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dimanche 18 mars 2012

Une nuit du fantastique (à Verviers)



Alors, nous, les Verviétois, et spécialement les "cinéphiles verviétois" (remember: un cinéphile verviétois c'est quelqu'un qui regardait bcp les ciné-clubs à la tv française au début des 80s), Gérardmer, ça nous fait sourire gentiment..


Le fantastique, les Verviétois en sont des spécialistes éminents. Car Verviers ne fut pas seulement la capitale de l'industrie lainière. Ce fut aussi le siège des usines Marabout. Une des plus grosses chaines d'édition d'Europe jusque dans les 70s.

Non, je raconte ça pour édifier mon contemporain, et s'il en a rien à chourer, je m'en cague aussi. 

Qui ne connaît pas les Marabout-sf et les Marabout-fantastique? 
Les Œuvres complètes des Rosny-Ainé (de Bruxelles) - qui ont écrit, rappelons-le, la guerre du feu, y furent éditées en un gros pavé et à un nombre considérable d'exemplaires, mais ça n'intéressait absolument personne. On les voyait trainer un peu partout: chez les dentistes, sur les présentoirs de vieux journaux usagers, sur les toiles cirées humides des tables de café, parfois mêmes empilés avec une ficelle sur les paliers de portes d'entrée de particuliers (bossant peut-être chez Marabout).

L’œuvre complète des Rosny-Ainé, si on voulait sans se fouler faire plaisir à quelqu'un, on la lui offrait. Et généralement il était pas content. Il vous disait: "khé gros rapiat, ti, sou là..."


J'ai toujours mon pavé. Je me demande dans quel carton de déménagement jamais ouvert depuis 25 ans il est en train de moisir.


Il y avait aussi chez Marabout, bien sûr, l’œuvre complète de Jean Ray (les Harry Dickson, Malpertuis, etc), Claude Seignolle (la Malvenue), Jacques Spitz (la guerre des mouches), Jacques Sternberg (Univers zéro), Thomas Owen (la truie, pitié pour les ombres), Jean-Pierre Bours (celui qui pourrissait), José Moselli (la fin d'Illa), Sprague de Camp, Poe, Hawthorne, Lovecraft, puis Dick, Ballard, etc, etc.

Henri Vernes (Charles-Henri Dewisme), bien sûr. Bob Morane, ce fut et ça reste essentiellement Marabout.

Dans les Bob Morane, je mentionne, pour les connaisseurs, les cinq volumes du cycle Ananké, relativement "hors série", tant dans la forme que dans le fond. Un petit bijou de littérature fantastique. Bob Morane et Bill Ballantine se retrouvent dans un monde parallèle, où il ne fait jamais nuit: Ananké. Ils ont passé une porte, avec une rosace dessus, qui ne peut se franchir que dans un sens. Dans Ananké, il y a des dizaines de mondes étranges, chacun délimité par une porte à rosace. Et ils passent leur temps à chercher la sortie de ce "foutu monde pourri".

Je relis régulièrement le cycle d'Ananké: c'est imaginatif et effrayant. Le cycle des années 70 paru chez Marabout, à ne surtout pas confondre avec les produits dérivés (bds, dessins animés).

Réédité dans les 90s par Jacques Lefrancq, en un seul volume (1050 pages). C'est vaguement devenu un objet de collection. Si vous tombez dessus, dans une bouquinerie, n'hésitez pas.
Certains murmurent que c'est pas Henri Vernes qui l'aurait écrit, mais... un dessinateur de bd, qui fut même rédacteur en chef du journal Spirou, et avant cela, éditeur chez Marabout: Philippe Vandooren.



Plus la pataphysique, évidemment. Verviers fut la capitale de la pataphysique. André Blavier, auteur de la fameuse Anthologie des fous littéraires, était le directeur de la bibli municipale où il avait installé le fond international Raymond Queneau. Il y organisait régulièrement des colloques internationaux de pataphysique. J'y ai jamais foutu un patin, ça m'intéressait pas. J'étais trop plongé dans Bob Morane. Aujourd'hui, je le regrette un peu, mais sans excès.

Verviers était un des (nombreux) trous du cul du monde, mais c'était avant tout le trou du cul du bizarre. Tout partait de Verviers, et y revenait. Cf. psittacus project 5.3.1. & 5.3.2.
André Delvaux a signé un film magnifique, Belle, qui se déroule entre Verviers, Eupen, et les Fagnes, avec le suisse Jean Luc Bideau. C'est l'histoire d'un conférencier spécialiste d'Apollinaire qui se perd dans les fagnes, y rencontre une femme étrange habitant dans une hutte: une slave qui cause pas un mot de français. J'apprends qu'on vient enfin de le sortir en dvd.





Y avait aussi quelques nuits du fantastique, données dans l'unique cinéma de Verviers qui n'était pas un ciné-club.
Je me souviens d'une de ces nuits. La programmation, c'était:


1- Les griffes de la nuit

2- Alien (ma première vision. Scotché. ça reste un de mes films préférés, pour sa beauté visuelle)

3- Une bouse oubliée (mais je me souviens d'un mec dans la salle, un punk canal historique - oui, y avait quelques rares punks, à Verviers - qui s'est mis à hurler comme un forcené "une brochette au ketchup, une!", ce qui a détendu tout le monde vu que le film était une purge)

4- Suspiria


Un ancien de l'athénée (on en sortait juste, on entrait dans la vie par la grande porte), dont j'ignorais qu'il était fan de films d'horreur (- un "sportif" comme dans les Stephen King, qui m'avait martyrisé tout au long de ma scolarité; y cachait mes fringues dans les vestiaires pendant le cours de gym, adorait me taper dessus pendant la récré avec deux trois potes baraqués -) vient me voir au premier entracte.

"Ah, t'es là aussi, toi? Serre m'en cinq, mec. Tu m'en veux plus, hein? On était jeunes, j'étais con.
"Non oh non, je ne t'en veux plus, je ne t'en ai jamais voulu, d'ailleurs"
"Qu'est-ce tu fais, toi, maintenant?
"Ben je commence une candi en philo... Et toi?
"Ah tiens, ça m'étonne pas du tout de toi, ça, t'as toujours été fort en disserts. Ben moi, je gagne ma vie, et je suis déjà marié, ouaih! Je vends des aspirateurs, mec. Et tu sais quoi? J'adore ça. Je suis super-doué pour la vente. Les affaires marchent très fort.
"Waouw. Mais c'est super, dis!
"Ouaip. Eh oh, putain, c'est génial, hein, Les griffes de la nuit!
"Mwoui, bof...
"Quoi, tu ne vas me dire que t'as pas aimé ce film, quand-même! Ou alors t'y connais rien en cinéma, mec!
"Ben non, c'est mauvais, je suis désolé, le mec qui court partout, là, en faisant "bouh", avec son masque de carnaval. Allez, c'est pas sérieux. Puis le truc avec les cauchemars, là, c'est pas comme ça du tout les rêves. On y croit pas une seconde. Puis tout est toujours plus ou moins dans l'obscurité, avec des fumigènes et de gros effets de lumière, pfff.
"Mais si, c'est comme ça dans les rêves! Tu connais rien aux rêves non plus, ma parole. Moi, je fais des rêves exactement pareil. Je te le dis, mec, tu connais rien aux bons films, t'es trop intello, toujours à décortiquer, oui mais ceci ou mais cela. Faut te décoincer un peu le cul, mec. Ce film, c'est un chef d’œuvre, je te dis, un chef d’œuvre!
"Mais non, je suis pas coincé du cul. C'est un navet, je vais dire, avec de gros effets nuls, et prévisible une heure à l'avance. J'aime les bons films, c'est tout, et je suis bon public, je suis pas coincé, ah non, funeste erreur...
"Whouais whouais, a t'taleure.


Au deuxième entracte (après la bouse):


"Alors Alien, t'as sans doute pas aimé non plus ptêt?"
"Ah si! Ah si! C'est gé-nial hein!
"Ah whouais, oufti toi, putain, chef d’œuvre ce truc!
"Tout à fait, je suis d'accord avec toi. Un pur chef d’œuvre! Mais attention, on n'est pas du tout dans la même catégorie: c'est du Ridley Scott hein (j'avais rien vu d'autre de Ridley Scott, mais j'avais chez moi le dico du cinéma de Jean Tulard de 1982).
"Ah bon, quand-même, t'as pas que de la merde dans les yeux, ouf. Mais pour Les griffes de la nuit, t'es complètement largué. C'est LE film de l'année. Bon on se retrouve après le dernier, si tu veux. Tu connais?
"Ben, je connais Dario Argento, oui, de réputation. Y paraît que ce film est un grand classique du cinéma d'horreur. Très subtil. Plutôt dans le genre film d'auteur, tu vois? Assez exigeant.
"Ah ouais?
"Oui oui, un grrrand cinéaste italien, un maîître du fantastique". (toujours le dico à la con)
"Bon ben on va voir ça. A t'taleure.
"Taleure.


Arrive le film. Oh misère... J'avais honte, mais honte. Je ne voulais qu'une chose, c'était me barrer après le film à quatre pattes par la travée ouest, pour pas que le gars me repère. Tellement je trouvais ça mauvais, criard, ringard, kitsch, ennuyeux, vain. Aujourd'hui encore, je comprends pas le prestige dont continue à jouir Argento.

Mais le gars m'avait à l’œil. Alain Noldus, y s'appelait. Les Noldus, c'est connu, ça vous tient à l’œil.

Sitôt le film terminé, au générique, il m'arrive par derrière et par surprise et me ricane dans la nuque: "c'est ça, ton chef d'oeuvre? Ouarf ouarf! Le maître du fantastique! Putain! J'ai failli ronfler comme un gros porc! (il était plus de 3h du mat, faut dire. Moi même j'étais gavé).

"Oui, bon, j'admets, c'était pas terrible du tout. C'était même euh... franchement nul.
"Aaaah, quand-même. T'as pas que de la merde dans les yeux, je suis un peu rassuré. Bon, au moins, t'as aimé Alien, t'es pas encore complètement foutu, comme mec. Bon, je dois y aller, ma femme m'attend. Content de t'avoir revu! Ah, dommage qu'on parlait pas de cinéma, toi et moi, à l'époque!
"Oui, dommage.
Alain Noldus est déjà loin, fendant la file d'un pas alerte et décontracté, avec un sourire super-classe.
"Salut, dis! (j'agite la main comme une fiotte, sincèrement ému, comme s'il prenait le trans-europ-express).

De fait, je n'ai jamais revu Alain Noldus. Vendre des aspirateurs, ça me botterait pas mal. Ptêt qu'il a fait fortune, qu'il dirige d'immenses succursales d'électro-ménager sur la route de Fléron ou autres. J'aurais même pas besoin de lui envoyer un CV, si ça se trouve, vu qu'il s'en fout complètement. Et à juste titre, vu que je me demande moi-même encore à quoi ça pourrait bien me servir, mon diplôme et mon CV de merde.