Bien chers tous.
De retour après une assez longue absence méritée. Et merci pour ce plébiscite.
Quoi de neuf, sinon?
Ces derniers jours, j'ai cassé ma
tirelire où deux larfeuilles de 100 euros longuement économisés me brûlaient
les doigts et quémandaient leur consomption.
Alors, me suis-je dit, à quoi
pourrais-je bien consacrer cette dépense de pure jouissance? J'avais déjà tout,
j'étais un homme comblé, heureux. Un lecteur mp3, divers casques et oreillettes
de factures décentes, aux propriétés d'isolation phonique vitales pour moi
(because of saloperie de voisinage: chronique imminente sur ce sujet). Des
disques durs remplis à craquer de super-films en attente. De bons livres. De la
bonne zique. Bref, tout ce qui peut contribuer au bonheur terrestre et
supraterrestre.
Mais avais-je vraiment tout? N'y avait-il point quelque chose qui me manquait, de façon lancinante?
Souvenez-vous, j'ai souvent parlé de mon vieil écran sony pal trinitron 55 cm de diagonale, auquel je voue pour ainsi dire un culte. De presque 20 ans d'âge. Seulement voilà. Sa connectique se limitant à une péritel et à une entrée rca jaune, souffrait depuis quelques temps déjà de probs de faux contacts. Il fallait que je passe au moins 10 minutes avant chaque séance à tenter de trouver la bonne manière de maintenir la fiche, à l'aide d'une gomme pour la soutenir et la bloquer. ça me rendait complètement zinzin. Puis souvent, l'image disparaissait en plein film et je devais tout recommencer.
Donc oui, une ombre pernicieuse voilait mon plaisir d'être-au-monde.
C'est alors que je conçus ce désir brillant. M'acheter un bon écran d'ordi. J'avais depuis 6 ans un écran flatron de 19 pouces (4/3 donc). Qui m'assurait certes quelque satisfaction, mais dans la limite de sa conception. Vous savez en effet que les traditionnelles dalles d'ordi (TN) pâtissent d'un défaut rédhibitoire: l'angle de vision très limité, qui fait que si vous changez de position, l'écran s'assombrit sur le bas; vous devez rester planté comme un piquet à minerve, si vous tentez de retoucher des images, par ex. Sans parler des couleurs, qui sont faussées, et tout ça.
J'investigue sur le net, et je découvre la nouvelle génération d'écrans d'ordi à prix démacrotique pourvus d'une dalle IPS. Pour celles et ceux qui ignoreraient encore de le savoir, les dalles IPS offrent un angle de vision beaucoup plus ouvert (178, voire 180°). Et je me dirige sur un modèle, toujours flatron, IPS et avec couleurs justes certifiées et calibrées en usine, d'une marque que j'apprécie mais dont je ne citerai que les initiales de début et de fin, afin de ne pas faire de la publicité gratuite (même si, vous le savez aussi, je suis doué pour la vente d'objets techniques et non techniques de la vie usuelle): L. et G.
A rétro-éclairage led. Et de 23 pouces. Soit une diagonale qui surclasse tant ma vieille télé que mon presque vieil écran d'ordi. Avec 23 pouces, vous êtes ferré. Vous pouvez enfin apprécier les films en scope ou en 16/9, sans pan & scaner. De toute façon, sur mon vieux sony, je pouvais pas pan & scaner, et je mirais les films en 16/9 sur un rectangle rikiki flanqué de deux barres noires gigantesques.
Je me précipite donc, à couilles rabattues et le palpitant battant la breloque d'excitation (un poil asthmatiforme) au supermarché de l'électronique du centre-ville. Et je ressors vainqueur, serrant dans mes mains fébriles l'objet de mon brûlant désir.
Alors, qu'en dire? C'est tout simplement magnifique, et les mots sont impuissants. La dalle IPS tient toutes ses promesses, la résolution impec, les couleurs sont tellement justes que j'ai enfin compris pq mes captures d'img étaient nases. Je redécouvre littéralement le monde. Puisque mon écran d'ordi est quasi ma seule fenêtre sur le dit monde.
Et les films. Je redécouvre les
films, comme jamais je n'eus pu soupçonner qu'ils pussent s'offrir à mes
pupilles fascinées.
C'est bien simple, l'angle de vision est tellement ouvert que je peux m'installer tranquillos dans mon vieux fauteuil pour mater les films. C'est une révolution, non copernicienne certes (quoique), qui bouleverse tant mes habitudes que j'ai l'impression de changer de mode d'existence.
Voilà à quoi j'ai passé mon temps ces derniers jours. Et c'est avec plaisir que je reviens vous lire, l'esprit un peu moins moins accaparé par la magnificence de cet nouvel objet, ludique, instructif, et pas chiant.
Quant au mythe fameux, et
persistant (cultivé par une certaine sphère "cinéphile-puriste"), du Format,
du Grand format, en dehors duquel tout est usuellement rikiki, j'en ai souvent
débattu. Mais je me sens obligé, de cette nécessité impérieuse qui commande,
comme dab, toute entreprise inutile et d'un intérêt erratique, d'en rajouter
une petite couche.
En réalité et en vérité, que ne
le note-t-on plus souvent, dès lors qu'on dispose d'un bon écran, bien calibré,
et doté d'une résolution full HD, il importe peu que ce soit un écran géant,
comme on dit: face à un écran géant, le spectateur va rechercher la bonne
distance, celle qui lui convient, pour embrasser ce qu'il voit d'un regard
synoptique, ni trop près, ni trop loin. Comme dans une salle. Dans une salle,
si l'écran était gigantesque, je choisissais toujours une place située dans le
dernier tiers des gradins, parce que c'était, pour moi, la distance en deçà de
laquelle mes yeux se perdaient dans la grandeur de l'écran et ne pouvaient
"synthétiser" l'information qu'ils en recevaient.
Simple petit test: quand vous regardez un écran, tv, ordi, ou dans un cinéma, placez vos mains verticalement et latéralement, de part et d'autre de vos tempes, jusqu'à la limite du champ de vision que vous avez de cet écran, et à la distance que vous avez choisie: celle qui vous est la plus confortable pour une vision à la fois détaillée et synoptique. C'est ça, votre angle de vision en question. Mesurez-le, en cm, horizontalement et en diagonale, et vous verrez que vous tendez, plus ou moins machinalement, à rechercher cet angle là (chez moi, +- 20 cm). Et en conséquence, à établir entre l'écran et vous une distance déterminée, variable en fonction de la taille de cet écran, qui vous permettra de retrouver ledit angle. Quelle que soit la taille de l'écran. Chez soi ou en salle.
C'est pourquoi, mes zamès, cette
affaire de "Format", le fameux format dit originaire en deçà duquel
on ne verrait plus un film, selon Godard lui-même, mais une "carte
postale" du film, si elle avait sa pertinence du temps des écrans
cathodiques chiches en résolution (et du choix exclusif de ne voir un film que
diffusé par la télé, dans une copie plus ou moins pourrave, doublé et haché de
pubs), n'a plus guère de sens, et peut être rangée une fois pour toutes dans le
domaine des arlésiennes et des spéculations vaines contribuant à déboiser
l'Amazonie.
Notons-le, just in case: par
format j'entend ici dimension de l'écran, et non, bien évidemment, Ratio
- 4/3, 16/9, etc -, cadre de vision voulu par le cinéaste, qui ne dépend pas de
moi, même si, en fonction de ce ratio imposé, je choisis, moi, telle ou telle
distance de regard la mieux adaptée à ma saisie synoptique.
La lumière (ou image-lumière)
projetée sur ou devant une toile-écran n'est pas en soi plus "juste",
ou "vraie", ou "naturelle", etc, qu'un rétro-éclairage, et
partant ne détermine pas plus la nature d'une image cinématographique. Ce n'est
pas parce que le cinéma est né techniquement de cette façon, comme projection
de lumière sur un écran-toile, en fonction des contraintes et limitations spécifiques
imposées par la technologie de l'époque, que c'est cette technique qui définit,
une fois pour toutes, selon on ne sait trop quelle invariance absolue, une
image cinématographique sous sa forme "matérielle" et
"essentielle".
ça, ça m'amuse beaucoup, par
contre: c'est typiquement le genre de considération fumeuse, s'abritant sous
des considérations "techniques" et invoquant une "empirie"
première, inaltérable, qui en réalité renvoie à un ésotérisme archaïque, sur
l'ombre et la lumière (qu'est-ce qui vient en premier, l'ombre ou la lumière, l’œuf
ou la poule, blablabla), à une métaphysique-théologie ininterrogée de la
Donation, de la Lumière de la Vérité, du Rayon miraculeux, etc etc.
Bien entendu, derrière ce genre
d'assertions parées d'un objectivisme techniciste indiscutable, se cachent des
problèmes empiriques d'une autre nature: la question du privilège, de la ligne
de démarcation, d'une coupure "magique" (comme la Lanterne du même
nom), sociale mais redistribuée dans le champ esthétique, entre ceux qui
auraient accès à cette Lumière, d'origine, et les autres. Entre ceux qui ont un
accès direct, vrai, premier, inaltéré, à la Lumière, et ceux qui n'y ont un accès
que dérivé, faux, succédané, altéré, etc. Entre ceux - et ce genre de discours
fait encore flores dans la "cinéphilie" fondamentaliste et
aristocratique à l'insu de son plein gré - qui seuls ont accès à l'expérience véritable,
authentique, du "cinématographe", et le tout venant, le vulgum pecus
consumériste à qui sont destinés les petits postes de tv, petits postes, petits
écrans, rikiki, mal étalonnés, mal réglés, et qui l'aliènent, bien sûr,
l'hypnotisent, le massifient, lui font tout voir tout petit, le pauvre, l'aliéné,
le passif. Aux uns le soleil, aux autres la caverne; aux uns les tableaux,
grandeur nature, vus comme ils doivent l'être, aux autres les cartes postales.
Aux uns le Concert a la salle Pleyel, aux autre la bouille de mp3, etc, etc.
Il en va de même avec tous ces
discours clé-en-main, prémâchés, corporatistes, ressassés par les "spécialistes",
de la photo, de l'argentique, de la hi-fi authentique du vrai son, etc, qui se
font un devoir sacré de vous rappeler que le "numérique", c'est
quelque part comme le bonheur: l'infini à la portée des caniches, l'horreur,
l'horreur, tout ce qu'on a perdu, du mouvement, de la texture, du grain, de la
voix, de la tessiture, de tout.
Alors que pas du tout, tsss. Allons. Tout ce débat sur le bon vieil analogique réglé à la main, menacé par l'automate digital. Le bon vieil artisan menacé par l'inhumaine et froide technologie. La plume d'oie menacée par Gutenberg. Discours de spécialistes veillant jalousement à leurs prérogatives, à leur domaine de compétence, car ce qui les menace, les terrifie ( tout comme la dispersion des sources du savoir et du discours, par le numérique, menace de délégitimation les Compétents organiques qui craignent pour la pérennité de leurs chapelles et moquent rageusement l'insondable ignorance de tous les anonymes qui s'intronisent, à leur place, journalistes, commentateurs, penseurs, artistes, sociologues, chanteurs, etc.), c'est qu'une des dimensions de la technologie consiste à rendre accessible à un nombre toujours plus inquantifiable les outils que maitrisaient seuls, ou prétendaient maitriser seuls, quelques uns.
Alors que pas du tout, tsss. Allons. Tout ce débat sur le bon vieil analogique réglé à la main, menacé par l'automate digital. Le bon vieil artisan menacé par l'inhumaine et froide technologie. La plume d'oie menacée par Gutenberg. Discours de spécialistes veillant jalousement à leurs prérogatives, à leur domaine de compétence, car ce qui les menace, les terrifie ( tout comme la dispersion des sources du savoir et du discours, par le numérique, menace de délégitimation les Compétents organiques qui craignent pour la pérennité de leurs chapelles et moquent rageusement l'insondable ignorance de tous les anonymes qui s'intronisent, à leur place, journalistes, commentateurs, penseurs, artistes, sociologues, chanteurs, etc.), c'est qu'une des dimensions de la technologie consiste à rendre accessible à un nombre toujours plus inquantifiable les outils que maitrisaient seuls, ou prétendaient maitriser seuls, quelques uns.
Aux uns, gardiens de la Vérité
templière, de la Haute Culture, menacée par la dégradation, la dégénérescence
dans la consommation nivelante de tout ce qui fut le Beau, avant, le Trésor
civilisationnel, de claironner partout que cette Culture décline, car tout le
monde prétend, fantasme, y avoir égalitairement accès, prenant l'ombre pour la
lumière. Cela, ils le claironnent sur le petit écran, édifiant les petits, leur
montrant de quelle hauteur précise descend la lumière de la Vérité, du Savoir
et du Beau, avant de repartir, satisfaits, s'émouvoir sur les grandes toiles,
qui sont à leur bonne dimension, hauteur, de vie, de vue, et de savoir.
Rancière a bien raison de souligner que le partage social renvoie essentiellement au partage esthétique, au partage du sensible, au double sens du mot partage, ce qui divise, et ce qui unit. Preuve en est: est toujours crainte, redoutée quelque part, affectée d'un voile de mépris en sourdine, celui de celui qui Sait (par exemple, qui Sait ce qu'est le cinéma, dans son Essence, sa Praxis et sa Tèchnè, ce qu'est Aimer le cinéma, etc; bref qui en détient la spécialité, la prérogative), l'émancipation du spectateur, à savoir le fait qu'il s'accorde, s'autorise, de consommer, lui aussi, les images, l'imaginaire, sans se sentir tenu de respecter les autorisations, mesures et partitions qui l'assignent à tel lieu, tel espace, tel format réservés...
Rancière a bien raison de souligner que le partage social renvoie essentiellement au partage esthétique, au partage du sensible, au double sens du mot partage, ce qui divise, et ce qui unit. Preuve en est: est toujours crainte, redoutée quelque part, affectée d'un voile de mépris en sourdine, celui de celui qui Sait (par exemple, qui Sait ce qu'est le cinéma, dans son Essence, sa Praxis et sa Tèchnè, ce qu'est Aimer le cinéma, etc; bref qui en détient la spécialité, la prérogative), l'émancipation du spectateur, à savoir le fait qu'il s'accorde, s'autorise, de consommer, lui aussi, les images, l'imaginaire, sans se sentir tenu de respecter les autorisations, mesures et partitions qui l'assignent à tel lieu, tel espace, tel format réservés...
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