Bon. Alors.
Je ne comprends pas la mansuétude critique qui a généralement entouré ce film, d'une absence d'intérêt alarmante.
J'étais parti plein de bonne volonté et tout, sans trop me braquer (d'autant que le générique est assez réussi, en effet, sa musique aussi), mais déjà, en tant que bon connaisseur des histoires de tintin, je ne peux pas ne pas dire qu'il n'y a rien strictement rien de l'univers des albums de Hergé dans ce patchwork fagoté n'importe comment. Pendant tout le métrage, sur ce point, on imagine constamment une équipe de scénaristes réunis en braintrust d'entreprise pour aligner quantité de "raccords" bidons puisant superficiellement dans des tas d'éléments épars des albums, les tricoter en une intrigue à deux balles, arroser le tout d'une espèce de sauce médiane annulant toute forme de saveur, sans parler d'une espèce d'humour calibré-standardisé-fadouille.
Une chose est sûre, l'argument "tintin" est un pur cache-misère. Quel rapport au juste avec Le secret de la licorne et Le trésor de R. le R? Pourquoi ne pas s'être contenté de l'histoire racontée dans ces deux albums, même au prix de moult raccourcis ou montages? On nous présente ça comme une sorte d'hommage truffé de références, mais faudrait ptêt voir à pas trop prendre les cons pour des imbéciles. On nous vante un peu partout l'habileté d'un scénario puisant astucieusement dans les albums, avec des jeux de renvois que les vrais "connaisseurs" apprécieront. Or rien, donc, de l'univers de Hergé, ou de son esprit, ou du concept de ses personnages, encore moins de son style d'humour, n'existe a minima, jamais. Quant aux références, appelons ça des gimmicks publicitaires. Le scénario qui nous est livré est d'une pauvreté affligeante, aux connexions logiques totalement artificielles. Rien n'existe, tout est spielberguisé. Et spielberguisé, on sait un peu ce que ça veut dire: le spielberguisme, c'est l'art du gimmick, du clin d'oeil insistant, tout est dans l'arc-réflexe stimulus-réponse pavlovien. Plus l'anéantissement pur et simple de toute forme de singularité, l'énucléation radicale, à la base, de toute forme de personnage existant, que ce soit de chair et d'os, de caoutchouc, ou de pixel. Spielberg a cette particularité, jamais démentie de film en film, d'infantiliser tout objet dont il s'empare, à un rare degré de bêtise standardisée (proche de l'enfance, pour qui confond "état d'enfance" et "état de bêtise"), d'uniformisation dans le vacuum d'un marshmallow, ou suppositoire, incolores, indolores et insipides, y a plus rien à espérer de ce côté là. Même du coté du Spielberg "dépressif" et "noir", qui n'est guère plus dense si on gratte d'un demi-millimètre derrière le spectacle bien agencé.
Du secret, de la licorne, du fantôme de Haddock, de Moulinsart, du Karaboudjan, il ne subsiste plus rien, pour le redire, et ce n'est pas un mince exploit d'être parvenu à vider à ce point de sa substance le monde de tintin, rendu ici à une bimbeloterie de carte postale qui irrésistiblement fait penser à ce qu'a pu faire Woody Allen dans son imbitable et post-gériatrique Midnight in Paris.
S. aurait adapté le Crasmeustache, ou Gil Jourdan, Ric Hochet, Michel Vaillant, ou Blake & Mortimer, Tif & Tondu, Boule & Bill, Gaston Lagaffe, Spirou & Fantasio, Chaminou et le Khrompire, Les Tuniques bleues, tout ce qu'on veut, le résultat aurait été du pareil au même: du bidon, des persos-prétextes, des décors-prétextes, vidés de toute substance, qui n'existeraient pas davantage, qui ne signaleraient aucun monde, aucun agencement, aucun imaginaire, s'agitant juste en vain dans un squelette d'intrigue inutile, un reader digest expédié ou une sorte de mégaremix, farci de rebondissements, de cascades, de courses-poursuites parfaitement ennuyeux, sans aucune, vraiment aucune espèce d'intérêt. Même le plus mauvais Harry Potter a plus de cachet, de singularité, et les persos plus de consistance, c'est dire.
Prenez par ailleurs un bon film d'action, filmé par un mec qui sait faire ça, prenez, je sais pas, moi, les Jason Bourne de Greengrass, l'action y est au moins intéressante, et c'est ce qu'on est en droit d'attendre. Pourquoi est-elle intéressante, palpitante? Parce qu'on s'intéresse à l'enjeu, au sens de ce qu'on regarde, on est impliqué dans quelque chose qui est de l'ordre du sens, et de la narration. Ce Tintin est rempli d'actions jusqu'à la couenne, mais rien n'a jamais aucun sens: nada, l'ennui, tout y est vu, revu et rerevu mille fois, que du stéréotype. Spielberg ne sait pas raconter et n'a rien à raconter, contrairement à ce que ne cessent de nous dire ses admirateurs: c'est tout sauf un conteur. Il n'a pas de monde.
Bien sûr, c'est du Indiana Jones "survitaminé", pour qui en douterait encore. Cette vieille rengaine marketing que l'on nous vend depuis des décennies: Spielberg a "ressuscité", selon la formule hypnotique devenue méthode Coué, "l'âge d'or" du film d'aventures épique et glamoureux hollywoodien, etc etc, en s'inspirant des aventures de Tintin. Et éventuellement de Philippe de Broca, de ses "tribulations d'un chinois en chine". Dit-on. Dans les milieux cinéphiles autorisés. C'est son foyer secret de sensiblité, ça et l'inénarrable "powésie de l'enfance", bien entendu. Nuts. Indiana Jones... Allez quoi, comme on dit à Bruxelles. Pas de ça, Lisette. Ce rutabaga mou et constamment emmerdifiant, instantanément ringard dès sa sortie. Aimez-vous tant les caramels mous, par la barbe du prophète? Faut vraiment être né, comme dit Deleuze, au milieu du désert, le désert des eighties, pour vouer un culte nostalgique à cette soupasse languissante.
Donc ok, c'est Indiana Jones. Aucun esprit ne souffle ici, jamais. C'est un alignement de séquences blètes, obligatoires, au tarif syndical, après dégraissage de tout ce qui aurait pu présenter un intérêt, même minime. L'humour, par hasard et par malchance? Pitié, c'est mauvais, lourd, même et surtout quand ça se voudrait léger, en clin d’œil. On sent parfaitement que S. et sa team ne comprennent strictement rien à l'humour hergéen, aux persos de Hergé: ils transforment automatiquement tout en mauvais slapstick, dans un faux esprit "britannique" qui n'a rien à faire là.
Tintin est une sorte d'abstract pour Hergé, on le sait, mais les autres, Haddock, les Dupondt, Nestor, ou la Castafiore, etc, ont ceci de particulier qu'ils inventent leur typologie propre. Or, la grossière erreur, la première, celle dans laquelle tomberait tout faiseur sans talent, c'est, comme ici, de les accorder à des stéréotypes préexistants: je ne dis pas les stéréotypes que seraient devenus ces personnages "universellement" connus, à travers le temps et l'espace. Car stéréotypes, il ne le sont jamais devenus, pour les lecteurs qui sont entrés dans cet univers. Ils étaient et sont restés, et c'est là un des mystères de l'art hergéen, des types singuliers, inscrits dans une généalogie singulière, de l'ordre de l'intime, peut-être même du privé, tant le lecteur a investi ces personnages de ses propres agencements généalogiques personnels. D'autant que d'albums en albums, ils changent, contrairement à tintin (et encore, pour lui, ça se discute aussi), ils ne restent pas figés dans leur typologie: ils traversent des crises, des remises en question, etc. Les Dupondt, c'est bien plus que simplement deux policiers rondouillards et passablement idiots. Y a en tout personnage des aventures de tintin comme un rébus, une crypte, je ne reviens pas là-dessus, j'en avais déjà causé là. Ici, que voit-on? Des stéréotypes énucléés, là encore, non seulement de toute leur généalogie (ce qui serait encore excusable, dans la logique d'un scénario "synthétique" - qui ne synthétise rien du tout), mais encore de toute forme d'intensité personnelle.
Le cheminement intérieur de Haddock est concassé menu, par l'idée scénaristique désastreuse de fondre en un seul motif des éléments du Crabe aux pinces d'or et du Secret de la licorne. Le lien à son ancêtre, à son double, ainsi qu'à ceux de Rackham, "réincarné" dans un personnage secondaire falot, Sakharine (avec les traits de Spielberg: ah cet art du clin d’œil baltringue, comme la houpette de tintin devenue aileron de requin et autres friandises pour fans gâtiques. Faut absolument réciter sa filmo, roublardise d'un fétichisme marchand. C'est L'Oreille cassée qu'il aurait dû adapter): autre trouvaille nulle de scénariste soi-disant futé, qui transpose absurdement une gigantomachie des Héroïcs US façon Batman contre le Joker, et se battant à coups de grues-queues de dinosaures sans doute, en hommage à Jurassik Park. Sinon, c'est du sous-sous Pirates des Caraïbes.
Sans oublier le speech de psychologie pour cadres commerciaux qui n'en veulent, asséné par le vieux loup de mer, un monologue admirable sur la lose et la win, face au mur on l'enfonce mon ptit gars, laisse personne dire que t'es un raté. Et pour sûr, le film n'hésite pas à enfoncer tous les murs, par crainte de ne pas divertir son public-cible de 0 à 7 ans. Dernière entourloupe: l'annonce de la poursuite d'une soif "inextinguible" (hohoho) d'aventures pleines d'explosions et de cascades en tous genres, car le véritable trésor est caché, ultime révélation, en pleine mer. Alors que le message profond des deux albums, c'était, déjà: "nous avons cherché de par le monde un trésor qui a toujours été ici, sous nos yeux". Soit une dérision, un trouble, jetés sur la possibilité même d'une aventure, et que parachèveront L'Affaire Tournesol et surtout Les Bijoux de la castafiore, dé(con)structions minutieuses du concept même de "péripétie" ou d'intrigue.
Mais c'est qu'il y a des biffetons à tirer, si possible. J'imagine la suite: L'Etoile mystérieuse, entre le remake de "the thing" et le remake de "poltergeist", quelque chose dans ce goût-là. Une purge. Réalisée par JJ Abrams, qui connaît par cœur les petits trains électriques si merveilleux de papa Noël-Spielguy, au point de les astiquer pieusement et servilement.
Milou ne sert strictement à rien. Dans les albums (où lui aussi évolue), il formait avec Tintin un binôme psychique "fusionnel". Là, voir et entendre Tintin parler à Milou comme un idiot parlerait simplement à son chien, qui de son côté couine de ci de là, c'est juste ridicule. La castafiore est catastrophiquement ratée, et l'Idée scénaristique de son intervention (le rossignol milanais, arme secrète pour briser la vitre incassable abritant la maquette), non pas "ingénieuse" mais bête à pleurer. Etc etc.
Le tout plombé, faut-il s'étonner (pardon Gertrud), par l'assommante partition musicale de John Williams, inséparable compagnon de route de Spielberg en matière de concassage d'ambiance dans d'insipides cascades d'arpèges rebattus, de motifs conditionnés entendus 50.000 fois. Williams étant au son ce que Spielberg est à l'image, et l'union des deux ce que Skinner est à la psychologie causale: synthétisant tout ce qu'il y a de plus pavlovien dans la musak de films hollywoodiens, une véritable scie. Je ne dis pas que J. Williams n'a pas fait un bon score dans sa vie. Je dis juste qu'il en a fait 90% de trop.
L'animation, alors? Même pas. Y a tous les défauts récurrents de l'usine Dreamworks. De jolis décors, ça et là, d'accord. Mais principalement: de l'esbroufe visuelle, de la pyrotechnie, aucune poésie picturale, de la vitesse, aucune densité. Les mouvements corporels des personnages sont toujours aussi bizarrement chaloupés, impuissants à peser dans l'espace. Un gros problème de gestion de la physique, toujours le même depuis les Zemeckis, qui, finalement, s'en sortaient bien mieux, avec des univers plus riches, plus habités (Beowulf). Les expressions faciales motion-capturesques sont toujours aussi limitées, réduites à quelques grimaces stéréotypées. Même le moins bon Pixar (Cars, par exemple, dont je suis pas fan), tout y existe cent fois plus.
Je n'en finirais pas d'énumérer tous les éléments qui font de cette pseudo-aventure-hommage à tintin un petit film convenu, insignifiant, livré du bout des lèvres comme on enfile des perles de verroterie, sans émotion, sans passion, sans esprit.
La seule séquence que j'ai vraiment goûtée: celle concernant le kleptomane. Le gag du portefeuille relié à la veste par l'élastique incassable, puis la visite des Dupondt dans son intérieur aux étagères remplies de portefeuilles. C'était pas mal, ça. Mais là encore, fallait plomber par un gag consternant de nullité : une dame est assommée sur le trottoir, des petits oiseaux sortent de sa tête, et voilà que se radine de derrière une boutique un mec à casquette, au sourire niais et inexpressif, avec un filet pour attraper les oiseaux. C'est censé amuser quelqu'un ? Qu'il se fasse connaître, sans mentir.
La bibliothèque était jolie, le paquebot bien modélisé. Le début était chouette, qui prenait un peu son temps, juste un peu, jusqu'à l'arrivée redoutée des pan-pan et tout le capharnaüm.
Je ne comprends pas la mansuétude critique qui a généralement entouré ce film, d'une absence d'intérêt alarmante.
J'étais parti plein de bonne volonté et tout, sans trop me braquer (d'autant que le générique est assez réussi, en effet, sa musique aussi), mais déjà, en tant que bon connaisseur des histoires de tintin, je ne peux pas ne pas dire qu'il n'y a rien strictement rien de l'univers des albums de Hergé dans ce patchwork fagoté n'importe comment. Pendant tout le métrage, sur ce point, on imagine constamment une équipe de scénaristes réunis en braintrust d'entreprise pour aligner quantité de "raccords" bidons puisant superficiellement dans des tas d'éléments épars des albums, les tricoter en une intrigue à deux balles, arroser le tout d'une espèce de sauce médiane annulant toute forme de saveur, sans parler d'une espèce d'humour calibré-standardisé-fadouille.
Une chose est sûre, l'argument "tintin" est un pur cache-misère. Quel rapport au juste avec Le secret de la licorne et Le trésor de R. le R? Pourquoi ne pas s'être contenté de l'histoire racontée dans ces deux albums, même au prix de moult raccourcis ou montages? On nous présente ça comme une sorte d'hommage truffé de références, mais faudrait ptêt voir à pas trop prendre les cons pour des imbéciles. On nous vante un peu partout l'habileté d'un scénario puisant astucieusement dans les albums, avec des jeux de renvois que les vrais "connaisseurs" apprécieront. Or rien, donc, de l'univers de Hergé, ou de son esprit, ou du concept de ses personnages, encore moins de son style d'humour, n'existe a minima, jamais. Quant aux références, appelons ça des gimmicks publicitaires. Le scénario qui nous est livré est d'une pauvreté affligeante, aux connexions logiques totalement artificielles. Rien n'existe, tout est spielberguisé. Et spielberguisé, on sait un peu ce que ça veut dire: le spielberguisme, c'est l'art du gimmick, du clin d'oeil insistant, tout est dans l'arc-réflexe stimulus-réponse pavlovien. Plus l'anéantissement pur et simple de toute forme de singularité, l'énucléation radicale, à la base, de toute forme de personnage existant, que ce soit de chair et d'os, de caoutchouc, ou de pixel. Spielberg a cette particularité, jamais démentie de film en film, d'infantiliser tout objet dont il s'empare, à un rare degré de bêtise standardisée (proche de l'enfance, pour qui confond "état d'enfance" et "état de bêtise"), d'uniformisation dans le vacuum d'un marshmallow, ou suppositoire, incolores, indolores et insipides, y a plus rien à espérer de ce côté là. Même du coté du Spielberg "dépressif" et "noir", qui n'est guère plus dense si on gratte d'un demi-millimètre derrière le spectacle bien agencé.
Du secret, de la licorne, du fantôme de Haddock, de Moulinsart, du Karaboudjan, il ne subsiste plus rien, pour le redire, et ce n'est pas un mince exploit d'être parvenu à vider à ce point de sa substance le monde de tintin, rendu ici à une bimbeloterie de carte postale qui irrésistiblement fait penser à ce qu'a pu faire Woody Allen dans son imbitable et post-gériatrique Midnight in Paris.
S. aurait adapté le Crasmeustache, ou Gil Jourdan, Ric Hochet, Michel Vaillant, ou Blake & Mortimer, Tif & Tondu, Boule & Bill, Gaston Lagaffe, Spirou & Fantasio, Chaminou et le Khrompire, Les Tuniques bleues, tout ce qu'on veut, le résultat aurait été du pareil au même: du bidon, des persos-prétextes, des décors-prétextes, vidés de toute substance, qui n'existeraient pas davantage, qui ne signaleraient aucun monde, aucun agencement, aucun imaginaire, s'agitant juste en vain dans un squelette d'intrigue inutile, un reader digest expédié ou une sorte de mégaremix, farci de rebondissements, de cascades, de courses-poursuites parfaitement ennuyeux, sans aucune, vraiment aucune espèce d'intérêt. Même le plus mauvais Harry Potter a plus de cachet, de singularité, et les persos plus de consistance, c'est dire.
Prenez par ailleurs un bon film d'action, filmé par un mec qui sait faire ça, prenez, je sais pas, moi, les Jason Bourne de Greengrass, l'action y est au moins intéressante, et c'est ce qu'on est en droit d'attendre. Pourquoi est-elle intéressante, palpitante? Parce qu'on s'intéresse à l'enjeu, au sens de ce qu'on regarde, on est impliqué dans quelque chose qui est de l'ordre du sens, et de la narration. Ce Tintin est rempli d'actions jusqu'à la couenne, mais rien n'a jamais aucun sens: nada, l'ennui, tout y est vu, revu et rerevu mille fois, que du stéréotype. Spielberg ne sait pas raconter et n'a rien à raconter, contrairement à ce que ne cessent de nous dire ses admirateurs: c'est tout sauf un conteur. Il n'a pas de monde.
Bien sûr, c'est du Indiana Jones "survitaminé", pour qui en douterait encore. Cette vieille rengaine marketing que l'on nous vend depuis des décennies: Spielberg a "ressuscité", selon la formule hypnotique devenue méthode Coué, "l'âge d'or" du film d'aventures épique et glamoureux hollywoodien, etc etc, en s'inspirant des aventures de Tintin. Et éventuellement de Philippe de Broca, de ses "tribulations d'un chinois en chine". Dit-on. Dans les milieux cinéphiles autorisés. C'est son foyer secret de sensiblité, ça et l'inénarrable "powésie de l'enfance", bien entendu. Nuts. Indiana Jones... Allez quoi, comme on dit à Bruxelles. Pas de ça, Lisette. Ce rutabaga mou et constamment emmerdifiant, instantanément ringard dès sa sortie. Aimez-vous tant les caramels mous, par la barbe du prophète? Faut vraiment être né, comme dit Deleuze, au milieu du désert, le désert des eighties, pour vouer un culte nostalgique à cette soupasse languissante.
Donc ok, c'est Indiana Jones. Aucun esprit ne souffle ici, jamais. C'est un alignement de séquences blètes, obligatoires, au tarif syndical, après dégraissage de tout ce qui aurait pu présenter un intérêt, même minime. L'humour, par hasard et par malchance? Pitié, c'est mauvais, lourd, même et surtout quand ça se voudrait léger, en clin d’œil. On sent parfaitement que S. et sa team ne comprennent strictement rien à l'humour hergéen, aux persos de Hergé: ils transforment automatiquement tout en mauvais slapstick, dans un faux esprit "britannique" qui n'a rien à faire là.
Tintin est une sorte d'abstract pour Hergé, on le sait, mais les autres, Haddock, les Dupondt, Nestor, ou la Castafiore, etc, ont ceci de particulier qu'ils inventent leur typologie propre. Or, la grossière erreur, la première, celle dans laquelle tomberait tout faiseur sans talent, c'est, comme ici, de les accorder à des stéréotypes préexistants: je ne dis pas les stéréotypes que seraient devenus ces personnages "universellement" connus, à travers le temps et l'espace. Car stéréotypes, il ne le sont jamais devenus, pour les lecteurs qui sont entrés dans cet univers. Ils étaient et sont restés, et c'est là un des mystères de l'art hergéen, des types singuliers, inscrits dans une généalogie singulière, de l'ordre de l'intime, peut-être même du privé, tant le lecteur a investi ces personnages de ses propres agencements généalogiques personnels. D'autant que d'albums en albums, ils changent, contrairement à tintin (et encore, pour lui, ça se discute aussi), ils ne restent pas figés dans leur typologie: ils traversent des crises, des remises en question, etc. Les Dupondt, c'est bien plus que simplement deux policiers rondouillards et passablement idiots. Y a en tout personnage des aventures de tintin comme un rébus, une crypte, je ne reviens pas là-dessus, j'en avais déjà causé là. Ici, que voit-on? Des stéréotypes énucléés, là encore, non seulement de toute leur généalogie (ce qui serait encore excusable, dans la logique d'un scénario "synthétique" - qui ne synthétise rien du tout), mais encore de toute forme d'intensité personnelle.
Le cheminement intérieur de Haddock est concassé menu, par l'idée scénaristique désastreuse de fondre en un seul motif des éléments du Crabe aux pinces d'or et du Secret de la licorne. Le lien à son ancêtre, à son double, ainsi qu'à ceux de Rackham, "réincarné" dans un personnage secondaire falot, Sakharine (avec les traits de Spielberg: ah cet art du clin d’œil baltringue, comme la houpette de tintin devenue aileron de requin et autres friandises pour fans gâtiques. Faut absolument réciter sa filmo, roublardise d'un fétichisme marchand. C'est L'Oreille cassée qu'il aurait dû adapter): autre trouvaille nulle de scénariste soi-disant futé, qui transpose absurdement une gigantomachie des Héroïcs US façon Batman contre le Joker, et se battant à coups de grues-queues de dinosaures sans doute, en hommage à Jurassik Park. Sinon, c'est du sous-sous Pirates des Caraïbes.
Sans oublier le speech de psychologie pour cadres commerciaux qui n'en veulent, asséné par le vieux loup de mer, un monologue admirable sur la lose et la win, face au mur on l'enfonce mon ptit gars, laisse personne dire que t'es un raté. Et pour sûr, le film n'hésite pas à enfoncer tous les murs, par crainte de ne pas divertir son public-cible de 0 à 7 ans. Dernière entourloupe: l'annonce de la poursuite d'une soif "inextinguible" (hohoho) d'aventures pleines d'explosions et de cascades en tous genres, car le véritable trésor est caché, ultime révélation, en pleine mer. Alors que le message profond des deux albums, c'était, déjà: "nous avons cherché de par le monde un trésor qui a toujours été ici, sous nos yeux". Soit une dérision, un trouble, jetés sur la possibilité même d'une aventure, et que parachèveront L'Affaire Tournesol et surtout Les Bijoux de la castafiore, dé(con)structions minutieuses du concept même de "péripétie" ou d'intrigue.
Mais c'est qu'il y a des biffetons à tirer, si possible. J'imagine la suite: L'Etoile mystérieuse, entre le remake de "the thing" et le remake de "poltergeist", quelque chose dans ce goût-là. Une purge. Réalisée par JJ Abrams, qui connaît par cœur les petits trains électriques si merveilleux de papa Noël-Spielguy, au point de les astiquer pieusement et servilement.
Milou ne sert strictement à rien. Dans les albums (où lui aussi évolue), il formait avec Tintin un binôme psychique "fusionnel". Là, voir et entendre Tintin parler à Milou comme un idiot parlerait simplement à son chien, qui de son côté couine de ci de là, c'est juste ridicule. La castafiore est catastrophiquement ratée, et l'Idée scénaristique de son intervention (le rossignol milanais, arme secrète pour briser la vitre incassable abritant la maquette), non pas "ingénieuse" mais bête à pleurer. Etc etc.
Le tout plombé, faut-il s'étonner (pardon Gertrud), par l'assommante partition musicale de John Williams, inséparable compagnon de route de Spielberg en matière de concassage d'ambiance dans d'insipides cascades d'arpèges rebattus, de motifs conditionnés entendus 50.000 fois. Williams étant au son ce que Spielberg est à l'image, et l'union des deux ce que Skinner est à la psychologie causale: synthétisant tout ce qu'il y a de plus pavlovien dans la musak de films hollywoodiens, une véritable scie. Je ne dis pas que J. Williams n'a pas fait un bon score dans sa vie. Je dis juste qu'il en a fait 90% de trop.
L'animation, alors? Même pas. Y a tous les défauts récurrents de l'usine Dreamworks. De jolis décors, ça et là, d'accord. Mais principalement: de l'esbroufe visuelle, de la pyrotechnie, aucune poésie picturale, de la vitesse, aucune densité. Les mouvements corporels des personnages sont toujours aussi bizarrement chaloupés, impuissants à peser dans l'espace. Un gros problème de gestion de la physique, toujours le même depuis les Zemeckis, qui, finalement, s'en sortaient bien mieux, avec des univers plus riches, plus habités (Beowulf). Les expressions faciales motion-capturesques sont toujours aussi limitées, réduites à quelques grimaces stéréotypées. Même le moins bon Pixar (Cars, par exemple, dont je suis pas fan), tout y existe cent fois plus.
Je n'en finirais pas d'énumérer tous les éléments qui font de cette pseudo-aventure-hommage à tintin un petit film convenu, insignifiant, livré du bout des lèvres comme on enfile des perles de verroterie, sans émotion, sans passion, sans esprit.
La seule séquence que j'ai vraiment goûtée: celle concernant le kleptomane. Le gag du portefeuille relié à la veste par l'élastique incassable, puis la visite des Dupondt dans son intérieur aux étagères remplies de portefeuilles. C'était pas mal, ça. Mais là encore, fallait plomber par un gag consternant de nullité : une dame est assommée sur le trottoir, des petits oiseaux sortent de sa tête, et voilà que se radine de derrière une boutique un mec à casquette, au sourire niais et inexpressif, avec un filet pour attraper les oiseaux. C'est censé amuser quelqu'un ? Qu'il se fasse connaître, sans mentir.
La bibliothèque était jolie, le paquebot bien modélisé. Le début était chouette, qui prenait un peu son temps, juste un peu, jusqu'à l'arrivée redoutée des pan-pan et tout le capharnaüm.
Concluons ce billet passablement désinvolte en rendant la parole au créateur (au sujet de son nouveau chef d’œuvre: War horse, sorti sur nos écrans quatre mois après Tintin) :
" Trop de films, aujourd’hui, obéissent à un rythme frénétique. Je suis soucieux de laisser de l’espace pour la perception du spectateur. Et puis, il fallait se donner le temps de filmer le cheval. "
[...]
" J'ai toujours été stupéfait que l’on s’intéresse autant aux chiens, alors que les chevaux sont si subtils "
[...]
" Avec eux comme avec les enfants, il faut savoir être patient "
Étonnant, non? Bon allez, la tisane, le suppo...