Affichage des articles dont le libellé est Tintin. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Tintin. Afficher tous les articles

lundi 23 juillet 2012

Les aventures de Tintin. Tintin et le secret de la Licorne (Steven Spielberg, 2011)



Bon. Alors.
Je ne comprends pas la mansuétude critique qui a généralement entouré ce film, d'une absence d'intérêt alarmante.

J'étais parti plein de bonne volonté et tout, sans trop me braquer (d'autant que le générique est assez réussi, en effet, sa musique aussi), mais déjà, en tant que bon connaisseur des histoires de tintin, je ne peux pas ne pas dire qu'il n'y a rien strictement rien de l'univers des albums de Hergé dans ce patchwork fagoté n'importe comment. Pendant tout le métrage, sur ce point, on imagine constamment une équipe de scénaristes réunis en braintrust d'entreprise pour aligner quantité de "raccords" bidons puisant superficiellement dans des tas d'éléments épars des albums, les tricoter en une intrigue à deux balles, arroser le tout d'une espèce de sauce médiane annulant toute forme de saveur, sans parler d'une espèce d'humour calibré-standardisé-fadouille.
Une chose est sûre, l'argument "tintin" est un pur cache-misère. Quel rapport au juste avec Le secret de la licorne et Le trésor de R. le R? Pourquoi ne pas s'être contenté de l'histoire racontée dans ces deux albums, même au prix de moult raccourcis ou montages? On nous présente ça comme une sorte d'hommage truffé de références, mais faudrait ptêt voir à pas trop prendre les cons pour des imbéciles. On nous vante un peu partout l'habileté d'un scénario puisant astucieusement dans les albums, avec des jeux de renvois que les vrais "connaisseurs" apprécieront. Or rien, donc, de l'univers de Hergé, ou de son esprit, ou du concept de ses personnages, encore moins de son style d'humour, n'existe a minima, jamais. Quant aux références, appelons ça des gimmicks publicitaires. Le scénario qui nous est livré est d'une pauvreté affligeante, aux connexions logiques totalement artificielles. Rien n'existe, tout est spielberguisé. Et spielberguisé, on sait un peu ce que ça veut dire: le spielberguisme, c'est l'art du gimmick, du clin d'oeil insistant, tout est dans l'arc-réflexe stimulus-réponse pavlovien. Plus l'anéantissement pur et simple de toute forme de singularité, l'énucléation radicale, à la base, de toute forme de personnage existant, que ce soit de chair et d'os, de caoutchouc, ou de pixel. Spielberg a cette particularité, jamais démentie de film en film, d'infantiliser tout objet dont il s'empare, à un rare degré de bêtise standardisée (proche de l'enfance, pour qui confond "état d'enfance" et "état de bêtise"), d'uniformisation dans le vacuum d'un marshmallow, ou suppositoire, incolores, indolores et insipides, y a plus rien à espérer de ce côté là. Même du coté du Spielberg "dépressif" et "noir", qui n'est guère plus dense si on gratte d'un demi-millimètre derrière le spectacle bien agencé.
Du secret, de la licorne, du fantôme de Haddock, de Moulinsart, du Karaboudjan, il ne subsiste plus rien, pour le redire, et ce n'est pas un mince exploit d'être parvenu à vider à ce point de sa substance le monde de tintin, rendu ici à une bimbeloterie de carte postale qui irrésistiblement fait penser à ce qu'a pu faire Woody Allen dans son imbitable et post-gériatrique Midnight in Paris.


S. aurait adapté le Crasmeustache, ou Gil Jourdan, Ric Hochet, Michel Vaillant, ou Blake & Mortimer, Tif & Tondu, Boule & Bill, Gaston Lagaffe, Spirou & Fantasio, Chaminou et le Khrompire, Les Tuniques bleues, tout ce qu'on veut, le résultat aurait été du pareil au même: du bidon, des persos-prétextes, des décors-prétextes, vidés de toute substance, qui n'existeraient pas davantage, qui ne signaleraient aucun monde, aucun agencement, aucun imaginaire, s'agitant juste en vain dans un squelette d'intrigue inutile, un reader digest expédié ou une sorte de mégaremix, farci de rebondissements, de cascades, de courses-poursuites parfaitement ennuyeux, sans aucune, vraiment aucune espèce d'intérêt. Même le plus mauvais Harry Potter a plus de cachet, de singularité, et les persos plus de consistance, c'est dire.
Prenez par ailleurs un bon film d'action, filmé par un mec qui sait faire ça, prenez, je sais pas, moi, les Jason Bourne de Greengrass, l'action y est au moins intéressante, et c'est ce qu'on est en droit d'attendre. Pourquoi est-elle intéressante, palpitante? Parce qu'on s'intéresse à l'enjeu, au sens de ce qu'on regarde, on est impliqué dans quelque chose qui est de l'ordre du sens, et de la narration. Ce Tintin est rempli d'actions jusqu'à la couenne, mais rien n'a jamais aucun sens: nada, l'ennui, tout y est vu, revu et rerevu mille fois, que du stéréotype. Spielberg ne sait pas raconter et n'a rien à raconter, contrairement à ce que ne cessent de nous dire ses admirateurs: c'est tout sauf un conteur. Il n'a pas de monde.
Bien sûr, c'est du Indiana Jones "survitaminé", pour qui en douterait encore. Cette vieille rengaine marketing que l'on nous vend depuis des décennies: Spielberg a "ressuscité", selon la formule hypnotique devenue méthode Coué, "l'âge d'or" du film d'aventures épique et glamoureux hollywoodien, etc etc, en s'inspirant des aventures de Tintin. Et éventuellement de Philippe de Broca, de ses "tribulations d'un chinois en chine". Dit-on. Dans les milieux cinéphiles autorisés. C'est son foyer secret de sensiblité, ça et l'inénarrable "powésie de l'enfance", bien entendu. Nuts. Indiana Jones... Allez quoi, comme on dit à Bruxelles. Pas de ça, Lisette. Ce rutabaga mou et constamment emmerdifiant, instantanément ringard dès sa sortie. Aimez-vous tant les caramels mous, par la barbe du prophète? Faut vraiment être né, comme dit Deleuze, au milieu du désert, le désert des eighties, pour vouer un culte nostalgique à cette soupasse languissante.

Donc ok, c'est Indiana Jones. Aucun esprit ne souffle ici, jamais. C'est un alignement de séquences blètes, obligatoires, au tarif syndical, après dégraissage de tout ce qui aurait pu présenter un intérêt, même minime. L'humour, par hasard et par malchance? Pitié, c'est mauvais, lourd, même et surtout quand ça se voudrait léger, en clin d’œil. On sent parfaitement que S. et sa team ne comprennent strictement rien à l'humour hergéen, aux persos de Hergé: ils transforment automatiquement tout en mauvais slapstick, dans un faux esprit "britannique" qui n'a rien à faire là.

Tintin est une sorte d'abstract pour Hergé, on le sait, mais les autres, Haddock, les Dupondt, Nestor, ou la Castafiore, etc, ont ceci de particulier qu'ils inventent leur typologie propre. Or, la grossière erreur, la première, celle dans laquelle tomberait tout faiseur sans talent, c'est, comme ici, de les accorder à des stéréotypes préexistants: je ne dis pas les stéréotypes que seraient devenus ces personnages "universellement" connus, à travers le temps et l'espace. Car stéréotypes, il ne le sont jamais devenus, pour les lecteurs qui sont entrés dans cet univers. Ils étaient et sont restés, et c'est là un des mystères de l'art hergéen, des types singuliers, inscrits dans une généalogie singulière, de l'ordre de l'intime, peut-être même du privé, tant le lecteur a investi ces personnages de ses propres agencements généalogiques personnels. D'autant que d'albums en albums, ils changent, contrairement à tintin (et encore, pour lui, ça se discute aussi), ils ne restent pas figés dans leur typologie: ils traversent des crises, des remises en question, etc. Les Dupondt, c'est bien plus que simplement deux policiers rondouillards et passablement idiots. Y a en tout personnage des aventures de tintin comme un rébus, une crypte, je ne reviens pas là-dessus, j'en avais déjà causé . Ici, que voit-on? Des stéréotypes énucléés, là encore, non seulement de toute leur généalogie (ce qui serait encore excusable, dans la logique d'un scénario "synthétique" - qui ne synthétise rien du tout), mais encore de toute forme d'intensité personnelle.
Le cheminement intérieur de Haddock est concassé menu, par l'idée scénaristique désastreuse de fondre en un seul motif des éléments du Crabe aux pinces d'or et du Secret de la licorne. Le lien à son ancêtre, à son double, ainsi qu'à ceux de Rackham, "réincarné" dans un personnage secondaire falot, Sakharine (avec les traits de Spielberg: ah cet art du clin d’œil baltringue, comme la houpette de tintin devenue aileron de requin et autres friandises pour fans gâtiques. Faut absolument réciter sa filmo, roublardise d'un fétichisme marchand. C'est L'Oreille cassée qu'il aurait dû adapter): autre trouvaille nulle de scénariste soi-disant futé, qui transpose absurdement une gigantomachie des Héroïcs US façon Batman contre le Joker, et se battant à coups de grues-queues de dinosaures sans doute, en hommage à Jurassik Park. Sinon, c'est du sous-sous Pirates des Caraïbes.

Sans oublier le speech de psychologie pour cadres commerciaux qui n'en veulent, asséné par le vieux loup de mer, un monologue admirable sur la lose et la win, face au mur on l'enfonce mon ptit gars, laisse personne dire que t'es un raté. Et pour sûr, le film n'hésite pas à enfoncer tous les murs, par crainte de ne pas divertir son public-cible de 0 à 7 ans. Dernière entourloupe: l'annonce de la poursuite d'une soif "inextinguible" (hohoho) d'aventures pleines d'explosions et de cascades en tous genres, car le véritable trésor est caché, ultime révélation, en pleine mer. Alors que le message profond des deux albums, c'était, déjà: "nous avons cherché de par le monde un trésor qui a toujours été ici, sous nos yeux". Soit une dérision, un trouble, jetés sur la possibilité même d'une aventure, et que parachèveront L'Affaire Tournesol et surtout Les Bijoux de la castafiore, dé(con)structions minutieuses du concept même de "péripétie" ou d'intrigue.
Mais c'est qu'il y a des biffetons à tirer, si possible. J'imagine la suite: L'Etoile mystérieuse, entre le remake de "the thing" et le remake de "poltergeist", quelque chose dans ce goût-là. Une purge. Réalisée par JJ Abrams, qui connaît par cœur les petits trains électriques si merveilleux de papa Noël-Spielguy, au point de les astiquer pieusement et servilement.

Milou ne sert strictement à rien. Dans les albums (où lui aussi évolue), il formait avec Tintin un binôme psychique "fusionnel". Là, voir et entendre Tintin parler à Milou comme un idiot parlerait simplement à son chien, qui de son côté couine de ci de là, c'est juste ridicule. La castafiore est catastrophiquement ratée, et l'Idée scénaristique de son intervention (le rossignol milanais, arme secrète pour briser la vitre incassable abritant la maquette), non pas "ingénieuse" mais bête à pleurer. Etc etc.



Le tout plombé, faut-il s'étonner (pardon Gertrud), par l'assommante partition musicale de John Williams, inséparable compagnon de route de Spielberg en matière de concassage d'ambiance dans d'insipides cascades d'arpèges rebattus, de motifs conditionnés entendus 50.000 fois. Williams étant au son ce que Spielberg est à l'image, et l'union des deux ce que Skinner est à la psychologie causale: synthétisant tout ce qu'il y a de plus pavlovien dans la musak de films hollywoodiens, une véritable scie. Je ne dis pas que J. Williams n'a pas fait un bon score dans sa vie. Je dis juste qu'il en a fait 90% de trop.


L'animation, alors? Même pas. Y a tous les défauts récurrents de l'usine Dreamworks. De jolis décors, ça et là, d'accord. Mais principalement: de l'esbroufe visuelle, de la pyrotechnie, aucune poésie picturale, de la vitesse, aucune densité. Les mouvements corporels des personnages sont toujours aussi bizarrement chaloupés, impuissants à peser dans l'espace. Un gros problème de gestion de la physique, toujours le même depuis les Zemeckis, qui, finalement, s'en sortaient bien mieux, avec des univers plus riches, plus habités (Beowulf). Les expressions faciales motion-capturesques sont toujours aussi limitées, réduites à quelques grimaces stéréotypées. Même le moins bon Pixar (Cars, par exemple, dont je suis pas fan), tout y existe cent fois plus.



Je n'en finirais pas d'énumérer tous les éléments qui font de cette pseudo-aventure-hommage à tintin un petit film convenu, insignifiant, livré du bout des lèvres comme on enfile des perles de verroterie, sans émotion, sans passion, sans esprit.

La seule séquence que j'ai vraiment goûtée: celle concernant le kleptomane. Le gag du portefeuille relié à la veste par l'élastique incassable, puis la visite des Dupondt dans son intérieur aux étagères remplies de portefeuilles. C'était pas mal, ça. Mais là encore, fallait plomber par un gag consternant de nullité : une dame est assommée sur le trottoir, des petits oiseaux sortent de sa tête, et voilà que se radine de derrière une boutique un mec à casquette, au sourire niais et inexpressif, avec un filet pour attraper les oiseaux. C'est censé amuser quelqu'un ? Qu'il se fasse connaître, sans mentir.

La bibliothèque était jolie, le paquebot bien modélisé. Le début était chouette, qui prenait un peu son temps, juste un peu, jusqu'à l'arrivée redoutée des pan-pan et tout le capharnaüm.


Concluons ce billet passablement désinvolte en rendant la parole au créateur (au sujet de son nouveau chef d’œuvre: War horse, sorti sur nos écrans quatre mois après Tintin) :

" Trop de films, aujourd’hui, obéissent à un rythme frénétique. Je suis soucieux de laisser de l’espace pour la perception du spectateur. Et puis, il fallait se donner le temps de filmer le cheval. "

[...]

" J'ai toujours été stupéfait que l’on s’intéresse autant aux chiens, alors que les chevaux sont si subtils "

[...]

" Avec eux comme avec les enfants, il faut savoir être patient "

Étonnant, non? Bon allez, la tisane, le suppo...



samedi 24 octobre 2009

Cryptes, perroquets, canards et autres castafiores




1.

Eléments bibliographiques:

Benoît Peeters, Les Bijoux ravis, Bruxelles, ed. magic strip, 1984 (réédition complétée et modifiée, "les belles lettres" - extrait)
Michel Serres, Les Bijoux distraits ou la cantatrice sauve, dans Hermès II, l'interférence, Paris, ed. de Minuit, 1972.
Serge Tisseron, Tintin et le secret d'Hergé, ed. Hors collection/Presses de la cité, 1993.


Dans Les Bijoux de la castafiore, le chef d’œuvre d'Hergé, "la pie voleuse" (gazza ladra, opéra de Rossini), est la clef du vol des bougies, pardon, bijoux, ténébreuse affaire, plombs coupés ou fusibles fondus, non, flomps pondus et fusibles tondus, sur laquelle les Dupondt voulaient faire toute la lumière.

L'organisation purement sémiotique des "bijoux de la castafiore" est très bien mise en valeur par Benoît Peeters, dans "les bijoux (coucougnettes, bien sûr) ravis". La Castafiore, mélange de perruche bavarde, de perroquet castrateur (le fameux doigt, d'où le cauchemar: "aaaah je ris"), de pie voleuse, et de chouette noctambule (le fameux voleur hypothétique, qui marchait en faisant toc toc sur le plafond de sa chambre) est un pur signifiant qui fait proliférer autour de lui la métaphore des oiseaux, et engendre tout le récit.
Lequel est une "déconstruction" osée de tous les albums précédents.
Avant, "y avait d'l'aventure" (comme aurait dit G. Simmel), fallait partir à la découverte du monde. Avec les bijoux, on s'affronte à la vraie question, enfin. A Moulinsart, quand on est coincé sur place, à cause d'une vilaine entorse (et monsieur Boulu ne vient jamais réparer la marche: il est complice dans le complot d'Œdipe), on est finalement, in extremis, obligé de se confronter au "féminin" (le monde de l'aventure de par le monde était non tant « homo-centré » qu’asexué). Le féminin est une tornade castratrice, du moins pour Hergé, et le capitaine.
Le capitaine avait trouvé son secret (ancêtre du chevalier de Haddocque, au service du roi Soleil), ce qui l'anoblissait et en même temps le faisait sortir de l'enfer de la boisson. A ce titre, cette découverte de filiation constituait le premier jalon de la généaologie de Tintin (être abstrait, géméllisé avec son chien milou: au départ, binômes, ils se parlaient, seuls, entre eux, le monde n'étant que carnaval bigarré de personnages plus ou moins menaçants ou maléfiques).
Le capitaine, choisi et sauvé (pulsion de paternité symbolique), doit encore passer le cap (fatal) de l'alliance-mariage avec la Mère castratrice honnie: la castafiore. Prix de l'humanisation définitive de tintin comme être de chair et de sang (donc, pouvant désormais grandir, vieillir, échapper au syndrome de Peter Pan).
A cet égard, "les bijoux" sont la quête ultime. Tout s'organise, donc, autour d'une déclinaison de la femme-oiseau sous formes de doubles menaçant et volatiles. Protagonistes:
- un perroquet dysfonctionneur de communication (alloooo, j'écoute? Non, vous n'êtes pas à la boucherie Sanzot). Menace de castration: doigt mordu, etc.
- un hibou, qui hante le grenier. Le rival fantôme (chevalier de Haddocque? En tout cas, l'inconnu soupçonné d'en vouloir à ses "bijoux").
- la Pie voleuse. C'est elle qui vole les bijoux, et compromet (au grand soulagement du capitaine), l'accomplissement d'un désir refoulé: le mariage à "Gand, joyau des Ardennes belges, connu dans le monde entier pour ses champs de tulipes". Le vol des bijoux désorganise la communication, c'est l'interférence maximale (Michel Serres): la presse s'en mêle, on se prend dans les fils, Tryphon accentue les malentendus, pour mieux les traduire (Bianca = la rose immaculée, la femme virginale, promise au capitaine, et refusée: "elle s'en va, tralala, euh... ma douleur au pied").
Etc.
Etc.


2.

Sinon, pour la "généalogie" de la transmission: on pourrait se poser la question de savoir si elle ne constitue pas en quelque manière un "obstacle épistémologique " pour la notion très prisée de "résilience". Question que je ne ferai ici qu'esquisser, bien entendu, et en procédant par simplifications massives, c'est tout aussi clear (mais si je me mets  à ratiociner avec finesse, j'ai pas fini, or il faut bien finir, sinon on peut tout aussi bien se taire pour un résultat analogue, enfin, bref).
On peut très bien croire avoir "tissé" une reconstruction du "moi" autour de "tuteurs de résilience" (des gens "gentils", qui, à un moment ou un autre, disent le mot qui "sauve". Style un brave instit: "mais non, t'es pas nul, mon gars, t'es doué pour... les insectes"), mais le "tissage", pour Tisseron, est un processus bien plus complexe: diachronique, et pas seulement disposé dans la topologie spatiale du "résilient": son environnement, son biotope. Diachronie dit "histoire", et "histoire" implique la reconstruction, fut-ce sous forme de "fiction générative" (d'où l'intérêt de Tisseron pour le monde de Tintin), et consistant pour un sujet "x" à recomposer, dans le temps symbolique de sa propre généalogie intime, des facteurs de résilience: les proches qu'on n’a pas, on les "invente" donc aussi dans le tissu à la fois social (topologique) et historique (diachronique).
Donc, dans tous les cas, la "résilience" ne peut nullement s'opérer sui generis (comme suggéré par la métaphore trompeuse de « l'huitre secrétant sa perle »): l'accentuation individualiste, sur un processus qui en fait "traduit" une capacité personnelle et solitaire d'adaptation/transformation de son environnement, doit certains de ses "fondements" à la psychologie sociale américaine de type "socio-biologique" (self made man, pas besoin d'assistance, etc.). Nous y reviendrons au point 7.

3.

Je souhaiterais encore dire que Tisseron a été amené à s'intéresser conjointement à la question de la généalogie (secrets de famille) et à la question de la "sublimation créatrice", notamment dans l'ordre de l'image et de la bande dessinée, à partir des percées théoriques de Nicolas Abraham et Marie Torök, donc. Eux-mêmes héritiers de Ferenczi.

En guise de préambule, je replace un vague embryon de développement jeté en son temps sur un forum, juste pour situer mon propos et de la façon la plus simpliste (car L’écorce & le noyau, c'est une mine, dense et complexe).

Chez Freud, l'inconscient, comme hypothèse, ça concerne au départ principalement la structuration du "moi" à partir d'un environnement cellulaire qui est la famille "au présent", dans laquelle il vit.
Très vite, Jung a voulu sortir la notion de ce cadre, en postulant que l'inconscient ne se joue pas dans le "moi", mais dans sa tension énergétique en relation avec des archétypes et des phases indépendants de son histoire familiale, qui seraient inscrits dans la collectivité humaine, et même au delà, dans l'univers lui-même. C'est un peu le old father du "new age".

Dans l'histoire de la psychanalyse freudienne, des disciples de la première vague, comme Ferenczi dans "Thalassa", s'interrogeaient déjà sur les matérialisations corporelles des désirs réfoulés, se demandant s'il était "possible de faire "parler" un organe, un animal, un vestige paléontologique", s'aventurant ainsi vers une intégration hardie de la biologie à la psychanalyse – selon les termes de la préface qu'Abraham consacra à ce livre.
Des théoriciens plus contemporains, Abraham & Torök précisément, proposèrent ensuite, tout en refusant le mysticisme jungien fondé sur des archétypes objectifs statiques, anhistoriques, invariants, une autre approche de l'inconscient, généalogique et dynamique, mobilisant des processus de transmission trans-subjective.
Cette complexification de la topique freudienne du moi a renouvelé la métapsychologie freudienne de façon intéressante. La théorie des "secrets de familles" en constitue un exemple. Les tensions, les névroses qui structurent le "moi" s'inscriraient dans un ensemble bien plus vaste que la cellule familiale "au présent": diachronique. Sont impliquées des traces trans-générationnelles, une généalogie plus vaste, les "ancêtres". Pères et Mères sont alors eux-mêmes dépositaires de conflits, de traumatismes non réglés, constitués par des bribes de secrets dont chacun hérite ou détient une parcelle sans forcément en être conscient. Il y a toujours une parcelle du secret qui "suinte", par une variété subtile d'informations "engrammées" depuis ou avant la naissance, et qui peuvent susciter, après un ou plusieurs sauts de générations, des rebonds inattendus, des pathologies physiques ou comportementales héritées d'un passé même lointain. Produire des catastrophes en chaine, à certaines dates (anniversaires, morts, etc). Des familles où les suicides s'accumulent à travers les générations. Des choses certes pas très jojo.
C'est un peu passé dans une certaine "vulgate" psycho-thérapeutique clinique très à la mode, et non sans systématisations abusives, où on se plait à invoquer des multitudes de manifestations semblant relever de la magie ou de la sorcellerie, mais qui en réalité se présentent comme des applications très concrètes de cette conception plus extensive d'un "inconscient" qui n'est plus confiné dans la seule sphère du sujet personnel, mais incorpore également des strates trans-générationnelles.

Une petite fille souffre de crises d'étouffement dans son sommeil, à certaine dates précises. Dans ses cauchemars, elle voit un homme dans le brouillard affublé d'un masque terrifiant. On lui demande de le dessiner: il ressemble à un poilu de la guerre 14.
Par recoupement, on exhume un secret familial mal gardé: un arrière grand père asphyxié au gaz moutarde dans les tranchées. Un fois le fait nommé, les symptômes de la fillette disparaissent. Elle avait "engrammé" des "informations" partielles suintant de bribes d'évitements, de gênes, de comportements souvent "micro", mais ça avait suffi.

Une donnée qu'on l'on mobilise souvent aujourd'hui dans le cadre de ces thérapies familiales "systémiques", c'est la problématique de la "place" qu'on occupe au sein d'une constellation familiale diachronique: parfois, on peut occuper la place d'un autre, d'un absent, d'un mort. Un secret tenu autour d'une fausse couche peut affecter l'enfant qui suit, qui peut se vivre par la suite comme nié, ou imposteur, etc etc.

Nicolas Abraham et Marie Törok avaient quant à eux développé, plus spécifiquement autour de la question du deuil "pathologique", cette théorie assez forte du "fantôme" et de la "crypte", fort proche de préoccupations ultérieures de la pensée de Derrida (la trace, le spectre, etc ***), dépassant en même temps les "structures" lacaniennes restées fort proches de Freud, même appliquées au langage (le théâtre de l'inconscient est toujours lié  peu ou prou aux figures paternelle et maternelle - converties en "signifiants", le nom du père, etc). Ils exploitèrent aussi des éléments de la théorie freudienne tardive, celle qui esquisse quelques "rêveries" anthropologiques, souvent méprisées, autour du schème de la "horde primitive" (consulter à l'occasion ceci et ceci).

[*** Edit: lors de la rediffusion sur Arte le 14/1/2009, "des nuits de la pleine lune", en hommage à Eric Rohmer, la prestation et le visage émouvants de Pascale Ogier - décédée en 1984 juste après le tournage de ce film - m'ont remis en mémoire sa rencontre singulière avec Jacques Derrida à l'occasion d'un film improbable, tourné quelques mois plus tôt: Ghost dance, de Ken McMullen.
Je place ici ces deux courtes vidéos, qui font "raccord" avec ce thème du "fantôme" ici juste effleuré, et le prolongent en un écho plus sensible. Elles donnent peut-être aussi, qui sait, un éclairage indirect sur les autres textes proposés dans cette rubrique - ces bribes de chant du psittacus - mélisme de fréquences oubliées et parasitaires captées quasi à mon insu sur d'anciens postes à galène.]








Je ne traiterai donc pas plus avant ces questions ici. Je me borne dans ce qui suit à transposer des éléments, de manière aussi superficielle que rapide,  faisant se télescoper la thématique de la "crypte" et celle du "secret".
 
La Crypte et le Secret:
La "crypte" est tout à la fois un secret, une cachette, un code chiffré, une énigme, un rébus. Tout à la fois caché et montré, un secret est toujours une crypte qui suppose cryptage et décryptage.
Envisagée sous cet angle, l'organisation d'une crypte implique alors cette dia-chronie historique évoquée supra: la constitution d'un sujet, le processus de subjectivation, ne se déroulent donc plus seulement dans le cadre topologique du triangle père-mère-enfant, mais incorpore encore un tissu plus vaste composé par "les ancêtres", et par "ancêtres", il faut méthodologiquement comprendre ici le rapport "à la filiation ancestrale" que chacun des membres de cette "famille" entretient pour lui-même ET avec les autres, chacun dé-cryptant un fragment de la crypte, et aucun ne saisissant l'ensemble de cette crypte.
La "crypte", de ce point de vue, est un processus à la fois caché, passif, et générateur, actif: elle renvoie à un passé tant immémorial (indécryptable) que toujours à inventer, dynamique, avec lequel on s'arrange, ou pas, qu'on re-compose, qu'on re-distribue.
L'individuation des sujets a lieu, se crée, se tisse, se compose, selon les ressources et les aptitudes à décoder l'environnement (spatial et mémoriel), qui impliquent toujours une collectivité, une famille non plus au sens cellulaire, mais une véritable "société", réelle, fantasmée, vécue ou inventée, à la fois dans l'espace et dans le temps.
Jusqu'à la socialité globale (mémorielle autant que géographique) dont la famille cellulaire est à la fois un "dépôt", une "courroie de transmission", et un 'lieu de transit" (du dedans au dehors, vers une interaction sociale globale, plus ou moins réussie, comme toute interaction).
Dans ce cadre ainsi posé, la question de la "résilience" rebondit autrement, comme processus de sublimation-socialisation créatrice, dans le cas, par exemple, d'enfants esseulés, abandonnés, orphelins, etc.
C'est là que l'entreprise d'Hergé, comme "création" d'un monde-tissu familial-sociétal imaginaire, prend tout son intérêt.
  

4.

Les aventures de tintin, qu'est-ce, sinon la mise en scène d'une enquête permanente d'un "sherlock-holmes" en socquettes, qui développe l'art de décrypter les énigmes, les parchemins, les signes, les fétiches, disposés dans le réel. Tintin n'existe pas autrement que comme vecteur-révélateur de significations cachées entre les objets, et permettant une symbolisation de ces derniers (au sens de "faire passer" le langage dans les choses).
Là dessus, Tisseron s'intéresse aux cryptes, aux énigmes, au développement généalogiques continus qui composent les aventures de tintin. Non que Hergé en soit parfaitement conscient, non pas qu'à l'inverse ces énigmes le dépassent entièrement, mais, au mi-temps, celui du medium qu'il se donne, l'univers qu'il crée, et son réseau subtil de correspondances, sont une façon pour lui de se situer et de s'inventer, en tant qu'homme, dans une généalogie cryptée qui traduit, entre conscience et inconscient, ses propres problèmes de repérage d'identité. Et si les "aventures" ont un tel succès, c'est parce que les lecteurs, quels que soient leurs situations (mémorielles, topologiques) deviennent, dans le processus de lecture, eux-mêmes des "sherlock holmes" de leur propre apport au décryptage des objets.
Ainsi, Tisseron, et c'est à porter à son crédit, découvre réellement un secret massif, à la fois caché et exhibé, dont l'ensemble des aventures articule le rébus. Il soupçonne, à partir d'une colligation cohérente d'éléments sémiologiques distribués dans la progression des aventures, la mise en scène de la constitution d'une généalogie créatrice par un personnage au départ "sans famille", comme l'orphelin Rémi. Georges Rémy. C'est la première crypte: Hergé est un anagramme composé à partir du nom et du prénom. Et Hergé n'a jamais caché sa fascination, enfant, pour les aventures de l'orphelin Rémi créé par Hector Malot.
Y aurait-il, dans le "secret" de Hergé, une problématique de la "filiation"? C'est ce que se demande Tisseron, invité par la mise en scène elle-même des aventures sémiologiques de tintin, à penser que Hergé se vit lui-même comme un enfant trouvé composant une "famille". Et le travail de décryptage de Tisseron se révèle passionnant, non seulement comme interrogation sur le processus d'une Oeuvre en général, et sa dimension symbolisante pour tout "créateur", mais encore comme processus, en l'occurrence, de "résilience", élaboré par l'homme G. Rémy.


5.

Après ces considérations, je préfère renvoyer à un texte dispo sur le net, où Tisseron résume (trop rapidement, en 2 pages) sa démarche et sa découverte. Le livre "Tintin et le secret d'Hergé" est beaucoup plus riche et foisonnant.
Il convient cependant d'ajouter que les éléments relatifs à une pathologie (surmontée en tant que "création" d'un univers transitionnel, comme dit Winnicott - lui-même s'intéressait aux peanuts de Schultz, à travers lesquels il élabora son concept du forda comme objet transitionnel, medium par lequel se « négocie » le passage du dedans au dehors: exemple, la couverture de Linus) se repèrent encore dans la fascination de Hergé pour la "royauté": obsession d'une origine nobiliaire, mais encore royale. Dans la langue "syldave", ce royaume imaginaire de l'est: le roi se nomme Kar ou "Car". "Kar" se déploie d'ailleurs comme une crypte-rébus, engrammée et anagrammée, dans nombre d'albums et de figures-objets: le sceptre d'OttoKAR, le trésor de RAcKham le rouge, le KARaboudjan, la momie de RasCar Kappac, etc.
Il n'est jusqu'à l'attachement à la figure fantasmée et amie de Léon Degrelle, fondateur du REXisme, qui ne témoigne de l'obsession fondamentale de Hergé (ainsi que, hélas, son allégeance à l'extrême-droite , initiée par sa collaboration "formatrice" au journal PAN) pour la filiation royale comme sublimation extrême de l'identité énigmatique d'un enfant "sans nom", "sans père".
Les albums "le secret de la licorne" et "le trésor de Rackham le rouge constituent une transition décisive, car c'est là que tintin, l'enfant-reporter, découvre la filiation insue du capitaine alcoolique qui lui rendra le blason du "dauphin": le chevalier de Haddocque n'étant autre qu'un fils bâtard du Roi Soleil. Le château de Moulinsart (autre "crypte"), lieu d'établissement de l'identité de la "famille recomposée" par Tintin, vers lequel conflue l'ensemble des aventures comme point d'aboutissement (« nous avons cherché de par le monde un trésor qui a toujours été ici »), représente fidèlement, c'est établi et reconnu, le château de Versailles délesté de ses ailes Est et Ouest.


6.

Bon. Si tout ceci est réfutable (et pourquoi pas), ça appartient néanmoins à la logique d'une démarche scientifique (en sciences humaines comme en sciences naturelles, pour Popper). Par exemple, le géocentrisme était une théorie scientifique: réfutable, elle fut effectivement réfutée.
L'idée de la réfutabilité selon Popper, c'est que le protocole d'énoncés formant une théorie autorise une contre-preuve potentielle: ainsi, a valeur "scientifique" selon Popper une théorie réfutable aussi longtemps qu'elle n'est pas réfutée. Ce qui renverse l'habituel schéma que l'on se fait de la "vérité" scientifique: il n'y a plus de théories VRAIES, en soi, intemporelles et universelles, il y a des théories/modélisations provisoirement non réfutées, mais ouvertes à la falsifiabilité.
Dès lors qu'une théorie s'élabore massivement comme ayant "bloqué" par avance toutes les réfutations possibles par un "bouclier" de validations internes à son système, autrement dit ayant trouvé le moyen de ne jamais devoir affronter une contradiction externe à ce système, elle est infalsifiable, donc "non-scientifique", "métaphysique" au sens de purement spéculative.
Rappelons, évidemment, que cette épistémologie de la "limitation" (d'inspiration manifestement kantienne, et revendiquée comme telle, par Popper: Kant, dans la Critique de la raison pure, avait aussi comme objectif d'enquêter sur les limites internes de la connaissance, et condamnait comme "antinomies" de la raison les prétentions "absolutistes" et "irréfutabilistes" de la métaphysique spéculative pure, en son temps nommée "théologie" ou "casuistique") fut posée par Popper pour contrer essentiellement deux cas litigieux du discours théorique qui se posaient, chez certains de leurs défenseurs extrêmes, comme "sciences": les théories d'inspiration psychanalytique et marxiste.
Il voyait dans un certain usage d'une certaine psychanalyse le bouclier "infalsifiable":
- le concept de "résistance", par exemple. "Vous n'êtes pas d'accord avec mon diagnostic parce que vous faites de la résistance: j'ai touché le point sensible, et vous voulez le refouler. Votre résistance à l'analyse prouve la vérité de mon analyse".
- ou encore: le syndrome d'interprétation par le symbole. Si tout symptôme est interprétable comme symbole « d'autre chose », alors tout est à la fois symptôme et symbole. Infalsifiable.
Pour la théorie marxiste (enfin, un élément : sa portée « eschatologique ». Mais pour bien d’autres aspects, on peut contester la perception simpliste, politiquement orientée, que s’en fait Popper) : nous sommes toujours dans une phase que nous appellerons la "dictature du prolétariat". Cette phase précède la "société sans classe", annoncée par la praxis révolutionnaire. Elle durera donc aussi longtemps que cette société "à-venir" n'est pas "venue". Elle peut donc durer indéfiniment.


7.

Pour en revenir à la "résilience" de Cyrulnik, le problème de la "validité scientifique" entre en jeu du fait que Cyrulnik prétend l'ancrer dans l'éthologie naturaliste (comportement des animaux). Dès lors, le concept est susceptible de s'appliquer à tout, comme, mutatis mutandis, le concept de "dialectique" appliqué par Engels à la matière, aux phénomènes naturels (si tout est dialectique, rien n'est dialectique: concept « dent creuse », comme dirait Deleuze) .
La "résilience" devenant un concept fourre-tout brandi dès qu'il y a "conversion" de "traumas" en "réussites d'insertion": on peut alors le faire servir à tout. Un tyran pathologique qui réussit comme chef d'entreprise, c'est un résilient, parce qu'il était humilié par tous dans son enfance; Hitler, c'était un résilient: il a mobilisé des ressources internes pour surmonter l'échec narcissique d'une carrière de peintre raté, et surmonter cette frustration en la déplaçant vers un objet plus noble: l'intégrité de la nation allemande et la lutte contre ses "parasites internes" (sic). Et là, on rejoint Serge Tisseron, qui a proposé une critique incisive de la surenchère conjoncturelle du concept de résilience.
La résilience devient un concept dent-creuse infalsifiable dès lors qu'elle peut s'appliquer à tout processus de revalidation personnel (sur le modus operandi du "vilain petit canard"), amalgamant ainsi au "vague" d'un concept flou des stratégies empiriquement hétérogènes, et même incompatibles.
Et, comme souligné par Tisseron, le concept "naturalise" les inégalités devant la souffrance: les uns s'en sortent par eux-mêmes (self made men): vive l'entreprise privée, ceux qui réussissent réussissent par leur propre ressource (Sarkozy doit a-do-rer, il se vit lui-même comme "résilient", c'est sûr); les pauvres et les exclus du système, tant pis pour eux: z'avaient qu'à être résilients, comme Bolloré, comme Lagardère, comme Séguéla. Na!
Il n'y a pas d'horizon d'assistance psychothérapeutique dans la notion de "résilience", puisqu'elle promeut, telle une transposition "laïque" de la problématique janséniste de la "grâce", le salut personnel par la personne.
Avant, il y avait ceux qui étaient "sauvés" par la grâce, et ceux délaissés par la providence divine (problématique du protestantisme, dont on sait qu'il engendra le capitalisme: on se rassure en faisant fructifier un bénéfice vers une plus-value exponentielle, on se dit ainsi qu'on est du côté des "graciés", malgré le silence de dieu - cf les analyses de Max Weber).
Aujourd'hui, il y aurait les "résilients", et les "foutus" (ou éternels "assistés" des institutions d'encadrement; enfin, rassurons ceux qui aiment les appeler ainsi: plus pour trop longtemps, ils s'en iront grossir la troupe opaque des fantômes du grand capital, et ils n'ont même plus de nom pour se désigner, pour ériger une digue - symbolique d'abord, agissante ensuite - face à l'engloutissement, leur disparition du monde des "actifs" qu'on nous présente comme "visible" - un mensonge censé étayer la norme d'une majorité invisible).
Le hasard et la nécessité, la grâce et la disgrâce, transposés dans une psychologie individuelle.
 Conclusion implicite, masquée: le système d'assistance aux exclus et aux cas difficiles est bien fait: pas besoin de politique ni d'infrastructure d'encadrement; à la limite, la "résilience" se charge de faire le partage entre les "sauvés" et les "foutus".
Voilà pourquoi Tisseron montre, avec pertinence selon moi, que le suremploi de la notion de "résilience", c'est le retour par la fenêtre du socio-darwinisme de l'adaptation sélective. Très à la mode, comme on le sait, dans les "modèles" en vigueur, où le "discours" de la "science" vient opportunément au secours d'une idéologie socio-économique.
De la naissance protestante du capitalisme à la psychologie individualiste et super-capitaliste de la résilience (Bush, Blair, Sarkozy: démantibulons avec allégresse et cynisme - oui, la combinaison des deux, c'est possible comme on disait à la sncf - les outils de protection économique et sociale: les pauvres s'en sortiront par eux-mêmes, au mérite, s'ils le veulent ou s'il le peuvent: un "merveilleux malheur", quoi), la conséquence est bonne.
Cyrulnik a opéré une "hyper-centration" extensive du concept à partir de sa propre biographie. Du coup, c'est devenu un peu médiatiquement le monsieur "je donne de l'espoir à tous les malheureux de la terre". Mais donner de l'espoir, ce n'est pas leurrer comme le fameux leurre de Konrad Lorenz pour tromper les oies, pas les canards, certes, et qui était, lui aussi, éthologiste animalier.  Couin-couin.

(30/03/2008)



samedi 26 septembre 2009

psittacus project 5.3.2.



Je reviens donc, un instant, sur ce texte improvisé - souvenez-vous, magnifique, formidable - autour de "Birdy" d'Alan Parker.

Le lecteur attentif aura bien évidemment pris soin de relever les multiples tropes magnétiquement invoqués ça et là, dans un ballet étourdissant et enchanteur digne de La Péri de Paul Dukas. On est branché sur l'inconscient ou on ne l'est pas. Point n'est besoin d'insister. L'humilité n'insiste jamais. C'est pourquoi je ne m'appesantirai pas outre-mesure. Je me contenterai de dévoiler quelques éléments épars de cette architecture cryptophorique à la fois savante, ignare, et verviétoise.


Tout d'abord, les ailes, l'envol, le vol (frères Wright); et son envers symétrique, le monde de l'eau (océan, plongeon, placenta, etc), et toutes ces choses;

- autres bébêtes, avec ou sans plumes: soldats-baleines, perroquets télépathes, saintexuperys, prométhées, icariens, archéoptéryx-s, tyrannosaurus-Rex-s, etc

- Allusions imbriquées à diverses théories paléo-anthropo-philosophico-psychanalytiques envisagées comme "transformateurs Duchamp". Farpaitement :

Abraham & Törok (L'Unité duelle, dans "L'écorce et le noyau"),
Ferenzci (Thalassa),
Jean-François Lyotard (La chose, l'inhumain, les grands ancêtres, in "examen oral")
Mélanie Klein (théorie du "bon et du mauvais sein" dans "Envie & Gratitude"),
Winnicott (l'objet transitionnel, le "forda", la "couverture de Linus", in "Jeu et réalité"),
K. G. Jung (la persona, in Dialectique du moi et de l'inconscient), etc.

- Tropes littéraires: Mallarmé, Michaux, Lovecraft, Stevenson, Daniel Goossens, Pierre Perret, Heidegger, Baudelaire, Rimbaud, Hergé (frères Loisau-Wright), Saint Ex (citadelle), Kant (le beau et le sublime), etc.

Plus le fluide (glacial, of course), le grano, salis, évidently, la folle, du logis, forcémently. Et les mineurs de fond. Et les naufragés de l'île de la tortue. Et le Paris-Brest. Et toute la smala. Tous à Zanzibar. Tous à Verviers-Central.


- Références cinématographiques:

- Birdy (Alan Parker)
- Reviens moi (Joe Wright)
- Le grand bleu (Besson)
- la ligne rouge (Malick)
- Johnny got his gun (Trumbo)
- Jurassik park, le Soldat Ryan (Spielberg)
- Le testament d'Orphée; la belle et la bête (Cocteau)
- La Chose (Carpenter)
- La nuit du chasseur (Laughton)
- les contrebandiers de Moonfleet (Lang)
- The deer hunter (Cimino)
- Apocalypse now (Coppola)
- Persona (Bergman)
- Ces merveilleux fous volants dans leurs drôle de machines (Annakin)
- Full metal Jacket (Kubrick)
- Le cri du cormoran le soir au dessus des jonques (Audiard)


Bref, étourdissant. Quel talent. Christian Tzara peut aller se rhabiller, le pauvre. Et son perroquet aussi. Que son grrraand crick le croque.


Ensuite, L'Origine des oiseaux (nouvelle d'Italo Calvino dans "Temps zéro") & Les Dinosaures (dans "Cosmicomics"), matrices de la machine textuelle hypno-grammato-mnésique.
Tout y conspire. Honnêtement, on ne peut pas comprendre ce texte prodigieux sans les avoir lues.

Un passage, au hasard (que je découvre, actuellement, pour la première fois, en même temps que je le tape):

(c'est un dinosaure qui parle, et qui a réussi à passer inaperçu au milieu du groupe des "Nouveaux", ceux qui n'avaient jamais vu les dinosaures, depuis longtemps disparus, mais en avaient entendu parler):

Elle me raconta: "j'ai rêvé que dans une caverne, il y avait l'unique survivant d'une espèce dont personne ne se rappelle le nom, et moi j'allais pour le lui demander, et il faisait noir, et je savais qu'il était là, et je ne le voyais pas, et je savais bien qui il était et comment il était fait, mais je n'aurais pas su le dire, et je ne savais pas si c'était lui qui répondait à mes questions ou moi aux siennes" [...]
Depuis lors, j'avais compris tant de choses, et par-dessus tout de quelle manière les Dinosaures gagnent. D'abord, j'avais cru que leur disparition avait été pour mes frères la magnanime acceptation d'une défaite; maintenant, je savais que plus les Dinosaures disparaissent, plus ils étendent leur empire, et sur des forêts bien plus intimes que celles qui couvrent les continents: dans l'enchevêtrement des pensées de ceux qui demeurent. Dans la pénombre des frayeurs et des doutes de générations désormais ignorantes, ils continuaient à allonger le coup, à soulever leurs pattes griffues, et quand l'ombre ultime de leur image s'était effacée, leur nom continuait à se superposer à toutes les significations du monde, à perpétuer leur présence dans les rapports entre les êtres vivants. A présent que le nom lui-même s'était effacé, il leur revenait de se fondre avec le moule muet et anonyme de la pensée, à travers quoi prennent forme et substance les choses pensées: par les Nouveaux, et par ceux qui viendraient après les Nouveaux, et par ceux qui viendraient après encore." (I. Calvino, Cosmicomics, p.112, Paris, Seuil, coll. "Points")

Je n'ai strictement absolument rien compris. Mais c'est très beau.


Confusément, je sens bien, sans pouvoir m'en expliquer davantage, que c'est là, précisément là, qu'opère, ou d'où procède, le chant du psittacus, au point nodal de sa mémoire reptilienne, à l'intersection des gares de Verviers-Central et de Verviers-Central, point non récursif de mon ressouvenir de Stéphane M., quand j'ai ressenti que je n'étais plus le psittacus que j'avais moi-même connu.
Alors, bon, on nous dira: c'est très fâcheux, tout ça... Peut-être, peut-être, mais c'est là, précisément là, que se révèle et se déploie, qu'on l'admette ou pas, la révolution authentiquement copernicienne du Psittacus. Alan Badius l'a bien compris. C'est un grand Marabout, lui aussi. Je me demande même s'il ne jouait pas dans la guerre du feu des frères Rosny Aîné.
Alan Badius et moi, nous n'avons pas besoin de disserter à l'envi: un coup d'oeil trifurqué, et nous nous sommes compris. Nous sommes tous deux des enfants du limon, fruits du croisement heureux, à Verviers-Central même, des archives Queneau de l'Hôtel de ville et des usines Marabout, là même où, sur cet lopin de terre meuble plus ou moins excavé, naquirent conjointement Stéphane Mallarmé et le Monolithe noir de 2001 lui-même. Car c'est un fait établi, quoique dissimulé dans cette crypte - et l'un comme l'autre nous savons, de ce savoir très ancien probablement oublié, souvenir agi et agissant en nous, que c'est là, à Verviers même, que Stéphane vit le jour, en même temps que l'hominisation du singe. Et bien sûr, ça ne fait rire que nous, mais nous rions sous cape.

A Verviers-Central, le temps était hors de ses gonds.
Nous y étions, Alan & moi, unité duelle de l'enfant majuscule, un Infini turbulent.
Notre code chimique et électromagnétique fut ce qui nous permit de nous flairer à l'odeur, comme les néandertaliens, frères so(u)rciers dans la clairière de l'être, parce qu'ils s'écoutaient eux-mêmes tels qu'en eux-mêmes.


Aussi savions-nous que notre "tombeau" était en réalité une crypte, aussi avions-nous toujours eu la foi en l'avènement obscur, au don dévoilé/voilé de notre code chiffré/constellation d'Or. Aussi étions-nous sauvés. Parce que nous étions déjà sortis par réminiscence tellurique de notre chiffre:

"C'ETAIT (issu stellaire)
LE NOMBRE
EXISTÂT-IL (autrement qu'hallucination éparse d'agonie)
COMMENÇÂT-IL ET CESSÂT-IL (sourdant que nié et clos quand apparu - enfin - par quelque profusion répandue en rareté)
SE CHIFFRÂT- IL (évidence de la somme pour peu qu'une)
ILLUMINÂT-IL
CE SERAIT
(pire
non
davantage ni moins
indifféremment mais autant)
LE HASARD
(Choit
la plume
rythmique suspens du sinistre
s'ensevelir
aux écumes originelles
naguère d'où sursauta son délire jusqu'à une cime
flétrie
par la neutralité identique du gouffre)
RIEN (de la mémorable crise - ou ce fut l'événement accompli en vue de tout résultat nul - humain)
N'AURA EU LIEU ( une élévation ordinaire verse l'absence)
QUE LE LIEU (inférieur clapotis quelconque comme pour disperser l'acte vide
abruptement qui sinon
par son mensonge
eût fondé
la perdition
dans ces parages
du vague
en quoi toute réalité se dissout)
EXCEPTÉ (à l'altitude) -PEUT-ÊTRE […] - UNE CONSTELLATION (froide d'oubli et de désuétude - pas tant - qu'elle énumère - sur quelque surface vacante et supérieure - le heurt successif - sidéralement - d'un compte total en formation)"

Avec les seuls moyens du bord, une caisse à savon évidée en son centre, une cloche tubulaire, quelques macarons, nous avions écrit par avance ce texte, sans même le connaître, ou plutôt, ce texte s'était écrit en nous, au travers des fils innombrables et torsadés que nous tissions inlassablement, chemins de traverse, qui furent tantôt ontologie, tantôt anthropologie structurale, tantôt psychanalyse, clinique du fantôme, approche systémique, anasémique, morale appliquée, pantomime, imitations diverses, thérapie clownesque, rhétorique, linguistique, tintinologie, théorie des champs méta-morphiques et de l'harmonie des sphères, kantisme, leibnizisme, sartrisme, hégélianisme - le tout exclusivement et intégralement lu sur des quatrièmes de couverture de Marabout-sciences-junior;
maïeutique obscure avec bornes de signalisation sonore sous forme de marteaux sans maître qui faisaient tantôt "dong" tantôt "ding", assénés sur la tête de quelques pauvres crânes tondus de passage et qui repartaient aussitôt, migraineux, dans quelque ruelle ténébreuse d'Harry Dickson, et sans demander un putain de Kopeck à qui que ce fût;

aussi par l'invocation de forces occultes qui nous répondirent, depuis la faille de San José, et d'où sortirent un soir de septembre, à notre grand dam, après diverses prières inversées, de sombres borborygmes et invectives recueillis sur la bande magnétique à moitié déchiquetée d'une maxell standard et passées par la touche rewind d'un vieux Sharp tout pourri, quelques grands ancêtres monstrueux aux noms oubliés et imprononçables;

aussi par diverses poudres de perlimpinpin recueillies, filtrées et tamisées à même l'Ab-grund de la forêt noire, dans un commerce clandestin que nous entretenions avec certaines sorcières aux pieds nus et crochus dont nous tairons le nom, appelées à nous par écho-sonar, nous conviant à de sombres sabbats où nous exorcisions les âmes d'enfants morts-nés comprimés entre les pages du Kaddish, et chaque fois (pas toujours), le sortilège bu, par nos cloisons tympaniques transpercées, déployant nos pavillons de fortune, faits de breloques et de peaux de tambours soldées aux puces, nous apprivoisions les mots de la tribu. Sauvés par l'acousmatique, et Alfred Tomatis.

(15 janvier 2008)

psittacus project 5.3.1.


Ce texte magnifique sur Birdy, donc, un chant magnétique vespéral, non seulement très sympathique, mais encore impayablement drôlatique, suscita éventuellement moue dubitative et regimbante.

Peu importa.

Je renonce provisoirement à en déplier ici (cf. cependant "psittacus project 5.3.2.") toutes les riches correspondances ouvragées, et psittacosées avec une maestria sans limites, qui le promeuvent au rang d'une simio-poétique incandescente.. Mes fans s'en chargeront.

Qu'il me suffise de dire que j'en suis un fervent admirateur. Le projet perroquet 5.3.1. initie une ère nouvelle de la modernité littéraire, l'authentique révolution copernicienne d'une jouissance labiale en prise directe sur son inconscient.

Osons le dire, et je cite moi-même la postface de la monographie qui m'est consacrée à titre posthume:


Ainsi Psittacus, portant jusqu'à son terme, avec témérité et d'une main ferme, le projet harassant qui le hanta toute son existence: devenir l'original de sa propre copie, laissera à la postérité la tâche infinie de déchiffrer l'insondable borne hiéroglyphique de son Oeuvre, lancée, comme un défi, aux siècles à venir. Ultime provocation d'un génie sauvage, rieur et frondeur, faisant voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative. Faire voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative n'était pas une mince affaire. Nombre de plumitifs tombés dans l'oubli s'y sont cassé le bec. L'entreprise en effet, plus que risquée, réclamait une lucidité sans faille dans l'appréciation d'un tel projet.

Psittacus s'acquitta de ce projet.

Non seulement il s'en acquitta, mais encore il parvint, ce n'est pas là le moindre de ses mérites, à excéder les limites qu'il s'était imposées. Transcendant, par une prise de risque qui faillit bien des fois le conduire aux abords de la folie (en témoigne un passage de la correspondance omnibus qui le menait quotidiennement de Verviers-central à Verviers-central : "mince, je ne suis plus le Psittacus que j'ai connu"), les percées somme toute auto-limitantes de la pataphysique verviétoise, il parvint, au prix d'une auto-discipline de fer, se vouant à cet apostolat avec l'inexorable intégrité de ceux qui ont conscience de refermer les portes ouvertes, et de frayer des sentiers où jamais la main du serpent ne s'était aventurée à mettre le pied, non seulement à faire voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative, mais encore à poser les jalons d'une nouvelle science, crainte par Kierkegaard, entrevue par Heidegger, élaborée par Alexandre Kojève, éditée sous le manteau par Queneau,  saluée par Deleuze, vilipendée par Bouveresse, pillée par Rémy Bricka, et ultimement rejetée par Karl Popper: la science infalsifiablement réfutable de la mimétologie généralisée.
Psittacus, rappelons-le à ceux qui l'ignorent encore, avait tenté de lancer dans les années 50, entre autres projets infructueux, le "cercle de Verviers" (Psittacus project 5.2.0), dont il fut et resta l'unique membre honoraire, en soutien tardif au "cercle de Vienne".

Selon Psittacus, en effet (in "Psittacus auteur du Ménard"):

" En l'état actuel de nos connaissances en éthologie, rien ne permet d'établir avec certitude si Konrad Lorenz se prenait lui-même pour un cygne sauvage suivant des canards anthropomorphes ou, à l'inverse, était lui-même un canard sauvage suivant à la télévision un film de Michel Audiard en croyant le précéder ".

Wittgenstein, dont le violon d'Ingres était le piano (il jouait avec la main gauche de son frère invalide de la Grande guerre les "morceaux en forme de poire" de Satie, portant la mention non-valide bien connue "à jouer comme un rossignol qui aurait mal aux dents"), n'a pas manqué d'ironiser sur cette conjecture, en écrivant dans ses "investigations philosophiques":

"rien ne permet d'établir avec certitude si Psittacus se prend pour un perroquet imitant un canidé imitant la voix de son maître sur un gramophone pathé-marconi ou, à l'inverse, est lui-même un gramophone pathé-marconi imitant un canidé imitant la voix de son perroquet".


Tout ceci relève désormais du registre des anecdotes plaisantes qu'on aime à évoquer entre initiés dans les causeries d'épistémologie anglo-saxonne.
Le travail solitaire entrepris et mené à bien par Psittacus au cercle de Verviers a pâti de cette imagerie quelque peu obsolète, et bien entendu, comme on l'imagine, fut éclipsé par l'ombre tutélaire de Wittgenstein. On trouve encore mention, cependant, des écrits de Psittacus dans l'anthologie des fous littéraires d'André Blavier.

Il importe pourtant de reconsidérer aujourd'hui d'un oeil neuf, et au delà des saillies spirituelles - parfois injustement méprisantes - qui ont fait florès dans l'histoire des Idées du XXè siècle, l'oeuvre solitaire menée d'arrache pied par Psittacus entre 1953 et 1965.
Dans l'extrême dénuement d'une psychè tourmentée par ses propres golems, qui eux-mêmes étaient les golems d'un golem premier à jamais oublié, il sut puiser avec obstination dans les réserves limitées d'une culture et d'une épistémologie invariablement verviétoises, et assumer cette limite jusqu'à esquisser les contours d'une finitude radicale du savoir humain. Un savoir humain encerclé par les tropes d'une révolution résolument et authentiquement copernicienne.

Il partit en effet de son centre, qui n'était nulle part, avec la ferme intention de renouveler la preuve ontologique de l'existence de la périphérie de ce centre. Psittacus était rien de moins que kantien, et sa démarche unique en porte la marque radicalisée, et inouïe, par bien des aspects.

L'impossibilité, assumée, d'envisager la périphérie et l'extraphérie du centre verviétois l'amenèrent à poser thésiquement l'axiome apriorique et solipiste suivant:

"c'est bien parce que nous ne disposons, en tout état de cause, pas d'autre centre, ou point de vue, ou subjectum, que le centre verviétois, que nous devons impérativement revenir à ce centre même, pour rendre compte du caractère originairement excentré du centre, soit encore, pour avérer que ce centre est tout entier la preuve nécessaire et suffisante de sa propre ex-centricité".

La prose éclatée et éclatante de Psittacus est certes difficile à cerner. Et pour cause, puisqu'elle ne cesse de faire voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative, comme on le rappelle plus haut.
Canardus psittacosé second, un de ses plus fidèles disciples, nous paraît résumer cette axiomatique sartro-kantienne en des termes plus à même de toucher le grand public (le public, donc, de la périphérie verviétoise, voire de ses alentours):

"le centre ne se constitue comme centre que comme habitant une extériorité qui n'est pas lui, dont il est lui-même, in fine et ab origine la périphérie elle-même".

C'est donc à partir du centre lui-même, et en y revenant, qu'on peut et qu'on doit comprendre que ce centre est lui-même second par rapport à une excentricité ou extériorité premières qu'il n'est pas, et dont, par essence et signifiance, il ne peut que rendre compte. En somme, le centre (que constitue Verviers, ainsi que l'ancrage verviétois que constitue l'épistémologie psittacienne), est paradoxalement fondateur parce qu'il est fondé sur et par autre chose que lui-même.
Pour le dire autrement encore, le centre est l'excédent lui-même qui ne cesse d'être excédé par ce qu'il excède.
Alan Badius, dans son traité de la quadrature psittacosienne, a tenté d'axiomatiser le théorème auto-différentiel de cette tournure de pensée qui, à maints égards, demeure une énigme autant qu'un défi:

"SOIT le Psittacus comme tel est exclusivement instituable dans son centre (psittaco-verviétois) par ce qui l'excède, et dans ce cas l'excès en question pourrait se passer du Psittacus pour être défini, SOIT le Psittacus institue-t-il son centre comme l'excédant lui-même, et dans ce cas ce qui excède le Psittacus reste dans le Psittacus: l'excès non-psittaciste, le hors-psittacus sont ce dont sa psittacicité elle-même rend compte".

En tant que matérialiste athée, nous pouvons et nous devons ajouter foi au seul membre second de l'alternative. Que nous formaliserons par le monome binarisé suivant:

"Pour toute périphérie verviétoise dont au moins 1 psittacus est le centre, il existe un 0 divisé par -1 = (psittacus) x la somme des angles droits du cercle quadraturé "

Le psittacisme confluant à l'intersection ferroviaire des correspondances omnibus entre Verviers-central et Verviers-central peut et doit dès lors être considéré comme une variante indémontrable du tombeau d'Edgar Alan Poe (par conversion du corbeau en perroquet): soit un calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur. La révolution copernicienne est donc l'événement "never-more" à venir dont Psittacus 5.3.1 est le nom de code chiffré.

Psittacus est un Léon-Blumisme transcendantal.
Il annonce la redistribution radicale du pécule sarkozyste (majoré à 170% ) + la refonte des bijoux de la castafiore, pour une somme finie de congés payés sur le front de mer, où maints steamers balançant leur mâture lèveront l'ancre pour une exotique nature."

On ne saurait mieux définir - grâce soit rendue à Badius, exhumant enfin Psittacus de sa crypte - le "cercle discursif" psittaciste, qui fait voler en éclat, non seulement les limites traditionnelles de la prose récitative, mais encore l'onto-théologie sous-jacente de tout cercle spéculatif qui prétend en finir avec le psittacisme.
Le psittacisme, se revivifiant aux sources d'un kantisme débarrassé du concept de noumène comme concept régulateur vide (de toute intuition), est donc à la fois un idéalisme transcendantal et un réalisme critique. Il engendre lui-même sa révolution autour et hors de son propre centre, parce que le centre qui le constitue est lui-même une périphérie seconde par rapport à une extériorité radicale préexistante.
Telle est l'audace du psittacisme radical.
Et Badius, en psittaco-lacanien, l'avait fort bien compris, qui s'en inspira à juste titre dans ses "prolégomènes à tout psittacisme futur qui voudra se constituer comme révolutionnaire".

Un jour, le siècle sera psittacien. Les rares interprètes qui ont su et pu percé à jour l'entreprise radicalement révolutionnaire de Psittacus peuvent en témoigner par l'irréfutabilité du rire sincère (et émouvant) que son entreprise suscite en eux.
Pour l'instant, il est vrai, ils sont encore obligés d'en rire tout seuls, et peu nombrables. Mais partout, de par le monde, des psittacistes se réunissent et fomentent du psittacisme, suscitant un rire contagieux qui ne cessera plus de croître. C'est du moins notre conviction profonde, au moment de signer cette postface à l'oeuvre désormais complète de Psittacus, qui, dans une manière d'ultime pied de nez à la postérité, nous a quitté, emporté par une psittacose (toujours) galopante et inextinguible."

(14 janvier 2008)