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mercredi 22 août 2012

Tomboy (Céline Sciamma, 2011)



C’est sans doute ma broncho-pneumonie saisonnière, mais je n’ai pas vraiment trouvé ce film juste, touchant, ou convaincant, pour reprendre les qualificatifs que l’on se doit de psalmodier chaque fois qu’on nous sort un film sur l’enfance réunissant tous les clichés attendus du genre.
La réalisatrice nous parle, dans le bonus, de son souci de faire un film à la lisière entre « cinéma de genre » et « cinéma d’auteur », contre les catégories étanches qui voudraient qu’un film soit ou d’action sans profondeur ou de profondeur sans action.
Le film de genre en question, qu’elle veut d’action, c’est la dynamique du thriller, de l’infiltration d’un indic dans la mafia, les stratégies à adopter, les objectifs à atteindre, le suspense, tout le bataclan.
Oui, ça, de fait, on le sent bien. C’est très balisé. On voit d’ailleurs venir chaque étape ou station à trois kilomètres. Difficile de ne pas deviner, à partir de la révélation (cf. infra), que la mère forcera tôt ou tard l’enfant à porter une tenue de petite fille pour la confondre ou mettre fin au jeu. Mais sans juger, bien entendu : tout un mélange de dureté et de tendresse, de bons sentiments et d’intentions belles, car au fond, dans ce film, personne ne juge fondamentalement. Tout le monde est plutôt cool et sympathique, tous les adultes sont au fond responsables tout en restant dans la juste distance, et ainsi de suite. Une vraie pub pour la pédagogie Freinet dans un quartier chic, ou plutôt inexistant par son abstraction voulue, insulaire, planté dans les bois. Mais le résultat est que l’on a envie d’administrer des gifles à tout le monde tellement c’est perpétuellement gnangnan de tendre équanimité.
La mère semble certes cruelle, sur la fin, quand elle force sa fille à aller faire des visites de courtoisie chez ses potes de résidence, en tenue de fille. Mais on est vite rassuré : elle lui explique qu’elle s’en fout, qu’au fond ce n’est pas un problème, ce jeu sur l’identité, puis elle l’embrasse affectueusement. Non, c’est juste pour régler pragmatiquement le problème de la rentrée scolaire, ce point de réel imminent sur lequel il faudra bien buter. La mère, il faut la comprendre, elle a des responsabilités maternelles accrues, intensifiées par sa récente grossesse, il faut bien qu’elle prenne les choses en main. Car le père, l’affectueux et gentillet fils Demy, indifférent à la différenciation des sexes et des rôles, s’en fout encore plus, de ce non-problème. Ces parents sont plutôt du genre ouverts, éduqués, cultivés, civilisés, éclairés – laissant leurs enfants croître, s’épanouir et expérimenter. Offrant en symétrie un contraste rassurant avec ces « parents indignes » formant la sub-socialité monstrueuse peuplant le Polisse de Maïwenn.
Dans la mise en place du récit, subsiste cependant un petit problème, qui d’emblée ruine en l’exhibant ce prétendu jeu d’indétermination. D’indétermination, au fond, il n’y en a pas du tout. Dès l’exposition, pour le spectateur non-informé (c’était mon cas), aucune équivoque ne plane sur le non-problème : il s’agit d’un petit garçon, point barre. Tous les détails sont savamment réglés comme une horlogerie suisse pour entretenir cette perception : l’allure, le ton, la dégaine, la coupe, le vêtement (le marcel de base, obligé), etc. Aussi doit nécessairement intervenir, pour les distraits ou les moins finauds, un retournement frappant de perception. Ici, c’est l’inévitable séquence subliminale de sortie de baignoire façon Morse, informant le spectateur que la petite fille est en fait un petit garçon castré, ou l’inverse, au choix, peu importe, puisque c’est l’effet de sidération qui est ici recherché. À l’attention des plus enrhumés et des plus sidérés, ce sera très précisément à cet instant-là que son prénom subtilement dissimulé jusque là (Laure) sera enfin prononcé, par la mère qui lui demande hors-champ de quitter la salle de bain. On est dans le registre du twist façon Shyamalan : « vous aviez cru à ceci, eh bien c’était cela. Bien joué, non ? ». À partir de cette révélation scopique et sonore, le spectateur est enjoint à reconstruire mentalement sa perception d’avant, enrichie ou complexifiée par cette information. C’est donc un procédé assez grossier et créant un suspense complètement artificiel ou hors de propos par rapport au récit. On est en effet censé intégrer, à partir de ce moment, que dans cette famille, personne, absolument personne ne semble se rendre compte, ou s’inquiéter, ou remarquer que la petite Laure a à ce point l’allure d’un garçon que la confusion est forcément permanente et troublante (à l’extérieur du cercle familial). Le ton prétendument naturaliste du film ne cadre pas du tout avec cet élément emprunté à la logique des contes fantastiques. Ce qui rend en outre totalement non-crédible la surprise de la mère dans la dernière partie : le fait qu’elle semble tomber des nues, alors qu’en toute logique elle aurait pu s’inquiéter bien en amont. L’intrigue semble ainsi toute rhétorique, cousue de fils blancs qui ne résistent pas une seconde à une observation un peu soutenue. Toute cette rouerie fait évidemment naître un soupçon quant à la fameuse sincérité et justesse de ton de l’émotion recherchée.
Un autre élément de type « grosse ficelle », c’est le final en forme de cut sec : c’est que c’est ouvert, tout cela, on ne sait trop ce qui va advenir. Laure esquisse un vague début de sourire devant sa copine/ex-petite amie – puis crac-boum : générique. Ce qui veut dire : l’avenir est incertain, c’est à toi-même, spectateur, d’imaginer, de rêver, d’échafauder avec ton libre arbitre, que personne ne t’impose ajoutera monsieur de La Palice, l’hypothèse de ce futur plein d’avenir auquel Pierre Dac levait son verre.
Alors les enfants, comment dire, c’est encore pire. Pour bien nous faire comprendre qu’un enfant, c’est, quelque part, quelque chose, dans une zone indéterminée (donc forcément subtile, donc sonnant juste, comme tout ce qui sonne indéterminé), il faut nécessairement que tous se déplacent en canard, de guingois, balancent gauchement sur un pied en se contorsionnant de partout, d’un air gêné comme s’ils avaient la tourista, incapables en outre de fixer un objet dans l’espace sans que nécessairement les pupilles tournent dans toutes les directions (sans doute pour signifier la gauche innocence de l’enfance, je ne vois que ça).
L’actrice principale, qui joue tomboy, ça passe, car on mise tout sur le cadrage – surligné – de son ambiguïté corporelle, tant dans la forme du corps que dans la coupe de cheveux, et forcément, ça fascine le regard. À cet égard, le film est un vrai petit manuel de « pédophilie soft », mais on me dira peut-être que j’ai l’esprit mal tourné. C’est que l’objectif fasciné passe son temps à nous la montrer sous toutes ses coutures comme on détaillerait un bichon de casting super-luxe, et sur le ton faussement naturaliste des corps s’ébrouant en toute-liberté-et-dans-l’innocence-des-jeux-d’été. Soit. Qui contestera que c’est mignon, l’enfance ?
Quant à sonner juste, c’est une autre paire de manches. La petite sœur de 6 ans, dont la réalisatrice dit qu’elle a ravi, enchanté, subjugué, nombre de spectateurs tant elle est fraîche et drôle, est tout simplement horripilante. Cette voix chevrotante et haut perchée à qui on fait réciter des dialogues complètement faux : mélange de maturité – elle a très vite tout compris avant tout le monde (« eh oh j’suis pas débile » explique-t-elle) – et d’ingénuité (« mon papa il travaille sur son ordinateur et ma maman ne fait rien parce qu’elle a un gros ventre »). Bref, le catalogue de poncifs version intégrale. Ajoutons à cela un festival de minauderies de poupée Barbie attablée devant son Nutella, dont je peine à comprendre qu’il enchante.
On souffre vraiment (surtout si on a une broncho) de devoir se faire ainsi l’admirateur complice de ce laborieux travail de dressage à la sauce Shirley Temple, nous introduisant dans une si magnifique et si touchante histoire de complicité entre les deux petites sœurs. D’autant plus qu’on se rend bien compte qu’on nous intimide avec l’habituel plat formaté se donnant pour son contraire : « regardez comme ça fait naturel, pas du tout dirigé ». Et si ça ressemble à un cabotinage de mauvaise sitcom, on nous dira que c’est parce que c’est une « vraie petite nature ».
La scène de repas où elle se met à rire d’un rire flûté et horriblement forcé (on pense à une madame Irma en fanfreluches, ou une Arletty toute chiffonnée) parce qu’elle émet une private joke scellant le partage complice du secret devant les parents médusés qui n’y comprennent goutte, c’est crispant de fausseté. On a vraiment l’impression d’une saynète de Feydeau dirigée pour une fête de patronage, où les adultes sont tout ébaubis de contempler leurs rejetons mimant des comportements d’adultes miniaturisés.
Généralement, on lit un peu partout que rarement les enfants sont si « justes » et « naturels » que dans ce film. Je trouve au contraire que ce film dit d’enfance crée un dispositif où les enfants sont rarement aussi empruntés, reconstruits, remodelés, comprimés par le corset des souvenirs de la réalisatrice, et qu’elle ressort précautionneusement de son « vécu » comme des bibelots hors de la naphtaline, pour ne pas abîmer cette inénarrable « magie & poésie de l’enfance ». Résultat : plus ça veut faire « vrai » (« naturaliste en roue libre »), plus ça fait « bidon » (« laborantin maniaque »). Un peu comme Doillon avec sa Ponette, en laquelle on ne croyait pas une seconde et qui semblait complètement instrumentalisée.
On est bien sûr à des années-lumière d’un Cria Cuervos, par exemple, en matière de vérité, de présence des enfants.
À part ça, le film, c’est Ma vie en rose en juste un peu moins horripilant, car en effet, comme de juste, on nous évite les « problématiques de l’identité », le « psychologisme », la question du « pourquoi », les « messages », les « leçons », et toutes ces choses que de toute façon on évite soigneusement depuis beau jeu dans la majorité des films français consacrés à « l’enfance » avec la plus-value d’authenticité. À tel point qu’on peut se demander si on n’est pas en présence du cliché alternatif type, suscitant de manière pavlovienne, dans la réception critique, les habituels « justesse de ton », « pudeur et délicatesse », « simplicité & légèreté » et autres « moments de poésie et de grâce à l’état pur », surtout quand c’est précisément tout ce qui manque.