dimanche 9 décembre 2012

Pour en finir (un peu) avec Werner Herzog.



Herzog a fait des films impressionnants et/ou admirables, de fiction, de 1968 à 1982 essentiellement. Ce fut sa grande période, ce qui suivra après ne m'a guère convaincu, si bien que je tends à penser que son grand Œuvre est désormais clos. On ne peut pas être et avoir été, selon la formule. J'ai l'impression, certes discutable, que dans le cas de Herzog (et tant de cinéastes qui furent grands dans les 70s), on ne peut avoir déjà fait et faire encore, hélas.

Sa grande idée, qui innerve tout son cinéma, et recourant bcp au simulacre, au canular même, c'est de souligner tout en les magnifiant  l'échec, la vanité, l'inutilité, de l'expérience dite du "sublime" ou de la "grandeur". Le sublime en question, s'il existe chez Herzog, tient paradoxalement dans l'échec des tentatives pour l'atteindre. Le cinéma de Herzog est un cinéma d'ironie. Les deux figures complémentaires (très souvent morbides) qu'il convoque constamment sur cette échelle de la démesure ou plutôt de la hors-mesure marginale: les géants (conquistadors, princes, créateurs d'opéra, etc) et les nains (nains, marginaux, fous, vampires, princes aussi - K. Hauser le simplet incarnant l'unité du plus petit et du plus grand) échouent également soit dans leur "volonté de puissance", soit dans leur "rêve de grandeur", et révèlent cette grandeur ou puissance par l'assomption tragique de cet échec. Le sublime est ainsi dans l'échec du projet autant que dans sa vanité, et lorsqu'il réussit, il n'est que vanité. Tout est toujours vanité chez Herzog. Le fantasme de la plus grande grandeur s'y égale à la réalité de la plus petite valeur.
Dans Aguirre, le conquérant ne conquiert que du vide, et s'il fondera un royaume sur la terre, c'est, ultimement, le royaume des singes, enfanté dans l'inceste et la dégénérescence. Dans Fitzcarraldo: faire passer un bateau par dessus une montagne, entreprise dont l'ampleur majusculaire n'a d'égal que sa minusculaire inutilité. Ils y parviennent, mais ça ne servira à rien, ça aura juste tué quelques autochtones. Monter un opéra avec Caruso au milieu de la jungle amazonienne, l'opération échoue lamentablement. Tout le film s'achemine vers la fin "sublime", qui est justement que le projet n'aboutira pas, et qu'au lieu de l'opéra convoité, Caruso viendra chanter dans une barque dérisoire cheminant au milieu du fleuve, accompagné par un gramophone.  


Je précise fictions, plus haut, parce que les "documentaires" de Herzog, chez moi, ça passe pas. Que ce soient "documentaires", "pseudo-documentaires" sous forme de "canulars", c'est allé en s'aggravant. J'avais été impressionné par Grizzly Man, à l'époque, parce que naïf, j'avais cru que ça évoquait, fut-ce sur un mode de la "réélaboration", un événement réel. En y repensant, c'était vraiment abusé, comme dispositif.
Passe encore quand Herzog filme les espaces (la Soufrière, une grotte, etc), même si dans ces cas, sa présence voire son omniprésence, en "off" et/ou dans le champ, sont déjà assez rebutantes. Herzog semble croire, en effet, que son "point de vue" revendiqué, et le commentaire subjectif, comme genre à part entière, qui autorise ce point de vue, est intéressant. Or, faut bien le dire, et en ce qui me concerne, il l'est très peu, et souvent pas du tout. Qu'a-t-il à dire, au fond, de si important, précieux, nécessaire, qui mérite d'être entendu? Je me pose franchement ces questions, car trois fois sur quatre, j'ai envie de couper le son. Sa "vision du monde", ses "opinions personnelles", assénées en permanence, sous la forme d'un "journal intime" ou "carnet de route", c'est le plus souvent un mélange de "philosophie de grand bazar" et de considérations de bistrot. Herzog semble visiblement croire qu'il a des choses à dire, sur des tas de sujets, que son apport discursif personnel apporte une touche singulière qui le met à part de la norme standardisée du docu "tv". Hélas, c'est pas vraiment le cas.

Mais là où ça s'aggrave pour de bon, c'est quand il s'arroge la fonction et le pouvoir de l'intervieweur, qui plus est sur des sujets, encore "extrêmes" (puisque c'est assez sa marque de fabrique), mais "sociaux": là, ça devient franchement insupportable. Il fait à ce point les questions et les réponses, impose autoritairement ses vues, ses jugements, ses "analyses", que les interviewés ne servent à rien, ou presque. Il pourrait tout aussi bien leur dire, 9 fois sur 10: "taisez-vous, c'est moi qui parle".

Il n'y a pas un accueil de la parole, du témoignage de l'autre: c'est toujours une sorte de montage, même quand ça se présente en "temps réel", d'une parole qui ne s'exprime que dans le cadre très déterminé de la "pensée" de Herzog qui, toujours, impose ses démonstrations et ses conclusions. On a vraiment l'impression que Herzog croit que son "point de vue", sa "vision du monde", donc, sont à ce point intéressants et pertinents qu'ils doivent imprégner chaque cm de sa pellicule. Herzog y campe constamment dans une position de surplomb, de maitrise, de pouvoir, de tous ces sujets-événements qu'il survole avec l'aplomb du gars qui a un avis passionnant, édifiant, et décisif sur tout. Alors qu'en fait, y radote pas mal, un peu comme un "vieux con". Je me demande même s'il ne sucre pas un peu les fraises, depuis une bonne décennie...

Alors que ces "documentaires" semblent se vouer à rendre la sensation d'un événement (sous les formes les plus diverses) dont la démesure excède le sentiment et/ou jugement subjectifs (un peu l'expérience du "sublime" au sens de Kant), c'est tout le contraire d'une expérience de l'événement qui nous est proposée. C'est la mise en scène, distribuée, calibrée, contrôlée, intervention et temps de parole des intervenants compris, des "opinions" de Herzog sur ces événements, avec des imgs à la Haroun Tazieff, plus un peu de testostérone.

Y compris voire surtout lorsque leur parole est fragile, ou fragilisée, parce qu'émise en état ou situation de crise, de tension, de désespoir, de drame. Situations et états que Herzog exploite, met en scène, instrumentalise, souvent provoque lui-même, sans vergogne, en maître de cérémonie, à la fois voyeur et exégète des psychodrames qui se jouent sous sa caméra et son micro. Et le plus souvent, ça lui donne l'occasion de livrer ses états d'âme, ses sentiments personnels, ses jugements de valeur, bref son éclairage si précieux et si important sur l'événement qui a lieu. Ce qui parachève la dimension d'obscénité de son dispositif, car le spectateur n'a d'autre alternative que se faire le voyeur et confident consentants d'un spectacle aussi complaisamment orchestré.

On peut sans crainte parler de manipulation d'affects pour un sensationnalisme choc. Le résultat donne à penser: on ne voit pas trop en quoi, finalement, au bout du compte, le produit livré se distingue des pseudo-reportages sensationnalistes et tendancieux proposés par les chaines de télé, Tf1, par exemple. On parle d'images d'une "rare puissance évocatrice", sans doute. J'y vois pour ma part une sorte de mix lourdingue et indigeste entre Ushuaya, Complément d'enquête, Faites-entrer l'accusé, Strip-Tease et ça se discute… Mieux, ces produits du câble américain, où on traque des délinquants, un échappé de prison, un violeur, à pied, à cheval, en voiture, ou depuis un hélicoptère.
C'est un peu les aventures de Tintin version burnée: Tintin en Amérique, Tintin au Congo, Tintin chez les skieurs, Tintin fait de la spéléologie, Tintin dans les couloirs de la mort, Tintin visite des terres dévastées par un tremblement de terre, Tintin visite des terres brûlées par un incendie, etc etc etc.



De la taille des écrans



Bien chers tous.

De retour après une assez longue absence méritée. Et merci pour ce plébiscite.


Quoi de neuf, sinon?
Ces derniers jours, j'ai cassé ma tirelire où deux larfeuilles de 100 euros longuement économisés me brûlaient les doigts et quémandaient leur consomption.
Alors, me suis-je dit, à quoi pourrais-je bien consacrer cette dépense de pure jouissance? J'avais déjà tout, j'étais un homme comblé, heureux. Un lecteur mp3, divers casques et oreillettes de factures décentes, aux propriétés d'isolation phonique vitales pour moi (because of saloperie de voisinage: chronique imminente sur ce sujet). Des disques durs remplis à craquer de super-films en attente. De bons livres. De la bonne zique. Bref, tout ce qui peut contribuer au bonheur terrestre et supraterrestre.

Mais avais-je vraiment tout? N'y avait-il point quelque chose qui me manquait, de façon lancinante?


Souvenez-vous, j'ai souvent parlé de mon vieil écran sony pal trinitron 55 cm de diagonale, auquel je voue pour ainsi dire un culte. De presque 20 ans d'âge. Seulement voilà. Sa connectique se limitant à une péritel et à une entrée rca jaune, souffrait depuis quelques temps déjà de probs de faux contacts. Il fallait que je passe au moins 10 minutes avant chaque séance à tenter de trouver la bonne manière de maintenir la fiche, à l'aide d'une gomme pour la soutenir et la bloquer. ça me rendait complètement zinzin. Puis souvent, l'image disparaissait en plein film et je devais tout recommencer.

Donc oui, une ombre pernicieuse voilait mon plaisir d'être-au-monde.


C'est alors que je conçus ce désir brillant. M'acheter un bon écran d'ordi. J'avais depuis 6 ans un écran flatron de 19 pouces (4/3 donc). Qui m'assurait certes quelque satisfaction, mais dans la limite de sa conception. Vous savez en effet que les traditionnelles dalles d'ordi (TN) pâtissent d'un défaut rédhibitoire: l'angle de vision très limité, qui fait que si vous changez de position, l'écran s'assombrit sur le bas; vous devez rester planté comme un piquet à minerve, si vous tentez de retoucher des images, par ex. Sans parler des couleurs, qui sont faussées, et tout ça.

J'investigue sur le net, et je découvre la nouvelle génération d'écrans d'ordi à prix démacrotique pourvus d'une dalle IPS. Pour celles et ceux qui ignoreraient encore de le savoir, les dalles IPS offrent un angle de vision beaucoup plus ouvert (178, voire 180°). Et je me dirige sur un modèle, toujours flatron, IPS et avec couleurs justes certifiées et calibrées en usine, d'une marque que j'apprécie mais dont je ne citerai que les initiales de début et de fin, afin de ne pas faire de la publicité gratuite (même si, vous le savez aussi, je suis doué pour la vente d'objets techniques et non techniques de la vie usuelle): L. et G.


A rétro-éclairage led. Et de 23 pouces. Soit une diagonale qui surclasse tant ma vieille télé que mon presque vieil écran d'ordi. Avec 23 pouces, vous êtes ferré. Vous pouvez enfin apprécier les films en scope ou en 16/9, sans pan & scaner. De toute façon, sur mon vieux sony, je pouvais pas pan & scaner, et je mirais les films en 16/9 sur un rectangle rikiki flanqué de deux barres noires gigantesques.


Je me précipite donc, à couilles rabattues et le palpitant battant la breloque d'excitation (un poil asthmatiforme) au supermarché de l'électronique du centre-ville. Et je ressors vainqueur, serrant dans mes mains fébriles l'objet de mon brûlant désir.

Alors, qu'en dire? C'est tout simplement magnifique, et les mots sont impuissants. La dalle IPS tient toutes ses promesses, la résolution impec, les couleurs sont tellement justes que j'ai enfin compris pq mes captures d'img étaient nases. Je redécouvre littéralement le monde. Puisque mon écran d'ordi est quasi ma seule fenêtre sur le dit monde.
Et les films. Je redécouvre les films, comme jamais je n'eus pu soupçonner qu'ils pussent s'offrir à mes pupilles fascinées.

C'est bien simple, l'angle de vision est tellement ouvert que je peux m'installer tranquillos dans mon vieux fauteuil pour mater les films. C'est une révolution, non copernicienne certes (quoique), qui bouleverse tant mes habitudes que j'ai l'impression de changer de mode d'existence.


Voilà à quoi j'ai passé mon temps ces derniers jours. Et c'est avec plaisir que je reviens vous lire, l'esprit un peu moins moins accaparé par la magnificence de cet nouvel objet, ludique, instructif, et pas chiant.

Quant au mythe fameux, et persistant (cultivé par une certaine sphère "cinéphile-puriste"), du Format, du Grand format, en dehors duquel tout est usuellement rikiki, j'en ai souvent débattu. Mais je me sens obligé, de cette nécessité impérieuse qui commande, comme dab, toute entreprise inutile et d'un intérêt erratique, d'en rajouter une petite couche.


En réalité et en vérité, que ne le note-t-on plus souvent, dès lors qu'on dispose d'un bon écran, bien calibré, et doté d'une résolution full HD, il importe peu que ce soit un écran géant, comme on dit: face à un écran géant, le spectateur va rechercher la bonne distance, celle qui lui convient, pour embrasser ce qu'il voit d'un regard synoptique, ni trop près, ni trop loin. Comme dans une salle. Dans une salle, si l'écran était gigantesque, je choisissais toujours une place située dans le dernier tiers des gradins, parce que c'était, pour moi, la distance en deçà de laquelle mes yeux se perdaient dans la grandeur de l'écran et ne pouvaient "synthétiser" l'information qu'ils en recevaient.

Simple petit test: quand vous regardez un écran, tv, ordi, ou dans un cinéma, placez vos mains verticalement et latéralement, de part et d'autre de vos tempes, jusqu'à la limite du champ de vision que vous avez de cet écran, et à la distance que vous avez choisie: celle qui vous est la plus confortable pour une vision à la fois détaillée et synoptique. C'est ça, votre angle de vision en question. Mesurez-le, en cm, horizontalement et en diagonale, et vous verrez que vous tendez, plus ou moins machinalement, à rechercher cet angle là (chez moi, +- 20 cm). Et en conséquence, à établir entre l'écran et vous une distance déterminée, variable en fonction de la taille de cet écran, qui vous permettra de retrouver ledit angle. Quelle que soit la taille de l'écran. Chez soi ou en salle.
C'est pourquoi, mes zamès, cette affaire de "Format", le fameux format dit originaire en deçà duquel on ne verrait plus un film, selon Godard lui-même, mais une "carte postale" du film, si elle avait sa pertinence du temps des écrans cathodiques chiches en résolution (et du choix exclusif de ne voir un film que diffusé par la télé, dans une copie plus ou moins pourrave, doublé et haché de pubs), n'a plus guère de sens, et peut être rangée une fois pour toutes dans le domaine des arlésiennes et des spéculations vaines contribuant à déboiser l'Amazonie.
Notons-le, just in case: par format j'entend ici dimension de l'écran, et non, bien évidemment, Ratio - 4/3, 16/9, etc -, cadre de vision voulu par le cinéaste, qui ne dépend pas de moi, même si, en fonction de ce ratio imposé, je choisis, moi, telle ou telle distance de regard la mieux adaptée à ma saisie synoptique.
La lumière (ou image-lumière) projetée sur ou devant une toile-écran n'est pas en soi plus "juste", ou "vraie", ou "naturelle", etc, qu'un rétro-éclairage, et partant ne détermine pas plus la nature d'une image cinématographique. Ce n'est pas parce que le cinéma est né techniquement de cette façon, comme projection de lumière sur un écran-toile, en fonction des contraintes et limitations spécifiques imposées par la technologie de l'époque, que c'est cette technique qui définit, une fois pour toutes, selon on ne sait trop quelle invariance absolue, une image cinématographique sous sa forme "matérielle" et "essentielle".
ça, ça m'amuse beaucoup, par contre: c'est typiquement le genre de considération fumeuse, s'abritant sous des considérations "techniques" et invoquant une "empirie" première, inaltérable, qui en réalité renvoie à un ésotérisme archaïque, sur l'ombre et la lumière (qu'est-ce qui vient en premier, l'ombre ou la lumière, l’œuf ou la poule, blablabla), à une métaphysique-théologie ininterrogée de la Donation, de la Lumière de la Vérité, du Rayon miraculeux, etc etc.
Bien entendu, derrière ce genre d'assertions parées d'un objectivisme techniciste indiscutable, se cachent des problèmes empiriques d'une autre nature: la question du privilège, de la ligne de démarcation, d'une coupure "magique" (comme la Lanterne du même nom), sociale mais redistribuée dans le champ esthétique, entre ceux qui auraient accès à cette Lumière, d'origine, et les autres. Entre ceux qui ont un accès direct, vrai, premier, inaltéré, à la Lumière, et ceux qui n'y ont un accès que dérivé, faux, succédané, altéré, etc. Entre ceux - et ce genre de discours fait encore flores dans la "cinéphilie" fondamentaliste et aristocratique à l'insu de son plein gré - qui seuls ont accès à l'expérience véritable, authentique, du "cinématographe", et le tout venant, le vulgum pecus consumériste à qui sont destinés les petits postes de tv, petits postes, petits écrans, rikiki, mal étalonnés, mal réglés, et qui l'aliènent, bien sûr, l'hypnotisent, le massifient, lui font tout voir tout petit, le pauvre, l'aliéné, le passif. Aux uns le soleil, aux autres la caverne; aux uns les tableaux, grandeur nature, vus comme ils doivent l'être, aux autres les cartes postales. Aux uns le Concert a la salle Pleyel, aux autre la bouille de mp3, etc, etc.
Il en va de même avec tous ces discours clé-en-main, prémâchés, corporatistes, ressassés par les "spécialistes", de la photo, de l'argentique, de la hi-fi authentique du vrai son, etc, qui se font un devoir sacré de vous rappeler que le "numérique", c'est quelque part comme le bonheur: l'infini à la portée des caniches, l'horreur, l'horreur, tout ce qu'on a perdu, du mouvement, de la texture, du grain, de la voix, de la tessiture, de tout.
Alors que pas du tout, tsss. Allons. Tout ce débat sur le bon vieil analogique réglé à la main, menacé par l'automate digital. Le bon vieil artisan menacé par l'inhumaine et froide technologie. La plume d'oie menacée par Gutenberg. Discours de spécialistes veillant jalousement à leurs prérogatives, à leur domaine de compétence, car ce qui les menace, les terrifie ( tout comme la dispersion des sources du savoir et du discours, par le numérique, menace de délégitimation les Compétents organiques qui craignent pour la pérennité de leurs chapelles et moquent rageusement l'insondable ignorance de tous les anonymes qui s'intronisent, à leur place, journalistes, commentateurs, penseurs, artistes, sociologues, chanteurs, etc.), c'est qu'une des dimensions de la technologie consiste à rendre accessible à un nombre toujours plus inquantifiable les outils que maitrisaient seuls, ou prétendaient maitriser seuls, quelques uns.
Aux uns, gardiens de la Vérité templière, de la Haute Culture, menacée par la dégradation, la dégénérescence dans la consommation nivelante de tout ce qui fut le Beau, avant, le Trésor civilisationnel, de claironner partout que cette Culture décline, car tout le monde prétend, fantasme, y avoir égalitairement accès, prenant l'ombre pour la lumière. Cela, ils le claironnent sur le petit écran, édifiant les petits, leur montrant de quelle hauteur précise descend la lumière de la Vérité, du Savoir et du Beau, avant de repartir, satisfaits, s'émouvoir sur les grandes toiles, qui sont à leur bonne dimension, hauteur, de vie, de vue, et de savoir.

Rancière a bien raison de souligner que le partage social renvoie essentiellement au partage esthétique, au partage du sensible, au double sens du mot partage, ce qui divise, et ce qui unit. Preuve en est: est toujours crainte, redoutée quelque part, affectée d'un voile de mépris en sourdine, celui de celui qui Sait (par exemple, qui Sait ce qu'est le cinéma, dans son Essence, sa Praxis et sa Tèchnè, ce qu'est Aimer le cinéma, etc; bref qui en détient la spécialité, la prérogative), l'émancipation du spectateur, à savoir le fait qu'il s'accorde, s'autorise, de consommer, lui aussi, les images, l'imaginaire, sans se sentir tenu de respecter les autorisations, mesures et partitions qui l'assignent à tel lieu, tel espace, tel format réservés...