mercredi 4 septembre 2013

Holy motors (Alex Christophe Dupont, 2012)



Séance de rattrapage, comme toujours.

Doux Jésus, quel nanar atteint d’éléphantiasis, ce Holy motors.

Dès l'ouverture, je me suis senti cerné par une imagerie "surréalisante" tarteàlacrèmifiante, qui n'augurait pas que des bonnes choses. Le type en pyjama, avec les lunettes Armani à verres fumés (fabriqués à Lausanne) sorties de chez Ardisson, la choucroute à pointes qui retombent estampillée "pop star punk has been des eighties", mélange de Jakie Quartz, Louis Bertignac, Catherine Lara après une chimio, j'avais pas capté d'emblée que c'était Carax en la personne de lui-même.
Ainsi donc, c'était une audacieuse mise en abyme, comme on en fait à tire larigot dans des spectacles de théâtre subventionné d'avant-arrière garde: l'artiste-metteur en scène se met en scène, tâtonne d'un lent pas dans un novotel, en longeant un papier peint mysterioso qui, en trompe l’œil, suggère quelque forêt nocturne de bouleaux nordiques d'une phosphorescence blafarde du plus bel effet. On croirait vraiment pouvoir s'agripper aux branches. C'est alors que se révèle, on ne s'y attendait pas du tout, une entrée dérobée et secrète menant aux mystères envoûtants et profonds d'un moi-tout (détenant la clef, par la magie méliesque de l'enfance, de la boîte à malices de ses souvenirs nostalgineux). Une ingénieuse ingénierie sonore artisanale nous évoque un gros cargo melvillien en partance, lourd d'un fret de 13 années de miroirs brisés qui portent malheur.
Comme dans les meilleurs films ratés de Jaco Van Dormael allant chercher (avec son mister nobody) son magritte d'or avec les dents, on sent qu'on va faire une espèce de voyage pas commun. D'autant moins commun et planplan que l'artiste débouche, comme de juste, sur le balcon d'une scène de cinéma-théâtre, où une salle de spectateurs semi-zombiques nous alerte que le cinéma en tant qu'objet réflexif de réflexion réfléchissante, va donc être le cœur et le sujet d'un dispositif très osé, qui va questionner quelque part son devenir, l'avenir de son passé, surtout, et placer l'artiste exilé en blanc pijama au cœur de ce vertigineux voyage dans des doubles de sézigue. Pessoïens. Rien que ça. On a envie de pouffer, déjà. Pourtant, tout n'est pas que rire dans cette magnifique œuvre ludique autant que crépusculaire.

C'est certes assez cuculapraloche, comme incipit. Mais comparé à ce qui va suivre, attention, c'est quand-même un véritable pur moment magique de cinéma brut en liberté comme on en voit deux par siècle, et encore. Selon la presse spécialisée allocinesque.

Dans un vertigineux dispositif d'emboîtement de poupées russes gonflables pirandelliennes en quête non d'auteur mais de spectateurs absents, vitrifiés par le monde moderne à l'âge de la reproduction technique (cette accumulation de spectacles conchumérichtes, etchetera, où on ne sait plus hélas ni rêver ni s'enchanter ni s'ébaubir, ni croire encore à la magie révolutionnaire du cinéma des origines), vont ensuite se succéder, en rangs serrés, jusqu'à la fin salvatrice :

30 tonnes de métaphores insistantes, usées jusqu'à la corde, et de symbolisme à trois-cinq balles. Sur le virtuel qui a tué la vie et le réel, le cinéma, l'amour et tout ça. Les tombes au père Lachaise ont comme épitaphe "visitez mon site web". Mais waouw, quoi. Ironie légère, subtilité du trait, à la jadis-Sempé, pour évoquer les masses solitaires atomisées et aliénées par leur ordinateur (de pompes funèbres, puisqu'on en est à des formules percutantes que même Gérard-taxi-Pirès n'oserait pas placer s'il remakait son film du même nom). Tout comme cette pique acérée, sur les grises banlieues résidentielles (Philippe Val ou Alexandre Adler ont du adorer): le pauvre plouc qui retrouve sa petite famille - cad des chimpanzés. ça c'est une allégorie bien trouvée ("allez, gorilles", qu'est-ce qu'on se marre. On se croirait dans Hara-Kiri du temps de Siné et du professeur Choron, la grande époque "libertaire" - tu parles). Et Manset, s'auto-recyclant, couine lamentablement là-dessus, avec un texte qu'on croirait pondu pour Julien Clerc par un Dabadie sous laroxyl.

Puis quel mime génial, ce Lavant. Comme dirait Timsit parlant de Michel Leeb, il passe de mendiante roumaine-bossue-à-chicots à fantomas super-fucker en latex-à-capteurs, et d'anthropophage pierrafeu à Guy Hamilton vieux, avec une virtuosité vertigineuse, là encore.

Maintenant, faut le dire, aussi: s'il était pas là, s'il faisait pas le show à lui tout seul, s'il donnait pas généreusement de son corps et de sa gueule hallucinants de faune méphistophélique, ça serait ptêt un nanar. Mais ça serait un nanar sans vie, sans folie, pas sympa.

Poésie ringarde à deux sous, une sorte de sous-Prévert de carte postale de Paris sous cloche de verre. C'est que du clicheton creux à tous les étages. Jeunet-Caro enfoncés les coudes dans le nez. L'éternel jeune vieux con paradigmatique nous refourgue ad nauseam toute sa quincaillerie naphtalineuse pseudo poético-philosophique, digne d'un cahier clairefontaine d'ado qui se prend pour Rimbaud ou je sais pas quoi, alors qu'il en est l'exacte antithèse mortifiante. Rimbaud nous disait: "il faut être absolument moderne"; Carax nous dit: "il faut être absolument réactionnaire". Et de faire interminablement défiler ses vignettes fétichistes, citationnelles et auto-citationnelles (y doute vraiment de rien) d'un âge d'or à jamais révolu. C'est vraiment le triomphe du cinéma d'antiquaire, sentant à chaque plan le musée de cire astiqué et le cadavre embaumé.

Bref, un concentré de nostalgisme narcissique et morbide. Et ça pue le fric pour dire merde au Fouquet's. Toujours le même branle-trip depuis les amants du pont neuf. On sent trop que le gars se fantasme comme le dernier des mohicans ou des poètes dans un monde où il n'a plus sa place, snif.

Dialogues-monologues "funèbres" - quand il y en a (il aurait pu nous épargner ça aussi) - aussi emmerdifiants qu'un feuilleton de Nina Companeez. Entre autres, la scène de Guy Hamilton fatigué et de sa secrétaire estropiée à son chevet. Y va la cracher enfin, sa valda, oui ou merde? J'en pouvais plus... Mais non, y se relève, comme un Lazare chiant, et ça continuuue. Oh la purge. Le colloque à la Samaritaine en ruines, par les deux vieux amants, qui se clôt d'abord par une imbitable chansonnette en hommage à Christophe Honoré rendant hommage à Jacques Demy, puis un suicide tristoune en forme d'écrasage sur le trottoir. Bwoaf.

Ah bigre... "ça donne bien à méditer", tout ça. Sur toutes les belles choses du monde d'avant, envolées, ma bonne dame. Le cirque, les acrobates, les transformistes, le mime marceau, la petite loge de l'artiste, avec les lampions, les facteurs à vélocipède, remplacés par les machines déshumanisantes des américwouains.

Sur le fond et la forme, avec ou sans limousines, je sais pas même si Cédric Klapisch parvient à faire aussi nase et visqueusement luisant avec son Paris (entre autres), un pic qu'on croyait indépassable dans l'histoire des daubes prétentieuses du cinéma français. Avec Le jour et la nuit de bhl, et surtout le Cinéman de Moix - avec lequel ce HM entretient des correspondances plus que troublantes, qu'il conviendrait d'analyser par le demi menu car insuffisamment soulignées à ce jour.


Une jolie photo léchée et de beaux travellings chiadés n'y changeront rien. ça fait pub martini-dry tendance sociocu pour la mairie de Paris et le guide du routard des Champs-Élysées (malgré quelques trop rares moments de grâce). ça m'a fait penser aussi, non pas aux Yeux sans visage de Franju (y pousse vraiment les bobonnes, puis Franju, Franju, scuzi, ça sent un peu l'amidon aussi), mais à Subway de Besson. La touche 80s en moins mais son esprit gélifié en bonus.




Qu'est-ce qu'on pourrait dire encore?
Je me demande quand-même si la bite dressée à Lavant, c'est pas une prothèse en caboutchouk trop bien imitée, parce qu'elle bouge de façon absolument pas naturelle (cad qu'elle bouge pas du tout, quoi). Pis les fesses. Trop musclées, trop massives, pour son gabarit je veux dire. J'y crois pas. Honnêtement, j'y crois pas. Même en faisant des séances de fentes-avant intensives, t'as pas des fesses comme ça.
Non, c'est honteux. Ou alors c'est génétique. Bon ok je suis jaloux, et mauvaise langue.
En tout cas c'est un film où y a des putains de sfx merveilleux, ça au moins on peut le dire.




(Bon, pour le côté rock-rebelle qui dépote les orteils, on aura quand-même droit en interlude à une church-jam d'accordéons furieusement pogo-kusturicesques, du genre à défriser les moumoutes, et qui aurait fait un chouette clip sur arte pour le cirque du soleil ou Zingaro, en 2003. Unique moment qui m'a enthousiasmé, je dois dire. Même clichetonnant, c'était bath-punchy. Là, y avait quelque chose. Une niaque, de la vie, de l'émotion. Un peu comme dans le quadrille du Van Gogh de Pialat:)

[Ce n'est plus visible sur YT, mais voici une cover bien sympathique]



vendredi 7 juin 2013

Esther Williams









Que nous dit Wiki à l'égard de l'insu de son plein gré:

née le 8 août 1921 à Inglewood en Californie, morte hier-même à Beverly Hills dans l'état identique au susdit.


C'était une excellente actrice, doublée d'une athlète saine et robuste, de surcroît une personne tout à fait charmante et de compagnie éminemment agréable.

L'eau liquide était son élément. Elle s'y mouvait tel un vif poisson aux ailerons scintillants, montant et redescendant sans cesse au gré des courants piscinaires, à l'instar d'une méduse translucide se synchronisant à la ferpection avec les éléments humains et anhumains divers & variés.
S'en dégageait un sentiment d'harmonie universelle, fruit d'un ouvrage combien cent fois sur le métier remis, au prix d'une effarante discipline, mais d'allure toujours fraiche et spontanée. Cette même harmonie universelle que, dans leur quête éperdue de la ferpection, les chercheurs du nombre d'Or peinèrent laborieusement à atteindre - enfermés dans leurs ateliers aux persiennes closes et aux senteurs tabagiques.

Le Bal des sirènes fut un de ses plus vifs (again) succès, Ben Cage son premier mari et Fernando Lamas, hélas, son dernier.

Paix à son âme. Elle nous manquera à tous. Et à toutes,  eventualy.




[ Oui, c'est tout. Bcp de boulot, en ce moment. Je ne sais pas si j'en ressortirai indemne, mais en tout cas ça ne me laissera pas indifférent, comme on dit sur Allociné.
 On en recause. Énormes tartines à venir, notamment sur Jacques Rancière. Plus un article scientfique de haute volée: "Proximité et distance dans les films d'horreur" (titre à la noix pour faire son intelligent dans les quick d'Alleur et de Grand-Rechain), etc.]






samedi 20 avril 2013

Absentia (Mike Flanagan, 2011)




Petit film indépendant dont quasi personne ne parle sous nos latitudes mais jouissant d'une certaine réputation. Méritée. Coup de cœur perso.
ça doit s'aborder avec le moins d'info possible. Aussi j'incite tout qui serait curieux de l'aborder avec un minimum de fraicheur à stopper ici la lecture de cette notule farcie de spoilers en tous genres.

Cet objet filmique fragile (cad dont le destin couru d'avance était de rejoindre le rayon foutraque des direct-to-video ou direct-to-streaming) se tient tout du long sur une ligne à la fois discrète et subtile, consistant à faire travailler par "en dessous", "à côté", l'affect ou sentiment qui est le véritable motif annoncé dans le titre (aucune surprise à ce niveau là, donc).

Il est clair qui si on regarde cette petite production l'œil sévère en coin, et goguenard (du genre: "haha, on me la fait pas à moi"), avec une attente déterminée, spécifique, de ce que doit ou devrait être un film "fantastique" ou d"horreur" réussi, selon un cahier de charges, des critères "objectifs" faisant "consensus", une grammaire de "genre" à respecter, on ne manquera pas d'être déçu. Et sous cet angle, c'est aussi un film déceptif, dans un sens qui pour moi lui donne d'autant plus d'intérêt et d'attrait.

Ce qui me séduit le plus dans ce film, c'est justement ce que certains lui reprochent, qui apparaît bien comme une carence, un défaut, mais pas forcément au sens péjoratif. Il ne va pas "jusqu'au bout de ses idées", il ne fait rien de ses motifs, qui ne vont nulle part.
Au propre comme au figuré, il sous-traite ou soustrait ses motifs (topologie, narration, personnages). Plusieurs directions, axes dramatiques se profilent, qui semblent alléchants, pour l'amateur de "fantastique", ou de "récit psychologique": aucun n'est véritablement exploité. Régulièrement semble s'annoncer un rebondissement, une "scène à faire", une action-climax, une résolution dramaturgique sous forme de "twist": rien de tout cela n'arrive. La stagnation est privilégiée sur la progression, la rupture sur la continuité, l'élision sur le "développement". Traitement judicieux selon moi, qui permet d'entretenir un climat de tension permanente, là où tant de films de genre s'appliquent laborieusement à actualiser toutes leurs promesses dans le but louable de contenter l'amateur du genre.
(Dans ce domaine bien délicat, le plus sûr chemin menant à l'ennui profond, - et le plus fréquenté - consiste 1. à fournir le lot de scènes qu'il attend de pied ferme, 2. à fournir un supplément de scènes censément "inattendues", car il espère bien, s'attend bien à être surpris au delà de ses attentes - d'où: bouse téléphonée de A à Z.)

A la façon d'une musique "low-fi" s'attachant à la fréquence la plus discrète, ou d'expérimentations de musique concrète se concentrant sur ce qu'on appelle le "bruit blanc", ce film opère par soustractions et suspensions (le soundtrack, remarquable, contribuant pour beaucoup à sa dimension hypnotique et contemplative). De telle façon que ne subsiste qu'un paysage purement émotionnel, une atmosphère, constitués par la simple conjonction de quelque figures "pauvres" en nombre limité: - deux soeurs - tunnel - mari disparu - traversée.
Parlant d'émotion: la relation entre les deux sœurs est peut-être ce qu'il y a de plus émouvant, par la justesse de ton de deux actrices (Katie Parker et Courtney Bell) ayant une réelle épaisseur humaine, chose très rare dans le genre dédié.

Avant d'être ce qu'il est aussi, à savoir un film "d'horreur", c'est un film de l’intériorité et du sentiment, inscrit dans une certaine mouvance "minimaliste" - où s'entrecroiseraient de façon improbable Weir (période australienne), Lynch, Van Sant, Akerman, Antonioni... Ces analogies restant réductrices, bien entendu.
Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas d'être (pour moi) oppressant, très efficace dans sa manière "discrète" de faire naitre l'angoisse à partir une simple durée, de cadres et de plans très sobres, où il ne se "passe" à proprement parler rien pendant une bonne moitié de film (une femme assise, une femme faisant son jogging, un trottoir, un intérieur...).

Absentia pourrait presque s'envisager dans sa composition comme un film "abstrait", s'accordant ainsi à son motif principal, sa figure: ce qui, dans l'image, a été soustrait de la présence, infigurable en ce sens. On se méprend souvent, bien sûr, sur le sens qu'on peut prêter au terme d'abstraction pour une composition picturale, musicale, ou cinématographique (Snow, etc). "Abstrait"- au sens ici de non-figuratif ou non-figurable - n'étant pas le contraire de "concret", mais pouvant se recevoir, s'éprouver au contraire comme une expérience très matérielle, très concrète. C'est le cas pour moi de ce "petit film", qui parvient dans sa manière restreinte, ténue, à peindre et faire entendre un pur affect: le sentiment matériel, concret de "l'absence". Mais aussi de la solitude, du deuil, de la mélancolie de la perte (la scène des parents venus visiter leur fils "revenu", pour s'entendre dire qu'il a disparu à nouveau: c'est aussi bouleversant que comique, et ça dure 15 secondes à peine).

Absentia travaille également constamment sur le caractère ambigu, mieux, indécidable de ce qu'il donne à regarder. Indécision entre le rêve et la réalité, l'hallucination et le désir... Quelle histoire nous est ici racontée, que se passe-t-il au juste, et depuis quel point de vue, depuis quel temps vécu ?
La dimension "paranormale" ne serait-elle que l'apparence que prend ici l'absence, le manque, la perte, la solitude, pour tel ou tel personnage, leur matérialisation? (un insecte, mais quel genre d'insecte: que l'on porte en soi comme une maladie, qui ronge de l'intérieur? Un monde souterrain, mais de quel ordre: en écho parasite du Livre des Morts tibétain dans lequel on cherche l'apaisement, la réconciliation avec les disparus? Qu'est-ce au juste que ce tunnel qu'on traverse ou pas, lieu de "passage", "d'échange" dans lequel on disparait? etc.)
Depuis quel "point de vue" donc, ce récit, une forme de rêve ou cauchemar éveillé, est vécu? Depuis celui de la toxicomane, qui fuit en permanence quelque chose "on the road", celui de sa sœur dépressive, qui à l'inverse fuit en ne parvenant jamais à quitter son domicile, celui du policier-détective amoureux d'elle "en viager", celui du psychopathe, fils d'un autre disparu? Ou à l'inverse, leurs drames personnels, de solitude, enchevêtrés, sont-ils élevés à la puissance de cette dimension fantastique, de cette "légende urbaine"?

Cette absence de certitude est aussi la matière que traite concrètement le film. Et c'est porté à l'intensité du sentiment, comme ce trouble de la matérialisation soudaine, dans un coin du plan, d'un mari disparu depuis 7 ans, et qui revient sans jamais vraiment revenir, réapparait sans jamais vraiment réapparaitre, au moment où on le déclare enfin "décédé in absentia", au moment où le travail du deuil semble trouver son issue. Un mort jamais tout à fait mort, un vivant jamais tout à fait vivant. Non pas à la manière d'un "mort-vivant", mais à la manière d'un fantôme, un "revenant": une présence-absence habitant une inter-zone, un inter-land, mince cloison, étroit corridor entre le monde des morts et celui des vivants, ni chez les uns, ni chez les autres, en exil. Tout le film se situe dans ce battement indécis, stagnant et paniquant, qui fait les deuils impossibles, la maladie du deuil. Maladie réfractée en chacun des protagonistes, qui incorpore ("encrypte") pour lui-même un objet à la fois chéri et perdu, qui le dévore.

Terreur, oui, mais une terreur à la Blanchot (on pense, un peu, à Thomas l'obscur, qui à sa manière est un livre de terreur).

Retro-gaming 2 (Rule of rose, 2006)




Il y a de ça un an environ, je passe par acquis de conscience au magazin des occases. Je tombe sur Rule of Rose. Réputé introuvable (du moins dans la zone du périphérique où je crèche).

35 euros.


Je me dis: ah oui. C'est vraiment bcp. Oui, mais c'est rare. Ok, c'est peut-être rare, mais c'est peut-être une demi-merde, aussi. ça dépasse difficilement les 12/13 dans les tests. Oui, mais ça veut rien dire: ils mettent 19 à Okami, qui est d'un ennui mortel, et que je trouve juste très laid. Si ça se trouve, c'est un chef d’œuvre méconnu. Non, c'est une arnaque. Y a deux mois, j'avais essayé de le commander. Le type me disait qu'il était dispo dans un de leurs stores à Namur. Qu'on pouvait le faire venir, et qu'il m'en couterait 17 euros à tout casser. Trois semaines d'attente. Puis je reviens: ah non, finalement, il était déjà réservé.
Puis je le trouve, là, 15 jours après, sur l'étagère, qui me nargue. C'est évident que le mec spécule sur mon désir. L'est pas con. Et il a de la mémoire.


Tout ce qu'on peut acheter avec 35 euros... Ma ps2 d'occasion (une silver, en plus) m'en a coûté 45, sans la manette ni les cables. Et elle fonctionne impec. Achetée par sûreté, au cas où mon ancienne mourait d'un coup.


J'achète le jeu et je crains d'avoir fait une grosse, une très grosse bêtise. Je rentre péniblement chez moi, affligé d'une claudication d'ordre psychosomatique non douteux, en empruntant des tas de ruelles ténébreuses pour retarder l'épreuve du Réel. A savoir que je viens de délibérément, méthodiquement, glisser 35 euros, par billets de 5 plus la menue monnaie, dans la fente d'une bouche d'égoût.

Arrivé dans mon cloaque cosy aux fenêtres occultées (la lumière du jour j'aime pas trop ça, c'est pas bon pour mon teint), je range le jeu derrière un double rayonnage de bouquins poussérieux bouffés au mites (de la coll. Epiméthée, cover brun caca d'oie et à tarif prohibitif, dont je demande encore comment j'ai bien pu mettre des sous là-dedans). Pour en oublier jusqu'à l'existence.
A 23h54, surmontant une forme de dégoût visqueux qui s'était emparé de toute mon étantité non phénoménalisable, je l'en ressors. J'allume la console. 35 euros... A la grâce de dieu...


* * * * *

Bon.


ça vaut pas 35 euros en occasion. ça vaut 35 euros neuf, il y a 6 ans.



Donc, ça va, je me suis fait à moitié arnaquer.


J''y joue 3h (considérant ma lenteur, ça doit représenter un 1/8è du jeu). Le lendemain soir, j'y rejoue 4h. Et  je peux dire que c'est bien, vraiment très très bien.



1. Titre jouissant d'une aura maudite usurpée, qui lui a finalement fait bcp de tort: l'UMP avait voulu l'interdire lors d'un débat parlementaire. Soi-disant malsain car touchant à des tabous sur "le monde de l'enfance". Si on va par là, il faut interdire 99 % de la production "fantastique". Le "club des aristocrates" étant infiniment plus x-rated et macabre, sans la féérie, que celui de ROR, bien entendu.


2. Le "gameplay" est très daté, même lors de sa sortie (2006). Si on le compare, bien sûr, à RE4. Mais il ne joue pas du tout dans cette division. D'où un immense malentendu: il s'est fait aussitôt incendier par tous les joueurs qui attendaient une tuerie en termes de maniabilité, tant pour la caméra que pour les déplacements et les combats.
Des combats, y en a pas bcp, déjà. On est une jeune fille qui se déplace avec la grâce d'une danseuse de tango atteinte de lombalgie et percluse de rhumatismes; et on brandit en guise d'arme défensive des trucs du genre fourchette rouillée. Les attaques sont aussi imprécises que les esquives à moitié foirées. C'est là justement que ça devient intéressant. Le but n'est pas de jouer à Tekken. C'est une limitation géniale, puisqu'elle concourt au sentiment de vulnérabilité et d'impuissance, propres aux "mauvais rêves".

3. On retrouve le mode exploratoire de quasi tous les "survival": couloirs et portes, clefs, mécanismes et énigmes tirés par les cheveux, pour notre plus grand plaisir. Mais c'est pas vraiment un "survival". Tout est dans l'atmosphère. Mix de conte vénéneux façon Hansel & Gretel, de hantises à la Henry James, de mystères à la Jules Verne, et de (rares) monstruosités de fête foraine à la Bradbury. ça mise énormément sur le scénario, prenant, envoûtant, volant 150 coudées au dessus des R.E. (qui se foutaient - et nous aussi - du scénario comme de leur premier bavoir).

4. On l'a comparé à un Silent Hill raté. Or ça n'a rien avoir avec le climat d'un silent hill. L'élément de comparaison pertinent, mais qui ne joue nullement en défaveur de ROR, c'est le parti pris assumé d'un "gameplay" à l'ancienne: raide, statique, minimaliste.
C'est d'une certaine façon plus malsain que SH. Moins paniquant, moins cardiaque, mais plus insidieux, comme une morsure entêtante. Plus neurasthénique (SH, c'est une dynamique de cauchemar quelque part plus conforme aux codes du cinéma de terreur "psychique").

5. La proposition musicale est très culottée: un quatuor à cordes, ou un violoncelle en solo. ça crée une ambiance qu'on ne retrouve pas ailleurs. Le bémol, c'est que la partition n'est pas suffisamment variée, ça peut agacer.


6. Le jeu est beau, contrairement à ce qu'on dit. Et sobre. ça a été fait avec bcp de soin et d'amour, rien n'est bâclé. Il a son univers. les cinématiques sont extraordinaires. D'une perversité rare et d'une mise en scène élégantissime.

Haunting ground est sans conteste plus beau, gracieux, raffiné. Mais je n'ai pas ici le problème que j'ai avec HG: le stress permanent d'une progression à rebours. Dans HG, on n'avance qu'en fuyant, disais-je , et cette contrainte décourage. De plus, les phases d'attaque-poursuite surgissent de façon aléatoire, et presque pas de temps morts. Fausse-bonne idée en vertu de laquelle moins on sait quand on va être attaqué, plus on a peur. Trop simpliste comme postulat, confondant angoisse et stress, car c'est plutôt le contraire à mon sens: on flippe d'autant plus qu'on sait qu'à tel endroit précis, et pas à un autre, quelque chose nous attend...


7. Conclusion provisoire: HG & ROR s'imposent tous les deux, pour tout amateur/teuse de survival-horror "japan old school" qui se respecte, à titre de reliques muséales uniques, de ces choses qu'on ne refera plus jamais, je pense. Et je donne ma préférence à ROR. Voilà. Et c'est pas à cause des 35 euros. (Non, parce que j'entends déjà certains esprits tordus murmurer dans mon oreille interne que je tente en loucedé de justifier rétro-activement mon investissement. N'importe quoi...)


* * * *

Horreur et lois de la vexation universelle. Je retourne au même magasin 2 mois plus tard. Et là, qu'est-ce que je vois? Pas la peine d'en dire plus, vous m'avez compris... Sous cellophane, en plus, dans son état de sortie d'usine il y a 6 ans (alors que le mien est griffé). 12 Euros. Oh les... Bande de salauds... Fumiers. J'ai failli le racheter, comme si je devais me rembourser selon les règles d'une arithmétique absurde.
ça m'est déjà arrivé, d'ailleurs, de racheter un truc que j'avais payé cher, simplement parce que je retombais dessus à un prix dérisoire. Comme si ça devait annuler magiquement l'outrage de la première dépense, corriger un déséquilibre dans l'harmonie des sphères. Pathétique. Mais là je me suis retenu. Pour qui me prennent-ils, ces bandits: une vache à lait? Allez basta hein. Pas deux fois, Lisette. Trop is te veel en te veel is trop.



mercredi 13 mars 2013

La mort des Trucs...



Pourquoi ce long silence? Pourquoi cette retraite scripturale lancinante, souciante, voire insupportable - dommageable surtout pour les exigences et les avancées de la Science Universelle, à laquelle je contribue vaille que vaille dans la solitude la plus ingrate et le je m'en fichisme quasi absolu de mes contemporains? Hm?
C'est que - scuzi de souffrir - je suis passé par une sorte de micro-phase dépressive. Après l'inexplicable et soudaine trépanation de mon Lacie Porsche-truc de 2 To qui contenait plus de 300 films (ainsi que plein de choses inavouables loadées avec une ferveur jésuitique sur le net) dont je n'avais pas encore vu le quart, et que j'avais patiemment choisis et engrangés. A vrai dire, je n'en suis pas encore sorti. Y a un terrible et dantesque acting-out qui se prépare. Je le sens dans les turbines rouillées de mon organisme, au son des os qui craquent et au senti des mystérieuses courbatures qui m'affligent.



Laissez-moi vous raconter l'horrible histoire de ce Lacie, saloperie de chien infidèle.



Réputé l'étalon de sa catégorie, ceci justifiant un coût bonbon, vanté partout, comme par ces vendus pourris de chez "les numériques", ce HDD élégant et classieux, à la coque rassurante toute de métal brossé, inspire la confiance, endort toute inquiétude. Le fourbe.

Fort d'une expérience d'archivage heureuse - et qui dure toujours (qu'à dieu ne plaise, et je touche du bois) avec mes déjà vieux Toshiba StorE-Alu 3,5'' (6 ans, quand-même), remplis jusqu'à la couenne, j'avais rangé au rayon des habitudes obsolètes la gravure sur dvd. Habitudes anachroniques autant qu'insatisfaisantes, monologuais-je d'un ton pénétré ne souffrant nulle contradiction: "je vais pas m'faire chier à compresser des bidules de 7,9 gigas, alors que je peux les mater tels qu'en eux-mêmes l'éternité les fige, à loisir, tantôt sur mon merveilleux écran à rétroéclairage led de 23 pouces et à angles de visions ouverts IPS, tantôt sur la tv via mon précieux moviecube Emtec doté d'une connectique digne de Hal (et d'un DD interne Hitachi, une valeur sûre, si)".

Ainsi archivais-je, tranquille et badin, oublieux de l'oubli, chefs d’œuvre et nanars se côtoyant sur mon Lacie dans la plus parfaite égalité démocratique ranciérienne. Sans même penser à en dresser la liste. Plaisir du choix inspiré dans l'instant non délibéré.
Or j'aurais du. Faire quelques captures d'écran de cette putain de liste. Quelques minutes eussent suffit. Car le trauma suscité par l'extinction définitive de ce Lacie porschiné à la flan a engendré lui-même une amnésie quasi-instantanée de son feu-contenu volatilisé. L'horreur, sans nom. Et j'en témoigne: le Nam, en regard d'une expérience aussi extrême, est une douce promenade champêtre. Là résida ma micro-dépression: dans la suture mémorielle, par laquelle je m'interdis alors, et m'interdis encore, de me souvenir de tout ce que j'ai perdu.
Parfois, ces dernières semaines, je passe en trainant les pieds (et ça fait pfschh pfschh sur le balatum mal ciré) devant les rayonnages de la médiathèque, l’œil torve et éteint, un pli amer sur la commissure des lèvres, refusant de lire les titres des pochettes pour ne pas réveiller cette douleur aigüe. On peut sans crainte parler ici de deuil pathologique. Amenez moi un szondien, que je lui épile les moyes...


De cette épreuve malheureuse, il convient, là encore, de tirer des enseignements positifs. Vous ne le savez que trop bien, car c'est ma devise, "une mauvaise expérience vaut mieux qu'un bon conseil".
Désormais, j'ai pigé, là, c'est bon. Mieux vaut archiver les trucs sur des dvds, même à moitié compressés. Ou alors systématiquement copier ses fichiers sur un disque jumeau que t'allumes presque jamais, pour l'éconono, l'éconono - l'économiser, bordel. Un dvd, ça peut te lâcher, s'effacer, dit-on, dans un avenir encore indéterminé, ou passer sous un pneu michelin, une rappe à fromage... Mais tu perds pas 300 films d'un coup, en 1 seconde.

En plus, j'le sais, maintenant: Lacie, ça fait longtemps qu'y fabriquent plus eux-mêmes leurs disques durs. Y s'contentent de la coque, de laisser son design à je ne sais quel Philippe Starck à la manque ou à ne je sais quel concepteur de décapotables automobiles pour rentiers althussériens au gras bide et aux bajoues flacides. Le disque dur lui-même, ici, c'était un Seagate. Seagate... Laisse moi m'marrer... C'est comme si tu confiais la pratique du concept spinozien de Désir à une oblate infibulée, la direction d'un centre pour l'égalité des chances à Patrick Bateman, l'idée de socialisme à Elio Di Rupo. Ou encore - je sais pas moi - comme si tu attribuais un ministère de l'enseignement à Jean-Claude Marcourt, une chronique d'art à Cédric Wautier (*), un Magritte d'or à Jaco Van Dormael, etc.

Non, Toshiba je dis. Avec un Toshiba, tu sais où tu vas: ça ne paie peut-être pas de mine, mais ça chauffe pas, jamais, pis c'est silencieux. Et à un prix défiant toute concurrence. C'est des gens sérieux, chez Toshiba.



(*)