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mercredi 25 janvier 2012

Le jour du fléau - the day of the locust (John Schlesinger, 1974)


Gros spoil à éviter si on veut découvrir ce film assez peu fréquenté de Schlesinger.

Adaptation, scrupuleuse paraît-il, du dernier roman de Nathanael West avant sa mort en 1939, paru en français sous le titre L'incendie de Los Angeles.
N. West (Nathan Wallenstein Weinstein) et son épouse moururent le lendemain de la mort de F.S. Fitzgerald, dans un accident de voiture. Selon la légende, West aurait grillé le stop parce qu'il était trop affecté par la mort de F., dont il était proche.

Un extrait du final, ci-bas. Pour donner une (petite) idée de l'ovni. Ce bouquet d'apocalypse ne peut bien sûr s'appréhender que considéré dans l'ensemble.
Il arrive au titre d'un raptus totalement inattendu, incompréhensible, par rapport à ce que précède - soit un nœud d'impasses et de torsions inexprimées, exposées tout au long du film par une série de vignettes sur les alentours de Hollywood, des gens qui y vivent, leurs ambitions et rêves brisés, etc.

Le fil d’Ariane nous est fourni par le personnage de Tod Hackett (William Atherton), peintre décorateur de studio (d'où ses visions picturales dans l'extrait, sortes de déformations "ensoriennes" de la grande fresque sur laquelle il travaillait).

La construction formelle du film est étrange et trompeuse, procédant donc par segments discontinus aux raccords poreux, mais dont la trame narrative est pourtant bien présente, innervée à la façon d'un fruit qui pourrirait lentement sans qu'on s'en rende bien compte.
Il y a un précédent inquiétant dans un terrible combat de coqs, mais le ton est plutôt en demi-teintes, tout en fausse mollesse rétro, et Sutherland y apparaît comme le personnage le plus doux, amoureux éconduit et fantasque de Faye Greener (Karen Black), laquelle rêve de devenir star.

Tout va donc de plus en plus mal, jusqu'au soir de l'avant-première d'un film de Cecil B. De Mille, sur Sunset Boulevard.
Dans cette séquence littéralement effarante, la mecque hollywoodienne se métamorphose sans crier gare en un grand corps fasciste bourdonnant comme une nuée de sauterelles, donc. La beauté et la séduction exhibent brutalement leur envers: machine dévoratrice, broyeuse, comme un prélude concentré de la guerre imminente.


Il faut savoir que cet extrait est assez "cuté". Il y a des plans proprement insoutenables qui ne pourraient, à juste titre, être exposés à tous les regards. Notamment dans la scène de l'enfant piétiné par Sutherland (c'est un gamin: sa mère, obsédée par le désir d'en faire un enfant-star, l'a transformé en Shirley Temple mutant). Sur mon dvd, ça va plus loin. On a droit à l'écrasement progressif de la tête, sorry pour cette précision aussi morbide que complaisante, mais je le dis pour témoigner de la violence du truc. Quant au lynchage subséquent de Sutherland, sorti tout droit d'un Roméro, il me semble plus long également.

Film maudit de Schlesinger, qui le poussa à réviser ses ambitions à la baisse. Marathon man attestera d'un infléchissement de sa carrière américaine (initiée avec Midnight cow-boy) vers des thèmes moins sulfureux. A partir de là, sa filmo n'est plus très marquante.


Rappelons, once again, que le perso de Sutherland a pour nom Homer Simpson. Ce qui donne une idée de la sournoiserie, si on peut dire, de Matt Groening.







En quarantaine - Quarantine (John Erick Dowdle, 2008)


Remake du fameux °Rec de Paco Plaza et Jaume Balagueró (2007).

On serait tenté d'en expédier l'intérêt en se posant la question justifiée de l'utilité de remaker Rec pour le public américain.
Pourtant, j'oserais soutenir que, sur les plans terreur émotionnelle, gestion de l'espace, conduite du récit, ce quarantine parvient à faire au moins aussi bien, et parfois mieux. C'est un film étonnant, ni copiercoller, ni trahison.

Je l'avais loué sans avoir saisi que c'était un "rec-bis". Donc, les 10 premières minutes, je râlais sec, j'ai voulu même arrêter en me disant: non, la honte, nous faire la resucée de ça, quel intérêt, en plus tout va être mis au standard des slashers, nul, comme tout ce que font les ricains quand y remakent, etc etc.

Par curiosité, j'ai poursuivi, et plus ça avançait, plus je me disais: ah ben non, c'est bien, très bien même. Ils ont enlevé certaines lourdeurs et stéréotypes psychologiques, mais intensifié l'essence du truc, se concentrant plus sur l'ambiance, le trip expérienciel.

La réinvention de l'espace de cet immeuble est vraiment à couper le souffle, d'une puissance graphique oppressante. L'architecture est très différente, cette donnée est importante, car la réussite du remake repose sur cette transposition, un subtil déplacement géohistorique dans l'archéo-logie du tissu urbain, des immeubles et de leurs strates mémorielles, faites de ceux qui y habitent ou y ont habité dans un espace-temps social situé.

La caméra à l'épaule ne tombe pas dans le travers redouté de la saccade permanente, mais sans abandonner le principe, elle donne davantage à contempler, en mode "indirect", l'immeuble qui, cette fois, devient le véritable personnage du film, extension spatiale maladive de la créature, superbement réussie, qui le phagocyte depuis son sommet, ce grenier infernal. C'est bien plus, alors, fondamentalement, un récit de maison hantée qu'une histoire de contamination ou un "survival".

Bref, du Lovecraft, en mieux, pourrait-on dire, car Lovecraft (sa réputation culte mis à part, bien surfaite), n'a jamais réussi à produire chez moi le moindre soupçon de peur, avec son écriture ampoulée, redondante, laborieusement descriptive - qui au lieu de nous plonger dans l'expérience de la peur, ne cesse de nous dire: "oh mon dieu, que tout ça est effrayant", suivi d'une avalanche d'adjectifs répétitifs.

On a également souligné que Rec était d'une certaine manière une adaptation "officieuse" de l'univers du jeu vidéo Resident evil, du climat si particulier du manoir du premier, cette sensation de claustrophobie, où la conquête de chaque palier, de chaque porte, sont sources d'une véritable (et délicieuse) torture psychologique, autant de strates à parcourir en s'avançant précautionneusement, avec bcp de réticence, dans les spires ou les cercles d'un enfer se faisant de plus en plus clos, sans issue, comme un goulot d'étranglement.

Le remake a très bien saisi ceci dans sa conception de l'immeuble. Qui devient un des espaces de hantise les plus réussis du cinéma contemporain, avec son style urbain simili rococo, qui mute subtilement à chaque nouvel étage, vers quelque chose de plus délabré, ruineux, immémorial. On pense aussi à Silent Hill 2 et 3, les jeux (pas le film de Ganz, complètement raté de long en large à mon sens).

Le Rec espagnol est un grand film de terreur. Sa "variation" américaine est aussi un grand film de terreur, qui ne souffre pas de son emprunt, parvenant à lui rendre hommage sans le trahir ou l'affadir, parvenant même parfois à le transcender. Je vois ça un peu comme une variation transcendante sur une partition de piano qui serait une "étude transcendante" de Franz Lizst. Enfin, dans le souvenir que j'en garde.

Ce n'est pas un chef d’œuvre (non plus), cela dit. ça reste un peu dans les limites d'un "exercice de style". Mais combien de productions récentes, prétendant au supplément d'âme qui fait les classiques, n'atteignent pas au cinquième de la puissance de ce grand Huit sensoriel?


La porte du passé - Die Tür (Anno Saul, 2010)


Grand prix du festival de Gérardmer.

Aaah, Gérardmer, je me fais avoir à tous les coups comme un bleu, chaque fois que je vois la mention d'un "grand prix du festival de Gérardmer" sur la jaquette d'un dvd de location.

Non, je plaisante. J'ai vu pas mal de films primés à Gérardmer, je m'en rends compte maintenant en consultant la liste. Autant de bousasses dont j'ignorais qu'elle fussent un jour récompensées à Gérardmer.

Y a quelques exceptions notables, sans doute les rares fois où le jury ne devait pas être mort-bourré sous la table au moment de voter: Cube, Saw, Dark water, Rec, Moon, Morse.


Alors, cette chose parfaitement grotesque mérite un spoiler rien que pour punir ceux qui ont la chance de ne pas l'avoir vue.


Le héros, David (Mads Mikkelsen, acteur danois qui tourne une bousasse sur deux en tirant toujours la gueule) est un peintre qui fait des croutes abominables dans le grenier de sa grande villa située dans un quartier résidentiel.

Sa petite fille Dolphie l'attend dans le jardin, costumée on ne sait pas pourquoi pour un casting de fancy-fair dont le thème serait la comtesse de Ségur. "Papa, qu'est-ce que tu attends encore?", appelle-t-elle d'une petite voix lancinante.

David lâche ses pinceaux et rejoint Dolphie devant la grande piscine. Elle attendait sagement avec son filet à papillons, vu qu'elle veut aller à la chasse aux papillons, c'est logique.

Mais David veut pas. Parce que son projet du moment pile, c'est un rencard érotico-torride avec une voisine de l'autre côté de la rue, déguisée en chanteuse teinte en blonde du groupe Texas. Quant à maman, Maya, elle l'a quitté quelques années plus tôt, parce qu'il était infidèle, déjà. Elle lui a demandé de garder Dolphie un jour de plus, parce qu'elle est retenue à un séminaire de pharmacologie.

On sent que David souffre de la situation: il est très mal rasé et a de grosses cernes aux n'oeils, signe de dépression post-maritale.

Alors, David dit à Dolphie: tu vas être bien sage, j'ai une course à faire, je reviens dans 5 minutes.

David plante donc Dolphie, toute déçue.
Et pendant qu'il s'en va d'un pas dépressif vers la maison de Blondie, Dolphie voit un beau papillon dans le jardin et se met à courir après lui, viens gentil papillon je ne veux pas te faire de mal. Bien entendu, elle fonce droit vers la piscine, tête en l'air.

Que va-t-il se passer, mamma mia?

On retrouve David.
Blondie est pas contente parce que ça fait des semaines qu'il était pas passé. C'est parce qu'il préparait sa grande exposition. Et après tout, ils sont pas mariés, lui dit-il. Blondie est fumasse. Elle jette un cendrier qui manque de lui traverser la boîte crânienne, et insiste pour qu'il la prenne sur le champ comme une chienne qu'elle est. David se fait pas prier. Il la nique aussitôt contre le mur.

Suspense côté pêche au papillon. On sait pas. Mais on est inquiet.

David rentre chez lui, lentement, oh tellement lentement. Encore plus tristoune que tout à l'heure. Post coïtum animal triste.
Il rentre à la villa. Prend un temps infini à méditer sur on ne sait quoi, peut-être le débat de Davos entre Cassirer et Heidegger sur l'imagination transcendantale.

Puis s'intéresse vaguement à une tache bizarre qu'il voit par la fenêtre, en provenance du fond de la piscine.
David a soudain peur, très peur. Il court un cent mètres et plonge tête baissée dans la piscine. Dolphie a un lacet accroché à une sorte de grappin tout au fond. David lutte contre le lacet, lutte... Mais trop tard. Dolphie est canée.

David pleure, pleure, toutes les larmes de son corps. Mads Mikkelsen fait très bien le mec dépressif pas rasé pour qui, cette fois, c'en est trop, la coupe est pleine.

Dans les semaines qui suivent, David est encore plus déprimé. Son ex lui en veut encore plus qu'avant: non seulement tu m'as trompé, mais encore tu laisses notre fille se noyer pendant que tu vas baiser, salaud va.

Cinq longues années passent en 3 secondes.

David n'en puit plus.

Un soir de pluie, il se promène devant la piscine et voit Dolphie costumée courant, insouciante, avec son filet à papillon, dans un flou artistique à la David Hamilton. Et il entend sa voix dire, dans un écho lointain: "qu'attends-tu encore, papa"?
Il murmure: "plus rien". Et se laisse tomber à pic dans la piscine.

Heureusement, son meilleur pote passe par là à ce moment là, très inquiet parce que David n'a plus donné de nouvelles.
Il plonge. David est sauvé, car heureusement il fait toujours ses lacets avant de se jeter dans une piscine. C'est un automatisme. Il reprend conscience, mais il n'est pas tellement content. Son pote l'emmène aussitôt se changer les idées dans un bar select, boire quelques bonnes bières de marque. Au risque d'attraper une pneumo parce qu'ils sont trempés jusqu'à l'os.
Et là, il lui parle de son môme de 5 ans, qu'il a inscrit dans un club de foot. C'est tellement trognon à cet âge, tu le verrais courir partout avec 30 mômes qui ressemblent à des nains de jardin, sans compter les 30 parents qui les couvent du regard derrière la clôture.
Fin psychologue, le pote. Il est tout radieux et attendri rien qu'à évoquer son mouflet footbaliste. Mais David n'écoute plus vraiment. On voit le pote qui continue à jacter, mais le son s'en va petit à petit, et la caméra se met à tourner lentement dans le bar autour de David sur fond de musique à cordes symphoniques triste. ça veut dire que David est déjà loin, en pensée, distrait par son monde intérieur, qui fait contraste avec le bonheur de son pote.

David veut soudain partir. Son pote le retient fermement par le bras. Tu vas pas faire de conneries, oh là. Non non, rassure toi je ne vais pas me pendre dans les toilettes. Puis David se casse en douce, et va se promener dans les sous-bois avoisinants, toujours sous la pluie battante.

Là, y glisse et se retrouve devant une sorte de trou, qui s'avère être l'entrée d'un tunnel bizarre. Y a des vieilles poutres pleines de toiles d'araignées, et au fond, une lumière blanche. David s'approche de la lumière blanche. C'est une porte. Il passe cette porte, et il se retrouve 5 ans en arrière, in the past. C'est le moment qui explique le sens du titre du film. Et juste au moment où il traversait la rue pour aller niquer la voisine. On comprend ça parce qu'on voit les mêmes personnes repasser dans le cadre, en répétant les mêmes choses: un voisin gueule parce qu'une tondeuse tond le dimanche, etc.
Trop distrait par ces faits bizarres, David se fait violemment percuter par un cinq tonnes. Mais il n'est pas mort. Il voit un papillon en plastique bleu très poétique et très bien imité, voler sous la pluie, venir se poser dans le creux de sa main, et puis repartir. David esquisse un sourire déprimé. Saperlipopette, serait-ce là donc sa deuxième chance? On comprend maintenant le commentaire sibyllin de la jaquette: "que feriez-vous si vous pourririez refaire à nouveau votre vie une seconde première fois après la fois d'avant?". Ragaillardi, il se relève et se met à sprinter comme un beau diable vers sa villa. Il arrive juste à temps pour défaire le lacet de Dolphie, et Dolphie n'est plus morte. Elle lui demande de ne rien dire à maman de peur d'être grondée, parce qu'elle n'avait pas fait ses lacets malgré les recommandations réitérées. Ingénuité trop minouche de l'enfance, même trempée jusqu'à l'os.

Mais plus tard, alors qu'il fait un peu de ménage dans la cuisine, David voit un mec de dos, dans l'ombre, qui chipote à ses pinceaux. Oh flûte, un cambrioleur, manquait plus que ça. Ni une ni deux, il se rue sur le mec avec un gros chandelier en granit, et pan, sur la tête. Mince, j'ai tapé trop fort, se dit-il. Il retourne le mec gisant dans son sang, et là, il hallucine grave: le mec c'est David aussi. Ils se regardent tous les deux effrayés, puis David, le David d'il y a cinq ans, donc, cane.
Dolphie entend tout ce remue ménage, et passe une tête en haut de l'escalier. A partir de là, elle va se méfier de David. Elle pense que David n'est pas vraiment son papa, parce que ses cheveux sentent la teinture et ses joues la crème rajeunissante de mauvaise qualité. Elle refuse provisoirement de lui faire des bisous. Du moins jusqu'à ce qu'il lui explique 30 minutes plus tard qu'il est son super ange-gardien, et l'ancien David un mauvais papa. Ce dont elle se doutait un peu. Intuition sixièmesensique trop minouche de l'enfance. Mais elle attendra qu'il le lui dise de lui-même, s'il est un tant soi peu honnête intellectuellement.


C'était les 15 premières minutes du film.

C'est à dire les plus contemplatives, comparées à ce qui suit.

Je vous passe donc les retournements de situation en cascades qui vont émailler la suite, complètement zarbis par rapport à la logique minimale qu'on est en droit d'attendre de n'importe quel film fantastique (cet effet de réel, ou de cohérence, qui fait qu'on croit un tantinet à l'histoire qu'on nous raconte).

En gros, presque tout le monde prend la porte à un moment ou l'autre, furax ou déçu par sa vie. Si bien qu'on ne sait plus trop qui est qui et pourquoi. Les moi venus du futur veulent assassiner leur moi du passé, pour prendre sa place et se teindre les cheveux, sauf les hypersensibles. Parce que la vie, c'était forcément mieux cinq ans avant que ça se complique pour de bon.

Même l'ex de David se radine, pour ne plus être en deuil. Elle s'en veut à elle-même quand elle découvre qu'elle s'est entretemps remariée à l'ancien-nouveau David. Mais elle s'attendrit quand elle découvre qu'elle est gentille quand-même, vu qu'au fond c'est dans sa nature.
Même le voisin qui gueule après la tondeuse s'est foutu à la porte, avant tout le monde d'ailleurs. Pour se faire un max de blé avec des paris truqués au champ de course.

Mais si on s'autorise à imaginer que ce sale vilain type (un ex-taulard: la cambriole il a ça dans la peau) fait des va-et-vient perpétuels, lui, entre le présent du passé et le passé du présent, pour falsifier le loto et compagnie en hommage à Zemeckis, on s'autorisera aussi à se demander si on peut toucher le loto ou le tiercé-quinté, avec la super-bonne combinaison d'il y a 5 ans. Ah oui, parce que la porte, c'est la porte du passé, et le passé, ici, c'est cinq ans plus tôt, ni plus ni moins, et c'est valable pour tout le monde.

Ou alors on nous cache des trucs pas nets: y a des passe-droit spéciaux qu'on nous a pas bien expliqué, un système de réservation ou de programmation de la date à laquelle on souhaite se rendre (pour le loto), ou alors c'est la porte qui décide - en sondant l'âme de celui qui la prend - de le replacer à un moment déterminant pour lui, comme dans le cas de David. Si la porte est là pour arranger les bidons des uns et des autres, de deux choses l'une. Soit elle décide pour rendre les gens meilleurs. Dans ce cas: adieu veau d'or, vaches sacrées, cochons en chocolat et châteaux en Espagne. Soit la porte est amorale, elle s'en fout bien. Elle voit dans l'âme du mec son désir le plus ardent et le fout au moment pile où il peut le réaliser. Mais tout ça, penses-tu, on se garde bien d'y faire la moindre allusion, hein.

Quoi qu'il en soit, dans le film, absolument personne d'autre ne pense à le faire, ça, mettre du beurre dans ses épinards. Et encore moins à prendre la tangente. Tous les téléportés sont des mélancoliques profonds ou des victimes de la psychanalyse: ultras-braqués sur les problèmes maritaux, parentaux, sentimentaux, qui leur bouchent tout horizon et leur bouffent intégralement le neurone.

Leur projet le plus exaltant, face à une infinité de possibles s'ouvrant devant eux, c'est de raccommoder leur ménage qui va à vau l'eau. Repartir sur des bonnes bases, cinq ans plus tôt, et les consolider. Ils ne s'aiment plus dans le présent, au point de ne plus se piffer? Ils ne vont pas penser, par exemple, qu'ils pourraient se quitter, faire autre chose. Non, tout le monde, dans ce quartier, n'a qu'un désir lancinant: recommencer la même chose, au même endroit, mais en mieux.

C'est chez eux, dans leur Villa sam'suffit, qu'ils veulent refaire leur vie. Le souffle du grand large, pour leur marmaille, c'est et ça restera la piscine familiale, point barre. N'attendez-pas d'eux qu'ils s'achètent un steamer pour balancer sa mâture et lever l'ancre pour une exotique nature.
Faut dire aussi qu'ils n'ont pas connu la prison, les privations, qui font rêver d'un "ailleurs". Tous des résidentiels huppés qui se la pètent avec leur digicode dernier cri, et font chier avec leur tondeuse, le dimanche, les anciens pauvres devenus milliardaires.

Bon, l'ex-taulard, s'il endure le vacarme des tondeuses dans ce bled pourri, c'est un peu de sa faute, aussi. Il s'est mal organisé. Au lieu de rafler une bonne fois le super-pactole - et autant de fois que nécessaire (puisqu'il semble en avoir le pouvoir) - pour snober la compagnie de son voisinage déprimant, et aller se la couler douce aux Seychelles pour au moins 300 générations, y voit jamais grand, toujours petit.

Il préfère camper là, dans son taudis, pour surveiller la porte. Il a juste un peu mieux décoré son intérieur avec des beaux tapis, renouvelé son argenterie, ses sets de table et sa cave à vin. Ordonné, discipliné, méthodique, buté, et ne respirant guère la joie de vivre. Non, son bonheur, c'est de vivre dans un Derrick. Les œillères. Il est sociologiquement déterminé à aimer le monde de Derrick, les intérieurs bourgeois glauques, les bleds pourris, les tondeuses.


En tout cas, tous ces arrivages massifs d'expatriés du futur du même et unique patelin et ne cessant d'y revenir, ça fait tellement d'encombrements qu'il faudra bien se décider à la bazarder tôt ou tard, cette putain de porte.




Simetierre, de Mary Lambert, d'après S. King, j'avais bien aimé. Pourtant, c'est vraiment pas un chef d’œuvre.

Non content d'adapter un roman soi-disant original d'un certain Akif Pirinçci, ce machin reprend le principe de Simetierre, en y ajoutant la variation subtile du voyage dans le temps et dans les mondes parallèles.

Il cite aussi sans vergogne, évidemment, "l'effet papillon", très bon petit film, qui maitrisait son sujet.

Mais, comme cela se démontre aisément, le réalisateur et son scénariste n'ont absolument percuté que dalle, peau de nib, aux problèmes de logique les plus élémentaires impliqués par le dit effet. Greffent dessus, au petit bonheur la chance, d'autres types d'effets n'ayant rien à faire là. Se mélangent gravement les pinceaux avec de faux-paradoxes temporels bidons aux logiques hétérogènes et incompatibles, s'empilant les uns sur les autres. Mélangent tous les genres pire qu'une bouillabaisse, et avec force révélations poussives qu'on avait deviné 40 minutes avant (ou après, ou qu'on devine encore, ou qu'on ne devinera jamais).
On est donc très sincèrement désolé, quelque part (au niveau du vécu), d'avoir tenu jusqu'au bout. Voire un chouïa déprimé.


Non, vraiment, dans les festivals de Gérardmer, on doit se faire chier grave. C'est pourquoi on boit pas que de l'eau gazeuse pour accompagner les rollmops à l'entracte.



* * * *



C'était Mc Tiernan le président du jury cette année-là.


Tiens, en passant, le palmarès de années précédentes.

Catégorie grand prix:


1994 La Fiancée aux cheveux blancs (Jiang-Hu) - pas vu
1995 Créatures célestes (Peter Jackson) - plutôt emmerdifiant
1996 Le Jour de la bête (De la Iglesia) - De la Iglesia n'a fait qu'un seul bon film dans sa vie: "le crime farpait", qui au moins était un peu drôle.
1997 Scream (Wes Craven) - Craven n'a jamais fait un bon film, et ça n'a jamais été drôle.
1998 Le Loup-garou de Paris (Anthony Waller) - pas vu, rien que le titre me désole par son opportunisme douteux.
1999 Cube (Vincenzo Natali) - ah ça m'a plutôt bien botté, ce petit truc.
2000 Hypnose (David Koepp) - bon film.
2001 Thomas est amoureux (Pierre-Paul Renders) - horrible nanar stéréotypé rtbfisant, typique pour introduire le débat de feu "l'écran-témoin"
2002 Fausto 5.0 (Isidro Ortiz, Alex Ollé et Carlos Padrissa) - pas vu
2003 Dark Water (Hideo Nakata) - super émouvant.
2004 Deux Sœurs (Kim Jee-woon) - pas vu
2005 Trouble (Harry Cleven) - pas eu envie, allergique à Magimel.
2006 Isolation (Billy O'Brien) - alors là, gros mystère. Le pire du lot. On croirait que c'est tourné par un paraplégique directement dans le trou du cul d'une vache. Indigent à frémir et d'un inintérêt effarant. Normalement, ce genre de vidéo de vacance n'a même pas le droit d'un direct to dvd. Cette année là, à Gérardmer, les huitres de la cantine devaient pas être fraiches, ou alors la délégation irlandaise a mis dedans des substances hallucinogènes.
2007 Norway of Life (Jens Lien) - oh que c'est mauvais, poussif, avec des ambitions sociologiques ridicules. Quand la vie est trop parfaite et tout le monde uniformisé dans le bonheur, on s'ennuie et on voudrait mourir. rhzz
2008 L'Orphelinat (Juan Antonio Bayona) - laborieusement daubasse et recyclant ad libitum les trucs de Balaguero déjà pas terribles, ou de Del Toro, mieux, sur le sujet.
2009 Morse (Tomas Alfredson) - bien mais vieillit plutôt mal quand j'y repense.
2010 The Door (Anno Saul)
2011 Bedevilled (Jang Cheolso) - pas vu



* * * *



Les "prix spécial du jury", c'est pas mal non plus.


1994 L'Écureuil rouge (Julio Medem) - pas vu
1995 Dellamorte Dellamore (Michele Soavi) - n'a fait qu'un seul bon film, "la secte". Celui-ci est insupportablement kitsch et casse-bonbon.
1996 Témoin muet (Anthony Waller) - pas vu.
1997 Tuez-moi d'abord (Rainer Matsutani) - pas vu
1998 Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol) - polar sf pas trop hyper-nul, mais rabâché et somnolent, mixant la nième variation uchronique de Huxley et d'Orwell. Photographie clichetonnante dans le genre sépia jaune pisseux pour faire rétro.
1998 Forever (Nick Willing) - pas vu
1999 La Sagesse des crocodiles (Po-Chih Leong ) - pas vu.
1999 La Fiancée de Chucky (Ronny Yu) - on se pose aussi des questions sur la bouffe, là.
2000 La Secte sans nom (Jaume Balagueró) - raté, tout y est psycho de grand bazar, acteurs ectoplasmiques et persos de carton pâte, enchainements morts-nés, gros sabots, enquête d'autant plus inutile qu'on a tout compris 20 kilomètres avant et qu'on s'en fout complètement.
2001 Insomnies (Michael Walker) - misère que c'est mauvais, comme imitation ringarde et soporifique de Lynch. Jeff Daniels se donne à fond pour son premier "premier rôle", mais il sera toujours un acteur de seconde zone sympa qui joue comme ses pieds tout en restant sympa, meilleur pote à Dumb ou à Dumber, je sais plus. Ah oui, l'histoire, c'est juste une bd de Solé parue dans Pilote dans les 80s, poussive comme tout ce que fit Solé: un mec qui voit une tache grossir au plafond, n'arrive plus à dormir et devient foldingo. Si c'est pas un plagiat, c'est rudement bien imité. Maintenant, faut dire, n'importe qui pourrait imaginer brillamment un canevas aussi éculé. Je me souviens d'un mec qui ambitionnait de devenir écrivaillon talentueux d'histoires fantastiques. Il avait pensé la même histoire, pile poile. Je lui ai ressorti la bd de Solé d'une vieille caisse. Il a fait un nervous breakdown. Bien fait.
2002 L'Échine du diable (Guillermo Del Toro ) - prometteur, honorable, mais bancal. Toro fait ses gammes.
2003 Maléfique (Éric Valette) - pas vu.
2003 Les Témoins (Brian Gilbert) - pas vu
2004 La Mélodie du malheur (Takashi Miike) - enregistré sur Arte, pas pu dépasser les 10 premières minutes. Miike, à part Audition et Gozu, bof. Le pire de tous étant "visitor Q", une pantalonnade snuffisante à contenu socio-psychanalytique aussi remarquablement débile que pontifiant.
2005 Saw (James Wan) - j'aime beaucoup cette licence. Je m'en expliquerai un jour.
2005 Calvaire (Fabrice Du Welz) - j'aime bien aussi. En faisant abstraction de quelques séquences franchement débiles (la danse des villageois sur fond de piano proto-stockhausen; les fermiers qui cougnent un porc)
2006 Fragile (Jaume Balaguero) - j'ai trouvé ça vraiment pas terrible et languissant avec sa volonté de faire de la belle image et du beau sentiment.
2007 Black Sheep (Jonathan King) - bwoaf, lourdingue de chez lourdingue, et jamais drôle. Doit plaire à quelques pré-ados de 12 ans et demi.
2007 Fido (Andrew Currie) - pas vu
2008 REC (Jaume Balaguero et Paco Plaza) - là, je dis oui. J'adore, envers et contre tout. Même la suite, même le remake américain. Je marche à fond les manettes, sans trop me poser de questions.
2008 Teeth (Mitchell Lichtenstein) - pas vu
2009 Grace (Paul Solet) - vu il y a deux semaines, tiens. Une vague idée minuscule, mais seigneur que c'est mauvais, bidon et mal fichu.
2010 Moon (Duncan Jones) - yesss. Déjà commenté.
2011 Ne nous jugez pas (Jorge Michel Gra) - pas vu.
2011 The Loved Ones - pas vu.





Addendum (14 février)


Je me suis encore fait blouser. Et cette fois, c'était pas marqué sur la jaquette.


Un des nanars le plus consternants de ces cinq dernières années, facilement.

J'ai rencontré le diable de Kim Jee-woon.

Déjà, j'avais pas gaffe. Après 15 minutes, j'ai reconnu l'espèce de tentative de style syncrétique-bouillabaisse du même mec qui avait signé "a bittersweet life", qui me semblait difficilement surpassable.

Encore une histoire de vengeance pondue par un écolier sadique-anal-régressif de 6 ans en retenue.

Primé dans des tas de festivaux, ce truc s'est ramassé une tripotée de 5 étoiles un peu partout dans la presse qui pense.
- Une œuvre choc dont on ne ressort pas indemne.

- On ressort de "J'ai rencontré le diable" durablement marqué, avec le sentiment d'avoir assisté à un spectacle d'une rare intensité, sans concession mais ni complaisance non plus, jouant avec les émotions, les sensations et l'intelligence du spectateur sans jamais tricher. (...) On ne peut que saluer la puissance d'une oeuvre implacable.

- [...] ceux qui auront le courage d'embarquer pour ce voyage ambigu et nihiliste [...] décèleront l'empreinte d'un film majeur.

- Brillant. Un des plus gros chocs ciné de l'année.

etc, etc



Je m’attellerai éventuellement à en dresser un pitch le plus scientifiquement fidèle, et ce sera un sacré challenge, bien plus difficile que pour "la porte du passé". Un défi spéculatif face à l'indicible du néant pur enrobé de vide.

Pour tenter d'imaginer ce que ça peut être, il faut postuler une sorte de miction entre les Power Rangers (dans la parodie des inconnus), Godzilla, Pierre Richard (période "les malheurs d'Alfred"), Claude Lelouch (période Francis Lai), Christophe Hondelatte (période "faites entrer l'accusé"), Sam Raimi, Wes Craven, William Lustig, Tom and Jerry, Bronson (période "le justicier de minuit"), et JJR, le belge, "cinéaste de l'absurde". Et pour la musique un mix entre André Rieu, Morricone (pas inspiré), Rondo Veneziano, Jean-Michel Jarre et Richard Clayderman.


Tout ça en moins bien.



Et le truc qui achève, bien entendu:

Je découvre sur wiki que ce "j'ai rencontré le diable" a raflé l'an passé trois prix, et non des moindres: de la critique internationale, du public, et du jury jeune, au festival de ? De?

Géééérardmer, bien sûr. ça devient un running gag moisi.

Quand c'est trois fois plus nul que d'habitude, ils récompensent trois fois plus.

C'est l'effet Gérardmer, la malédiction Gérardmer. Je pense vraiment que ça se passe à la cantine.




samedi 7 janvier 2012

Taken (disparition, - mini-série tv écrite par Leslie Bohem, 2002)



Mon top of the pops des choses vues en 2011, contre toute attente.

Une mini-série tv, donc. Une saga, qui m'a littéralement scotché pendant l'été.

Disparition (Taken). Chaque épisode est placé sous la direction d'un réalisateur différent. Le scénario et l'écriture des dialogues sont confiés à Leslie Bohem, et c'est produit par Steven Spielberg.


Une variation sur le thème des "abducted" donc, mais si Spielberg produit, le propos me semble échapper aux caractéristiques qui plombent la plupart (sinon la totalité) des films réalisés par ce dernier, quelles que soient les qualités qu'on pourra par ailleurs leur trouver (essentiellement - selon moi - de l'ordre de l'imagerie): allégorisme paternaliste neuneu, américanocentrisme patriotique basé; oedipianisme de grand bazar, etc.

Spielberg apporte le pognon, et s'il apporte aussi la caution marketing pour le thème de l'E.T., on n'est donc plus dans l'univers de Spielberg, ni sous sa forme "merveilleuse" (Close Encounters, E.T.), ni sous sa forme "dépressive" (Minority Report, War of worlds). Le projet, la gestation du script lui sont d'une certaine manière dérobés.

De façon générale, l'accueil critique fut tiède. Un chroniqueur du site devildead, par exemple, passa complètement à côté


" L'échec artistique de DISPARITION repose essentiellement sur le scénariste Leslie Bohem. La réalisation des dix épisodes n'est pas vraiment à blâmer, tout comme l’interprétation, même si la plupart des personnages sont des plus insipides. Le plus intéressant s’avère être le méchant des premiers épisodes, qui disparaît ensuite puisque le passage du temps l’oblige à laisser la place aux jeunes. A ce propos, les maquillages de vieillissements de la plupart des acteurs sont, eux aussi, réussis ce qui apporte encore une once de qualité à un DISPARITION qui aurait surtout eu besoin d’un script bien plus intelligent et captivant !
[...]
Avec un peu plus de subtilité, DISPARITION aurait pu s’en sortir mais ce feuilleton a bien du mal à nous faire croire à ses ovnis. L’intrigue et les événements successifs sont le plus souvent prévisibles, et l’issue même du dixième épisode, contenant un incroyable lot d’inepties, finit de plomber définitivement ce qui aurait pu être véritablement un événement télévisuel ! ) "

Un certain Denys Corel sembla y voir un peu plus clair.
 


A travers l'histoire, sur plus de 50 ans, des parcours complexes et enchevêtrés de divers "enlevés" sur plusieurs générations (de l'ère Truman à l'ère Bush en passant par Nixon et Reagan), on trouve une manière de décodage socio-idéologico-théologico-politique des Etats Unis, un prétexte pour esquisser une "histoire parallèle" de l'Amérique, son uchronie négative pourrait-on dire (à partir de l'hypothèse "Roswell" prise au sérieux non pas comme piste scientifique, mais comme filtre révélateur). Questions de la filiation, de la transmission, de l'héritage, des fondations des familles, etc. Une tragédie very captivante.

On suit trois familles, mais qui forment deux grandes séries parallèles, ne cessant de s'entrecroiser, de se téléscoper et de se fuir: d'un côté les militaires et les gouvernementaux, leurs fils et leurs filles, qui convoitent, fascinés, un mystère qu'ils veulent à tout prix posséder; de l'autre les enlevés (à intervalles réguliers), leurs fils et leurs filles, qui composent une sorte de contre-culture mobile, ne cessant de s'échapper à travers landes, forêts, redoutant aussi bien leurs ravisseurs que leurs chasseurs.

La longue cartographie et généalogie de leurs névroses respectives et inter-connectées. Tous les persos sont creusés de l'intérieur, existent vraiment (on est donc très loin de Spielberg, de sa psychologie hyper-stéréotypée de carton pâte), avec du poids et de l'épaisseur, un parcours, des conflits internes, des Œdipes mais pas cuculapraloche du tout. Il y a des déchirures, des destins vraiment poignants, dans cette saga. On dirait que le mec qui a écrit tout ça a lu une traduction anglo-saxonne pirate de Lacan, ou alors a suivi un séminaire d'analyse derridienne de Stephen King, ou alors il était constamment sous l'emprise de psychotropes, vraiment je sais pas mais en tout cas il a de la substance sous le bras.

Et le plus étonnant, c'est qu'on est très loin, pour une minisérie dite "adulte", des canons imposés par HBO: pas de pessimisme morbide complaisant, d'esthétique de la dépression, pas de second degré sarcastique, pas de "déconstruction post-moderne", d'audaces transgressives alléchantes, de digressions "méta". On nous raconte une histoire, simplement, et cette histoire est suffisamment riche et prenante pour que du sens se déploie.



Rarement autant que dans cette série l'extra-terrestre est la forme même de l'inconscient, de l'autre plus ou moins bien introjecté, du fantôme, bon ou mauvais selon qu'on lui accorde ou pas l'hospitalité en soi.

On se dit que les Américains, s'ils n'ont pas la théorie freudienne de l'inconscient du vieux continent, ont les extra-terrestres. Ce sont leur "folle du logis", ou selon un autre paradigme, leur "ligne de fuite". C'est aussi un peu leur "pharmakon", poison et remède: ils peuvent en faire des choses aussi redoutablement débiles que remarquablement réflexives, clôturantes ou ouvrantes.

Là, par exemple, c'est ouvrant, généreux, voire courageux. Il y a beaucoup de choses suggérées, un texte qui pense. Pas du tout à la manière d'un slasher fantastique s'ébrouant dans le bourbier balisé des pulsions convenues, ou de son endroit (une quête épiphanique et évangélique à la "rencontres du troisième type"). Plutôt à la manière d'une longue méditation psycho-poétique, une pop-herméneutique déroulée sur une quinzaine d'heures, libérant des pistes pour une réconciliation avec soi, les autres et le monde. Il faut voir le tout non pas comme une série, ni même une mini-série, mais comme un roman fleuve ou un film choral de 15h, distillé en plusieurs blocs. Avec un début, un milieu, une fin bien délimités.

Alors, bien sûr, tout ça est cheapos (quoique), réalisé parfois à la truelle. Certains épisodes sont languissants, comme immobiles. Ce sont mes préférés - ça papote, mais pas comme dans les westerns post-modernes. Le verbe s'y fait chair, les corps souffrants parlent et désignent l'objet "petit a" de la passion. Les conflits d'interprétation, la psychanalyse, les acting-out, le goût de cendre, les anamnèses tardives, sont définitivement ce qui intéresse cette série. Les différents chapitres s'enchainent comme les spirales d'un souvenir, suivent une temporalité non linéaire mais faite de trois pas en avant, un pas en arrière, etc, maintenant haletante cette longue enquête tortueuse dans l'archéologie mentale d'une nation, la tapisserie de ses désirs, de son imaginaire et de ses peurs.

C'est superbement écrit et pensé. Les dials, le monologue (scandant régulièrement l'intrigue, ni narratif, ni explicatif, mais méditatif, presque existentialiste-théorique) récité par Dakota Fanning, voix off et fil d'Ariane de cette saga, personnage mi-humain mi-extraterrestre, sont d'une intelligence, d'une densité rares.

Dieu sait pourtant combien Dakoting Fanning m'irritait dans WOW. Mais ici, trois ans avant WOW, rien à voir, ni dans la structure, ni dans l'enjeu. On ne la voit que dans les derniers épisodes. On n'avait pas proposé de personnage d'enfant-lumière aussi émouvant, même dans Shining (où c'est finalement un personnage secondaire n'existant que par rapport au père). Un enfant-lumière philosophe, enjeu d'un vaste imbroglio militaro-scientifico-industriel.
Faut surtout entendre comment elle dit ce texte off, si simple et si difficile en même temps...
J'ai dû à de nombreuses reprises interrompre le visionnage et revenir en arrière pour réécouter, réécouter à nouveau, m'interrompre au milieu d'une phrase pour y réfléchir, tant il y avait de couches de sens, de strates, de résonances convoquées et entrelacées.


Je n'attendais rien, et j'ai été complètement pris (taken, évidemment) à contre-pied.



jeudi 10 novembre 2011

Le trésor des îles chiennes (F.J. Ossang, 1990)


Je l'ai vu, enfin en partie (je veux dire par là 40 minutes, puis j'ai fait "avance rapide" pour vérifier que c'était pareil à la fin qu'au milieu), et je peux dire que, même en le voyant, c'est un film qui ne se voit pas. Même s'il se regarde, je pense. Mais il ne regarde personne.


Cela dit, la bande-son est extraordinaire. Vraiment. Ossang musicien, OK. Superbe. Influencé par la musique industrielle, Throbbing Gristle, mille fois oui. Poète? Mais certainement.

Sinon, ben, comme on dit, quand on n'aime pas trop ça (je suis pas fan du trip "burroughsien" des consortiums, complots and c°), on cherche pas à en dégoûter les autres, donc, je serai pas (très) méchant. Puis ce mec a vraiment l'air sympa...


Bon. Je lis ça et là que les "îles chiennes" serait son moins abordable. Je peux le concevoir.

Le problème, dans ce film, du moins pour moi, ce n'est pas tant qu'il ne s'y passe rien du tout (car je suis depuis toujours fan de films où il ne se passe rien du tout). Les inserts textuels à la Godard, c'est un peu systématique et un chouïa agaçant (genre "leurs yeux sont des boules de mort"), mais soit. Passe encore, à la limite, qu'on ait l'impression que se soient toujours plus ou moins les mêmes images qui semblent repasser (rien ne semble bouger jamais, c'est du sur-place obstiné, même quand ça s'agite devant la caméra, on dirait que ça piétine). Bon, c'est vrai, je préfère la sensation d'un écoulement, d'une itinérance, d'une errance, si on tient à s'inscrire dans la logique d'un "faux mvt" (de Wenders/Handke, un des films que je préfère au monde), d'un mvt, même faux.

Non, ce qui crée une sorte de distance infranchissable, c'est bien "l'histoire", ou la "non-histoire", ou le "récit", le (pré)texte littéraire de celle-ci ou de celle-là, auquel avec la meilleure volonté du monde je ne parviens pas à m'intéresser un demi-quart de seconde, même à titre d'esthétique ou programme poétique, même au 340è degré:
« L'ingénieur Aldellio a découvert la synthèse artificielle de deux substances fondamentales (le Stelin et le Skalt) permettant la production d'une énergie (l'Oréon). Grâce à cette découverte, l'équilibre mondial a été reconditionné. Quand débute le film, l'ingénieur a disparu avec le secret de transformation du ‘Stelinskalt'. Le consortium producteur de l'Oréon, la Kryo' Corp, est au bord de la faillite. Et le monde à la frontière du chaos… »

 Bon, d'accord. Pourquoi pas. Et ça tient une énorme place dans ce texte récité avec une floraison d'accents balkaniques, une sorte de feuilleton sonore d'espionnage aussi embrouillé qu'ennuyeux, et qui semble avoir été conçu pour l'ortf.
Je trouve ça non-immersif au possible, j'aurais aimé qu'on se taise de temps en temps.

Je me demande ce qu'en pense Clovis Cornillac, qui fait une prestation assez chiadée, dans le film. Je veux dire par rapport aux autres: sans déconner, il donne de sa personne pour qu'on ait le sentiment qu'il y a un acteur qui bouge quelque part dans le cadre, et qui dit quelque chose dans une situation "x" ou "y" en remuant un sourcil.

On me dira éventuellement que tout ça, c'est fait exprès, qu'on vise une "distanciation". Mais ça, je le crois pas, ça. Os-sang, l'emblème de son projet, sa signature, c'est la recherche d'un "primitivisme", d'un "retour aux sources", peut-être du cinéma muet (sauf qu'ici c'est hyper-bavard en off), et en l'occurrence le retour à une "énergie", paraît-il, et "punk", s'il vous plaît.


Il paraît, d'après Wiki, que:

« Ossang a, dès son premier court métrage, posé les bases mouvantes d'un univers sombre mais transpercé d'une lumière aveuglante, où le film de genre se voit constamment remémoré pour mieux s'en éloigner. Voyager, partir, s'égarer : le cinéma d'Ossang se donne l'apparence de la dérive, mais n'abandonne jamais son cap ultime : l'extase. »


Je n'ai pas bien vu l'apparence de dérive, mais soit, cap à l'extase, donc.

"L'extase", dans la phénoménologie heideggerienne, c'est le pro-jet, la pro-jection, l'être-jeté, du Dasein, devant, au devant, hors de soi, dans le monde; donné, abandonné dans le monde ou vers le monde.

Bref, c'est l'existence (au sens existential): ex-sistere ou ek-sistance.

Existenz, prétendait Cronenberg.

Au sens de Jean-Paul, aussi, bien sûr: on s'éclate, pas forcément à Saint Tropez (comme chez Max Pecas), mais du moins à Saint-Germain.


Visiblement, ici, c'est pas ça.

Alors il reste deux possibilités:

soit c'est une extase à venir, longue à venir. Du moins, faut s'armer de patience, le temps de passer de la "stase" à l'ex-stase. L'ex-statique en question, ce serait peut-être alors quand le film prend fin. Qui sait?

Ou alors c'est une extase au sens religieux, au sens de sainte Thérèse d'Avila, ou de Lisieux, une sortie hors de son corps, éprouvée dans l'immobilité et l'intériorité totales. Je sais pas. Je suis pas assez religieux ou mystique pour ça. Et c'est dommage pour moi, déjà que je vis dans une vraie cellule monacale, que je bouge pas de là, même d'un orteil, et alors que je mène une existence de fuckin'Monk. Je m'explique pas ça.















mercredi 14 septembre 2011

Bartleby et ses copies



Un truc agaçant depuis plusieurs années, c'est cette "hype" germanopratine où on se donne du "Bartleby", de Daniel Pennac à Philippe Delerm ("quelque chose en lui de Bartleby") en se tapotant sur l'épaule et en faisant des clins d'yeux malicieux. L'un rabâche son machin usé d'antiquaire sur la "contemplation des menues choses de l'existence qui rendent heureux", l'autre n'en finit pas de tenir récital, histoire de "mettre en bouche" un si beau langage. Tout qui a le plaisir "glouton" de la lecture distribue partout son "Bartleby" comme l'ultime friandise littéraire à déguster entre connaisseurs de bonnes pâtisseries. Bartleby est devenu en quelques années le nom magique d'un certain "art de vivre" fédérant les procrastinateurs de tous poils, le code secret d'un doux refuge dans le "quant à soi", le héros pittoresque de tous ceux qui font de la résistance passive au boulot, youpi, c'est chouette, etc.
Rappelons à toutes fins utiles que Bartleby, c'est l'histoire d'un sdf qui se nourrit exclusivement de biscuits au gingembre qu'il pique la nuit dans les tiroirs, et qui meurt d'anorexie après avoir été conduit au mitard.

Aux States, c'est encore pire, et on est en droit de se poser quelques questions sur la manière dont la nouvelle de Herman Melville y est lue et comprise. Témoin la bande-annonce consternante, ahurissante, d'un film que j'espère ne jamais voir. Une espèce de pantalonnade satirico-rigolarde du samedi soir, sur le monde de l'Office, et qui fonce tête baissée dans ce contresens absolu. Crispin Glover s'y est fait une tête de vampire asthénique, pour le côté "inquiétant". La première occurrence de sa formule "i would prefer not to", soulignée par une gestuelle de sitcom, intervient dans une scène où il décline la demande de son patron de prêter son doigt pour ficeler le ruban d'un cadeau, qu'on imagine de Noël ou pour le Thanksgiving.

Il serait temps *** qu'on ressorte le film de Maurice Ronet de 1976 (réduit à une archive de l'INA), avec Michael Lonsdale et Maxence Mailfort. Je n'imagine pas pour B. un autre visage et une autre voix que ceux de Maxence Mailfort.























Considérons, à la périphérie de ce phénomène, le dernier film de Nanni Moretti, "habemus papam".
Il y a juste ceci qui me chipote. On y présente un cardinal, interprété par Piccoli, élu pape à son grand dam. Il voudrait juste, si possible, qu'on le laisse disparaître, souhait qu'il formule devant les cardinaux réunis en conclave. Ce pape a pour nom Melville, en hommage, précise Moretti, au cinéaste Jean-Pierre Melville. Mais comme J.P. Melville s'était choisi ce nom en hommage à Herman Melville, lorsqu'il était dans la résistance, on devine là un "intertexte" plus ou moins subtil qui nous reconduit à la figure de "Bartleby":

Le personnage d'Habemus papam s'appelle Melville. Comme Hermann Melville, l'auteur de Moby Dick?

Non, comme le réalisateur Jean-Pierre Melville. Au moment où j'écrivais le scénario d'Habemus papam, j'avais organisé une rétrospective Melville au festival de Turin, que j'ai dirigé pendant deux ans. C'était un nom provisoire mais, petit à petit, je m'y suis attaché.  


Melville est un excellent cinéaste mais l'explication est frustrante. Moby Dick est l'animal inaccessible par excellence. L'illusion, le rêve, Dieu...

En général, les gens pensent à Melville pour Bartleby, qui dit tout le temps : "J'aimerais autant pas." Mais, en fait, il paraît que Melville, le cinéaste, dont ce n'était pas le vrai nom, a choisi ce patronyme lorsqu'il était dans la Résistance en hommage à l'écrivain. Si c'est vrai, la boucle est bouclée.  


Notons que la première moitié (la plus intéressante à mes yeux) de l’œuvre de Moretti, allant de Io sono un autarchico à Palombella Rossa, en passant par Ecce Bombo, mettait déjà aux prises un "avatar" de lui-même, habité pourrait-on dire par un puissant désir de se taire et de réduire au silence son entourage. Et ce par une accumulation de bavardage paradoxalement destinée à éteindre toutes les palabres ("à l'italienne"), scrutant avec un soin aussi douloureux que maniaque, tel un sémiologue masochiste, toute émission de discours pour en dénoncer l'irrémédiable vacuité, la déréalisation névrotique. Dans Ecce Bombo ou Palombella, il était un utopiste de la gauche radicale qui ne pouvait plus supporter la rhétorique de la gauche radicale, un militant qui ne voulait plus militer. Dans La Messa è finita, il était ce curé qui ne voulait plus donner la messe et administrait des gifles à tout le monde.
Plus tard, avec la découverte de la paternité, le ton se fait plus intimiste et doux-amer. Moretti sera ce psychanalyste qui ne voulait plus psychanalyser. Cette succession de figures tendues par une contra-diction vigoureuse (au sens premier d'un discours parlant contre lui-même), en tension entre prolixité et prostration, tentées par leur abolition en bibelots sonores (autant d'incarnations traditionnelles du Verbe, rongées par le soupçon), culmine fort logiquement dans l'exploration, aujourd'hui, de la cité vaticane, lieu par excellence de la vacuité et de la vacance, et de ce pape qui ne veut pas être pape.

La présence en creux du "Bartleby" de Melville dans le personnage mélancolique du cardinal Melville semble donc s'imposer et faire "signe", comme on dit. Elle ne va pourtant pas de soi. Je ne pense d'ailleurs pas que ce soit le propos de Moretti, l'allusion relevant davantage du trait d'esprit. Gageons cependant que beaucoup s'engouffreront dans la brèche.

On se plait aujourd'hui à voir des "Bartleby" un peu partout, et singulièrement dans des figures de pouvoir ou de puissance. Des gens qui "ont été", mais qui voudraient "ne plus être", ou plus modestement, "être autre chose": des pdg bartlebiens, des présentateurs de télé bartlebiens, des papes bartlebiens...

Dans le personnage de Bartleby, on ne trouvera cependant ni désir ni puissance. On est confronté à quelque chose qui est plus de l'ordre du "trou noir", du côté de la Zone. Un a-logisme, une anomalie, un "squid", ou un "bug" (au sens du "two lane blacktop" de Monte Hellman) qui suscite le silence, la stupeur, l'affolement autour de lui. "Non pas une volonté de néant, mais la croissance d'un néant de volonté", écrivait Deleuze. "Bartleby a gagné le droit de survivre, cad de se tenir immobile et debout face à un mur aveugle. Pure passivité patiente, comme dirait Blanchot" (p.92, in 'critique et clinique").

Et si "Bartleby n’est pas une métaphore de l’écrivain, ni le symbole de quoi que ce soit", il semblerait que la tendance actuelle soit de remplir ce "trou noir" pour y loger des métaphores (du pouvoir, du capitalisme, de la vocation, etc) et des symboles (de la résistance, du refus, etc).


Dans Habemus papam, on suggère apparemment une affaire de "vocation contrariée" (pour le théâtre, le métier d'acteur). Et pour les autres cardinaux, ce seraient des "types qui sont juste là", qui n'avaient pas demandé, qui ne savaient pas trop, qui auraient sans doute "préféré" faire autre chose...
Ce volontarisme d'un genre particulier, qui se donne trop aisément pour son contraire, cette manière oblative d'exprimer un souhait (fût-il de dissolution), un désir de "ne pas" (au sens de cette "volonté de néant" et non la "croissance d'un néant de volonté", donc), dissimulent à peine un désir plus fondamental. La nostalgie d'on ne sait trop quel "sentiment océanique" où l'on se fondrait avec langueur au bruissement inchoatif de la vie elle-même, depuis L'homme qui rétrécit à Avatar, en passant par le Grand bleu. Mais quelle que soit sa manière, qui peut donner de bien belles choses, ce vœu de disparition me semble radicalement étranger au "cas" Bartleby. Si on s'avisait de tracer une ligne claire menant de Bartleby au cardinal Melville, on affadirait considérablement la violence du "cas" Bartleby, du côté de l'anecdotique, ou d'un "spleen" prisé par les rock-stars ("how to disappear completely").

Ce qui caractérisait le personnage Bartleby, c'était son effacement "ontologique", si on peut dire, le fait qu'il n'accédait pas même à l'existence personnelle, individuelle ou sociale. Et il n'y avait aucune relève réflexive de ça, d'où la violence (du comique) du récit.
Bartleby n'est pas quelqu'un qui simplement refuse (ou qui par ce refus exprimerait un souhait). Il ne dit ni "oui" ni "non", ou plutôt à la fois "oui" et "non". Sa fameuse formule tient dans cette anomalie, au bord de l'"agrammatical" par laquelle il annonce en même temps une possible préférence et l'impossibilité de cette dernière.Quelque chose d'une psychose et non d'une hystérie. Tout le contraire d'un "laissez-moi disparaître" qu'on imagine facilement théâtral.
Les mimiques de Piccoli (dans la séquence du premier entretien avec le psychanalyste, visible sur dailymotion), qui ne cessent de signifier, à grands renforts de sourcils levés, prunelles apeurées, lèvres crispées et hochements de têtes fébriles, qu'il est "tout perdu", dépassé par les événements, ne sachant plus à quel saint se vouer, ça n'a pas grand chose à voir avec une défaillance inexorable, sans causes ni conditions...

"Le refus, dit-on, est le premier degré de la passivité - mais s'il est délibéré et volontaire, s'il exprime une décision, fût-elle négative, il ne permet pas encore de trancher sur le pouvoir de la conscience, restant au mieux un moi qui refuse. Il est vrai que le refus tend à l'absolu, à une sorte d'inconditionnel: c'est le nœud du refus qui rend sensible l'inexorable "je préfèrerais ne pas (le faire)" de Bartleby l'écrivain, une abstention qui n'a pas eu à être décidée, qui précède toute décision et qui est plus qu'une dénégation, mais plutôt une abdication, la renonciation (jamais prononcée, jamais éclairée) à rien dire - l'autorité d'un dire - ou encore l'abnégation reçue comme l'abandon du moi, le délaissement de l'identité, le refus de soi qui ne se crispe pas sur le refus, mais ouvre à la défaillance, à la perte d'être, à la pensée. "Je ne le ferai pas" aurait encore signifié une détermination énergique, appelant une contradiction énergique. "Je préférerais ne pas..." appartient à l'infini de la patience, ne laissant pas de prise à l'intervention dialectique: nous sommes tombés hors de l'être, dans le champ du dehors où, immobiles, marchent d'un pas égal et lent, vont et viennent les hommes détruits" (Blanchot, L’Écriture du désastre, p. 33-34).


B. n'est pas copiste ou comptable par défaut, comme ces cardinaux désœuvrés qui s'adonnent au volley, et semblent se demander ce qu'il font là. B n'est pas "juste là", il est juste pas là. Il ne pourrait ni faire ceci ni faire cela, et de toute façon n'aurait pas pu faire quoi que ce soit d'autre. Imagine-t-on B. ayant désiré dans le "passé" entrer dans une école de théâtre? Après sa mort, au terme d'une brève enquête, le notaire découvre qu'il fut un temps "préposé aux lettres au rebut", chargé de brûler les courriers égarés qui ne trouveraient jamais leurs destinataires."Homme au rebut", médite l'avoué dans un élan de compassion triste, mais même ça, c'est une interprétation vaine, une tentative de définition en excès sur l'énigme de Bartleby.  Il le pressent et se garde bien de conclure. Tout comme le "problème" posé par Bartleby excède de loin la seule sphère du "travail". L'énoncé pétrifiant de sa préférence pour un "ne pas" n'abrite aucune réserve de préférence pour un "ne pas travailler". Il s'étend progressivement à une désinscription de l'espace physique (ne pas bouger) et au délaissement de ses fonctions vitales (ne pas manger).



Il faudrait se garder, aussi, de faire de B. un "héros deleuzien" dans le sens d'une "vulgate" univoquement vitaliste, un exemple de production de désir au sens de ladite "vulgate": l'insérer dans la "ligne de fuite" d'un "devenir imperceptible" etc, etc. Des choses bien difficiles et obscures qui deviennent un peu, dans les discours très formels qu'on tient en s'y référant ou en s'en réclamant, des figures de rhétorique vidées de leur contenu, des "gimmicks" et des "bidules" vaguement "hédonisants", la morne promotion de "nouveaux styles de vie" s'apparentant davantage à une recette de cuisine livrée chez Drucker par Jean-Pierre Coffe.


Deleuze lui-même, s'il dégage une perspective vitalisante de ce récit de catatonie, insiste tout autant sur la dimension tragique, la figure du "trou noir" et du "neutre" (c'est pour ça que je citais l'allusion à Blanchot). 
Si B. est pour Deleuze une sorte de "prophète", c'est moins du côté de Dionysos que du Crucifié: "pas le malade, mais le médecin d'une Amérique malade, le Medicine-man, le nouveau Christ ou notre frère à tous".


Je ne vois pas tellement que ce cardinal Melville, quelles que soient les vertus dont Moretti le pare en ces temps de crises, pas seulement de vocation, ait un quelconque rapport avec cette figure tragique et christique. Je pressens plutôt, dans ces états d'âme qui donnent un "supplément d'âme", dans cet accès de mélancolie bienvenu - "qui humanise", et dont la presse chante en chœur les louanges, une publicité pour un catholicisme vermoulu. Non pas inespérée, mais déjà à la ramasse. Car bien sûr, rien de bien nouveau: "Dieu, qui se détourne de l'homme, qui se détourne de Dieu, c'est d'abord le sujet de l'Ancien testament. C'est l'histoire de Caïn, la ligne de fuite de Caïn. C'est l'histoire de Jonas: le prophète se reconnaît à ceci, qu'il prend la direction opposée à celle que Dieu lui ordonne, et par là réalise réalise le commandement de Dieu mieux que s'il avait obéi" (Dialogues, p. 52).


On savait déjà que Jean-Paul II rêvait d'être danseur, skieur, ou acteur; et ça boostait un peu le jerk dans les veillées scoutes. Une brisounette de folie "post-punk" gentiment dépressive, plus en phase avec l'après-génération désenchantée, souffle à présent sur le petit théâtre des valeurs éternelles. Les gars du team de la comm disent: "ouais, pas mal, mais on préfère Gaspar Noé. Ou Justin Bieber. A propos, que deviennent les Tokio Hotel?". 




***



mercredi 17 août 2011

Où est la maison de mon ami? (Abbas Kiarostami, 1987)



Dans "Où est la maison..." de Kiarostami (un de ses plus aboutis avec "le passager" et "close-up"), l'enfant est saisi par une obligation éthique insubmersible, qui lui fait braver tous les ordres et interdits du monde des adultes, même s'il s'acquitte avec respect des nombreuses tâches et corvées, tantôt dérisoires tantôt absurdes, que l'on ne cesse de placer sur sa route.

Il croisera à Poshteh un vieux forgeron, qui voudrait bien l'aider mais qui marche bien lentement et tient absolument à lui montrer toutes les portes qu'il a faites dans le village en donnant tous les détails.... "vous marchez lentement, monsieur". - "Oui mais si je ne parle pas, je marcherai plus vite". - "Alors ne parlez pas".

Cette impertinence mêlée de respect donne une certaine allure comique au film, qui peut aussi se voir comme une manière de "polar" au suspense hitchcockien: l'homme d'affaire (concurrent du forgeron), qui prend le cahier pour en arracher une page où il dressera ses comptes. Angoisse: Ahmad va-t-il récupérer le cahier - en partie ou complètement déchiqueté? Puis qui s'en va à toute allure sur son mulet. Ahmad parviendra-t-il à le rejoindre? Mince, voilà qu'il a disparu dans une dénivellation entre deux ruelles. Et la nuit qui tombe. Et Ahmad qui arrive toujours quelques secondes trop tard. Et le chien qui aboie de façon menaçante (incrustation du court-métrage "le pain et la rue"), etc.

Une des ruses du film est également ce regard critique porté sur l'éducation et un certain conservatisme traditionnaliste, ou formaliste: sous couvert d'un film de commande, une propagande à visée éducative, K. remplit le "cahier des charges" en même temps qu'il le contourne, le subvertit - ou plutôt le porte à sa vraie puissance. Il administre bien, en apparence, la leçon de civisme vertueux qu'on attendait de lui, mais pas forcément où on l'attendait. Ou alors, et c'est la générosité de ce film, précisément là où on devrait l'attendre.

L'enfant doit obéir aux adultes, se taire, faire ses devoirs, aider ses parents aux durs labeurs de la ferme, se montrer responsable, discipliné, altruiste, solidaire envers ses camarades, etc, plusieurs de ces recommandations apparaissant dans le film sous forme de "double binds" insolubles, "schizogènes".

Toutes ces tâches vertueuses seront effectivement accomplies par Ahmad, mais pour y parvenir, là est l'ironie profonde, il devra se défaire des règles apprises, qui forment comme un magma indifférencié. Les agencer autrement, les redistribuer, pour dégager les priorités dans des temps non-contradictoires qui ne lui sont pas accordés. Et donc désobéir, afin de mieux obéir.
L'exemple des admonestations de sa mère est frappant: elle lui dit "fais tes devoirs" et dans le même temps "occupe toi de ceci ou cela". Elle ne veut ou ne peut pas entendre non plus qu'un devoir plus important, qui est de rendre un cahier de devoirs à quelqu'un qui ne peut justement pas les faire, est un "devoir" nécessaire qu'il convient de distinguer du droit accessoire "de sortir aller jouer". Et elle élude ce problème par un: "c'est pas ton problème, c'est de sa faute à lui, qu'il en assume les conséquences".

L'instituteur fait pareil dans son registre: il impose ses priorités ou exigences à lui, qui entrent en contradiction avec celles des parents. Quelles que soient les préoccupations des parents (aller chercher le lait, rentrer les moutons, etc), elles sont secondaires par rapport aux priorités qu'il assigne aux enfants. Et les enfants doivent se débrouiller avec ce nœud de contradictions, ce conflit entre deux autorités.

On ne peut pas vraiment dire que la figure de l'instituteur soit rendue sympathique, ni le vieil homme qui remballe durement l"enfant avec ses "je sais pas, je connais pas", ni la dame au balcon qui lui ordonne de lui renvoyer le linge mouillé, ni la dame malade qui ne veut pas bouger de sa porte pour aller contempler ce pantalon énigmatique (mais il l'amène doucement à faire quelques pas, douloureux, le temps que le pantalon ait... disparu), ni le discours du grand-père qui ordonne à Ahmad d'aller chercher des cigarettes alors qu'il n'en a pas besoin (simplement, c'est pour "l'éduquer", invoquant son propre père, qui oubliait une fois sur deux de le récompenser pour ses bonnes actions, mais "n'oubliait jamais de le battre"), ni dans l'ensemble ces figures d'adultes qui n'écoutent pas l'enfant.

A part le vieux forgeron, qui prend son temps (un peu trop par rapport à l'urgence de la mission, certes), qui donne de son corps fatigué, qui parle bcp mais qui écoute, aussi. C'est lui qui dit à l'enfant de prendre la fleur et de la mettre dans son cahier. On l'avait presque oubliée, cette fleur. Elle réapparaît au dernier plan, séchée, entre deux pages du cahier de devoirs, alors que l'instituteur y appose son "satisfecit", n'ayant pas remarqué la manœuvre de dernière minute par laquelle Ahmad glisse le cahier sur le pupitre de Nématzadé. Trace discrète de tous ces aller-retour sur cette route "en z", suggérant peut-être qu'une "transmission" a eu lieu, fragile autant que gratuite, mais autrement plus nécessaire que ces tâches et règlements rigides imposés par l'instituteur pour le "bien" des enfants.

Le cousin de Nématzadé, qui fait lui aussi de la résistance passive: non il n'a pas fait son devoir. Et pourquoi donc? Parce que j'ai mal au dos. C'est tout. Et c'est dit avec une insolence dans le regard (genre: "t'es con ou quoi?") franchement osée et avec un effet comique imparable.


Une ellipse paradoxalement assez violente nous indique que Ahmad, de retour chez lui, a été sévèrement puni par son père: l'enfant pleure, le père mutique tourne le bouton des ondes de la radio, la mère demande à l'enfant de manger, il refuse. La résistance de cet enfant n'est pas vaincue. C'est un héros, un insubordonné. Non pas en raison d'une caractérisation psychologique quelconque, mais parce qu'il est littéralement habité par une loi "objective" ou "universelle" qui le transcende, de l'ordre de l'amour ou de la compassion. Pas l'amour pour "x" ou "y". L'amour comme priorité, le souci pour l'autre plutôt que l'indifférence.

Ce n'est donc pas tant que Ahmad soit "le meilleur ami" de Nematzadé, et que cette affection particulière, ce lien privilégié, constitueraient le mobile de son action. On verserait, si c'était le cas, du côté du sentimentalisme un peu convenu de ces films "sur l'enfance", un éloge de l'amitié de type "spielgui-truffaldien" opposant la complicité des enfants au monde des adultes. Or ce n'est pas le cas ici: on aurait plutôt, je le vois ainsi, un Nematzadé du côté de l'enfance, et un Ahmad du côté des adultes, en un sens plus adulte que les adultes, habité par une responsabilité, une discipline, qui leur font défaut et que pourtant ils enseignent. Obligé d'agir en "adulte" à la place des adultes, envers et contre les adultes. Je vois plutôt Ahmad comme un petit garçon simplement gentil et consciencieux, soucieux des autres. De Nematzadé en l'occurrence parce qu'il est fragile, sans défense, et exposé à une injustice redoutable. Ensuite le fait d'avoir emporté son cahier par inadvertance, le sentiment intolérable de culpabilité découlant de l'issue inévitable de cette méprise, maximalise son sentiment de responsabilité envers autrui, Nematzadé ici, mais ça aurait pu être n'importe qui dans la classe qui se serait retrouvé dans cette situation...


Ahmad n'est pas vraiment un Sisyphe: il trouve la parade, la ruse. Il fait le devoir de son ami. Il ne touche pas au plat que sa mère, tendre finalement, lui apporte; se prostre pour écouter le vent de la nuit, puis reprend ses travaux d'écriture. On devine que ça lui coutera bcp, car il arrivera en retard en classe le lendemain, "alors qu'il n'habite même pas Poshteh".

Il y aurait bien des choses à dire encore sur ce film si simple en apparence, mais aussi opaque, quelque part, comme la nuit qui tombe et donne à la distance entre "Koker" et "Poshteh" une étrangeté inquiétante. J'en retiens aussi une poétique du voyage, sur ces "Holzwege" qui ne menaient peut-être nulle part, ou alors au cœur de la clairière de quelque chose... d'oublié, comme ces anciennes portes du forgeron, dont les fenêtres projettent des hiéroglyphes de lumières sur les murs, remplacées une par une, et dont il aimerait bien savoir ce qu'elle sont devenues.



dimanche 14 août 2011

L'hopital sans fantômes (se moque de la charité)


 
Y a pas mal de moltêtes onctueuses qui bavottent en ce moment sur la toile que le pauv'Lars VT est victime de ses provocs à deux balles et tout ça, et qu'il n'est en outre pas aidé par Breiwik au titre de fan indésirable de dernière minute. Le Lars s'en lamente partout, clamant à qui veut l'entendre que son (assommant) Dogville a bel et bien été une source d'inspiration pour la tuerie d'Utoya.

Mais quand on réfléchit un peu plus loin que le bout de son nez, on ne peut que constater ceci: LVT, un des cinéastes les plus surestimés à avoir éclos, comme Besson, Beineix, Adrian Lyne, Lawrence Kasdan, Léos Carax, Roland Joffé, Gilles Béhat ou Percy Adlon, des ruines chamarrées des eighties tels des pissenlits fanés; LVT, avec son esthétique en toc (y compris dans son coup publicitaire jadis idiotesque à la Benetton sur le sain retour à l'inesthétique authentiqueuse), son mélange de philo de grand bazar soldé, d'imageries sado-maso sulpiciennes pour fils de bonne famille souciés par la surabondance d'un acné rebelle et œdipianisant en diable, de dissertations fumeuses pour fanzines de collèges jésuites sur le bien, le mal, jésus, l'amour fou, les cloches de Pâques, le bondage et le fist-fucking, puis, par contrepied narquois, d'austères installations formelles vaguement "avant-gardistes" ou prétendument "brechtiennes", quoique aussi ringardes qu'un happening scénique improvisé dans le hangar d'une MJC subventionnée par Jack Lang; LVT, la prétention outrageusement ridicule de ses "messages" dont la profondeur percutante a sans doute délivré bien des cancres paresseux de la mononucléose; son kitsch "assumé" comme le susurrent sans rire ceux qui confondent "compositions picturales" et "croutes hallucinogènes"- n'ayant visiblement connu ni les pubs martini-dry des avant-programmes UGC, ni l'époque magique où on accrochait fièrement au dessus de son lit un chromo pailleté d'or de "Léda et le cygne", avec le rétro-éclairage bleu fluo à côté du guéridon (et ce sont les mêmes esthètes du moche qui se tirlipotent le zgeg en trouvant ensorcelantes et délicieusement perverses les pyrotechnies pompières des Aronovsky, Kounen et autres Noé); bref, LVT donc, ne sait plus quoi inventer pour qu'on s'intéresse encore à lui.

La conf de Cannes dénotait déjà un manque navrant d'inventivité dans la volonté de déranger à tout prix le conformisme bourgeois de quelques grabataires lapant la soupe tiède à l'hospice à l'heure de feu Horst Tappert. Mais à propos de Breiwik, point n'est besoin d'être grand clerc pour repérer, dans les déclarations de cet inintéressant Frégoli de la vacuité cinématographique multicartes, une nième tentative immature pour auréoler son "Œuvre" d'un hypothétique parfum de scandale, du prestige du gars pas fréquentable, inestimable et inconfortable trublion qui électrocute nos "bienpensances" et tout le saint falbala, rhzz.

Ben oui, c'est bien du malheur, je savais que j'étais un grand Maître, un Danube, un cador, un phare éclairant son temps, mais pas au point d'imaginer qu'un détraqué s'inspirerait de mon travail pour commettre cette atrocité, oh là là, oh là là. Vous comprenez, c'est la marque des génies visionnaires, Kubrick et son orange, Hitch et son psychotique, et c'est ben dur à porter, c'te croix, rhoo; alors là terminé, je donne plus d'interview. Si Malick peut le faire, je peux le faire aussi. Et n'insistez-pas! Je veux qu'on me fiche la paix, c'est compris? Je relève de rubéole et de troubles bipolaires, et si on m'embête un peu trop, attention, je peux y retourner et y puiser la matière d'au moins 5 nouveaux films sublimes à couper le souffle. A bon entendeur.



Oui. Mais pour ça, faut un peu de talent, je sais pas moi, raconter des trucs un chouia intéressants, y compris dans les interviews-promos, et filmer un soufflé farci tous les 15 ans uniquement, le reste de ses loisirs étant consacré à observer à la jumelle des grues cendrées et des fauvettes du Jutland, hein.

Alors ok, on nous ressort déjà la formule rabâchée qu'on applique systématiquement à toutes les marques et à toutes les formes de camemberts existants: LVT, "on adore ou on déteste, mais en tout cas il ne laisse jamais indifférent". Tututut. Je ne déteste ni n'adore les films de LVT, allons; je suis même en mesure de confirmer qu'ils m'ont tous passionné autant que de "passer une soirée à manger des moules mayonnaise tièdes dans un resto-route en compagnie de Jean-Claude Bourret qui vous explique les montants compensatoires", comme dirait Desproges. C'est d'ailleurs pour ça que je surjoue un peu dans l'exercice fastidieux d'en dégager les grandes lignes de force...



Y en a une, par contre, qui n’a pas besoin de déployer la grosse artillerie pour occuper les feux de la rampe, c’est K. Bigelow.
Eh oui, souvenez-vous, magnifique, formidable : l’ex-fane de Susan Sontag devenue la Sarah Connors protéinée du patriot act, le muscle sec comme une trique, une cheerleader qu’a d’la poigne, une gââgneuse, une que quand tu crois que c’est fini, paf, ça repart à l’attaque, comme disait Depardieu dans les valseuses. Bigelow, cinéaste-phénoménologue de la guerre, oscarisée, artiste indépendante et désormais iconographe officielle du Pentagone.
Le prochain film choc de notre va-t-en-guerre fascinée par la virilo-burnitude, provisoirement et sobrement intitulé "Kill Bin Laden", s’annonce au moins aussi super défoulant et super galvanisant que son Démineurs. Aux avant-postes de la nouvelle-ancienne croisade civilisationnelle du gars Martel. Faster, Pussycat! Kill! Kill! Et dire qu’on stigmatise les videogames à la "call of duty », alors qu'avec ou sans fps ça fait beau jeu que la modern warfare n'a pas eu lieu, comme dirait Dridri.


C'est le médiatique Breiwik qui va exulter dans sa cellule capitonnée. L'exigera sûrement que Bigelow soit nommée conseillère stratégique dans son ministère de l'armée. Alors Lars VT, je m'excuse, ça fait un peu chochotte à côté avec ses préciosités de vierge neurasthénique effarouchée.




vendredi 11 mars 2011

The social network (Fincher, 2010)



Je me demande pourquoi j'ai loué ce film.
Bon, j'essaie de me tenir vaguement au courant de l'actualité cinématographique de l'année passée. Déjà que ça fait 10 ans environ que je ne vais plus au cinéma. Pour plusieurs raisons que j'ai déjà exposées ça et là dans ce blog. Et qu'il me plaira de redire, en passant. Il n'y a là dedans ni militantisme ni posture. Pour militer, et pour posturer - ce sont deux choses différentes, et je veille toujours à bien les séparer dans mon esprit -, il faut déjà être en quelque façon connecté au monde. Enfin, connecté d'une façon qui implique de façon assez régulière une présence physique (y compris virtuelle) au milieu des autres. Plus simplement dit, il faut disposer d'un environnement, avec lequel on peut inter-agir C'est évidemment plus compliqué que ça, cette idée de connexion. Moi, par exemple, je m'estime connecté au monde, aux autres. A l'intérieur d'une solitude à peu près totale. Mais connecté quand-même. Impliqué dans l'action-réaction, l'inter-subjectivité comme on dit. Et l'exerçant à mon endroit, déjà. Car on est toujours toute une foule dans sa tête, de toute façon. On n'y échappe pas. Je ne prétends d'ailleurs pas y échapper.

Le mois passé, je me suis acheté un gsm à 30 euros, parce que la batterie de l'ancien (reçu il y a 5 ans par colis postal, cadeau émouvant d'une amie virtuelle du net) était usée. Dans l'enthousiasme où m'avait mis l'acquisition de cet objet, j'avais à l'époque communiqué mon n° à trois ou quatre personnes, que j'ai depuis perdues de vue. Aujourd'hui, s'il m'est nécessaire de posséder un gsm, ne serait-ce que pour recevoir à tout moment une nouvelle tragique importante, comme un décès, ou une convocation à un examen d'embauche, c'est surtout, au quotidien, pour la fonction "horloge", qui est assez smart. 
Bien que tout au bas de la gamme, ce gsm dispose d'une batterie d'une grande autonomie: en mode veille, il peut facilement tenir une semaine sans être rechargé. Donc, à tout moment, je peux consulter l'heure, et la date. Je ne m'en sépare pour ainsi dire jamais. J'avais fini par me lasser de porter un bracelet montre. Je trouve plus "événementiel" de sortir son gsm de sa poche pour consulter l'heure. J'ai ainsi l'impression qu'il se passe quelque chose.
La sonnerie du réveil intégré est efficace, aussi. Si on doit partir en voyage, par exemple. Je me demande si je vais partir bientôt en voyage.

Question vie sociale, ça va, y a pas à se plaindre. De ci de là, j'ai des opportunités de faire un peu de conversation avec mes contemporains.
Par exemple, il y a deux mois de ça, et bien, je me promenais du côté de la rue Grétry, avec l'intention d'aller visiter le Saturn. J'adore ce genre de grande surface. Essayer les casques hi-fi, tout ça. Soudain, alors que je marchais d'un pas alerte sous un fort vent contraire, me prend l'envie de me passer un coup de peigne. Je garde toujours un petit peigne en bakélite dans la poche droite de mon pantalon. Histoire d'être présentable, et parce que je me passe de moins en moins la tignasse sous la tondeuse. Mais j'avais oublié mon peigne.
Donc, je décide de passer au Delhaize, qui était sur le chemin. Manque de bol, c'était l'heure d'affluence aux caisses, une file de l'autre monde, partout. Bref, j'avise poliment, et au hasard, une demoiselle à la mise stricte, look "assistante sociale", qui attendait avec son caddy rempli à ras bord. Plus pour avoir l'occasion de parler qu'autre chose, car ça ne me gêne en rien d'attendre aux caisses, en général. Ce jour-là, j'étais de bonne humeur, et j'avais envie de la partager. Je lui demande:
"pardon, mademoiselle, est-ce que ça vous dérange si je passe devant vous? Je n'ai que ça".
Je lui montre mon futur nouveau peigne avec un petit sourire emprunt d'une auto-dérision irrésistible - du moins je le supposais. Je me trompais lourdement, car elle me répondit d'un ton glacé:
"Oui, ça me dérange".
J'étais assez déçu, ma foi. Non tant que je tenais à tout prix à passer devant son caddy rempli à ras bord, mais plutôt parce que l'occasion d'exercer la fonction phatique avec mes contemporains était manifestement compromise. Je bredouillai quelque excuse, et me tins donc coi, le peigne baissé, sans rien laisser paraître de cette menue contrariété.
La demoiselle crut cependant bon d'ajouter, sans se retourner et comme pour elle-même, mais assez distinctement pour que je n'en perde pas une miette:
"je ne vois pas pourquoi il faudrait constamment laisser passer les gens devant soi, sous prétexte qu'il n'ont qu'un article. Quand on fait ses courses, on fait la file. Une file, c'est une file, chacun attend son tour. Il y en a toujours qui ne veulent pas respecter les règles".
Je ne pus m'empêcher d'exercer à nouveau la fonction phatique, même si ce "monolinguisme de l'autre" avait une portée philosophique plus générale, dépassant le cadre de mon petit égo situé:
"Oh, et bien vous savez, ce n'est pas bien grave. Il m'arrive régulièrement de proposer spontanément à des personnes, qui n'ont que quelques articles, de passer devant moi quand mon caddy est chargé. Mais si vous estimez que ma requête est déplacée, n'en parlons plus, c'est aussi bien comme ça, nous n'allons pas en faire un fromage si vous le voulez bien."
"Je n'en fais pas un fromage, monsieur. Maintenant, peut-être que vous estimez, vous, que votre requête est fondée, mais pour moi, elle ne l'est pas, c'est tout".
"Puisque vous avez la gentillesse de me poser la question, mademoiselle, je vous dirais que j'estime que ma requête est en effet fondée, mais je ne voudrais pas vous déranger davantage en tentant de vous le démontrer".
"Et bien je vous en prie, monsieur, puisque vous estimez que votre requête est fondée, passez devant moi, ne vous gênez pas surtout, allez-y, puisque vous semblez tant y tenir, et que, visiblement, vous êtes très pressé".
"En effet, je suis très pressé, je vous l'avoue, mademoiselle. Je vais donc passer devant et je vous remercie de me le proposer très gentiment".
Je passe devant. Elle est comme qui dirait livide, et se tourne d'un air exaspéré vers une dame qui entretemps s'est placée derrière elle, pour la prendre à témoin de ma goujaterie. La dame ne réagit pas, elle n'a pas suivi l'affaire. Elle regarde ailleurs d'un œil terne. Je n'ajoute plus rien, mais j'entame dans ma tête un dialogue socratique étincelant, dans un monde mental où l'on se passionne pour la quête de la vérité.

Voilà pour la fonction phatique, que j'exerce avec pondération, car comme toute bonne chose, il convient de ne pas en abuser.

Je disais, plus haut, que je n'allais plus au cinéma. C'est vrai que c'est cher, une place de cinéma. Je préfère louer des dvds (deux + un gratuit, pour à peu près la moitié du prix d'une séance). Mais surtout, les séances sont pratiquées à des heures indues, compte tenu de mon métabolisme. Généralement, quand je me fais une petite séance dvd, c'est passé minuit. Avant, c'est pas la peine, je m'endors après 20 minutes, malgré tous mes efforts. Puis avant minuit, y a trop de bruit dans mon immeuble. J'ai besoin de calme et de concentration. Quand tous mes voisins dorment, ou à peu près, du sommeil du juste, je prends mon casque et je m'installe confortablement dans mon fauteuil vert-bouteille-à-trainées-noirâtres. C'est le grand moment de la journée. Celui où je quitte provisoirement un état semi neuro-végétatif, qui a aussi son charme, à bien y penser.


Alors, "the social network".

On nous dit que voilà un "film générationnel". Peut-être. Comme l'était "Ferris Bueller", à l'heure où je ne me sentais déjà plus concerné par la nouvelle génération, ou comme "la fureur de vivre", à l'heure où j'arrivais trop tard pour me sentir concerné par la précédente.
Abstraction faite de la problématique des générations, on murmure également que c'est un film où beaucoup de monde est susceptible, sinon de se reconnaître, du moins de se sentir concerné. Je sais pas. Je veux bien concevoir qu'on puisse se sentir concerné si on est inscrit à l'Université de Harvard, ou si on veut entrer dans une "fraternité" quelconque, de bonne tenue. Mais un film générationnel qui concerne un mode d'existence et de préoccupation circonscrit à quelques pâtés de maisons dans un quartier select, j'ai du mal à me sentir concerné. Mais ça, c'est pas encore trop grave, ça n'empêche pas l'empathie. J'aime, quand je regarde un film, exercer ma faculté d'empathie en me plongeant, spectateur, dans des mondes que je ne fréquente pas, c'est-à-dire dans des mondes, donc.

Qu'ajouter d'autre à propos de ce film totalement inintéressant, sauf si on souhaite passer un test de Q.I.sans se rendre dans un centre P.M.S., en tentant de suivre les conversations speedées et supérieurement intelligentes de quelques types qui eux-mêmes ne s'intéressent absolument à rien, même pas à l'informatique (ce ne sont donc pas des "geeks", car un "geek", ça s'intéresse, au minimum)?
Pas grand chose.
On aura remarqué que, sur mon blog, déjà, il n'y a aucun lien pointant vers un site ou un forum quelconques. Alors, un "réseau social" (c'est comme ça que ça s'appelle, par goût du paradoxe), du genre "facebook" "myspace", "twitter", c'est dire.
N'allez pas imaginer que je sois asocial, ou gravement menacé d'autisme. C'est tout le contraire: je suis hyper-sociable, anormalement sociable même. Est-ce ma faute, si le monde qu'on dit social est profondément, de pied en cap, a-social, sans connexions, clos, si la communication ne communique absolument rien, ni à quiconque? C'est bien simple, je suis tellement avide, douloureusement avide de lien social (sans motif, désintéressé) et de communication (essentielle, vitale, même dans le phatique) avec mes contemporains, que je commence à sérieusement me demander si je serai embauché un jour dans une entreprise de communication autiste. A titre de personne "ressource".