envie de dire pour conclure?"

- "Eh bien, on a beaucoup parlé de politique dans cette émission, mais j'ai envie de dire que c'est la beauté qui sauvera le monde, comme disait Camus."

Taddéi: "ah mais pardon, excusez-moi, est-ce que n'est pas plutôt André Breton qui a dit ça?"

L'intervenant: "oui, bon, enfin, c'est un André aussi, alors ça va."


mercredi 7 décembre 2011

C'est dûr d'être aimé par des agités des bocaux (reason project, part 1)


Dans une des ses chroniques humoresques qui font les délices des radiophiles, et spécialement des radiophiles fans de base de l’humour made in rtbf, notre pourfendeur des "agités du bocal" en tous genres (sur la confusion sémantique persistante autour de la vraie nature dudit "bocal", voir incise, point 2.1.) écrit, de cette plume clarifiante, au micro-laser qui signale l’homme de Droit, ces belles pages. 
Traces d’une radio-phonè volatile, heureusement conservées dans la cyber-glaise, et qui devraient être enseignées dans tous les cours d'éducation à la citoyenneté:

" Sur cet attentat perpétré par deux agités du bocal contre le journal satirique Charlie Hebdo, tout a été dit : c'est criminel, c'est imbécile, etc..
Mais il y a une question sur laquelle on entend beaucoup de bêtises depuis quelques jours, c'est à propos du « droit au blasphème ». On confond tout, je crois.

Ce qu'on appelle « droit au blasphème », ce n'est rien d'autre, en fait, que le droit de critiquer et de se moquer des religions. Droit à la liberté d'expression qui s'étend, dit la Cour européenne des droits de l'homme, jusqu'aux « propos qui blessent, qui choquent et qui inquiètent ».

Il est vrai que la Cour n'est pas toujours conséquente avec elle-même, et qu'elle a aussi validé des condamnations pour blasphème prononcées au Royaume-Uni ou en Autriche contre des cinéastes qui avaient tourné en dérision les fondamentaux du christianisme. Il est vrai aussi que les Églises font un lobbying de tous les diables (si j'ose dire) pour que l'Union Européenne protège les « symboles sacrés » des religions.

Donc, il faut être vigilant, mais enfin dans un pays comme la Belgique, on peut dire ce qu'on veut des religions, la seule limite étant l'incitation à la haine envers telle ou telle communauté. Non pas envers telle ou telle divinité céleste, abstraite, mais envers telle ou telle communauté concrète.

" Mais pour se retrouver condamné pour incitation à la haine, il faut avoir eu l'intention d'inciter à la haine, et qu'il y ait un risque réel sur la communauté religieuse. Bref, les conditions d'une condamnation sont très difficiles à remplir, et c'est heureux ! Pour rappel, les fameuses caricatures de Mahomet n'ont fait l'objet d'aucune condamnation judiciaire ni en Belgique ni en France.

Ces caricatures étaient légales, inoffensives - deux trois d'entre elles étaient d'ailleurs très drôles (d'autres beaucoup moins, mais c'est chacun son goût).

Par contre, le droit au blasphème, cela n'a aucun sens. C'est quoi, un blasphème ? Une parole qui outrage la divinité ou le sacré. Mais par définition, pour blasphémer, il faut croire, il faut appartenir à la religion que l'on blasphème. Sinon, le blasphème n'aurait aucun sens, et l'on ne s'en sortirait pas.

Par exemple, si je suis Chrétien et que je dis « Jésus n'est pas le Fils de Dieu, c'est un imposteur », je blasphème gravement ma religion, et il est juste que les foudres du droit canon s'abattent sur moi sans pitié. Mais la même phrase prononcée par un Juif ou un Musulman n'est pas blasphématoire, puisque c'est la doctrine même du judaïsme et de l'islam de considérer que Jésus n'est pas le fils de Dieu mais un simple humain comme les autres (un prophète estimable, ou un imposteur, c'est selon).

Inversement, si je suis Musulman et que je dis « le Coran n'est pas incréé, il n'a pas été dicté par Allah à Mahomet », je risque de passer un mauvais quart d'heure vendredi à la mosquée ; mais je suis Chrétien, il est parfaitement logique que je dise cela, puisque pour moi Chrétien, le Coran n'est pas un texte sacré, il ne peut donc avoir été dicté par Dieu à qui que ce soit.

Et quand Marx dit que la religion est « l'opium du peuple », ou Freud, qu'elle est forme de « névrose obsessionnelle », aucun des deux ne blasphème, puisqu'ils sont athées.

Donc, parlons de liberté d'expression, tout simplement, mais pas de droit au blasphème, qui n'a pas de sens. Si je suis croyant d'une religion, je n'ai aucun droit au blasphème envers les symboles sacrés de ma religion. Un dessinateur musulman ne représentera Mahomet avec un burnout en forme de bombe. Mais si je ne crois pas, je peux dire et montrer ce que je veux, Mahomet, Jésus ou Moïse en train de danser le french-cancan, cela ne sera jamais un blasphème, et si ça choque, ça s'appelle …  la démocratie. "


Tout d'abord, c'est très beau. Comme d'habitude frappé au coin d'un solide bon sens. Et drôle. Fin, très fin, se mangeant sans faim.

Simple question de logique, en fait. Un enfant de cinq ans est censé le comprendre, bien que ce soit pas évident. Merci donc pour cette clarification utile. C'est du boulot, mine de rien, c'est d'la praxis. Je dirais même: de la praxis en action. Et je dirais même plus: de l'archéo-marxisme qui va loin, très loin, dans l'archè.

Alors, le blasphème, que je dise pas de connerie, ça concerne ceux qui croient en l'objet blasphémé, c'est grave pour eux ok, mais qu'y s'débrouillent entre eux, qu'ils lavent leur linge sale en famille. Chacun croit à son truc, sachant que c'est une pure abstraction, une idée céleste, conscient aussi que le truc du voisin est lui-même une pure abstraction, une idée céleste. Si un gus qui croit à la même abstraction céleste que lui se moque de cette abstraction, il est pas content: y a blasphème. Par contre, si le voisin d'à côté se fout de son abstraction à lui, il s'en fout, parce qu'il sait que son abstraction à lui, c'est logique que le voisin d'à côté s'en foute, tout comme il est normal qu'il s'en foute, lui, du truc abstrait du voisin. Et réciproquement, comme dirait Pierre Dac.

Non, c'est puissant. Fallait y penser.

Mais à la vérité, on s'en cogne éperdument, de cette fausse question du "blasphème".

Plutôt que de nous épater avec des trissotineries qui divertiraient à peine un cercle de philosophie analytique de Vienne ou d'Oxford à l'heure du thé, il eût été plus intéressant d'aborder la seule véritable question de fond, qui pose quelque problème un chouïa plus complexe, abritant des ambiguïtés suffisamment élastiques pour que les uns et les autres trouvent matière à y faire leur beurre et leur petite cuisine. La question du "droit à la caricature", de ses limites ou de ses non-limites, des poids et mesures qu'on y met, des frontières poreuses entre "abstrait" et "concret" qu'on placera et déplacera en fonction de la vitesse du vent et de l'âge du capitaine.

Le problème est, il est vrai, rapidement traité par la bande et prestement expédié par la grâce de cette subtile autant qu'évasive distinction entre "abstrait" et "concret":
ben oui, c'te bonne blague, évidemment qu'on y a droit, à la caricature, boudiou d'boudiou, du moment qu'on vise des symboles célestes et pas des personnes concrètes. Et saperlotte de crénom d'une pipe, c'est ça, la démocratie, m'gamin. C'est l'droit à l'expression de l'homme, vindiu!. Comprends-tu bien ou t'es nigaud, à c't'heure?

Oui, on comprend bien, merci. On comprend aussi, déjà, pour commencer, que la "démocratie" dont on nous peinturlure ici le portrait en deux coups de pinceau bien ajustés et avec une bonne grosse gouache qui tache, c'est une pure et fascinante abstraction, faite de segments, de fractales psychadéliks, de courbes fuyant au hasard dans l'espace en s'éloignant à toute allure les unes des autres, sans rime ni raison. Un nœud borroméen, une architecture impossible de Escher matérialisés dans un espace-temps non-euclidien. Un bocal d'un genre très nouveau: une bouteille de Klein en super digital 3D, uniquement visible dans certaines salles Imax avec les lunettes spéciales du Docteur Magellan.
La réalisation insolite d'une sorte de grand rêve universaliste abstrait fondé non pas sur du "différend", mais sur un différentialisme concret. Dans cette étrange contrée reculée, proche de la grande Garabagne, où nulle main du serpent n'a jamais posé le pied, il n'y a ni "même" ni "autre", ni dialectique ni absence de dialectique, ni "consensus" ni "dissensus"; il n'y a ni communication, ni traduction, ni interférence. Juste une diversité d'espèces indifférentes les unes aux autres à un degré introuvable dans la mère nature elle-même..  "Qui parle de lion à un passereau s'entend répondre: tchipp". Les cieux sont vides, circulez, y a rien à voir. Rentrez chez vous, chacun chez soi, un dieu pour chacun, et merde à tout le monde.

Je me demande même comment il est possible d'en causer. Faudrait inventer un Volapük modulable, disponible en kits aléatoires à partir desquels chacun construirait son propre langage privé, compréhensible par lui seul.


Quant à la "vision" bizarroïde des "rapports" qu'entretiendraient les religions avec elle-mêmes aussi bien qu'avec les autres, il s'agit là sans doute d'une toute nouvelle anhropologie culturelle, ne devant rien au diffusionnisme de Bronislaw Malinowski mais vaguement inspirée de la pataphysique d'Alfred Jarry. Dans un mauvais théâtre de l'absurde, par la troupe du Trianon, ça donnerait quelque chose comme:

- Tiens, moi je suis chrétien, je crois à Jésus mais je sais que c'est un truc pas concret, qu'existe pas. Ah salut, t'es chrétien, toi aussi? Comment? Tu te moques? Salaud, va, blasphémateur!
- Salut les mecs, je suis musulman, je crois à Mahomet, un autre truc abstrait. Vous vous moquez? Ben j'm'en cogne. Votre truc abstrait à vous, entre-nous, c'est pas ma came et ça me fait plutôt rigoler.
- Ah ouais, je te comprends, le tien aussi, note. Enfin, tu fais ce que tu veux, c'est pas notre problème.
- Youhouu, du bateau, salut les chrétiens et les musulmans, ça biche? Moi je suis juif, et j'ai un autre truc super abstrait qui m'botte pas mal.
- Mais fais ce que tu veux, mon gars, on s'en fout.
- Merci, sympa. Occupez-vous de vot'truc, en passant, je m'occupe du mien.
- Salut mes poules, je suis athée et je vous emmerde tous.
- Mais on s'en cague, bibiche, c'est tes oignons.

Et pour les autres, les démocrates, les laïques, attachés au legs de la civilisation des lumières, y sont pas concernés, y s'en foutent aussi. Pour eux, ce que font les uns et les autres, aux uns et aux autres, de leurs trucs abstraits, c'est juste de la caricature, point barre. Et la caricature, y z'y ont le droit pour tout le monde, toute la smala. Parce que c'est leur liberté de penser, comme disait Florent Pagny, ensuite de s'exprimer.

Ce très précieux droit à l'expression d'une parole si souvent réprimée, brimée, refoulée, cadenassée, par la machine du pouvoir oppresseur craignant tant la communication. Foucault avait esquissé un soupçon au sujet de l'expression libératrice. Mais on va pas s'attarder, après tout on est là pour le fun, le plaisir de la papote communicante. Non, juste qu'il suspectait que l'effectivité des dispositifs de pouvoir consistait bien plutôt à redouter le silence, les non-dits, les secrets chuchotés, voilés, et à valoriser la production proliférante des discours dévoilant intégralement les sujets, s'exposant et se racontant sans relâche, se rendant transparents à un quadrillage annulant progressivement les dehors, les zones indistinctes, ou d'indiscernabilité.
Deleuze, à ce propos, écrivait - et c'est un grand classique dont on pourrait causer à la reuteubeu:


" On fait parfois comme si les gens ne pouvaient pas s’exprimer. Mais, en fait, ils n’arrêtent pas de s’exprimer. Les couples maudits sont ceux où la femme ne peut pas être distraite ou fatiguée sans que l’homme dise : « Qu’est-ce que tu as ? Exprime-toi… », et l’homme sans que la femme, etc. La radio, la télévision ont fait déborder le couple, l’ont essaimé partout, et nous sommes transpercés de paroles inutiles, de quantités démentes de paroles et d’images. La bêtise n’est jamais muette ni aveugle. Si bien que le problème n’est plus de faire que les gens s’expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire.

Les forces de répression n’empêchent pas les gens de s’exprimer, elles les forcent au contraire à s’exprimer. Douceur de n’avoir rien à dire, droit de n’avoir rien à dire, puisque c’est la condition pour que se forme quelque chose de rare ou de raréfié qui mériterait un peu d’être dit. Ce dont on crève actuellement, ce n’est pas du brouillage, c’est des propositions qui n’ont aucun intérêt. Or ce qu’on appelle le sens d’une proposition, c’est l’intérêt qu’elle présente. Il n’y a pas d’autre définition du sens, et ça ne fait qu’un avec la nouveauté d’une proposition. On peut écouter des gens pendant des heures : aucun intérêt… C’est pour ça que c’est tellement difficile de discuter, c’est pour ça qu’il n’y a pas lieu de discuter, jamais. On ne va pas dire à quelqu’un : « Ça n’a aucun intérêt, ce que tu dis ! » On peut lui dire : « C’est faux. » Mais ce n’est jamais faux, ce que dit quelqu’un, c’est pas que ce soit faux, c’est que c’est bête ou que ça n’a aucune importance. C’est que ça a été mille fois dit. Les notions d’importance, de nécessité, d’intérêt sont mille fois plus déterminantes que la notion de vérité. Pas du tout parce qu’elles la remplacent, mais parce qu’elles mesurent la vérité de ce que je dis. Même en mathématiques : Poincaré disait que beaucoup de théories mathématiques n’ont aucune importance, aucun intérêt. Il ne disait pas qu’elles étaient fausses, c’était pire."



Sinon, pour en revenir à des trucs plus funs, plus légers, on est ravi d'apprendre que l'humoriste en question est pas du tout coincé en matière d'humour, de rigolade, comme garçon. En effet, un rien l'amuse et il est jamais le dernier à garder pour la bonne bouche une de ces histoires de toto gratinées pour faire marrer les convives à la fin du banquet. 
Les caricatures danoises de Mahomet, par Kurt Westegaard (invité d'honneur en septembre 2008, avant de caner dignement, du congrès du Dansk Folkeparti, le parti danois d'extrême-droite), courageusement relayées en leur temps par Charlie Hebdo, par exemple, ça l'avait plutôt poilé.
Le prophète, c'était pas tant qu'il soit prophète, qui avait tirlipoté quelques uns, dont ma pomme. C'était que sous son turban faisant office de bombinette, y avait un stéréotype ethno-facial très rigolo: le nez crochu, le sourcil fourbe et broussailleux, comme le rictus sous la barbe dissimulatrice.

Il y eut aussi, rappelons-le, embarqué dans cette croisade au souffle homérique, marquant le retour, enfin, du courage, le courage d'un "parler-vrai" balayant la langue de bois et la bienpensance frileuse des bobos (comme dit Zemmour), le caricaturiste néerlandais Gregorius Nekschot, autre martyr de la liberté d'expression selon Val & Fourest.
Cette dernière, fort sourcilleuse sur la liberté d'expression des démocraties, danoises ou hollandaises, lui rendit visite aux Pays-Bas pour une interview exclusive, parue en juin 2008 dans Charlie Hebdo, soit deux ans après la publication des caricatures danoises. Nekschot y déclare: "les musulmans doivent comprendre que l’humour fait partie de nos traditions depuis des siècles". Parmi ces manifestations d'humour, on trouve, entre autres, un imam imposant une fellation tantôt à une petite fille voilée, tantôt à la petite Anne Frank. Plus loin, le même, ou un autre, sodomise une chèvre en déclarant: "il faut savoir partager les traditions". Nekschot est un anti-multiculturaliste libertaire qui se censure pas, jamais. Vachement subversif, il enfonce grave tous les tabous. Et bien sûr, il a un gros, très gros potentiel de libération pulsionnelle au niveau du sexe, sujet qui le passionne. Trublion haut en couleurs d'une époque révolue: celle d'une presse libre et indépendante. Fourest de conclure, à l'époque, que si de tels traits d'humour peuvent parfois manquer de finesse, il faut, pour mieux en apprécier la portée, les resituer "dans un contexte néerlandais ultratolérant, voire angélique, envers l’intégrisme". (Pour plus de détails sur les combats menés par Charlie Hebdo - à l'époque de Philippe Val & Caroline Fourest - pour la défense de nos démocraties laïques, voir ci-dessous les articles de Mona Chollet placés en liens).

Alors ne faisons pas les prudes protestants, les bégueules. Faut se décoincer un peu le cul, je dis. Même si on aime pas ça, c'est un bon signe pour la bonne santé de nos démocraties. Moi, j'suis démocrate. Je m'incline devant ces choses là, même si ça me fait pas plaisir. Parce que c'est ça, la démocratie. Eh quoi, allez-y voir un peu, dans les anciens asiles psychiatriques abandonnés en Sibérie, si on se marrait tant que ça, si on avait droit à la caricature. Je peux vous garantir qu'on s'agitait pas le bocal tous les jours
Y en a un peu marre des intimidations sur la sacro-sainte intouchabilité ou non-représentabilité des icônes. Voltaire est passé par là, quoi. Dégrafons un peu le slip, à la fin, cool, décontractés. Sinon, c'est comme il dit, c'est chacun son goût. Et les goûts et les couleurs, ça se discute pas. Même chez les postkantiens, ça se discute plus, on s'en tamponne. C'est quoi, cette prétention ridicule à l'universalité? Parce que moi, j'aime les chansons d'Yves Duteil, je pose que la beauté des chansons d'Yves Duteil est en droit partageable par tous? C'est pas moderne, ça. C'est pas décontracté.

Bon, j'avoue, moi-même j'étais un peu constipé. J'avais écrit, à l'époque, à propos des "caricatures danoises":

" Le même saisissant art de croquer, avec toutes les caractéristiques y afférant, on ne sait trop quel représentant iconique du prophète, mais ethnologiquement bien situé, aux sombres desseins envahissants et hostiles, bien entendu, joints à l’inénarrable rictus stercoraire du fanatique de base, n’aurait pas déparé, par son esthétique plus que relativement nauséabonde, et dans un passé encore récent, dans un édito de « je suis partout », s’il s’était agi de « croquer » le Juif.
Mais ne faisons pas deux poids deux mesures. Monsieur Philippe Val, avec la rigueur et la compétence du vilipendeur de toutes les formes de racisme religieux ou ethnique, a su surmonter avec panache ce type de scrupules éthiques, en nos temps sombres, troubles et menacés.
Il a su avec courage ne pas surfer sur les peurs archaïques d’invasions barbares, éviter de brasser l’air dans les espaces démago-populistes de jadis-Le Pen, et, avec une imparable rigueur dans l’analyse socio-ethno-politique de la mondialisation, ne pas emboîter le pas aux harangues sur le choc des civilisations martelées par quelque idéologue rigoureux néocon. "


Mais notre nouveau François Pirette, qui ne doit pas souvent ouvrir Charlie-Hebdo, car ça fait bien longtemps que cette grasse feuille de chou pseudo-libertaire ne fait plus rire personne (sauf peut-être au club de l'Horloge), est nonobstant attentif et vigilant sur toutes ces choses par ailleurs évidentes.
D'ailleurs, soyons bien clairs sur un truc précis: c'est pas parce que la devanture de Charlie Hebdo exhale de vagues (?) miasmes de poisson pas très frais que j'applaudis des deux mains au fait que deux atrophiés du bulbe, certainement fanatiques et ça personne le contestera, fasse sauter les locaux et le matériel informatique de journalistes libres et indépendants, travaillant d'arrache-pied à la promotion de la tolérance et à la défense des valeurs démocratiques. Non, ça, comme tout le monde, je réprouve énergiquement. Moi, je suis comme Voltaire, je me battrai jusqu'au sang, et avec mes petits poings, pour que chacun chacune ait le droit d'exprimer une opinion que je ne partage pas. Mais pas en faisant acte de violence ou de terrorisme.
Quand je suis pas d'accord, je mobilise mon droit à caricaturer des caricatures. Je me contente de pouffer dans mon coin, d'un rire asthmatique, comme Diabolo le chien à Satanas, en usant de ma liberté d'expression d'l'homme. Et si parfois - rarement - je m'autorise à ricaner de façon choquante, blessante ou inquiétante, c'est quand violence est faite à l'homme universel dans sa diversité et divers dans son universalité, comme dirait là encore Pierre Dac. Sur cette question, je le confesse, j'ai toujours un petit pet de travers et je suis un peu coincé de l'anus. A cet égard, je me définis personnellement, sur le plan philosophique, non pas comme archéo-marxiste, mais comme protestant-oécuménique. Ce qui m'a d'ailleurs valu quelques railleries & excommunications dont auquel je ne prends pas ombrage.

Donc, plus que jamais, faut rester vigilant sur le droit à la libre expression non-violente des points de vue des uns et des autres.
Et la vigilance, chez notre radio-chroniqueur de billets d'humeur, c'est pour ainsi dire une seconde nature, vu qu'accessoirement, comme violon d'Ingres, il fait aussi directeur d'un "Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme". On va donc pas se couvrir davantage de ridicule à pontifier ou enfoncer des portes ouvertes. Il prend bien soin lui-même de nous le rappeler, tout ça, et de bien nous expliquer que chez nous, en Belgique, on confond pas une abstraction céleste et une communauté concrète: 

"[...] Donc, il faut être vigilant, mais enfin dans un pays comme la Belgique, on peut dire ce qu'on veut des religions, la seule limite étant l'incitation à la haine envers telle ou telle communauté. Non pas envers telle ou telle divinité céleste, abstraite, mais envers telle ou telle communauté concrète."

Et c'est ben vrai ça, comme disait Mère Denis.

Donc, résumons-nous:

Si je suis musulman et que j'accroche des vessies de porc aux boucles d'oreille du prophète, je risque de passer un sale quart d'heure à la mosquée, et je fais rien qu'à emmerder ma communauté religieuse abstraite.
Si je suis pas musulman et que j'accroche des vessies de porc aux boucles d'oreille du prophète, bon ben c'est à peu près pareil: j'indispose une communauté religieuse abstraite, à ceci près que c'est pas la mienne. Je ne passerai donc pas un sale quart d'heure à la mosquée, puisque je fréquente pas les mosquées.
Ils sont susceptibles sur les icônes saintes intouchables, ok, c'est leur problème, leur petite tambouille religieuse. Mais moi, je m'en fous de ça, j'suis démocrate, laïque, j'suis pas concerné, comprenez? J'insulte personne. Où est l'incitation à la haine, là-dedans? J'emmerde pas les braves musulmans qui font partie d'une communauté concrète de musulmans, je me moque juste des « symboles sacrés » de leur religion, de leur icône abstraite ou céleste qu'y prennent pour concrète.
En dehors de ça, ben quoi, y a pas d'lézards. Faut vraiment être des agités du bocal, un peu et même carrément arriérés sur les bords, incapables de comprendre que dans nos démocraties modernes, cool, décontractées, représentées par un organe de presse démocratique moderne, cool, décontracté, comme Charlie Hebdo, on s'en bat le steak de la coupe de cheveux et de la garde-robe du prophète. Sont trop cons, en plus d’être des criminels : z'arrivent tout simplement pas à percuter que si ça les emmerde, eux, ça nous emmerde pas, nous. C'est pourtant simple.

Oui, parce qu'ils sont un peu en retard, faut comprendre, sur la distinction entre société civile et société religieuse de nouz'autres. Non, vous savez, ces gens là, ils ont déjà du mal avec la distinction, pourtant évidente, entre "abstrait" et "concret". Sans déconner, pour eux, cette distinction est abstraite, mais ça, ils le savent pas, et pour cause. Ces zouaves sont restés prisonniers de la pensée magique.
Enfin, quand on réfléchit un peu, au niveau de l'archè, c'est pas si évident non plus à saisir, quand on y pense, "abstrait/concret". Si je crois très fort en un dieu, même en poussant assez loin le bouchon dans une réflexion très "méta" autour de ça, comme un Jean-Luc Marion, est-ce que j'ai bien conscience, au moins, que c'est un bidule purement abstrait? Enfin, pas concret du tout, quoi, s'tu veux, comme la môme néant, là, qui existe pô. Une idéalité céleste, je veux dire, au sens du ciel des idées de Platon. Un étant suprême, mais bizarrement, qu'est pas là à la manière d'un autre étant. Est-ce qu'au moins quelqu'un d'un peu finaud m'a mis au parfum de cette sophistication? Chais pas, même Platon, éventuellement, y pensait ptêt pas que le ciel des idées, c'était abstrait, comme truc.

Non, moi y a un truc qui me dépasse, c'est les bouseux qui croient encore à un dieu. Sont pas post-modernes, ces gens là. Non allez, franchement,  imagine un peu: ces gens-là, y croient à un dieu, et le plus comique dans cette affaire, c'est qu'y soupçonnent même pas que ce dieu, abstrait ou concret, tout le monde s'en fout sauf eux, tout le monde trouve que c'est une grosse farce sauf eux. Tous les gens normaux, enfin je veux dire évolués, savent ou ont compris que c'est un truc abstrait, qu'a aucune réalité. Mais eux non: y croient que ça existe vraiment, que c'est réel. Et partant de là, ils ne captent pas immédiatement que pour toi, c'est tellement une grosse farce ridicule que t'as évidemment le droit de t'en moquer, d'en rigoler à gorge déployée, en te tapant sur les fesses tellement c'est marrant.

C'est un peu comme si, je sais pas, moi, je crois que la démocratie, c'est concret, même si paradoxalement, ça existe pas; c'est pas une chose, un état de chose, c'est pas un étant qu'est là, c'est un projet indéterminé, une exigence, une promesse, une case-vide, que sais-je; ça existe tellement pas qu'y faut l'inventer - et l'inventer constamment, sinon on est tout près à croire que c'est arrivé. Et faut dire que pour certains, c'est une Chôse tenant à la fois de la magie et du sacré. La magie du Nombre, et le sacré du décompte des urnes. Mais je crois très fort à ce principe, je crois que ce principe abstrait-concret, présent-absent, est le partage le plus proche de la vérité concrète. J'y tiens par dessus tout, et je me bats pour ça, c'est un truc que je prends très au sérieux, je suis vachement engagé et tout. Je suis un peu comme Philippe Val, quoi. Et je trouve mon truc tellement bath, que je voudrais que tous les ptits gars et toutes les ptites gates du monde, encore sous le joug de la pensée magique ("participative" selon Lévy-Bruhl), se rallient en masse à ma lanterne éclairant l'univers.
Là dessus, y a un grossier merle, beauf et rougeaud, pas très culturé, sentant un peu le graillon et la vinasse (comme aime à dire Philippe), qui se radine et qui me pète de rire à la tronche en disant: oh le con, le veau, y croit en un machin abstrait qui existe pas, eh, laissez moi m'marrer, mais c'est du vent, ton truc, c'te bonne blague. Attends un peu, je m'en vais barbouiller ta grosse merde, moi.

Alors, évidemment, moi, je suis comme Philippe: j'suis ptêt raffiné, érudit, n'aimant rien tant qu'à me plonger avec délice dans mon exemplaire collector du tractatus théologico-politicus avec les notes infra-paginales d'Alain Minc et la special-dédicace de Robert Redeker. Mais je suis aussi un mec cool, moderne, décontracté. Je me prends pas au sérieux, j'suis pas le mec arrogant. Je vais me marrer à couilles rabattues avec ce gros beauf suintant, selon la vision démocratique du beauf popularisée par mon pote Cabu dans Charlie, sans arrière pensée, parce que déjà, si ça se trouve, j'y crois même pas moi-même à mon truc, je suis pas sérieux et je suis le premier à plaisanter là-dessus. Si ça se trouve, on va se prendre une bonne biture ensemble, puis on ira voir les putes en criant "mort aux vaches!", pour réveiller en plein milieu de la nuit les bourgeois-bobos qui se lèvent à cinq heures pour aller chercher du poisson frais dans la dernière poissonnerie hype de leur quartier chic. Ben voilà, c'est ça, nous on est des mecs cools, pas arrogants, pas constipés, qui se prennent pas au sérieux et qui font pas les fiers. On imagine pas une seconde que si un agité du bocal vient se foutre de notre gueule en crachant sur des principes, des symboles abstraits qui nous sont chers, on va prendre la mouche, lui plastiquer sa limousine ou l'assigner en diffamation. On est pas comme ça.
Mais ces gens-là, y sont pas comme nous. Déjà qu'y comprennent pas bien ce que c'est qu'une "abstraction céleste". Non, moi je dis toujours, ces gens là, tu les emmènes au musée voir la pomme à Van Gogh, eh ben y veulent croquer la pomme, à tous les coups. Alors c'est pas difficile d'imaginer qu'ils ont pas bien percuté la nouvelle donne que représente l'avancée laïque dans nos démocraties modernes, la séparation de l’église et de l’état, tout ça.

Parce que nous, faut le dire aussi, ça, on en a un peu fini avec les images pieuses qu'on distribue au catéchisme. Bon, toute façon, laisse tomber, va, c'est pas la peine, y comprennent rien. Comme dit Philippe, c'est des illettrés, j'te dis, des paysans. Non mais quoi, essaie un peu d'expliquer la démocratie moderne à des éleveurs de chèvres, t'es pas rendu, j'te l'dis. Et comme disait Daniel Leconte dans son hagiographie iconique de Philippe Val menant croisade pour le droit à la coolitude décontractée de nos démocraties modernes, citant sa Une de Charlie: "c'est dur d'être aimé par des cons". Bon, maintenant, c'est plus Philippe, c'est Charb, un aigle, lui aussi. Un authentique démocrate. Et c'est vrai que c'est honteux, criminel, faut le dire et le répéter, d'avoir fait basculer dans l'abstraction pure, d'une minute à l'autre, tout un matos hyper-précieux, sans compter les disques durs, qui faisait bien avancer la démocratie.
Quant à Philippe, on le sait, ça va plutôt bien pour lui. On l'entend moins, il est moins spasmodiquement agité de sa personne. Ayant suffisamment lustré dans le sens du poil le "projet de civilisation" du sarkozysme - qui a fait "plouf" mais se relance timidement de temps à autre, au gré de quelques "débats" nationaux vendus au lot et à la criée -, il a reçu comme récompense le hochet à floches "France Inter". Libéré, enfin, de la contrainte schizogène de se fader la compagnie de ces gros beaufs vulgaires ex-gauchistes qui lui répugnaient tant, il s'en trouve comme apaisé et réconcilié avec son moi profond. Il écrit aujourd'hui le deuxième tome de sa somme philosophique. Au "traité de savoir survivre par temps obscurs" succédera peut-être le "traité de savoir profiter de la vie par temps lumineux". Pourvou qué ça doure.



Maintenant, attention. Si je fous en guise de boucles d'oreille des bombes miniaturisées sur les bigoudis à Moïse (aka Charlton Heston) ou dans les tresses d'un hassidim sortant de la synagogue, si je montre un rabbin sodomisant un jeune officiant en pleine Bar Mitzvah, ou encore un sofer dissimulant des sacoches de diamants dans le Sefer Torah, là on n'est plus dans l'abstraction du tout. Ah non. On touche à quelque chose de sacré, et de sacrément concret moi j’te l’dis, entre quatre yeux. Ah là, c'est clair, y a pas à tortiller du croupion où à s'agiter le bocal et compagnie ou quoi ou qu’est-ce: j'incite à la haine raciale, je stigmatise une communauté concrète en usant de stéréotypes racistes. Oui, parce que les "symboles sacrés" ou les représentants du culte juifs, à l'inverse des autres, c'est pas des abstractions. On n'est plus dans le céleste et le cuicui qui effarouche les agités du bocal. On verra aussitôt que la moquerie n'est pas "neutre": qu'indirectement, par la bande, sont visées des personnes réelles, de chair et de sang. La Licra déposera aussitôt plainte, et personne ne criera "au fou" en rappelant, sur un ton paternaliste, le droit démocratique élémentaire de se moquer des religions et des religieux.
Les prophètes, aucun problème. Montrer Mahomet avec un burnout en forme de bombe, c'est exactement de la même nature et du même ordre que montrer Jésus ou Moïse dansant le french-cancan, certes. Juste comparaison. Fort pertinente et éclairante: c'est anecdotique, insignifiant, de la même totale innocuité. Faudrait vraiment être un peu agité du b..., pardon, d'une mauvaise foi crasse, pour trouver que "burnout en forme de bombe", c'est moins rigolo que "danser le french-cancan", pis aller chercher dans "burnout en forme de bombe" on ne sait trop quelle signification cachée ou message subliminal. Donc, passons.
Un gros arabe paressant sur un pouf, disant: "le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs" (autre œuvre poilante de Gregorius Nekschot, agréée et défendue par Val et Fourest contre les constipés et les crispés qui sacralisent tout), nous appellerons ça des moqueries, un peu plus osées, un peu plus audacieuses certes, mais qu'on laissera à l'appréciation du goût de tout un chacun. Exercice du libre droit démocratique de railler des choses abstraites auxquelles on croit pas et qui n'ont rien de sacré pour nous.
Une affiche de propagande des années 30 représentant un barbu en kippa avec des dollars à la place des yeux, et se frottant les mains avec un rictus diabolique, nous sommes par contre bien informés, même si c'est chacun son goût, sur le fait que ça ne vise pas qu'une communauté religieuse, abstraite, sur le fait qu'on n'est plus dans l'ordre de la seule caricature, de la liberté d'expression "s'étendant au droit de blesser, choquer ou inquiéter", et n'indisposant éventuellement que des bouffeurs de pain azyme. Qui pendant ce temps s'adressent des blasphèmes entre eux, et gratinés. D'ailleurs, Chrétiens, Musulmans ou Juifs, du moins ceux qui sont pas orthodoxes, adorent autant blasphémer entre-eux que se moquer de leur "communauté concrète": simplement, quand ce sont les autres qui le font, c'est moins drôle et ça manque cruellement d'imagination. Chez les Juifs, nous adorons aussi nous foutre de la gueule de certains "goys" qui voudraient se faire plus juifs que le pape. Non, je précise, au cas où quelque passionaria du bocal dépisterait au compteur Geiger dans mes propos un signe flagrant de "judéophobie".


Et à part ça. A toutes choses égales et en appliquant "juste un peu plus loin" cette saine et basique distinction entre sacré et profane, droit canon et droit séculier, du moins telle qu'elle nous est expliquée plus haut avec moult exemples avérant un sens consommé de la pédagogie amusante - distinction en vertu de laquelle je ne "blasphème" rien du tout si je raille des "symboles religieux" auxquels je ne crois pas et qui ne représentent pour moi rien de sacré, qu'est-ce qui m'interdit, au juste, de "profaner" je ne sais quels lieux soi-disant sacrés, plombés par un décorum de falbalas aussi grotesque pour moi que la tenue de guignol à chapeau pointu de Benoît XVI? Ce serait quoi, la différence de nature?
Au nom de quoi j'irais pas danser le french-cancan sur les tombes d'un cimetière musulman, chrétien ou juif, puis, éventuellement, pour la marrade, soulager Alphonse de la bibine de mon quatre-heure et y déposer ma petite crotte? J'suis protestant-œcuménique tendance matérialiste athée. Je crois pas en la survie après la mort. Les sépultures, de quelque nature ou forme soient-elles, depuis Toutankhamon et bien avant, ça me fait bien rire. C'est ridicule. A titre de manifestations d'une névrose obsessionnelle, comme disait Freud. D'ailleurs, je vais jamais aux enterrements. Je pense jamais aux morts, c'est une perte de temps. Et les cryptes, c'est bon pour les films de Roger Corman. Tout ça, c'est des symboles religieux auxquels je ne crois pas, qui ne représentent rien pour moi, et donc pour moi, y a rien de sacré ni de concret là-dedans. C'est aussi abstrait qu'un bout de papier chiffonné couvert de graffitis idiots. C'est juste des vieilles pierres couvertes de moisissures, avec des pissenlits tout autour, et dedans un peu de poussières d'ossements inoffensives. J'en ai fini depuis la maternelle avec la pensée magique, j'en suis plus à fantasmer qu'un peu de cendre éparpillée dans une sous-pente abriterait une "anima" ou je ne sais quel "pneuma". Je vais pas être saisi par le thambos à la vue du médaillon à moitié effacé d'une vieille bigote canée d'une méningite avant la guerre 14, et dont plus personne ne se souvient. Alors permettez un peu que je fasse pleurer le colosse. Le french-cancan, ça m'a bien agité la vessie. Et puis, eh oh, si ça vous choque, tant pis hein, ça s'appelle la démocratie.



Mais revenons aux missiles planqués dans les tables de la loi que YHWH donne à Moïse, et autres portraits de rabbins sodomites. Autant la bombe dans le burnout c'est chacun son goût; autant l'imam pédophile et enculeur de chèvres rencontra la mansuétude de Val & Fourest, qui ne virent dans ces sains exercices démocratiques d'iconoclastie aucune forme d'"islamophobie"; autant ici on est clairement dans l'antisémitisme, disais-je. Dans la judéophobie, même, comme dit Pierre André Taguieff. La judéophobie, elle est partout. Toujours prête à ressurgir des entrailles encore fumantes de la bête immonde.

Taguieff, à une époque, faisait encore œuvre de salubrité publique en démontant avec rigueur la logique paranoïaque animant les "théories du complot". Fasciné par son objet au point de s'y laisser engloutir, il est devenu le sujet le plus contaminé par le virus qu'il traquait sans relâche, comme dans "la Chose" de Carpenter. Il a en effet mis à jour un big maousse complot aux ramifications vertigineuses, s'agitant en sous-main sur l'ensemble de la planète, peut-être même sur quelques vieux satellites oubliés de la station Mir: contre les Juifs. (*)


(*)

[Note de travail interne sur P.A. Taguieff à l'attention de la sobeps. Enchainant staccato de lourds et interminables pavés, épuisant sans doute son énergie dans des nuits blanches répétées plus que de raison, Taguieff, carencé en vitamines C et surtout D, s'est mis à agencer progressivement une mise en abyme vertigineuse digne des meilleures mécaniques de John le Carré: on y découvre en effet que les obsédés du "complot mondial juif", thématique éminemment caractéristique des judéophobes depuis le fameux "Protocole des sages de Sion", ourdissent eux-mêmes un vaste complot mondial réel et actuel contre ces Juifs qui dans leur imaginaire complotent mondialement. L'Histoire est donc condamnée à se répéter, bis in idem.
La "foire aux illuminés", constituée de moult sociétés secrètes baignant dans la mystique gnostique, se rassemble en vérité dans l'organisation unifiée des obsédés de la théorie du complot global, notamment juif, formant ainsi une organisation souterraine mondiale aux ramifications aussi secrètes que tentaculaires, comparable à l'ordre de Thulé. 
Des constellations mouvantes faites d'organisations aux sigles mystérieux, où le snug se présentant comme la vitrine du smog, se révèle en vérité une officine du klug, qui n'est rien d'autre que le bras armé du glok, lequel dissimule son identité et ses activités sous une organisation fictive comme le schmutz, qui sert précisément de paravent pour le snug. Dans cette "foire aux illuminés", on en est à se demander si la "théorie du complot mondial (juif)", loin d'être l'expression d'une croyance paranoïaque, n'est pas bien plutôt une fiction propagandiste entretenue et diffusée à dessein pour abriter, dissimuler un complot mondial (anti-juif) bien réel.
Les obsédés du complot seraient ainsi en réalité d'horribles comploteurs tirant les ficelles.
Taguieff a peut-être ainsi découvert, comme David Vincent, l'horrible réalité. Il a découvert que son analyse première des "théories du complot" (comme manifestation d'un délire paranoïaque) était fausse. Il a découvert ensuite une seconde horrible réalité (c'est le double effet kisscool des réalités horribles, y a toujours une deuxième couche à l'intérieur): il a été instrumentalisé dans un piège machiavélique, à lui tendu par de sinistres agents du complot mondial anti-juif. Ce sont ces derniers qui l'ont à la base incité à élaborer sa propre analyse des "théories du complot", dans le seul but qu'il démontre que ce sont des fadaises d'illuminés, contribuant ainsi à invalider aux yeux du monde l'effectivité du complot mondial anti-juif se tramant réellement. Affaire à suivre... Merci aux membres de la sobeps encore en activité de faire suivre cette note de travail au C.D.F. (conseil des farfadets), qui transmettra à qui de droit.]




Quant à la question de l'islamophobie.

Premièrement, les analystes éclairés, comme Taguieff donc, mais encore Fourest, Val, Adler, BHL, Finkielkraut, Elisabeth Levy, etc, nous expliquent très bien que ce néologisme douteux (islamophobie) a été créé de toutes pièces par rien moins que des… judéophobes, qui instrumentalisent, te figures-tu, une soi-disant obsession haineuse pour le Musulman, dans le but de le victimiser et de tirer parti de cette victimisation. Et ça, c'est proprement dégueulasse. Je dirais même: c'est pervers. Parce que dans le même mouvement, les antisémites, qui ne sont rien d'autre que des judéophobes (Alexandre Adler nous l'a bien expliqué aussi, ça, et pour lui ça comprend les "Juifs honteux", qui fricotent avec les agités du bocal de l'altermondialisme gauchiste-"bobo" antisémite), accusent les Juifs d'exploiter leur statut de victimes, d'instrumentaliser la Shoah afin de légitimer la politique d'extension des colonies juives en terre d'Israël. Alors, tu comprends tout de suite, évidemment, le délire de ces agités du bocal: réunir en un seul lobbying les intégristes islamistes, les judéophobes, et les anticapitalistes altermondialistes.

Alors, deuxièmement, je m'excuse, c'est le peuple juif qui a payé un lourd, tragique tribu, à l'éclosion de nos démocraties modernes laïques et éclairées, comme nous l'expliquent là encore les spécialistes susmentionnés. Et ça aussi, c'est concret. Faut pas oublier que la communauté juive, c'est d'abord et essentiellement le peuple des victimes sacrifiées pour la gestation d'une Europe cosmopolite, ne cessant de lutter pour affirmer les valeurs de l'universalisme, surmonter les démons identitaires, nationalistes, communautaristes, sources de clivages haineux, de crispations identitaires et de replis sur soi.

La communauté musulmane ne peut pas en dire autant. N'en déplaise à Badiou (l'antisémite). 
Si on regad bien, qu'est-ce qu'elle a fait, au juste, pour nos démocraties modernes laïques, la communauté musulmane? Mh?

Oui oh, à part bien sûr diffuser chez nos mômes scolarisés, et plutôt cool, décontractés, les traditions archaïques d'une misogynie inégalitaire et quasi-atavique. Et à part disséminer dans nos cités prolétaires pas trop cool ni décontractées des prédicateurs rusés, au double langage fourbe et manipulateur, les Tariq Ramadan qui ne font rien qu'à islamiser en douce nos droits de l'homme et de la femme chèrement acquis.

Et surtout, rappelons-le, à part nous imposer leur "fichu voile", nous priver du partage des visages, sources d'où rayonne l'éthique lévinassienne, nous dit-on, la communication intersubjective dans l'espace social public enfin rendu à sa transparence.
Intersubjectivité, partage, visage, transparence, dévoilement, espace public... Que voilà des concepts bien délicats à manier, mais que l'on brandit à tout propos avec une éloquence assurée qui frise l'obscène. Car le visage d'autrui, pour Lévinas, c'est la manifestation de la Loi d'un dieu transcendant et sans visage. Le visage d'autrui commande la distance, le respect, et se dérobe à la maîtrise du regard. Il est inassignable à l'espace utile de l'échange: c'est un visage-voile. A tous ceux qui confondent allègrement visage et carte d'identité, à tous ceux qui nous psalmodient ce pieux refrain de l'offrande du visage partagé par tous dans l'espace dit public, assaini, désopacifié, immunisé, propre, lisse et luisant comme le parquet ciré du musée de l'homme, consentiriez-vous un seul instant à vous laisser dé-visager sans vergogne, par le premier passant venu? Non bien sûr, vous réserverez ce privilège précieux autant que rare aux quelques ceux, triés sur le volet, qui partagent votre bulle privative et sécure. Sous l'édredon douillet ou dans un face à face amoureux, il n'est pas d'ailleurs pas sûr que vous consentirez à l’examen prolongé de vos beaux yeux "miroirs de l'âme".
A votre décharge, on remarquera que parmi les apôtres de la res publica translucide, les plus zélés ont acquis l'art et la maitrise de la sculpture télévisuelle de soi, hommes et femmes-troncs affichant les expressions impénétrables et radieuses d'une machine impeccablement lubrifiée, imperméable à la trop humaine faiblesse. Totale maîtrise des muscles faciaux et fessiers, même dans l'orgasme.


Oui, quoi, au fond, pour résumer, de tellement remarquable, digne d'être relevé pour l'émancipation de la chose publique, sinon, en un mot comme en cent, mettre en danger l'universalisme. Mh?



Allons. Soyons sérieux. Allons écouter les conférences-débats, les tables rondes et les buffets-causeries de Nadia Geerts (fervente émule de Caroline Fourest et principal relais en Belgique de son travail scientifique et universitaire) dans (quasi) toutes les maisons de la laïcité du royaume.
Nadia Geerts est également admiratrice de Mohamed Sifaoui, autre habitué des plateaux télé et grande figure du combat contre l'intégrisme islamiste. Je notais ailleurs que Sifaoui était un esprit libre mesuré, cultivant la nuance subtile: "d'un côté contempteur sans compromis d'Eric Zemmour (esprit libre laïque qui excite la xénophobie et les guerres civilisationnelles), et de l'autre défenseur ardent de Robert Redeker (esprit libre laïque qui défend la civilisation des Lumières contre l'axe du mal).

Ah ça oui, le calendrier est chargé, full-time. C'est overbookant. C'est qu'il y a encore du pain sur la planche, malgré la victoire du décret sur la coiffe bigoudène dans les écoles à risque et les salons de dentiste safe (tellement nécessaire, mais trop vite voté, à la diable, mal organisé, je suis d'accord avec toi), et malgré les sit-in, les stand-up, les actions-commandos.

Je me demande même s'il y a une date libre pour une causerie sur l'art de photographier la reproduction des escargots et des limaces du Limbourg, dans la moindre maison de la laïcité d'Andenelle ou de Barvaux-sur-Ourthe. Oui, parce qu'elle se passionne pour l'exhibition des "petites bêtes", comme elle les appelle affectueusement. J'ai vu ça dans un lien de sa notice wiki. Elle appelle ça des "instants de trêve": "autant de respirations dans une vie trépidante. De (toutes) petites choses, un instant fugace, un visage inconnu, une lumière particulière... Le bonheur indicible de l'insignifiant, du fragile, du périssable". C'est plutôt vachement poétique, non?

Ces "visages inconnus" révélés en pleine lumière, ce sont de préférence des insectes ou des gastéropodes, qui ont au moins le mérite de ne jamais la contredire quand elle les passe au grand angle. Peut-être aussi parce qu'un gastéropode, sorti de sa coquille, de son exosquelette, c'est tout cru, tout nu, tout dévoilé et tout luisant, tendre chair offerte comme un sexe déboutonné, sans fausse pudeur ni secrets honteux dissimulés dans la pénombre hypocrite d'un confessionnal. Si si, les nouveaux hygiénistes de l'ordre social, spécialisés dans l'art de bien jouir face au soleil, nous l'enseignent. L'ère nouvelle, vitaliste et libertaire, aura le visage d'une Orgone, et le corps d'une planche orgastologique étale.


Sinon, en dehors de la "trêve", y a beaucoup à s'occuper. Et ça rend la vie trépidante.

Y a la collusion avec l’évêché, les soutanes, les ecclésiastiques pédophiles essaimant encore dans nos campagnes reculées, pourtant aux portes de l'universalisme démocratique, elles aussi, mais empêchées, tirées en arrière, par des mentalités de clocher, un clientélisme catholiqueux d'un cynisme à couper le souffle.

Y a le fascisme à s'occuper, bien sûr. Qui ne passera pas, ah non, qui ne passera pas. Nadia Geerts fera rempart de son corps, s'il le faut, pour que le fascisme ne passe pas. Elle occupera tous les postes disponibles de prof de philo et de morale dans toutes les Hautes Ecoles de Bruxelles, s'il le faut, pour faire barrage contre les fascistes, et certains agités du bocal aussi, qui squattent (heureusement en vain) les appels d'offre annuels du ministère de la communauté française. Elle y enseigne certainement la liberté selon Sartre, le dévoilement selon Heidegger et la résilience des escargots selon Boris Cyrulnik. Pédagogie, quand tu nous tiens.

Non, on est pas sorti de l'auberge encore, moi j'dis. Et je me demande bien comment Nadia trouvera le temps d'écrire sa thèse, bien au calme, loin du show-business, loin des agitations vaines de la société du spectacle et des loisirs, loin des limaces, alors que s'attise encore la braise des intégrismes, des royalismes, des papismes, jusque dans nos cantines, nos garderies et nos pouponnières.

Y a le roi, aussi, à s'occuper, vestige archaïque d'un phallocentrisme médiéval où on brûlait encore les sorcières sur la place publique, t'en souvient-il? Ah mais. Faut être subversif. Faut oser. Choquer, déranger la bonne conscience repue des gens endormis, à l'hospice, devant leur soupe tiède, à l'heure de feu Hörst Tappert.

Et Nadia, c'est ça qu'elle fait: elle dérange. "Langue de bois", "angélisme", "frilosité", "political correctness": elle pulvérise, elle atomise, comme Raoul. Libre-z-et fière, insolente et insoumise, elle secoue, électrocute, les conformismes et les bienpensances. Elle traumatise autant le bourgeois catho que le gaucho-bobo, elle défie le fasciste, brave le fanatique islamiste, protège et sauve la petite Fatima brimée et soumise sous le voile oppresseur, enlève la moumoutte à Baudouin, terrorise le curé pédophile, met les pieds dans le plat, mouche le cuistre, réveille les asthnétiques, berce les insomniaques, va, vole et nous venge.

Nadia a une philosophie, un type de pensée bien calibré: la pensée RTBF. Elle est donc bien partie, elle aussi.

Nadia vit dans un monde concret, saisie par l'urgence de problèmes importants.

Les conditions infra-structurelles, essentiellement d'ordre économique, déterminant le partage des dominants et des dominés, des riches et des pauvres, produisant le chômage, la délocalisation, l'exclusion, la dislocation du champ social, la démantibulation des droits sociaux, la désignation de bêtes noires, la production de voiles de fumée pour détourner l'attention des quelques ceux qui se partagent avec courtoisie les capitaux; le story-telling; la production, pour occuper et agiter le temps de cerveau disponible de bocaux épuisés par les trois-huit, de fictions très inquiétantes: sur l'augmentation d'la r'crudescence des hooligans et des barbares, les caprices ingérables de ce petit dieu turbulent qui n'en fait qu'à sa tête et qu'on appelle le "marché; l'atomisation, la désintégration, les feux follets qui hantent les parkings et les terrains vagues en bordure des complexes industriels, des trusts d'entreprises, des centres de rétention et de loisir pour quelques sans-nom et sans-papier,  toutes ces choses, pour elle, c'est des abstractions célestes, et elle s'en bat le stetson.


Nadia n'est pas vraiment archéo-marxiste. Elle vit dans un monde intégralement et exclusivement superstructurel.  Les seuls problèmes et enjeux qui agitent ce monde sont au fond idéologiques. Les forces convulsives qui s'y heurtent sont de symboles, d'idées, de valeurs, de doctrines, de convictions: humanisme, laïcité, emprise du religieux, choc des civilisations, affirmation de son identité, droit à la caricature, à bas le voile et la calotte, à bas la morale religieuse, vive la religion laïque, vive la confession libre, à bas la confession forcée, etc, etc, blablabla.


"La" religion - si quelque chose comme une telle entité massive et monolithique existe (une abstraction "dent creuse" comme disait Deleuze) - a peut-être été, est encore, et sera peut-être encore l'opium du peuple, le voile de fumée qui occulte ou fait oublier la misère du plus grand nombre et "les petites misères" de quelques uns. Sans doute, sans doute.
Mais aujourd'hui, il y a surtout un nouvel opium, très "hype", dont on est semble-t-il fort occupé à faire la promotion canon: l'opium de la guerre (civilisationnelle) des religions (obscurantistes contre le monde libre et éclairé).
Pas trop cher à produire, se vendant bien et pouvant rapporter gros, relativement facile à mettre en scène à la télévision et autres organes de presse étatiques. A consommer sans modération. Il remplit exactement les mêmes fonctions, et présente un double avantage intéressant à exploiter. Il est non seulement susceptible de "voiler" aux yeux d'une majorité leur exclusion de l'opulent marché mondialisé qui profite à une minorité de nantis, mais encore il autorise - du moins en principe - que les pauvres et exclus de ce monde se divisent et se bouffent le nez entre eux, se rendant mutuellement responsables de cet état de fait.
Pour déchirer ce voile aliénant et entêtant, il faudrait un peu plus d'archéo-marxistes, un peu plus vigilants, un peu plus indépendants, un peu moins adoubés par la machine à produire des superstructures idéologiques, du divertissement et des loisirs, et y trouvant moins leur plaisir.



Au rayon du rire libérateur, il faudrait écrire, en guise d'apostille au dernier best-seller de C. Fourest ("l'universalisme en danger"), répétant toujours, sans se fouler et sans imagination, la même recette, "le monde de Nadia", alternative pataphysicienne au "monde de Sophie".

Le monde dans lequel vit et pense Nadia est une sorte de pièce de théâtre ou d'opérette de la belle époque, donnée à guichets fermés dans un petit bo... chapiteau sous la voûte étoilée, pleine de rebondissements, de bruit et de fureur, de batailles d'Hernani, de querelles trépidantes et de mondanités fracassantes, de tables rondes et de monologues carrés.
S'y agitent, s'y étreignent, s'y invectivent des passions humaines, éternelles et utiles, sous forme de dyades inséparables, de couples maudits générant sans fin des énoncés intéressants:

des démocrates et des fascistes, des esprits libres et des fanatiques, des humanistes et des spiritualistes, des républicains et des royalistes, des laïcards et des cathos, des rattachistes et des belgicards, des civilisés et des barbares, des féministes et des phallocrates, des universalistes et des communautaristes, des antiracistes monoculturalistes et des racistes multiculturalistes, le colonel Sponsz et la castafiore, un roi qui se meurt et une cantatrice chauve, le cœur et l'esprit, la pensée et les hommes, la tête et les jambes, le francophonissime, maître Capello, Guy Lux, Léon Zitrone, l'eurovision, un pape, deux dictateurs, trois grenouilles de bénitier, quatre prédicateurs, quelques ratons-laveurs, et surtout une sacrée tripotée d'escargots et de limaces.









Quelques bonnes feuilles de Mona Chollet, tirées de l'ouvrage collectif: "Les éditocrates. Ou comment parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n'importe quoi", par Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle, Mathias Reymond, aux éditions La Découverte:








jeudi 10 novembre 2011

Encore un projet qui tombe à l'eau... ("histoire de l'homme qui avait peur qu'on lui casse la figure", version cut)

 1. Préambule.


J'avais vaguement l'intention de m'atteler à l'écriture d'une nouvelle passionnante, dont le titre serait: l'homme qui avait peur qu'on lui casse la figure.

Mais j'ai eu trop peur que, si elle venait à être publiée, quelqu'un vienne me casser la figure, juste pour le plaisir de me prendre au mot. Si vous écrivez un roman qui s'intitule, je sais pas moi, "passe moi le savon", ben après, quand vous passez chez Ruquier, les gens viennent vers vous avec un savon dans la main. Vous comprenez, les gens, ils aiment bien vous prendre au mot. Un autre exemple, par exemple, c'est les titres de films, j'ai remarqué, ça. On lit des critiques, quand le film est pas très bon, ou au contraire très apprécié, et si par malheur le titre du film contient matière à jeu de mot, automatiquement, vous trouverez une critique avec, comme intitulé, le jeu de mot en question. Le film, c'est, je sais pas: "la mélodie du bonheur". Quelqu'un n'a pas aimé, et il fait son papier avec comme titre: "la mélodie du malheur". Ou alors, le film, c'est "le festin de Babette", pis quelqu'un de très spirituel écrira un truc du style "la bonne cuisine de Gabriel Axel". Et sinon, dans le corps du texte, on trouvera une profusion de "on s'est régalé", "ce serait dommage de ne pas s'inviter à cette pellicule croustillante", ou, à l'inverse, "le plat est indigeste", etc etc. Enfin, vous voyez le genre. Esprit d'à propos et imagination au pouvoir.

Alors moi, je pense à ces trucs là, en tant qu'artiste, en tant que créateur. Potentiel. Et je trouvais - je trouve toujours, d'ailleurs - que comme titre, "l'homme qui avait peur qu'on lui casse la figure", ou "histoire de l'homme qui avait peur qu'on lui casse la figure", ça déchire. Non, c'est impeccable. C'est le titre qui fait tout. C'est le titre qui fera vendre, à la base. Sinon, c'est pas la peine de se casser le cul à écrire une histoire magnifique, avec un suspense à couper au couteau, des rebondissements à hue et à dia, des saillies spiritouelles, que t'avais pas vu venir, mais qui sont venues quand-même.

Donc, j'ai renoncé. A écrire cette nouvelle. Par crainte qu'elle soit publiée. Et quelque part, c'est dommage. Parce que l'histoire était vraiment bonne. S'inspirant d'ailleurs de ma vraie vie. C'est dans sa vraie vie qu'on trouve parfois les meilleurs sujets de nouvelles.

Parce que oui, on m'a déjà cassé la figure. A deux reprises même (en me limitant à la seule démolition physique), et à plusieurs années de distance.
Et j'ai dû faire de l’hôpital, hein. La première fois, j'avais la tête de John Merrick, mais heureusement y avait pas de lésion interne. La deuxième fois, y a eu commotion cérébrale, double fracture de la mâchoire, opération su'l'billard, tout l'bazar. Et j'ai porté pendant trois mois une ligature de fer, cousue à même la gencive, qui me fermait la bouche, serrant les dents du dessus contre les dents du dessous, pour ressouder tout ça. Nourri exclusivement de berlingots de préparations lactées au goût de fraise, immondes, introduites par une mini-paille télescopique à travers une dent creuse. Et je pouvais pas parler, impossible. Ou alors ça sonnait complètement ridicule. Essayez un peu de parler les dents serrées, juste pour voir, et vous comprendrez. Sans compter qu'après, quand on vous retire ce cercle de fer, vous avez plus de muscles de mâchoires. Du moins les deux premières semaines. Vous essayez de parler, et vous parvenez pas à frapper les consonnes. Votre langue, aussi, se met en travers, vous n'avez jamais senti votre langue aussi énorme, aussi encombrante. Et attention, n'essayez pas de mordre une mie de pain, par exemple, vous n'en avez pas la force. Ah non, c'est quelque chose.
Moi, je me souviens, j'avais une petite amie à cette époque. On s'était rencontrés sur le net, via un forum. Une alzacienne, solaire, irradiante, une sorcière (ayant en outre apporté une réponse théorique décisive à un problème scientifique, de l'ordre de l'anthropologie phénoménologique, que je tentais en vain de résoudre à l'époque, mais c'est une autre histoire). Résidant à Colmar. D'ailleurs elle résidait à Colmar quand c'est arrivé. J'ai eu toutes les peines du monde, après l'opération, à lui expliquer au téléphone ce qui était arrivé, les dents cherrées. Elle pouffait, la pauvre, elle ne pouvait pas ne pas pouffer. Moi aussi, je pouffais, et je m'étranglais dans ma salive. Puis elle vint à Liège, passer quelques jours, quand j'avais le cerclage. Elle trouvait marrante, moi aussi, ma façon de parler; elle s'amusait juste à me parler, parce que je pouvais pas m'empêcher de répondre. Oh on rigolait, c'était bath. Elle repartit à Colmar, puis elle revint quelques jours, juste après qu'on m'ait retiré le cerclage. Et là ça n'a plus été. Elle rigolait plus. Faut dire que, comme je vous l'expliquais, les muscles des mâchoires ayant fondu, dès lors que vous ne serrez plus les dents, vous n'y êtes plus habitué, ça crée comme un flottement, et d'une. De deux, ça vous fait une drôle de tête. Moi, déjà, je pouvais pas m'empêcher, j'avais une expression, comment dire... angoissée, pas rassurée, et donc pas rassurante. Je me sentais comme qui dirait moins séduisant que d'habitude. Aussi arborais-je constamment comme une barre soucieuse sur le front. Quand je la regardais, elle me disait que mes yeux étaient comme effrayés. Au niveau de la pupille. Et quand elle me regardait, mes sourcils devenaient mobiles, interrogatifs, comme dans un Harold Lloyd ou un machin des Keystone Kops.


Après deux jours, elle pouvait plus me voir en peinture. Le menton fuyant, la façon bizarre de parler, l'air inquiet, jamais rassuré. Les femmes aiment bien être rassurées par leur homme, surtout si elles viennent d'Alzace, c'est connu. Elle me disait: "arrête de me regarder comme ça, on dirait un épagneul breton". Il suffisait qu'elle le dise pour que ce soit encore pire. Je dois dire qu'on sentait bien que, quelque part, c'était le début de la fin. Qu'on ne nageait plus dans le bonheur comme avant. D'ailleurs, ça s'est conclu de façon à la fois comique et étrange, notre idylle. Je lui rendis visite, plus tard, à Colmar, et nous dûmes bien concevoir, d'un commun accord, que le rêve était brisé. Mais c'était beau. Les derniers regards échangés, sur le quai de la gare, c'était bath-romantique. A mon retour, elle me téléphona. Pour me dire que je lui avais refilé des morpions. C'était une spécialiste du monde des insectes. Elle collectionnait et élevait, dans un vivarium, des phasmes, une espèce fascinante et effrayante à la fois, dont j'ignorais jusque là l'existence: des organismes en forme de longs bâtonnets ou de tiges, capables de se confondre avec une brindille ou la nervure d'une feuille. Le raisonnement était simple et rigoureux: elle n'avait pas eu d'autres relations, donc, ça ne pouvait être que moi. Et cela signifiait, d'abord que je l'avais trompée, ensuite que je l'avais trompée dans le mépris de l'hygiène, le mien et le sien. Je fus vexé, sur le coup. Mais en y repensant, n'était-ce pas une façon légère, spirituelle, de conclure, une manière de pied de nez à la pesanteur d'un romantisme blet, et combien anachronique? Elle me rappela d'ailleurs par la suite, pour m'informer qu'il y avait maldonne: c'était une autre variété d'insectes, se nichant dans certaines herbes hautes (en Alzace, donc), et susceptibles de vous visiter quand vous vous accroupissez pour satisfaire un besoin naturel.



Et donc, comme mes cassages de gueule, ce sont de bonnes histoires, je vais vous les raconter quand même. Mais je ne vous cache pas que je fouette un petit peu. Je ne sais pas si c'est raisonnable. Je compte sur votre gentillesse, quelque part, votre mansuétude. Je fais un pari fou sur la bonté du genre humain, et spécialement de mes lecteurs/trices potentiels. J'aimerais que, m'ayant lu, s'ils me croisent, ils ne se croient pas obligés automatiquement de me casser la figure. Parce que, une fois, ça va. Deux fois, on supporte, on surmonte. Mais je suis un homme fragile, un être humain, comme tout le monde, j'ai mes angoisses, mes doutes, mes joies, mes peines, je ne suis PAS une machine. Je veux dire, je suis pas fait en fer. La tête, c'est une partie du corps qui est très fragile, j'aimerais le rappeler, et j'aimerais qu'on soit bien clair là-dessus. Non, vraiment, sans déconner. Écoutez, j'ai, moi aussi, je le pense sincèrement, le droit de vivre. Simplement, vivre. Je ne demande pas plus. Je ne suis pas difficile. Après tout, je n'ai fait de mal à personne, je n'ai pas tué, je n'ai pas volé, je paye mes factures, avant la fin du mois, rubis sur l'ongle. Aux caisses de supermarché, je laisse passer devant moi les gens qui ont moins d'articles que moi, je n'attends pas qu'ils me le demandent. Et je pourrais citer plein d'autres exemples prouvant que je suis un brave type. Je pense que oui, j'ai ce droit, fondamental, quelque part, légitime je dirais, de ne pas finir défiguré, lynché, le visage en steak tartare, simplement parce que je m'expose sur le net, je raconte une histoire, somme toute un trait d'esprit pour divertir mon prochain, lui faire oublier ses soucis quotidiens, et je devrais mourir pour ça??
Non, écoutez, soyons raisonnables. On peut s'arranger. Bon, alors, tope la, je la raconte, mais toi, ami lecteur, tu me touches pas, c'est promis ok bon je te crois.

Alors je la raconte.



2. Première fois.


La première fois, donc. Celle où je suis resté conscient après, celle où y a pas eu de commotion cérébrale ni fractures, donc. Bien avant l'Alzace.

Je rentrais chez moi, un soir. J'avais eu la mauvaise idée d'emprunter, pour changer un peu, un autre chemin, près d'un pont, qui était une impasse, en fait. J'y croise deux types, dix ans plus jeunes que moi, je crois. Près d'une cabine téléphonique. L'un me frôle en passant. Je suis un peu surpris, je m'immobilise un quart de seconde. Et ça, c'est bête, parce que le type, il me dit alors: "t'as un problème?"
Je bafouille un: "non non, j'ai aucun problème". Pire, je crois utile d'ajouter, sans la moindre arrière-pensée, sans malignité : "je croyais que vous aviez besoin de monnaie pour téléphoner".
Et là, le type, il me fait: "pourquoi, t'as d'l'argent?"
"Ah non, j'ai pas d'argent". Ce qui était vrai. Et je pense que le type m'a cru, parce que c'était en effet crédible. D'ailleurs, l'argent ne semblait pas l'intéresser.
Je poursuis mon chemin, donc. Vers l'impasse, le mur, au bout d'un chemin caillouteux, avec quelques touffes d'herbes. Mur que j'avais pas vu. Puisque je passais jamais par là. Et les deux types me rejoignent, j'allais dire bien évidemment. Mais non, c'était pas évident, pas absolument prévisible, a priori.
 Le gars, celui qu'était en verve de conversation, me dit: "attends un peu, on va discuter, là. T'es sûr que t'as pas un problème? On dirait que t'as un problème".
"Non non, vraiment, j'ai pas de problème, je vous assure, tout va bien..."
Pendant que nous faisons ce brin de causette, l'autre type, le taiseux, vient se placer derrière moi. Et à un moment vaguement poreux, suspendu dans une temporalité incertaine, interstitielle, sa jambe - droite ou gauche, je sais plus - s'allonge dans l'air, comment dire, se détend dans l'espace, et le pied vient frapper, assez lourdement, mon oreille. Qui, à cette occasion, fut brusquement réchauffée. Un peu comme quand on frictionne vigoureusement son oreille, donc. Et mes lunettes tombent par terre.
Évidemment, je suis un peu surpris, je chancelle un chouïa, et je tâtonne la terre meuble. Heureusement, du moins l'interprétai-je ainsi (c'est vous dire qu'en temps normal, je suis vraiment un type placide, sans imagination, qui ne pense pas un instant à la malignité éventuelle des choses, ou de la vie), l'autre gars, le disert, ramasse mes lunettes et me les tend, en s'énervant sur son copain, le tançant vertement:
"Eh ça va pas, non? T'es fou? Il faut pas frapper les gens comme ça! Mais t'es malade, toi!". Puis se penchant vers moi: "ça va, il t'a pas fait trop mal?" Et moi, je réponds. Quand on me parle, je réponds. Je veux dire, jusque là, jusqu'à cet événement, je trouvais normal, poli, logique, de répondre, même dans une situation insolite, mais où on s'inquiète malgré tout de ma santé, de ma bonne tenue physiologique. Puis c'est là que j'ai découvert aussi que, finalement, j'accordais trop d'importance à la "dynamique du discours". Je veux dire, communication, action-réaction, cette logique habermassienne, de l'intersubjectivité, de l'argumentativité gouvernant les rapports quotidiens entre les "êtres parlants", comme les nomme Jacques Lacan. Toutes ces choses auxquelles on croit spontanément, du moins quand on a un petit côté intellectuel sur les bords. Oui, enfin, je viens de dire une grosse connerie, là. On n'a pas besoin du tout d'être un peu intello sur les bords. On vous parle, vous vous immobilisez, nécessairement, pour parler à votre tour. Vous vous mettez, à votre tour, en position de répondre, spatialement, c'est quasi-pavlovien. Dans l'expérience que vous avez de l'intersubjectivité, l'homme est un dieu parlant pour l'homme.

Certains trouveront non-crédible une scène "hénaurme" en particulier, dans le no country for old men des frères Coen (bon thriller, je disais ailleurs, mais distillant un cynisme libertarien que je ne partage pas): Anton Chigurh, le killer psychopathe, simplement parce qu'il est au volant d'une voiture de policier, fait se ranger sur le bas côté d'une route un brave quidam. Chigurh sort de la bagnole d'un pas calme voire nonchalant, avec sa coiffure étrange à la Mireille Mathieu/André Glucksmann, sa chemise noire ample et soignée, peut-être un peu salie (suite à sa dernière frasque en date), et se dirige vers le mec, qui attend, confiant, pas du tout inquiet, dans sa voiture.
Surtout, il tient à la main une étrange bonbonne à gaz ou air comprimé, munie d'un tuyau. Sur l'embout de ce tuyau, une espèce de gros boulon, on sait pas trop. Et il dit au mec un truc du genre: "veuillez sortir de votre véhicule, monsieur". Et le mec sort de son véhicule. Pis il lui demande de ne pas bouger, surtout, en dirigeant l'embout de son tuyau vers sa tête. Le mec, à peine surpris, plutôt intrigué, a juste le temps de demander s'il y a un problème, contemplant d'un œil intrigué et bonasse le tuyau se diriger vers son front, et son crâne est perforé par le boulon propulsé par l'air sous pression.
Vous vous dites: non, c'est pas possible, faut vraiment être demeuré, con comme une pelle à tarte, pour obtempérer, comme ça, sur une autoroute au milieu du désert, à un type qui a une dégaine bizarre et se ballade avec une bonbonne à air comprimé. Ben non. J'aurais obtempéré, moi aussi, je peux vous l'assurer. Du moins à l'époque de mon récit. Maintenant, je suis ptêt con comme une pelle à tarte, aussi. C'est une hypothèse à ne pas négliger. J'aurais pensé un truc du genre "quoi, qu'est-ce que c'est, une mesure médicale préventive, une sonde pour les microbes, une procédure anti-contamination? Pis le mec, bon, c'est un agent spécial du FBI en civil, ou un docteur qu'a pas eu le temps ni l'envie de se pomponner, parce que compétent avant tout, avec des gestes posés, assurés, même si la situation est urgente...", etc etc.
C'est pas le truc de la soumission à l'autorité de Stanley Milgram, dont on nous rebat encore les oreilles. C'est comme je vous l'dis: dans l'intersubjectivité, l'homme est un dieu parlant pour l'homme.

(Puis il y a une étrange affaire de mécanique qui intervient, là-dedans, une fascination pour la machine. Une prise en main, délégation, ou relégation, de soi, par l'objet technique lisse, froid et enveloppant, matriciel sans être maternel; hypnotique.
Car coupons court, bien sûr, au malentendu. Barrons d'emblée la route à l'éternel poncif rabâché qu'on sent se pointer ici, dès qu'il est question de "technique" ou de "machine". La machine, ce n'est pas ici la "déshumanisation de l'homme", c'est la prothèse de l'homme et qui fait homme. Ce prolongement de lui-même, lui-même comme prothèse synthétique - déjà, de toute façon - configuratrice de "monde humain", dans la nature qu'elle trans-forme. Déjà en "parlant". Si on admet que parler, c'est substituer aux choses leur trace absente; si on admet que le concept, c'est "le meurtre de la chose", ou du moins son refoulement actif. Donc, parlant de machine, parlant de technique, nous revenons ici à l'homme et à notre énoncé, plus haut: l'homme est un dieu parlant pour l'homme...)


Alors donc, à la question : "ça va, il t'a pas fait trop mal?" je réponds.
"Oui, merci, ça va... Mais".
Oui, là je me souviens très bien, j'ai dit "mais". C'est très con. Je n'ai pas pris mes jambes à mon cou pour me mettre à courir comme un dératé dans la direction opposée au mur. Non, j'ai dit "mais", et je ne me suis pas contenté de dire "mais", j'ai eu aussi à cœur de développer, d'argumenter la teneur de ce "mais". "... Mais il faut dire à ton ami qu'il est dangereux, c'est pas normal de frapper les gens comme ça". Pourquoi j'ai dit ça? Mais bordel, pourquoi j'ai dit ça? On dit pas ça, dans les films, c'est nul. Tu réponds "mais il faut dire à ton ami qu'il est dangereux, c'est pas normal de frapper les gens comme ça" dans un Tarantino, t'es viré du plateau, c'est inimaginable, quoi. C'est mou, c'est visqueux, ça n'a pas de sens. Je ne l'ai d'ailleurs pas mesuré tout de suite, car le type répond, placide: "montre voir un peu s'il ne t'a pas fait trop mal à l'oreille". Joignant le geste à la parole, il prend doucement mon visage entre ses doigts, et le tourne délicatement vers lui pour mieux l'examiner.
Ah, ce bien-être qu'on ressent quand on s'abandonne, débranchant le neurone et le libre-arbitre, à des mains expertes (une pulsion homosexuelle, peut-être... Le type était beau, dans mon souvenir, la beauté farouche du voyou. Cheveux noirs de jais abondants, désordonnés, que transpercent des yeux luisants, juste en dessous, des lèvres sensuelles. L'enfant sauvage de Truffaut, avec dix ans de plus. Peut-être étais-je séduit. Aurais-je pour cette raison marqué ce bref et fatal temps d'arrêt, dans la nuit noire? J'avais ptêt envie qu'y m'touche, allez savoir. Pis n'oublions pas que c'est lui qui m'avait frôlé, à la base...). Souvenez-vous, la palpation réconfortante du docteur, le va-et-vient régulier du stéthoscope, sa lente oscillation attentive sur votre sternum, puis sur votre dos; cette froideur coussinée, apaisante, qui se promène sur votre peau, alors que vous avez gros bobo. Ce n'est pas la petite alarme en vous qui se met à clignoter, c'est juste le contraire: y a cette loupiote qui s'éteint en vous, vous déleste du fardeau de votre conscience; ça crée en vous comme un ronronnement hypnotique. C'est plus fort que vous, vous régressez instantanément à l'état du nourrisson emmailloté à qui on fait des papouilles, à qui on va talquer le popo. On s'occupe enfin de vous, plus d'inquiétude. On a ça aussi, sous le cliquetis rythmique, séquencé, de la cisaille du coiffeur, ou la tondeuse au doux bourdonnement motorique (j'aurais adoré avoir droit au vibromasseur électrique qu'on trouve dans "l'homme au crâne rasé"). Sous la fraise du dentiste, moins. On sent moins l'ami, dans le dentiste.


Tandis que je livre en toute ingénuité et bêtise mon visage blet à l'examen du "good guy", je ne peux pas m'empêcher de jeter un regard en coin sur l'autre. On eût dit qu'il allait dans la minute s'uriner dessus. Balançant d'un pied sur l'autre comme un athlète fiévreux s'apprêtant à battre un record de saut en hauteur, il me fixe avec des n'oeils démesurément ouverts, et tremblote nerveusement de la bouche - indiquant sans doute par là soit qu'il était plutôt excité, soit qu'il ne se sentait pas fort bien dans son assiette, et que dans les deux cas, ça pouvait partir en freestyle à tout moment. Avec une espèce de duvet postubère tapissant le dessus de ladite bouche et l'espace entre les sourcils, il était ben moche ce con, dame oui.
Était-il taré? C'est la question qui me traverse l'esprit à ce moment là, mais je n'ai pas le loisir de cultiver davantage cette inclination, peu amène je le concède, au jugement de mes contemporains. Les années passant, je suis devenu moins "jugeant", je veux dire sur le plan d'l'homme. Pas parce que je suis devenu meilleur ou plus philanthrope. Simplement parce que je m'en fous davantage.


2.1. Incise


Enfin bon. Comprenons-nous bien, je juge plus trop les damnés de la terre et les débiles, certes. Mais je suis et resterai un moraliste, immobile, impavide, cadavérique, transi par la mort imminente, et méritée, d'eux tous. "Profilés sur le fond du vert luxuriant de l'été et l'embrasement royal de l'automne et la ruine de l'hiver, avant que ne fleurisse à nouveau le printemps, salis maintenant, un peu noircis par le temps et le climat et l'endurance mais toujours sereins, impénétrables, lointains, le regard vide, non comme des sentinelles, non comme s'ils défendaient de leurs énormes et monolithiques poids et masse les vivants contre les morts, mais plutôt les morts contre les vivants; protégeant au contraire les ossements vides et pulvérisés, la poussière inoffensive et sans défense contre l'angoisse et la douleur et l'inhumanité de la race humaine." 
Raide comme la Loi, et avec une saloperie de gros balais constipatoire planté dans l'fion. Un moraliste, ouais, qui juge, et spécialement qui juge les cadors, vous savez, ceux qui s'appliquent à vous casser la gueule, à vous la foutre sous l'eau et à garder leur pied dessus, de façon certes plus sophistiquée, polie, des stratèges, des anciens arrivants toujours-déjà arrivés, des repus, des winneurs et des killeurs dans la tête, mais qui n'ont pas peur de se salir les mains, parce qu'ils pensent que Kant, au fond, n'en avait pas.
C'est que j'en ai pas fini, encore, avec eux, qu'alliez-vous penser? Ah ben non, désolé, j'ai pas fini de déboucher mes chiottes, moi, et les plombiers sont en vacances ou à un tarif prohibitif. Système débrouille. J'appelle ça ma "conceptual continuity", comme tonton Frankie. Si vous permettez. Y a des choses à dire, des trucs à faire, une justice à rendre, voyons. Pour le fun, bien entendu. Des salauds amidonnés, des autodiktats salariés, des n'épatants népotiques, des trouillards sous bonbonnière, à foutre à poil séance tenante, à tabasser par la seule vertu des mots qui disent la vérité. L'amour de la vérité pour tous ceux qui ne la trouvent pas tellement aimable, qui n'ont aucune envie spéciale de l'entendre, préférant se distribuer réciproquement des mensonges comme des dragées fuca. Les "amis de la raison", bien sûr. La Valachie, souvenez-vous, magnifique, formidable. Et qui, en vérité, ne sont amis ni de la vérité ni de l'ami. De la raison, très peu, juste ce qu'il faut, sans excès: pour (bien) manger, ce calcul du sujet.

Oh pas des agités du bocal, comme aime à le susurrer à tout propos, avec une auto-satisfaction renversante, un agitateur de non-idées qui tient des chroniques stupéfiantes de bêtise à la radio, pour divertir une unique catégorie socio-professionnelle située sur un panel représentatif du microcosme de son auditorat: des parents d'élèves responsables se rendant à une réunion pédagogique co-participative de l'Institut saint-Boniface de Prout, bons démocrates, bons citoyens, raisonnablement non-agités, de fréquentation agréable, bien insérés dans l'tissu sociétal, aimant l'humour qui pique et qui dérange façon télé-moustique, façon Philippe Geluck et son chat machine, Bruno Coppens à sa machine Devos, enfin, ces Thomas Gunzig des dicos et des familles. Façon cinquante degrés au nord de tout divertissement, même utile.
Façon "une brique dans le ventre", aussi. Ah oui, ça existe encore, cette fiente télévisuelle destinée à vanter des Villas de campagne sam'suffit, hors de prix et designées par des architectes écologistes aimant la pierre de taille et les soirées entre amis au coin du feu? L'horreur, l'horreur, comme disait Brando, et ça tortille du cul parce que c'est pas produit par Bouygues ou Endémol, la belle affaire. Mais putain ça s'adressait à qui, cette émission? Aujourd'hui encore, la question me hante. Me dites pas, comme Seguela, que c'était pour vendre du rêve. A des maçons de Seraing. Ou alors oui, c'est possible. Tout est possible, moi je m'étonne plus de rien. Après tout, Place royale, Elio di Rupo, c'est kif-kif, ça fait rêver dans les hospices, ça adoucit la perspective du coma.
Non, c'est pas des "agités du bocal", allons. C'est vrai, ça, qu'est-ce qui lui prend, lui, à placer ses "agités du bocal" à toutes les virgules, avec une fierté de boyscout? Il se prend pour Céline, qui lui-même n'était pas très malin? Il a viré anti-intellectualiste de base, pour se consoler de n'avoir jamais été un intellectuel, même d'opérette? Y veut régler son compte à Sartre, comme Onfray, pour faire "pople" - comme disait Serrault dans le film de Tchernia?
 C'est bizarre, il semble croire que "bocal" désigne la tête, plus précisément le cerveau, enfin, une partie quelconque du corps où ça "pense", la glande pinéale, que sais-je... Mais comme ça fait bien longtemps qu'il n'agite plus grand chose de ce côté-là, il eût été mieux avisé de consulter les fiches de son staff de têtes pensantes.
"Agité du bocal", c'est tout autre chose, dans le chef du nazillon de Sigmaringen. C'était sa façon si spirituelle et hyperbolique de saluer le philosophe de petite taille, borgne, se réduisant à un "avorton", quelque chose de jamais né, qu'on place dans un bocal de formol, marotte de médecin ("je le vois en photo, ces gros yeux... ce crochet... cette ventouse baveuse... c'est un cestode! [...] Ces yeux d'embryonnaire? ces mesquines épaules?... ce gros petit bidon? Ténia bien sûr, ténia d'homme, situé où vous savez... [...] Ténia des étrons, faux têtard, tu vas bouffer la Mandragore! Tu passeras succube!"). Quand on parle d'agités du bocal, on parle de fœtus étranglé dans son cordon ombilical, d'infra-humain, de monstruosité à deux têtes ou dépourvue de membres, qu'on conserve dans un labo ou une attraction foraine, de fantômes errants, de fausses couches et de kaddish yatom. Mais l'est trop bien né, y connait pas ces choses là, même si par masochisme timide et pour faire archéo-marxiste "genre", il vilipende aussi les "bobos", empruntant sa rhétorique non plus à Céline, mais à Zemmour.
Ah, je me souviens, il disait: "soyons honnêtes, qui de nos jours n'a pas le désir de passer à la télévision?" C'est proprement incroyable, sub-limen, cad sous le seuil de l'entendement comme disait Lyotard: il y a des gens, quelque part, on sait pas où exactement, dans des contrées sauvages très reculées, que même Lévi-Strauss a hésité à fouler, des femmes à barbe, ou à plateaux, ou en Autriche, dans des caves scellées, qui ne pensent pas qu'ils pourraient avoir le désir de venir se ridiculiser à la télévision. Même s'ils connaissaient cette extraordinaire invention qui nous a donné, avec Jacques Antoine, Pierre Bellemarre, des émissions pionnières comme "la tête et les jambes", lançant le concept d'éducation à la citoyenneté: ludique et pas chiant, divertissant et informatif. Bien avant que ce soit repris dans les cours de morale laïque pour lutter contre les obscurantismes de tous poils et les "agités du bocal". Et confiés, c'est ça qu'est triste, à des bouffons, qui auraient davantage leur place sur un plateau de Berlu ou de Vrebos, l'ancien dramaturge doué reconverti en monsieur Loyal du cirque Bouglione.
A ce propos, on pourrait se demander si le "bien-né" fréquente perso des "agités du bocal" et dans quelle ménagerie. Dans les vernissages de morues égales devant la croute? Dans les soirées Tupperware du PS? On sait pas trop. Pourtant, ceux qu'il fréquente à mi-temps, au café alta-grand mère, ils s'agitent pas des masses. C'est juste le contraire. C'est des bocaux, figés, pétrifiés, pleins de confiote gélifiée, qui macèrent sur un coin d'étagère et qui ne sentent pas que la naphtaline. Pas tous, bien sûr. "Il faut juger l'arbre par ses fruits", psalmodiait madame Ceaucescu, amie de la raison et de l'informatique. Mais ses racines étaient vermifugées, sur une terre stérile en pot, de toute origine, et ses fruits secs comme des sarments impropres à la consommation courante. Au moins, elle se pense pas suffisamment glamoureuse pour poser en tutu au bal du gouverneur, en compagnie des "philosofilles", dans les papiers glacés d'un "who's who" trend trendance qu'on dégrafe des pages centrales du Soir Magazine.
Je sais, trois fois hélas, j'ai tourné fasciste, poujadiste, par manque de spinozisme, de bergsonisme, de vitalisme, de oui à la vie, à la haute-couture, à victoire-mag, et par excès de non à la valeur-travail - qui fait toute la dignité de l'homme. Voilà pourquoi je m'agite, plus que de raison, dans mon bocal. C'est ballot.



2.2 Suite & Epilogue



Mais revenons à nos moutons-loups. Je n'ai pas le loisir, disais-je, de m'interroger plus avant sur la teneur ontologique du duvet postpubère du mec saisi par la danse de Saint-Guy. Car je suis aussitôt distrait par une myriade de coups de poing (administrés par le gentil/flegmatique) s'abattant énergiquement sur la partie exposée de ma face. C'est le premier, je crois, qui fut le plus douloureux, sur l'instant. Il eut le mérite d'anesthésier d'une certaine façon la douzaine qui suivit à un rythme ma foi fort soutenu. S'appliquant certes avec un enthousiasme et une énergie faisant plaisir à voir et témoignant d'une santé vigoureuse, mais sans hargne apparente. Au contraire, le geste était maîtrisé, précis, ajusté. Ce mec était un artiste véritable. Il ne frappait pas n'importe comment, à la diable. Il me sculptait comme un bas relief. Je n'irai pas jusqu'à dire avec amour, du moins avec le goût du travail bien fait. Avec le recul je lui en sais gré, car cette méticulosité assurée, jointe sans doute à une bonne connaissance de l'anatomie faciale, m'épargnèrent d'avoir les os fracassés.

En tout cas, au bout d'une vingtaine de secondes qui me parurent interminables, et estimant sans doute que les coups m'étaient parvenus en quantité suffisante, j'ouvre la bouche et laisse échapper un: "au secours". Pas en hurlant à m'en décrocher la mâchoire. D'un timbre étouffé, comme s'il s'était agi d'une confidence laborieuse que je m'adressais à moi-même. Vous savez, comme dans ces cauchemars où vous voudriez crier mais vous ne parvenez qu'à articuler à grand peine des bouts de phrases indistinctes. Et je répète plusieurs fois: "au secours... Au secours". Il n'y avait bien sûr personne dans le périmètre susceptible de recueillir ces confidences plutôt molles. Hasard ou coïncidence, ces mots aussitôt prononcés, les deux gaillards prennent la poudre d'escampette en courant à couilles rabattues, comme s'ils étaient exposés à un grand danger. Au moment de disparaître dans l'obscurité, le sculpteur me crie en manière d'adieu: "ça t'apprendra à insulter mon copain!"

Je suis sonné, comme éventuellement on l'imagine, et me mets moi-même à courir aussi vite que je le peux. Bien que dépourvu d'imagination "pratique", mon imaginaire luxuriant était gavé de la consommation de thrillers et horror-movies de série ultra-Z, et je craignais que les festivités ne soient pas terminées. Je ne voudrais pas vous attendrir à tout prix, mais dans la nuit noire et obscure, comme le chantaient les Inconnus, j'éprouvais un moche sentiment de solitude, la frustration intense de ne pas connaître une brave et gentille voisine susceptible de m'ouvrir sa porte et de me presser sur son sein maternant. Je pleurais à chauds bouillons tout en tâtant fébrilement ma face. Elle révélait au toucher des protubérances et des hypertrophies aussi insolites qu'inquiétantes.
Je traverse hors d'haleine le pont qui mène à mon quai et une fois chez moi, un bref coup d’œil à mon miroir achève de me mettre dans les transes. Du front au menton, sans déconner, j'avais quadruplé de volume, et les bosses s'entrelardant de façon baroque vous avaient une teinte étrange, un mélange de rouge, de violet et de jaune, pas franchement glamour. J'étais scandalisé, j'oserais dire en colère. "Ah les méchants, ah les brutes!" Il fallait absolument que j'informe quelque autorité compétente du sort qui m'était infligé là. Je ne pouvais décemment pas garder ça pour moi. En plus, si quelqu'un, quelque part, à la fois professionnel et compassionnel, pouvait me plaindre ou me réconforter un peu, ça serait pas du luxe.

Je ressors donc, outré, oublieux du danger qui guette les paranoïaques et les pleutres, dans cette foutue nuit noire et obscure où nulle Isabelle n'a bleus les yeux. Direction le poste de gendarmerie du quartier Saint Léonard, tout proche du pont du même nom où justement je venais de me faire portraiturer par ces fans potentiels de Francis Bacon.

Il est près de 21h. Approchant du bâtiment austère et vétuste de la gendarmerie, je la crois tout d'abord fermée. Une lumière bleue blafarde émane cependant du vitrage de ce qui ressemblait vaguement à une guérite sortant du mur. Un gendarme, ça ne pouvait être qu'un gendarme, campait là, assis devant une rosace de plexiglas servant de parloir. Je m'approche de lui en tentant de contenir ma fébrilité.
Le mec, m'apercevant, lâche d'un ton morne: "oui, c'est pour quoi?"
"Bonsoir Monsieur, excusez-moi de vous déranger (je demande constamment aux gens de m'excuser de les déranger, une manie chez moi, dont j'essaie de me guérir), c'est parce que je me suis fait tabasser par deux types qui...".
Le mec, visiblement agacé (il m'avait jamais vu, ok, il estimait ptêt donc que l'élongation boursouflée de mon visage gauche faisait partie de ma tronche habituelle), m'interrompt en haussant le ton:
"C'est pas un confessionnal ici!... Bon alors, quoi, vous voulez porter plainte?".
"Oui, je veux porter plainte, s'il vous plaît".
"Alors entrez et attendez dans la pièce qui se trouve à gauche, là".

 



(à suivre)