(03:52:57) (879094): "après, il est clair
pour moi qu'il a raison, et que les belles idées de Rancière gonflent le
narcissisme petit-bourgeois qui se trouve à bon compte des raisons de rejeter
l'exigence d'établir des hiérarchies dans le sensible" ----> C'est
quand même extraordinaire de ne pas comprendre le problème à ce point. Les
analyses de rancière sur le "partage du sensible" n'ont strictement
aucun rapport avec je ne sais quel "rejet de l'exigence d'établir des hiérarchies
dans le sensible". Il s'agit d'un partage, une division du champ social,
que duplique tout une série de discours, de grilles d'analyses, lesquels se
donnent la charge et le savoir "émancipateurs" de libérer le "peuple"
de "l'aliénation", du "consumérisme", de la "passivité
moutonnière", etc etc. Le paradoxe fondamental que rancière ne cesse, lui,
d'analyser, c'est qu'une grande partie de ces discours, qui se veulent
"marxistes" (althusser, debord, bourdieu...)
(03:58:42) (879094): ... sous certains aspects
fondamentaux, dupliquent et consacrent ce partage contre lequel ils luttent, en
"réifiant" leur objet en une quasi identité de "nature".
C'est le problème d'un certain réductionnisme sociologique. Mais pour mieux le
comprendre, la position d'un debord, que rancière analyse longuement, est
exemplaire d'une reprise réductionniste de l'analyse marxiste de l'aliénation,
qui consiste en ceci:
(04:04:55) (879094): L'analyse par debord de ce qu'il est
convenu d'appeler le "consumérisme", qui aliène la ou les
"masses", repose principiellement sur le postulat d'une division
essentielle du champ social: entre les ignorants (le plus grand nombre) et ceux
qui savent (quelques uns, une "élite" catégorielle d'intellectuels),
qui disposent des outils conceptuels pour expliquer à tous ceux qui seraient
"inconscients" des mécanismes de la domination, de l'aliénation, du
capitalisme, etc, comment ils peuvent s'en sortir; s'en libérer....
(04:13:05) (879094): Au principe même de son analyse de la
"société du spectacle", il y a la réactivation de toute une série de
dualismes binaires, actif/passif, conscient/inconscient, sentant/anesthésié,
authentique/inauthentique, appartenant à la vision des "dominants":
en premier lieu l'antique distinction platonicienne entre un ordre du
"sensible" et un ordre de "l'intelligible". Il y a d'un côté
les esclaves, prisonniers, dans la caverne, de l'illusion, du faux, des Images
- qui sont la réalité inversée, et, de l'autre, le penseur, le savant, le
philosophe, se mouvant dans l'intelligible - et qui pense, énonce, pour eux,
est chargé, parce qu'il sait ce qu'ils ne savent pas, de leur expliquer la vérité
intelligible masquée, cachée par le sensible aliénant....
(04:20:46) (879094): La question de l'esthétique, de ce
qu'est le champ esthétique (aesthesis, sensation, plaisir, etc, ET des domaines
d'objets - légitmes ou illégitimes, sérieux ou pas sérieux, disposition active
de la sensiblité ou disposition passive de la consommation de l'objet -) est de
nature politique. Bourdieu le montrait très bien: elle fonde ce fameux
"partage", partage qui est produit par un Savoir dominant, qui est
ici le Savoir de ce que serait l'Art, savoir théorisé comme Champ, par
l'intellectuel: entre le non-art (qui est consommation de
produits/marchandises) et l'art (qui est production active d'une valeur).
(04:24:47) (879094): Dans la théorie du champ esthétique
d'un Adorno, qui s'ancre dans la pensée de W Benjamin sur la perte radicale, déchéance,
chute, de l'Art dans l'âge de la reproduction technique, je vois également, en
ce qui me concerne, cette conception essentiellement religieuse, messianique,
de la Sacralité de l'Art: qui bien sûr est souillée, avilie, abatardie, par une
chute dans le "populaire", ce dont adorno a une sainte horreur.
(04:30:45) (879094): La musique "populaire", qui
n'est que bruit décérébrant, produite par des crétins aliénés, infantilisés, et
bien sûr les compositeurs qui s'entichent du folklore, du bal musette, du
flonflon, des fanfares, du cirque et des tréteaux, le Jazz bien entendu; toutes
formes de mélanges et mixtions d'éléments extérieurs, impurs, batards,
imitatifs. Ce qu'il nomme aussi le "cosmopolitisme", pour décrire la
musique de Gershwin. Bref, des sous-musiques. Au premier chef Stravinsky, un de
ceux qui, suivant l'attachement d'A. à Schoenberg, feraient partie des grands
responsables de l'impurification de la conception d'une musique absolument pure
: "le petit modernsky, qui fait boum-boum sur son petit tambour",
comme l'écrivait Schoenberg. Philosophie de la nouvelle musique,
manifeste fameux d'Adorno, sans doute le texte le plus violemment réactionnaire
écrit sur la musique du XXè siècle, et sous l'égide de la notion de "progrès".
Divisé en deux grandes parties dont les titres énoncent bien l'opposition
binaire: "Schoenberg et le progrès"/ "Stravinsky et la
restauration": tout n'y est dans la seconde (à toutes les pages) que dégradation,
dépravation, détérioration, régression, infantilisme, caricature, dénaturation,
involution, désensibilisation, décadence, psychotisme, hébéphrénisme, etc. Avec
des sections intitulées: "l'orgue de barbarie comme phénomène
primitif" (p.151), "le sacre et la sculpture nègre" (p.153),
"l'identification avec la collectivité" (p.164), "régression
permanente et forme musicale" (p.171), "l'aspect psychotique"
(p.174), ... Le concept-clé: entartete Kunst: art dégénéré. **
Il s'en trouve cependant encore pour "démontrer"
(moyennant quelques ajustements contorsionnistes) la justesse et la lucidité de
sa vision de l'Art, et de sa critique de "l'industrie culturelle"
ayant précipité sa décadence. Témoin ce texte parfaitement délirant et
hallucinant:
http://www.mythe-imaginaire-societe.fr/?p=465
Schoenberg n'en demandait évidemment pas tant, loin de là.
Quant à la musique d'Adorno lui-même, il serait tant qu'on la joue et
l'enregistre davantage. On ne le fait pas trop, sans doute pour respecter son désir
de pureté. La reproduction technique lui répugnait tant qu'il refusa toute sa
vie d'entendre de la musique à la radio ou sur un phono-gramme: perte de
l'Objet musical qui ne peut se saisir que dans la Présence pure
(supra-sensible), la Phonè première chère à Platon. Même simplement "écouter",
il n'aimait pas trop: il préférait lire les partitions. Leur reproduction
sonore étant déjà du côté de la Chute, une pollution, une dégradation par le
bruit de la mimesis, une greffe parasitaire salissant l'expérience intérieure
de l'Idée pure. Tellement pure qu'Adorno élabora le concept de "musique
informelle": pour viser un "athématisme radical" purifiant plus
encore l'atonalité radicale (d'ores et déjà altérée par le dodécaphonisme).
Sa quête honorable fut ainsi celle d'une musique toujours
plus pure, si pure que l'écoute traditionnelle (tympanique) ne pourrait pas même
la saisir physiquement: devant se vivre au dedans de soi, privilège de quelques
savants d'exception formés à la pratique nouvelle de lire ce que personne ne
saurait formellement entendre. Dans un recueillement proche du silence absolu
de cloîtres situés sur des pics montagneux - les plus éloignés des bruits
cacophoniques de la Cité barbare-nihiliste.
Electric Ladyland lui fut en quelque sorte fatal.
Envahi, assiégé par quelques chevelu(e)s débraillés et dépoitraillés et en sa
chaire à Francfort, le brave homme n'en crut ni ses yeux ni ses oreilles,
l'anecdote est connue:
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(04:35:56) (879094): ça pose bien sûr aussi la question de
l'objet musical considéré dans son "essence" comme étant séparé, à la
base, de la contamination du sensible, du plaisir, associés à la Vulgarité: l'hédonisme,
c'est pour les veaux, c'est l'assommoir, les rythmes binaires assourdissants
faisant écho aux masses cognantes des abattoirs de chicago, eux-même associés à
l'extermination industrielle du nazisme...
(04:41:34) (879094): Bourdieu, donc, avait déjà retourné
le problème, en indiquant que le jugement esthétique était en grande partie
fondé sur la distinction sociale qu'il euphémise. La distinction
abstrait/figuratif, distance/immédiateté, atonal/tonal serait à ses yeux dérivée
d'une distinction sociale, opérée par le discours savant et propriétaire de
l'art, entre le distingué et le vulgaire...
(04:55:24) (879094): Rancière opère quant à lui une
"critique de la critique", non pas pour l'abattre, la discréditer,
etc, mais pour en prolonger d'une certaine façon l'exigence en réhabilitant la pensée
de Kant sur l'esthétique (l'objet même de l'attaque de bourdieu). S'attaquant dès
lors à une tendance au réductionnisme sociologique chez Bourdieu. Pour Rancière,
la sphère de l'esthétique n'est justement PAS essentiellement réductible à la
seule division sociale. Mais sans s'y réduire, elle n'est pas à l'inverse
distincte de la question du politique. Ce que Kant montrait dans la 3è Critique
(de la faculté de juger), c'est que l'esthétique est le lieu d'une aspiration
collective à un affect sensible partagé en droit par tous: partagé au sens de
ce qui unit et non au sens de ce qui sépare. On le sait, pour kant, l'affect
esthétique se distingue de l'agrément, qui lui est centré sur la consommation
immédiate de l'objet et ne renvoyant qu'à l'intéressement ou au concernement égoïste
du sujet. L'affect esthétique résulte pour kant de la considération "désinteressée"
d'un objet (naturel ou artefactuel) non-consommable immédiatement, non réductible
à...
(05:00:37) (879094): ... la sphère du Besoin (manger, boire,
dormir, etc). C'est un "plaisir désinteressé", un "universel
sans concept", une "finalité sans fin": c'est pourquoi, dans l'héritage
kantien, la question de l'esthétique est profondément liée à la question du
politique: c'est le lieu et l'enjeu d'un partage possible, d'une universalité
possible qui défait l'autre notion du partage, celle de la division des
classes.
(05:06:54) (879094): Et on sait l'enthousiasme de Kant
pour la révolution française, comme brouillant tous les partages, entre le haut
et le bas. Si Rancière s'intéresse à l'esthétique, c'est justement parce que,
dans l'héritage d'un kantisme universaliste, elle est le lieu qui déplace les
frontières et les partages assignés au champ social. Et là, on revient au problème
de la "consommation", du "spectacle" dans les termes d'un
Debord...
(05:14:59) (879094): Tout le monde aspire à un rapport
esthétique aux objets, à la consommation d'objets symboliques/artefactuels, au
sens exprimé plus haut où c'est la manifestation proprement humaine du désir.
On oublie un peu trop vite que pour Marx lui-même, la visée du projet révolutionnaire
est que l'humanité toute entière puisse se consacrer enfin à la consommation
oisive de tout ce qui est futile, loin du labeur. "Que veut la classe
laborieuse? Elle veut simplement ne plus travailler", disait Lafargue...
Comme la Classe dominante, dont les attributs essentiels sont l'oisiveté, le
plaisir d"aller au "spectacle", au théâtre, au concert, au cinéma,
ou d'écrire des romans, des poésies, des essais, etc etc etc. ***
(05:33:26) (879094): Voilà pourquoi le champ de l'esthétique
a une dimension fondamentalement politique: les loisirs, le pouvoir de se détacher
des contingences, c'est l'objet le plus haut du désir. Alors que le champ de
l'esthétique est le lieu du déplacement des places, assignations, catégories du
champ social, Debord, pour y revenir, nous ramène à l'antique division
platonicienne, aristocratique, entre le Haut (qui atteint le Vrai et le Beau
par la contemplation/theoria de l'Idée pure en laquelle ils se réalisent intégralement)
et le Bas soumis aux déterminations impures du sensible et s'y aliénant.
L'aristocrate, c'est Debord, qui "théorise" le spectacle, la
consommation des images, comme le lieu même du faux, de l'aliénation, de
l'ignorance, de l'illusion, à laquelle il oppose la position "en
surplomb" du Savoir de cette "aliénation". Il faut nécessairement
que l'aspiration à "consommer" (des objets symboliques, virtuels:
consommation qui historiquement a toujours été le privilège des classes
dominantes, aisées) soit un indice de dégradation, d'aliénation,
d'irresponsabilité, etc. Et avant tout l'image inversée de la réalité et du désir...
(05:46:02) (879094): Ce savoir en surplomb, cette position
de maitrise, qui dit où est le Vrai et où est le Faux, où est l'illusion et ou
est la réalité, où est l'action et où est la passivité, qui sait et qui ne sait
pas, consacre la traditionnelle opposition, finalement indépassable, entre une
Elite intellectuelle qui possède les outils de la libération, et la masse
inculte, ignare, qui ne pourrait s'émanciper sans ses Lumières.
En attendant, il faut
bien que le travail soit fait, par ceux qui sont "en bas", afin de
permettre à celui qui est "en haut" - Debord en l'occurrence -
d'avoir tout le loisir de théoriser (contempler, au sens de la Theoria de
platon) le "spectacle" comme triomphe de l'illusion, inversion du
Vrai. De fait, sa posture de "révolutionnaire" consistant à se
retirer de la mesure commune, d'un Monde commun barbotant dans le "consumérisme",
la consommation d'illusions, énonce cette position de dédain aristocratique.
Elle rassembla
(rassemble encore?) une petite minorité éclairée goûtant le frisson délicieux
d'être entrée en "résistance" ("l'internationale
situationniste", cherchant à imiter le mvt dada, et déclinée depuis sous
plusieurs versions rigolotes mais manquant toutes d'humour et d'auto-dérision -
toujours une forme de cénacle de radicaux œuvrant clandestinement à faire
vaciller "l'Ordre dominant", dans des Manifestes lus par 5 pelés et
des Colloques fréquentés par 6 tondues). Bref quelques Outsideurs
s'auto-sacralisant comme les derniers Mohicans lucides contemplant leur propre
image du vrai, depuis laquelle ils observent, de loin, avec leur lucidité
implacable, une Chute, une Dégradation de l'idée du Vrai et du Beau, dans l'idée
de la Masse, comme multitude d'individualités atomisées repliées dans leur
jouissance égoïste et illusoire: le vrai nom de la misère - qui est symbolique.
Brillant diagnostic que Stiegler revivifie avec le succès médiatique qu'on
connaît (et dans son petit séminaire fréquenté par un panel de sectateurs
admiratifs, pire que Raël ou Onfray)...
(05:56:57) (879094): Cette distribution des rôles, dans
une soi-disant lutte marxiste contre l'aliénation (symbolique: par le règne des
"images", et pas tellement réelle: pauvreté, exclusion, qui
souciaient assez peu Debord), entre une avant-garde qui enseigne, émancipe, et
une masse asservie, uniformisée (ou son envers symétrique - atomisée, peu
importe: consumériste), appartient non seulement à une vision datée du champ
social proprement bourgeoise, mais encore est devenue le Discours dominant
lui-même.
C'est ce même discours
que nous servent aujourd'hui à la louche les élites médiatiques, qui n'ont pas
de mots assez durs pour mépriser, conspuer cette masse informe, sans pensée,
anonyme, impropre et inappropriée, qui prétend (sur le net principalement) non
seulement se passer de leur prérogative de "spécialistes"
("laissez-parler les spécialistes"- vous, vous consommez, moi je
pense, je crée, je critique, j'agis, etc"), mais encore les discréditer...
(06:01:43) (879094): La critique de "l'industrie
culturelle", de "la société de consommation", de la "société
du spectacle", etc, est depuis bien longtemps le discours dont se sont
emparés les principaux représentants - passés ou encore présents -, du
Spectacle médiatique ou para-médiatique. Les Onfray, les Finkielkraut, Les
Muray ("l'homo-festivus post-moderne des molles démocraties
modernes"), les BHL, les Bruckner, les Ferry, Les Milner, les Adler, les
Val, les Fourest, les Houellebecq, les Dantec, les Moix, les Zemmour, les
Stalker, les Millet, etc. Obscurantisme; consumérisme; masse moutonnière ou sa
version "postmoderne": "l'individualisme jouisseur", deux
symptômes à peu près identiques d'une même "Ère du vide" (Lipovetsky,
"essai sur l'individualisme contemporain" - y en a qui croient que L.
est "de gauche", je plaisante pas); déclin/défaite de la culture; dégradation
de l'Art, du Sacré; Misère du symbolique, Masses aveugles psychotisées par le
consumérisme (Bernard Stiegler, encore et toujours, montrant enfin son vrai
visage après s'être placé sous les auspices de Derrida, et c'est gratiné);
discrédit jeté sur nous, les Elites. Et qu'on ne s'étonne pas que le monde aille
à vau l'eau! C'est la Civilisation toute entière qui est menacée par les cités
arriérées, où on fait du rap et où on brûle les voitures, pour avoir son écran
plasma, son blackberry. Et regardez moi ces veaux, ces gogos, qui veulent être
chanteurs à la place des chanteurs, danseurs à la place des danseurs, penseurs à
la place des penseurs, etc, etc.
(06:13:22) (879094): Ceci nous ramène aussi à un paradigme
roi: la théorie de l'inconscient, qu'Althusser appliquait à l'analyse de l'Idéologie:
l'asservi, le dominé, le prolétaire, ne sait pas, n'est pas conscient des mécanismes
de la domination qui pèsent sur lui. Il est, là encore, l'esclave enchaîné dans
la caverne, qui pour en sortir a besoin du Savant qui sait pour lui, qui va lui
expliquer. De la même façon que le psychanalyste se signifie, se définit, en
surplomb, dans et par un Savoir de l'Inconscient: celui qui souffre souffre
principalement du fait qu'il ne SAIT pas ce dont il souffre, qu'il n'est pas
conscient des mécanismes qui l'agissent. Et le Psychanalyste est là pour le
faire sortir de cette caverne ténébreuse où il se cogne la tête. De la même
manière, le "prolétaire" ne sait pas ce dont il souffre, il n'a pas
conscience des mécanismes qui l'asservissent: le penseur critique, adorno,
althusser, debord, lipovetsky, finkielkraut, stiegler, vont lui expliquer, vont
émanciper ce petit enfant qui consomme de l'opium pour oublier sa misère....
(06:21:24) (879094): Dupliquant, consacrant, pérennisant
ainsi la division, le partage du monde sensible qu'ils se proposaient de dépasser.
Dans le schème marxiste, le "prolétariat" est censé se supprimer
dialectiquement lui-même, à la fin, cad dans un horizon eschatologique toujours
indéterminé, toujours remis à plus tard: en attendant, le "prolétaire"
doit se vivre et se penser dans les termes du théoricien qui pense pour lui sa
condition. Il doit lutter, le poing levé, au lieu d'aller s'étourdir dans la
consommation, le spectacle, tous les opiums. Le "prolétaire" dit
qu'il n'attend pas l'autorisation de celui qui a la compétence de l'émanciper,
pour s'autoriser lui-même à se prendre pour un chanteur, un danseur? Mais vous
rêvez! C'est pas encore pour aujourd'hui. Lutter, c'est ce que vous devez
faire: le "prolétaire" par définition lutte, défend ses Droits, qui
se résument essentiellement au droit de travailler (en améliorant ses
conditions en travail, en attendant de redevenir le propriétaire de SON Usine -
voir plus bas).
(06:33:27)
(879094): Entre ces deux temps, il n'y a rien - du Vide, un temps de vacance
pour l'étude: le "prolétaire" n'existe dans son "essence",
aux yeux du théoricien du prolétariat, que pour travailler et lutter, lutter et
travailler, sans relâche, à sa libération toujours remise à plus tard. Lutter,
travailler, par l'étude aussi, donc, l'Instruction (sous la férule
empathique, oblative de celui qui s'offre comme manceps pour cette étude).
Etudier, s'instruire pour comprendre.
Comprendre les mécanismes de sa condition, de sa misère. Car bien sûr, par défaut
d'instruction, des outils d'analyse lui permettant de mettre des mots sur sa
condition, sa misère, il ne les comprend pas. Pire: il les voit pas, il veut
pas les voir. Préférant s'étourdir dans les spectacles conçus par les classes
dominantes pour l'empêcher de voir, penser, nommer et analyser ce qu'il vit. Il
est dans l'émotion, dirait un zemmour. Même la psychologie ou autre
science des affects, c'est pas la sienne: c'est la psychologie des masses.
Il a pô les Mots qui sauvent, dirait le psy. Une interminable Cure... Et en
somme il mourra guéri, selon le dernier mot de Fontenelle. Ou libre. C'est
toujours mieux que de vivre à genoux (disent en chœur le révolutionnaire en
Chaire, l'athlète salarié de la faim - des autres -, et la Bonne Sœur bibliothécaire,
amie de la Raison, de ses amis et des "hommes libres" se fréquentant
entre eux, toute de patience (du concept) & de passion oblative pour la misère
du peuple, ourdissant une révolution rationnelle (éliminer les ennemis de la
"Raison") dans les crèches et préaux du Sacré-Cœur ou de la Faculté)...
Eloge vibrant des bonheurs toujours ajournés. L'idée
du bonheur, cette idée très neuve en Europe, est de mise dans l'Avenir. En
attendant, elle est replacée dans une imagerie vieillotte, assez condescendante
et folklorique du "peuple" qu'il doit intérioriser, à laquelle il est
censé s'identifier, par la grâce d'un Guédiguian par exemple: tout cet
humanisme émotionnant des "petites gens", qui ont la main sur le cœur,
entre la petite gayole et le canari, et qui luttent pour LEUR Usine. Parce que
c'est la leur, c'est le lieu paradigmatique de leur condition essentielle: leur
Usine, ils l'aiment. Ah, la "valeur-travail"; le travail étant ce qui
ferait toute la dignité de l'homme - surtout celle du "prolétaire".
Alors y a le mauvais
patron et le bon patron: le mauvais patron, c'est celui qui exploite son petit
monde et se barre en piquant la caisse; et le bon patron, c'est celui qui prend
soin de son brave petit personnel comme un bon père de famille..
(06:36:30) (879094): Entre les deux, y a les Patrons
aussi: ceux qui assignent les places symboliques. Actif/Passif, Créateur/consommateur,
Savant/ignare, Sentant/anesthésié, etc, et qui sont les propriétaires légitimes
des outils autorisant un partage "équitablement" réparti des tâches
et du sensible.
(06:48:04) (879094): Dans l'affaire, le réactionnaire bien
sûr, le bourgeois-bobo, c'est Rancière. Celui qui parle de "spectateurs émancipés".
Parce qu'il dit qu'il n'y a pas de spécialistes-propriétaires, qu'il n'y a pas
ceux qui pensent, savent et sentent pour les autres, à la place des autres, le
schéma vrai de leur "émancipation": celui-là, il faut absolument
montrer que c'est lui l'imposteur, qui raconte des carabistouilles, que c'est
lui le " narcissique petit bourgeois", l'individualiste égoïste. La
"haine de la démocratie", c'est au fond Rancière qui l'incarne. Un
mec de droite, c'est évident, plus encore: un démagogue, un populiste... Je me
demande s'il n'y a pas un peu de Le Pen en lui.... Mais heureusement, il y a
Didier Eribon - "qui a bien raison de dire qu'il est ceci et cela".
Un grand philosophe, lui, et qui sait de quoi il parle, qui connaît son sujet
et le maîtrise à fond, pour le plus grand plaisir de tous, grands et petits.
(06:56:29) (879094): Et y a [encore] plein de fautes,
parce qu'il est tard, et que je tape avec deux doigts. De tout ça, on n'a cessé
de parler, depuis plus d'un an. Ici et là-bas. ça n'a été que le seul motif
d'un différend fondamental.
[C'était déjà cette
contre-attaque prononcée par la corporation de l'ordre psychanalytique faisant
front uni, cette neutralisation par avance de tout déplacement ou démontage de
paradigme, ayant peu ou prou une portée révolutionnaire, qui s'exprimaient vis à
vis de Deleuze quand il s'avisa de redéfinir le désir.
Et c'était aussi, bien sûr, ce qu'il dénonçait quand il
s'en prenait, en 77, aux "nouveaux philosophes", eux-mêmes placés
sous cette bannière du psychanalysme de l'ordre symbolique (la Loi, l'Etat, la
Transcendance du Signifiant, Lacan le nouveau messie, cf "L'ange",
Lardreau/Jambet). BHL ne proclame-t-il pas sans cesse qu'Althusser fut son vrai
Maître? Préfaçant encore tout récemment sa bio: "le fantôme de la rue
d'Ulm".
http://www.bernard-henri-levy.com/le-fantome-de-la-rue-d%E2%80%99ulm-preface-par-bernard-henri-levy-aux-lettres-a-helene-de-louis-althusser-chez-grasset-19278.html
http://www.bernard-henri-levy.com/louis-althusser-2323.html
)
La pensée de Deleuze apparaissait déjà, et apparait encore
au yeux des "fidèles à Althusser", comme synonyme de "fascisme
de la jouissance", "appel au consumérisme", "spontanéisme
festif", etc.
Termes de la Réaction, de la contre-attaque:
- l'anti-oedipe "prouve" l'Oedipe.
- La critique de l'Inconscient "prouve" sa Dénégation.
- Le refus du Signifiant-Maitre (le "nom-du-père/castration
qui a remplacé mon papa et me sépare du nom-de-maman/nature")
"prouve" son Refoulement.
- Son Refoulement "prouve" son Retour: sous
sa forme du Chef fasciste (Lacan tançant les "contestataires":
"C'est un Maitre que vous cherchez -vous l'aurez!")
La boucle est bouclée, cqfd, Emballez-c'est-pesé. T'as pas
été sage - pancucul! Et un rutabage mou. "je voudrais monter un groupe
hippie..." - Pourquoi que tu prononces comme "gros pipi"?
"On" veut liquider le Père, la Loi, l'Ordre
symbolique. C'est l'bordel, ma bonne dame, y a plus d'saisons.
Gérard Mendel dégaine sa "Révolte contre le Père",
L'hétéronyme "Roger Stéphane" aligne son "l'Ordre
contestationnaire". Deux ouvrages encore fort prisés par les Trotskystes
militants enfin reconnus par l'Institution, qui les recommandent
chaleureusement à tous les étudiants qui seraient tentés de contourner les
exigences de la "révolution permanente", tentés par la pente
savonneuse du "principe de plaisir individualiste-bourgeois régressif".
Et "transgressif"! Deleuze, lui, avait déjà rangé la
"transgression" au rayon des accessoires fétichistes pour curetons défroqués.
Sur les Lacaniens:
"Alors on nous objecte des choses très fâcheuses. On nous dit que nous revenons à un vieux culte du plaisir, à un principe de plaisir, ou à une conception de la fête (la révolution sera une fête…). On nous oppose ceux qui sont empêchés de dormir, soit du dedans, soit du dehors, et qui n'en ont ni le pouvoir ni le temps; ou qui n'ont ni le temps ni la culture d'écouter de la musique; ni la faculté de se promener, ni d'entrer en catatonie, sauf à l'hôpital; ou qui sont frappés d'une vieillesse, d'une mort terribles; bref tous ceux qui souffrent: ceux-là ne "manquent" ils de rien? Et surtout on nous objecte qu'en soustrayant le désir au manque et à la loi, nous ne pouvons plus invoquer qu'un état de nature, un désir qui serait réalité naturelle et spontanée. Nous disons tout au contraire: il n'y a de désir qu'agencé ou machiné. Vous ne pouvez pas saisir ou concevoir un désir hors d'un agencement déterminé, sur un plan qui ne préexiste pas, mais qui doit lui-même être construit. Que chacun, groupe ou individu, construise le plan d'immanence où il mène sa vie et son entreprise, c'est la seule affaire importante. Hors de ces conditions, vous manquez en effet de quelque chose, mais vous manquez précisément des conditions qui rendent un désir possible." Dialogues, p. 115, Champs/Flammarion, 1977)
Sur les "nouveaux philosophes":
[...] Ce qui me dégoûte est très simple : les nouveaux philosophes font une martyrologie, le Goulag et les victimes de l'histoire. Ils vivent de cadavres. Ils ont découvert la fonction-témoin, qui ne fait qu'un avec celle d'auteur ou de penseur (voyez le numéro de Playboy : c'est nous les témoins...). Mais il n'y aurait jamais eu de victimes si celles-ci avaient pensé comme eux, ou parlé comme eux. Il a fallu que les victimes pensent et vivent tout autrement pour donner matière à ceux qui pleurent en leur nom, et qui pensent en leur nom, et donnent des leçons en leur nom. Ceux qui risquent leur vie pensent généralement en termes de vie, et pas de mort, d'amertume et de vanité morbide. Les résistants sont plutôt de grands vivants. Jamais on n'a mis quelqu'un en prison pour son impuissance et son pessimisme, au contraire. Du point de vue des nouveaux philosophes, les victimes se sont fait avoir, parce qu'elles n'avaient pas encore compris ce que les nouveaux philosophes ont compris. 5i je faisais partie d'une association, je porterais plainte contre les nouveaux philosophes, qui méprisent un peu trop les habitants du Goulag. [...] (1977)
Dans le même ordre d'idée, les Ténors médiatiques
(toujours les mêmes depuis les 70s, ils n'ont pas changé et sont toujours bien
là, les anciens "nouveaux philosophes" d'hier et de toujours, de
droite ou se disant de gauche, increvables et relayés par de nouveaux disciples
diffusant la Sainte Parole du Signifiant-Maitre et du Consumérisme), font tir
de barrage face aux analyses d'un Rancière: "On voudrait nous faire croire
que tout'l'monde est égaux et que tout se vaut", ou comme variante:
"on nous chante les belles idées généreuses du démocratisme progressiste
vertueux, égalitaire et angélique" (assortis aux redoutables - du côté des
"penseurs" réactionnaires qui occupent le terrain en prétendant
incarner la "Gauche": "on nous vend l'individualisme
consommateur comme réponse aux inégalités sociales", "voilà la ruse
ultime de la pensée réactionnaire pour enterrer définitivement le
socialisme", "on voudrait nous faire croire que la révolution désormais,
c'est de s'abonner à club-loisirs", "on veut nous administrer le
petit plaisir individualiste comme remède à la misère sociale", etc, etc.)
Je disais plus haut:
tout au contraire, Rancière part du constat des inégalités
effectives.
L'égalité, dans les termes de rancière, est le point de départ
non-négociable, et non le point d'arrivée ou la finalité visée: cette égalité
de départ étant précisément ce que les discours prétendument émancipateurs annulent
à la base, principiellement, en dupliquant et consacrant les partages du
sensible dans la série de dualismes dont on a parlé ici.
La "haine de la démocratie", dont parle rancière,
c'est celle qu'expriment les représentants auto-légitimés de l'espace démocratique
(tous ceux qu'on a nommés), bien décidés à continuer d'occuper la scène jusqu'à
extinction des feux de la rampe.
" Le scandale démocratique est déjà perceptible chez Platon. Pour un Athénien bien né, l'idée de la capacité de n'importe qui à gouverner est inadmissible. Mais la démocratie apparaît aussi comme un scandale théorique : le gouvernement du hasard, la négation de toute légitimité soutenant l'exercice du gouvernement. Ce scandale de l'absence de légitimité du pouvoir, il le transpose sur un mode sociologique en représentant la démocratie comme un gigantesque bordel où tout le monde fait ce qu'il veut, les enfants commandent les parents, les élèves font la leçon aux maîtres, les animaux occupent la rue, etc. Tout le bavardage qu'on entend aujourd'hui sur l'individualisme consumériste n'est que l'habillage contemporain de la critique première de la démocratie. " |
(06:59:56) (879094): La question n'étant pas d'avoir
raison ou tort, dans je ne sais quel "débat", je ne sais quelle
"discussion", mais d'essayer d'accorder un peu d'intérêt au déplacement
de certains paradigmes "progressistes" fort datés, censés représenter
les valeurs fédérant une "Union de la gauche" mais dont on peut se
demander si elles ont jamais été de "gauche".
Aujourd'hui, disais-je, c'est surtout la droite libérale
et restauratrice des Elites qui en fait son beurre avec succès. Certains, qui
se pensent farouchement "à gauche" mais qui semblent avoir été congelés
comme Hibernatus dans un "âge d'or de la théorie critique", s'y
cramponnent encore comme à un catéchisme. Ne se rendant apparemment pas bien
compte que la fin de non-recevoir qu'ils opposent de façon véhémente à la
"critique de la critique" de leur paradigme chéri, tout le gratin de
la Droite néocon médiatique la pratique avec une belle "Union" depuis
10 ans au moins. On se croirait presque dans un roman de Philip K Dick,
"Le temps désarticulé", "En attendant l'année derrière",
etc... ]
*** [addendum: mon petit rapprochement - à la hussarde - entre tout ça et "ma" lecture de l’interprétation par Kojève de la PhG de Hegel. Ceci pour indiquer qu'on peut aussi faire se rencontrer "plastiquement" des paradigmes apparemment antinomiques. Kojève étant un peu "the old'father" de Lacan. L'important étant de "construire les problèmes", non d'opposer des dogmes à des dogmes. Aller des penseurs vers les problèmes et non ramener les problèmes à des penseurs.
Cette discussion reconduit aussi selon moi au motif fondamental de la division Maitres/Esclaves, et l'enjeu fondamental de la dialectique "anthropogène" M/E. (Sans bien sûr entrer ici dans le détail de l'analyse de la "dialectique M/E" selon Kojève, sa genèse, ses autres applications possibles, tous les problèmes d'interprétations divergentes que ça pose, etc).
Le travail de l'esclave au service du maître n'ayant que cette fonction essentielle (dans les termes de l'analyse heideggero/marxiste par Kojève de ce schème hégélien): délivrer ce dernier de la dépendance à la nature, cad de la contrainte d'assurer soi-même sa survie, sa subsistance, la satisfaction de ses besoins naturels (se nourrir, se vêtir, s'abriter, etc). C'est la libération de cette contrainte qui rend possible la dissociation entre l'ordre naturel/immédiat du besoin et l'ordre symbolique/médiat du désir. Cette dissociation est produite par le travail forcé qu'accomplit l'esclave au service du maître. Parce qu'il doit "refouler en le sublimant" (dit Kojève) son propre désir de consommation immédiate de l'objet (la "différer", la "remettre à plus tard"), il prépare, façonne, trans-forme le monde naturel en monde d'objets-artefacts destinés à la jouissance du maître. L'esclave crée ainsi le monde artificiel, technique ou dénaturalisé où le maître se meut, monde où est rendue possible la jouissance dissociée du labeur.
Le désir "anthropogène" consiste, dit Kojève, à considérer tout objet sous un angle non-naturel (ou non-chosiste, cad "culturel", ou encore virtuel), indépendamment de la satisfaction que procure sa consommation biologique. Le désir humain consiste à consommer du désir, cad tout objet en tant qu'il est désiré par un autre comme "autre chose qu'une chose", autre chose que l'objet d'un besoin naturel/immédiat (d'où la formule, que reprendra Lacan: le désir est désir du désir [de l'autre]).
Autrement dit encore: la consommation symbolique d'objets désirés justement parce qu'ils sont objets de désir pour un autre indépendamment de la sphère des besoins, c'est précisément le régime esthétique dont Kant parlait.
Aussi tout l'enjeu, tout le motif politiques et économiques, disais-je, de la dialectique M/E, qui est une "lutte à mort" (- lutte des classes, entre la classe des M. et la classe des E. -), pour la reconnaissance de soi, par l'autre, comme sujet de Désir, est - pour les Esclaves - de se réapproprier les Objets de consommation symbolique/esthétique qu'ils ont eux-mêmes créés (pour la Jouissance oisive des Maîtres) et les Outils conçus pour produire ces Objets. Réappropriation de ce dont la classe des maîtres s'est assurée la prérogative et l'ensemble des privilèges. Ainsi, ce que Rancière nomme le partage du sensible dans le champ de l'esthétique (dans les termes définis par Kant: plaisir désintéressé, etc) est la visée la plus haute de cette lutte, de cette révolution à la fois politique et économique. "Nécessairement sanglante", disait Kojève, car la classe des maîtres n'entend pas céder sur cette prérogative. Il faut la lui arracher de force, s'en autoriser sans son autorisation.
C'est pourquoi la classe des Maîtres [incluant ce que Bourdieu nommait la "fraction dominée de la classe dominante": celle qui possède le capital "symbolique"] a tout intérêt à neutraliser la dimension proprement politique d'une telle lutte, en brandissant le schéma explicatif convenu, et rassurant pour elle: "individualisme consumériste", "égoïsme narcissique d'aspirants petits bourgeois jouisseurs", "dérive totalitaire de l'illusion égalitaire entretenue par le capitalisme marchand", etc, etc. Ce qui, en somme, est la façon la plus rusée, retorse, de bien verrouiller le champ économique & social. Y compris, dans le champ de la transmission salariée des Savoirs, chez ceux qui, en signifiant/constituant leur Objet de savoir, se signifient eux-mêmes comme les propriétaires légitimes et privés: à la fois du Savoir de leur Objet et de l'Objet constitué par leur Savoir.
[Car bien sûr: dans un subtil tour de passe-passe qui ressemble assez bien à une instrumentalisation de la misère la plus partagée, une prise d'otages, vous serez très facilement taxé de "réactionnaire", de "collabo", de "valet du système", d'hédoniste irresponsable, égotiste, voire tout simplement fascisant, si vous contestez les théories critiques de la domination désormais les plus dominantes et les plus partagées par "l'intelligentsia" (sous sa forme disons plus sérieuse, universitaire, institutionnelle, moins "médiatique"); si vous contestez, en somme, un ordre (quelconque) de professionnels, de spécialistes, de savants, d’éducateurs, de psys, qui se signifient dans la hiérarchie du social comme les propriétaires légitimes et légitimés d'une discipline, qu'elle soit sociologique, éducative, pédagogique, médicale, psychiatrique, artistique, philosophique, etc, en signifiant/objectivant leur objet d'étude. La propriété de ces disciplines appartenant à leurs légitimes bénéficiaires, selon la formule consacrée, est ainsi inséparable des clivages ou partages concrets du social qu'ils redoublent nécessairement et indéfiniment. La constitution du domaine d'étude spécialisé (en sciences humaines, mais pas que...) réitérant la schize entre l'objet étudié, un sensible qui ne sait pas, ne sent pas, et le savant, un intelligible qui sait et qui sent pour lui.
C'est pourquoi, si la "philosophie" a un sens et une spécificité, pour Rancière, c'est au sens, toujours partagé, transversal, a-disciplinaire, d'un déplacement continu des partages. Les partages sont consacrés par la norme des savoirs comme séparation inégalisante entre l'aesthesis passive et le concept actif. Il s'agit alors de restituer un autre partage, strictement égalitaire, d'un affect esthétique indécis quant à sa norme, sa délimitation ou son territoire. Le cinéma est pour Rancière un lieu d'exercice de cet autre partage du sensible.
Comprendre le sens fondamentalement politique de ce qui est nommé ici jouissance esthétique des objets, c'est comprendre le sens fondamentalement politique de la division économique & sociale. C'est comprendre que les conflits sociaux, la domination et l'exclusion économiques, ont une explication politique plutôt que l'inverse (le social et l'économique comme explication des conflits politiques). Le discours dominant, de ceux qui dominent, y compris celui d'une gauche qui ne voit pas (ou n'a pas pas envie de voir) qu'elle est à droite, se reconnaît précisément au fait qu'il privilégie cette lecture inverse: expliquer les conflits politico-économiques en termes strictement sociaux, subordonner l'économique au social (sociologisme), ou le social à l'économique (économisme), plutôt que relier les deux ensemble au politique. Ce qui l'autorise à réduire le politique à sa seule dimension sociale, autrement dit essentialiser les positions sociales là où il est devrait justement être question de leur "désassignation". ]
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