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samedi 20 avril 2013

Retro-gaming 2 (Rule of rose, 2006)




Il y a de ça un an environ, je passe par acquis de conscience au magazin des occases. Je tombe sur Rule of Rose. Réputé introuvable (du moins dans la zone du périphérique où je crèche).

35 euros.


Je me dis: ah oui. C'est vraiment bcp. Oui, mais c'est rare. Ok, c'est peut-être rare, mais c'est peut-être une demi-merde, aussi. ça dépasse difficilement les 12/13 dans les tests. Oui, mais ça veut rien dire: ils mettent 19 à Okami, qui est d'un ennui mortel, et que je trouve juste très laid. Si ça se trouve, c'est un chef d’œuvre méconnu. Non, c'est une arnaque. Y a deux mois, j'avais essayé de le commander. Le type me disait qu'il était dispo dans un de leurs stores à Namur. Qu'on pouvait le faire venir, et qu'il m'en couterait 17 euros à tout casser. Trois semaines d'attente. Puis je reviens: ah non, finalement, il était déjà réservé.
Puis je le trouve, là, 15 jours après, sur l'étagère, qui me nargue. C'est évident que le mec spécule sur mon désir. L'est pas con. Et il a de la mémoire.


Tout ce qu'on peut acheter avec 35 euros... Ma ps2 d'occasion (une silver, en plus) m'en a coûté 45, sans la manette ni les cables. Et elle fonctionne impec. Achetée par sûreté, au cas où mon ancienne mourait d'un coup.


J'achète le jeu et je crains d'avoir fait une grosse, une très grosse bêtise. Je rentre péniblement chez moi, affligé d'une claudication d'ordre psychosomatique non douteux, en empruntant des tas de ruelles ténébreuses pour retarder l'épreuve du Réel. A savoir que je viens de délibérément, méthodiquement, glisser 35 euros, par billets de 5 plus la menue monnaie, dans la fente d'une bouche d'égoût.

Arrivé dans mon cloaque cosy aux fenêtres occultées (la lumière du jour j'aime pas trop ça, c'est pas bon pour mon teint), je range le jeu derrière un double rayonnage de bouquins poussérieux bouffés au mites (de la coll. Epiméthée, cover brun caca d'oie et à tarif prohibitif, dont je demande encore comment j'ai bien pu mettre des sous là-dedans). Pour en oublier jusqu'à l'existence.
A 23h54, surmontant une forme de dégoût visqueux qui s'était emparé de toute mon étantité non phénoménalisable, je l'en ressors. J'allume la console. 35 euros... A la grâce de dieu...


* * * * *

Bon.


ça vaut pas 35 euros en occasion. ça vaut 35 euros neuf, il y a 6 ans.



Donc, ça va, je me suis fait à moitié arnaquer.


J''y joue 3h (considérant ma lenteur, ça doit représenter un 1/8è du jeu). Le lendemain soir, j'y rejoue 4h. Et  je peux dire que c'est bien, vraiment très très bien.



1. Titre jouissant d'une aura maudite usurpée, qui lui a finalement fait bcp de tort: l'UMP avait voulu l'interdire lors d'un débat parlementaire. Soi-disant malsain car touchant à des tabous sur "le monde de l'enfance". Si on va par là, il faut interdire 99 % de la production "fantastique". Le "club des aristocrates" étant infiniment plus x-rated et macabre, sans la féérie, que celui de ROR, bien entendu.


2. Le "gameplay" est très daté, même lors de sa sortie (2006). Si on le compare, bien sûr, à RE4. Mais il ne joue pas du tout dans cette division. D'où un immense malentendu: il s'est fait aussitôt incendier par tous les joueurs qui attendaient une tuerie en termes de maniabilité, tant pour la caméra que pour les déplacements et les combats.
Des combats, y en a pas bcp, déjà. On est une jeune fille qui se déplace avec la grâce d'une danseuse de tango atteinte de lombalgie et percluse de rhumatismes; et on brandit en guise d'arme défensive des trucs du genre fourchette rouillée. Les attaques sont aussi imprécises que les esquives à moitié foirées. C'est là justement que ça devient intéressant. Le but n'est pas de jouer à Tekken. C'est une limitation géniale, puisqu'elle concourt au sentiment de vulnérabilité et d'impuissance, propres aux "mauvais rêves".

3. On retrouve le mode exploratoire de quasi tous les "survival": couloirs et portes, clefs, mécanismes et énigmes tirés par les cheveux, pour notre plus grand plaisir. Mais c'est pas vraiment un "survival". Tout est dans l'atmosphère. Mix de conte vénéneux façon Hansel & Gretel, de hantises à la Henry James, de mystères à la Jules Verne, et de (rares) monstruosités de fête foraine à la Bradbury. ça mise énormément sur le scénario, prenant, envoûtant, volant 150 coudées au dessus des R.E. (qui se foutaient - et nous aussi - du scénario comme de leur premier bavoir).

4. On l'a comparé à un Silent Hill raté. Or ça n'a rien avoir avec le climat d'un silent hill. L'élément de comparaison pertinent, mais qui ne joue nullement en défaveur de ROR, c'est le parti pris assumé d'un "gameplay" à l'ancienne: raide, statique, minimaliste.
C'est d'une certaine façon plus malsain que SH. Moins paniquant, moins cardiaque, mais plus insidieux, comme une morsure entêtante. Plus neurasthénique (SH, c'est une dynamique de cauchemar quelque part plus conforme aux codes du cinéma de terreur "psychique").

5. La proposition musicale est très culottée: un quatuor à cordes, ou un violoncelle en solo. ça crée une ambiance qu'on ne retrouve pas ailleurs. Le bémol, c'est que la partition n'est pas suffisamment variée, ça peut agacer.


6. Le jeu est beau, contrairement à ce qu'on dit. Et sobre. ça a été fait avec bcp de soin et d'amour, rien n'est bâclé. Il a son univers. les cinématiques sont extraordinaires. D'une perversité rare et d'une mise en scène élégantissime.

Haunting ground est sans conteste plus beau, gracieux, raffiné. Mais je n'ai pas ici le problème que j'ai avec HG: le stress permanent d'une progression à rebours. Dans HG, on n'avance qu'en fuyant, disais-je , et cette contrainte décourage. De plus, les phases d'attaque-poursuite surgissent de façon aléatoire, et presque pas de temps morts. Fausse-bonne idée en vertu de laquelle moins on sait quand on va être attaqué, plus on a peur. Trop simpliste comme postulat, confondant angoisse et stress, car c'est plutôt le contraire à mon sens: on flippe d'autant plus qu'on sait qu'à tel endroit précis, et pas à un autre, quelque chose nous attend...


7. Conclusion provisoire: HG & ROR s'imposent tous les deux, pour tout amateur/teuse de survival-horror "japan old school" qui se respecte, à titre de reliques muséales uniques, de ces choses qu'on ne refera plus jamais, je pense. Et je donne ma préférence à ROR. Voilà. Et c'est pas à cause des 35 euros. (Non, parce que j'entends déjà certains esprits tordus murmurer dans mon oreille interne que je tente en loucedé de justifier rétro-activement mon investissement. N'importe quoi...)


* * * *

Horreur et lois de la vexation universelle. Je retourne au même magasin 2 mois plus tard. Et là, qu'est-ce que je vois? Pas la peine d'en dire plus, vous m'avez compris... Sous cellophane, en plus, dans son état de sortie d'usine il y a 6 ans (alors que le mien est griffé). 12 Euros. Oh les... Bande de salauds... Fumiers. J'ai failli le racheter, comme si je devais me rembourser selon les règles d'une arithmétique absurde.
ça m'est déjà arrivé, d'ailleurs, de racheter un truc que j'avais payé cher, simplement parce que je retombais dessus à un prix dérisoire. Comme si ça devait annuler magiquement l'outrage de la première dépense, corriger un déséquilibre dans l'harmonie des sphères. Pathétique. Mais là je me suis retenu. Pour qui me prennent-ils, ces bandits: une vache à lait? Allez basta hein. Pas deux fois, Lisette. Trop is te veel en te veel is trop.



jeudi 8 septembre 2011

Retro-gaming



Quelques énoncés plic-ploc, volontairement basiques et didactiques, à propos de jeux vidéo. Approches fragmentaires d'un joueur occasionnel (ou plutôt "à phases", n'ayant en outre pratiqué que la Playstation 1 & 2 - ce qui devrait me disqualifier d'emblée) pour "sensibiliser" le profane.

Je me suis pas mal plongé cet été dans ce mode d'expression "réappropriative", qui réinvente un certain mode de "communauté": celui des video-testeurs.
Fréquemment, je m'intéressais davantage à ces exercices qu'aux objets ludiques eux-mêmes.

Il y a une communauté "dailymotion", avec ses gourous, ses phares, ses sociopathes, ses têtes chercheuses et ses grandes gueules attachantes. On y redécouvre un plaisir de socialisation cool, fait à la fois de "nostalgie" (dimension importante de la "madeleine de Proust") en même temps que de dérision de cette dernière.
Daily ou Youtube devenant de plus en plus un fourre-tout où tout le monde vient proposer son "test" qui n'en est pas un, ou qui ne ressemble à rien, certains "maîtres" migrent vers leurs propres sites, en construction.

Il y a les "défis", les "walkthrough" (précieux pour ceux qui sont régulièrement bloqués dans une phase ou un niveau), les "revues", les "direct-live" où le joueur découvre le jeu en même temps que le spectateur, les tests à un, deux ou plus, parfois de véritables bijoux de mise en scène. Et, bien évidemment, des hommages, des parodies, des polémiques, des découragements, des excommunications, de saignantes batailles d'ego.

Il y a ceux qui la jouent plutôt solo: "Hooper" (aka "Karkaradon"), le "grand ancêtre", mythe vivant qui-se-montre-pas, son irremplaçable accent chantant du sud, ses vidéos épiques dont la durée avoisine celle des métrages de Bela Tarr, la moitié étant consacrée à explorer le menu - auxquelles on devient accro en vertu d'une étrange alchimie hypnotique et comique; "Bibi 300", le volubile, tellement avide de transmettre par les mots l'enthousiasme de telle expérience de jeu que ça l'amène invariablement à conclure que les mots sont au bout du compte impuissants; "Lordnils", qui instille un climat de recueillement contemplatif; "Moon-Dark66", qui s'est spécialisée dans le "walkthrough" des survival-horror anciens; "Arthur-masque-Meurant", touche-à-tout encyclopédiste au phrasé baroque - une sorte de Gilles Verlant en plus inspiré; "Mr1d100", qui a décidé qu'après 200 vidéos, il pouvait reprendre une activité normale, c'est à dire retourner s'éclater dans son "usine de merde"; "le joueur du grenier", brillant showman dont les vidéos "artwork" très chiadées fourmillent d'inventions conceptuelles et dramaturgiques, etc etc.
D'autres se consacrent davantage à la consolidation du lien social, se rendant mutuellement visite : "Hedge" passe sur la chaine de "Usul", "Usul" sur celle de "Hedge", "Hedge" et "Usul" tiennent séminaire avec "PuNky_Boy" sur "presstartbutton", etc.

En somme, une nouvelle catégorie "socio-professionnelle", agréablement borderline, (généralement) non-rétribuée et dont la noblesse essentielle est peu considérée par les médias légitimés de la "culture". Tant mieux, quelque part. Ceux qui se professionnalisent en accédant à la reconnaissance perdent trop souvent leur "grain", ce point de folie où passe le charme des gens, comme disait Deleuze.




L'univers du "rétro-gaming".

Le rétro-gaming nous enseigne, entre autres choses, qu'un élément fondamental du gameplay des anciens jeux (arcade, plateforme, ou rpg -cad jeux de rôle, où jeux d'exploration-énigmes "point & click" à la "Myst") est sa difficulté. Une difficulté parfois hallucinante, mobilisant des compétences aussi extrêmes que sans autre finalité qu'elles-mêmes. Et c'est bien ce qu'est, au fond, un jeu. Une conquête de l'inutile d'autant plus marrante qu'elle est assumée et que nous savons que les entreprises inutiles sont les plus belles. L'objet ultime de cette quête n'est pas le "plaisir immédiat" (comme dégommer tout ce qui bouge dans les fps récents, qui noient souvent l'intérêt de la progression dans la pyrotechnie d'un fun consommable à la seconde, véritable défouloir pour cadres énervés), mais l'apprentissage parfois masochiste d'une compétence, le développement patient d'une tactique, d'une habileté, d'un "skill", d'une soumission à des contraintes de gameplay spécifiques. Les graphismes sont ingrats ou minimalistes, la musique des consoles de l'époque une vraie torture, mais ça participe à l'intérêt de la chose. Le plaisir du jeu y est saisi selon des fondamentaux tendant à se perdre dans les jeux vidéo actuels. Ce plaisir est surtout de l'ordre d'une gratification intime, du dépassement de ses propres limites, du défi lancé à son intelligence ou à son habileté toujours perfectibles, ce que peut entre autres ressentir un joueur d'échecs, j'imagine.



La lente métamorphose qui s'opère dans les jeux récents tient, difficile de ne pas le remarquer, à leur alignement sur le "blockbuster" en cinéma (qui de son côté s'en inspire), avec comme conséquence notable un affaiblissement considérable des compétences réclamées chez le joueur (les anciens fps comportaient plus d'exigences tactiques, me semble-t-il, et les limitations dans la physique des déplacements rendaient l'expérience paradoxalement plus palpitante). Les "durées de vie" semblent également fondre comme neige au soleil. Ce n'est pas un mal en soi. Il y a tant de manières de jouer, tant de manières aussi de regarder un film. La diversité des types de jeu semble pourtant, elle aussi, diminuer.

S'agissant des inévitables renvois entre "jeu vidéo" et "cinéma", j'aimerais voir des propositions sortant un peu de cette uniformité des "Blockbusters". Des trucs plus "immobiles", plus "psychiques" si on veut. "Heavy Rain" (vu en tests) fait un pas intéressant dans cette direction, mais son référentiel (Seven) n'est pas ma tasse de thé. Puis dans l'ergonomie du gameplay, tout miser sur les "QTE" (quick-time-events, actions contextuelles à effectuer sur demande en combinant des touches), c'est typiquement le genre d'intervention aussi stressante que fastidieuse. Cependant, c'est ce genre de jeu que j'aimerais pratiquer plutôt que la nième déclinaison d'un "gears of war", elle-même nième déclinaison de l'ancêtre "doom".

Pour la baisse drastique du degré de difficulté, il suffit de rejouer par exemple au premier Rayman (en 2D, chef d’œuvre de Michel Ancel, unanimement célébré. Son "beyond good and evil", sorte de jeu-somme patchwork de plein de genres, a également fait date) pour se rendre compte qu'après les premiers niveaux gentillets, ça devient un pur cauchemar (malgré l'univers enchanteur et chatoyant), exigeant une dextérité, une expertise, conquises au terme de multiples "game over". Les rétro-gameurs le proclament: les meilleurs jeux de plateforme d'aujourd'hui n'ont pas le centième de la difficulté de ceux de "l'âge d'or". Ce sont ces jeux qu'on nommerait, dans le jargon du milieu, "élitistes", alors qu'à l'époque ils ne l'étaient pas.

Raison pour laquelle le "hardcore gaming" réinvestit les titres anciens, et se penche dessus de façon parfois réflexive.



Quant à l'équation consistant à poser qu'un bon jeu est un jeu qui s'écarte de l'imitation du "cinéma", elle m'apparait biaisée d'emblée. Déjà parce qu'il est impossible de dégager, enfonçons là encore des portes ouvertes, une essence spécifique, pure et une, de ce qu'on nomme "cinéma". Il y a bien évidemment profusion de jeux, dès l'origine, qui s'apparentent à l'univers du "cinéma", ils n'en sont pas moins des expériences vidéo-ludiques à part entière, non réductibles à un "spectacle interactif" (d'ailleurs quel spectacle n'est pas interactif...).
Les premiers jeux de rôle "textuels" sous ms-dos, à base de questions-réponses à partir desquelles le joueur dégageait les pièces successives d'un script, c'était déjà du "cinéma". Le "cinéma", comme le "jeu", c'est d'abord une articulation projective, la création d'un schème où collaborent la tête, le corps, l'affect, le percept et le concept. Je suis même prêt à abandonner toute distinction de nature entre "cinéma" et "littérature".
Revenons à cette affaire de "script".
On nomme "scriptés" les jeux dans lesquels la quête, la progression, le scénario, sont, soit ensemble, soit séparément, pré-déterminés. On qualifie à l'inverse de "mondes ouverts" ces jeux, dont "GTA" (Grand Theft Auto") constituerait le paradigme, où on peut aller absolument partout et faire ce qu'on veut. Dans les jeux "next gen", la subsistance de "couloirs" (chemins tracés d'avance et plus ou moins habilement dissimulés par la richesse de la conception graphique et sonore) est généralement perçue comme une faiblesse du level-design, et fait baisser la cotation attribuée au jeu.

En réalité, cette extraordinaire promesse de liberté se révèle un peu un cache misère. Est-ce vraiment palpitant de se sentir "libre" dans un jeu? Que faire de toute cette "liberté", si grande qu'elle jouxte l'ennui? Il y a bien sûr des "missions" à réaliser impérativement, agencées de manière plus ou moins séquencée, afin de débloquer de nouvelles zones géo-graphiques où se poursuivra le scénario. Pas mal de fans de GTA soutiennent que leur véritable plaisir tient dans la possibilité de délaisser ces missions pour s'adonner à une multitude de missions annexes, ou même de s'en inventer d'autres, aléatoirement. Techniquement, le jeu permet d'ailleurs cela.
Sinon, on peut toujours se balader, nous dit-on, provoquer des incidents et voir ce que ça donne. Plus simplement encore, faire du tourisme. De fait, dans San Andreas, qui est le GTA de la "seconde génération" offrant une carte immense, peut-être même indépassée à ce jour, on peut tellement faire ce qu'on veut et aller où l'on veut qu'à la limite on n'a plus envie de rien faire, juste se "promener", pour éviter ces "missions" qu'on trouvera terriblement fastidieuses si on ne voit aucune raison objective de s'y impliquer.
Dans mon cas, ça se conclut assez rapidement par un sentiment horrible de solitude. Je me perds systématiquement (malgré la boussole et le repère, mal fichus, et la carte vraiment pas claire) après trois kilomètres, et je passe mon temps à tenter de retrouver mon chemin. Cerise sur le gâteau, je me fais bien entendu agonir d'injures par les passants, dont la quasi-totalité a été programmée pour offrir cette réactivité très intéressante. Solitude, ô solitude chantait Alfred Delller. Je veux absolument, ça devient une obsession, revenir "à la maison", qui est mon point de sauvegarde, et comme je ne la retrouve jamais, ça m'angoisse plus qu'autre chose, mais pas de la bonne angoisse: de celle qui résulte de l'accolement non consenti du "sujet" à la "chose". Bien évidemment, tout ceci signale que je joue comme une savate et que j'ai de gros problèmes d'orientation.

En dehors de ça, je reconnais l'intelligence ébouriffante des jeux signés "Rockstar", leur arrière plan politique et sociologique omniprésent, une irrévérence méta-ludique qui touche à un démontage "cyberpunk" des normes et des stéréotypes sociaux. Il y a dans ces jeux un anarchisme très réfléchi. Ce ne sont pas des jeux "bourrins" incitant au crime et à la violence, aspects tant stigmatisés par les nombreuses ligues de vertu qui les diabolisent. C'est pas pour les enfants, clairement. Leur "amoralisme" est extrêmement moraliste. La quête y est l'ascension sociale, et le commentaire associé à cette dernière consiste précisément à exhiber les verrous impitoyables maintenant le "bas" à distance infranchissable du "haut". Le génie du jeu réside surtout dans ses "à côté": dialogues d'une invention jubilante, immense travail vocal d'interprétations accompli par les meilleurs acteurs du genre, mises en abyme constantes, variations sur les stéréotypes, stations radio avec leurs dj et leurs programmes musicaux spécifiques, plongée dans des "épocalités" ("Vice city" passait au crible les années 80, par un travail sociologique minutieux déployant ses tropes à partir du "scarface" de De Palma, référentiel-prétexte).

Tout ça est bel et bien formidable et impressionnant. Mais je ne parviens pas, devant ces GTA, à éviter cette mélancolie, ce sentiment de morcellement; je me sens continuellement rejeté à l'extérieur, corporellement non impliqué, impuissant, annulé. Les "missions" à accomplir pour progresser dans l'histoire et débloquer de nouvelles zones géographiques sont certes imaginatives, intéressantes, tout ce qu'on veut, mais demeure la sensation plus ou moins confuse que tout cet univers ne forme un jeu vidéo que par un coup de force artificiel, qu'au fond ce n'est pas son mode d'expression.

Le monde de gta me semble ainsi un entre-deux boiteux et inconfortable, terriblement non-immersif. A la limite, en poussant un peu, un objet "autiste", sans portes ni fenêtres, et c'est un comble de paradoxe pour un jeu qui ambitionne d'être un "jeu total", un "jeu monde".

Paradoxalement également, un jeu comme Heavy rain (ou son ancêtre Fahrenheit), souvent dépréciés parce que trop "imitatifs" du cinéma, "films interactifs", dit-on - et on invoque une déperdition de la "spécificité" du gaming, me semblent procurer des sensations de jeu plus intenses, plus proches de l'essence de ce qu'est un "jeu", et précisément suscitées par le mécanisme du scriptage et du verrouillage.

La question des "mondes ouverts", ce fameux désir de "liberté absolue", tant vanté dans les GTA, me paraît donc mal posée; comme me paraissent fausses les dichotomies "activité/passivité", "action/passion", "liberté/contrainte". J'y reviendrai à l'occasion en tentant d'analyser, dans un futur proche, la mécanique des "survival horror".


Un GTA-like de Rockstar que j'ai découvert récemment, et dans lequel j'ai davantage de désir d'implication, c'est "Canis canem edit". Déjà parce qu'il est moins dur (je suis vraiment pas un virtuose du pad, y a du boulot; les bastonnades à la "god of war", par exemple, ça m'emmerde prodigieusement et la seule chose que j'en retire, ce sont des ampoules et des crampes. Cela dit, grâce à un entrainement opiniâtre digne des Marines de Full Metal Jacket, je suis expert autoproclamé en Crash Bandicoot sur ps1 et Ratchet & Clank sur ps2). Ensuite parce que le jeu sur les codes et les références m'intéresse bcp plus: un lycée wasp américain sur le modèle anglais, terrain impitoyable d'une lutte des classes. Le terrain de jeu étant plus réduit, comme la liberté d'action, le concernement augmente.






Alors, j'ai enfin mis la main, dans les occasions, sur shadow of the colossus, titre culte, faisant pendant au non-moins culte Ico, issus tous les deux de l'imagination de Fumito Ueda, se réfléchissant l'un dans l'autre comme des miroirs inversés.

Dans Ico, on explorait un immense "château fort" pour en trouver la sortie. Ce château, les deux personnages, le design sonore - fait de bruits élémentaires de la nature (vent, ressac, fontaines, pépiements d'oiseaux, etc), le parti pris minimaliste (pas d'upgrade de compétences ni d'évolutivité du côté des rares "ennemis" - des ombres faites de fumée noire) sont une des plus belles créations de l'histoire du jeu vidéo. La déambulation, le voyage figurent un paysage émotionnel, une poétique de la solitude, de l'abandon.

Shadow of the colossus poursuit ce postulat en le retournant: le personnage, avec pour seul compagnon un cheval, explore de vastes étendues désertes, forêts, vallons, plantées ça et là de quelques ruines mystérieuses et mélancoliques.

Ico était aux prises avec un bloc d'espace statique fermé sur lui-même, fait de rouages, portiques, passerelles. Shadow nous place dans l'immensité nue de l'extérieur où il s'agit d'escalader de grands blocs mobiles: les fameux colosses, constructions hiératiques, solitaires et immémoriales, mêlant l'architecture de pierre et les éléments organiques naturels.

L'enjeu ou la quête sont aussi énigmatiques que dans Ico et de l'ordre du seul sentiment. Le joueur est moins aux prises avec des "péripéties" qu'avec sa solitude fondamentale. Tout est lenteur et contemplation, tristesse et beauté.
Ico et Shadow forment cette dyade orpheline dans l'univers agité des jeux vidéos. Ce sont, à la limite, des jeux pour "non-joueurs". Ma préférence va à Ico, car on réclame encore dans "Shadow" trop de "challenge" pour mes doigts aristocratiques et paresseux. Le gameplay de Shadow pourrait se résumer à une succession de Boss immenses. Et les boss, j'aime pas, c'est la phase qui me gave le plus dans les jeux. Je suis heureux d'en venir à bout, parce qu'elle débloque un nouveau niveau. Je pense donc que principiellement, la présence d'un boss est un mauvais moment à passer pour avoir le plaisir de passer à autre chose. Alors, d'affilée et multipliés par 16, aussi majestueux soient-ils, ça fatigue. Entre les phases de combat, la promenade est belle et vide, mais on peut difficilement y passer son temps. Pour les mêmes raisons, bcp préfèrent justement Shadow à Ico.
Les deux jeux, fierté du monolithe noir de Sony, à titre de pièces nobles de "concept-art", des "jeux d'auteur" comme on parlerait de "cinéma d'auteur" (c'est presque du Antonioni, Pauline Kael ne serait pas contente), et qui furent commercialement des bides, ressortent actuellement sur la ps3, avec un habillage HD qui apparemment ne change pas grand chose (s'ils ont remédié aux nombreux bugs sur Shadow, c'est autre chose).


Sinon, les jeux d'infiltration, misant sur la patience et la méticulosité.

Après moult réflexions, je tends à considérer que les "Splinter Cell" de Ubisoft sont les chefs d’œuvre du genre. A la fois plus beaux et plus intuitifs que Metal Gear Solid 2 et 3, que je n'ai jamais terminés (le 1er restera définitivement la grosse claque). Puis dans MGS, la place démesurée accordée à ce salmigondis de "réflexions" diverses, philosophiques (à deux balles), stratégiques, géo-politiques, historiques, m'a rapidement indisposé. On n'y coupe pas, car zapper les cinématiques ou les interminables monologues du codex prive de données essentielles de l'intrigue. La gestion du gameplay, profusion de combinaisons de touches en tous genres, est également fastidieuse, anti-ergonomique au possible: elle casse sans cesse la progression au lieu de la fluidifier.


J'ai aussi découvert un intéressant "survival horror" commis par Capcom (les cultissimes Resident Evil: le 1 fut l'unique motivation d'acheter à l'époque une ps; quant au 4, les mots sont impuissants... C'est le plus beau jeu du monde, voilà):

Haunting ground, qui s'aventure dans l'esthétique du romantisme noir et gothique (déjà le premier Evil may cry, mais trop répétitivement bastonnant à mon goût). Superbe graphiquement. Mais j'ai bcp de mal avec le principe de "progression à rebours" du game-play, qui reprend une fausse-bonne idée appliquée dans "'clock tower 3": il faut fuir, sans cesse et sans cesse, la menace. Jauge de panique à la place de la barre de vie. Et on ne sait jamais quand l'ennemi va surgir. On peut jamais s'arrêter pour souffler un peu et admirer l'architecture, goûter passivement l'ambiance (grandiose, pourtant). Du coup, le stress perpétuel du game over prend le pas sur l'expérience, le sentiment de la peur (Resident Evil 4, pourtant fort axé "action", établit un équilibre quasi miraculeux entre compression et décompression).









Figure intéressante à plus d'un titre, parmi les "rétrogameurs" officiant sur le net: "Usulmaster".

Humour et intelligence, une maitrise du langage qui donnerait des leçons à un animateur de séminaires universitaires, une réflexion pointue sur le médium, ses ressorts, ses enjeux.

Quelques vidéos choisies :