mercredi 5 mars 2014

Finissons en, un peu, avec Amadeus (Forman, 1984)



Une avalanche de clichés sur le don divin de "l'inspiration" et le génie créateur. Du côté de l'enfance à la fois innocente et cruelle, frondeuse, spontanément anticonformiste et défiant toutes les règles, y compris du bon goût. Et qu'aimerait tant écraser le talent laborieux, du côté, lui, de la vieillesse à la fois envieuse et fascinée, conformiste par ruse, rongée par l'échec, etc. Malgré le faste des costumes, l'ampleur des décors, c'est surjoué, caricatural, ado-romantique-neuneu, simpliste au possible. On me dira peut-être "oui, mais c'est fait exprès, c'est le but": justement...
Une sorte de grand soufflé scintillant, mais creux à l'intérieur. Et je ne trouve pas l'utilisation de la musique particulièrement louable. Je l'ai ressentie tout du long comme un cache-misère opportuniste, un tremplin émotionnel facile pour justifier ou excuser la platitude un poil démago du propos (rock star-Mozart, une tête brulée, le Sid Vicious de la jet set du XVIIIè, rhzz). 
Combien de fois n'ai je pas entendu: "oui mais la musique est tellement sublime...", ou encore "si ça donne envie aux jeuns d'écouter Mozart qui était un révolté-destroy tout comme eux...". Argh.

La fameuse scène (obligée, et fantaisiste - mais ça on sait) du requiem dicté par Wolfgang à Salieri, c'est vraiment pour moi le concentré, attendu et en acmé, de tous les clichés sur Mozart. En symétrie avec le poncif surligné du mec resté scotché dans l'enfance. Le reste du temps, c'est en effet une sorte de proto-débile scato-régressif mi conscient mi provoc, on sait pas trop, principe entropique lâché dans la high-society (un peu l'ancêtre de Lady Gaga foutant le boxon aux MTV awards). Mais qui, dès qu'il se met au piano, est visité par la transcendance, conformément à l'adage "heureux les simples d'esprit, le royaume des cieux leur appartient". Pourquoi pas. C'est une option comme une autre.

Alors bon, daccord, le matériau, c'est une pièce de théâtre - exploitant notamment l'invention littéraire, par Pouchkine, d'un Salieri méphistophélique, commanditaire du requiem qui épuisa Mozart, donc son assassin indirect, etc. ça ne prétend nullement à une véracité quelconque. Un peu dans le genre de ce que fera plus tard, avec le succès qu'on sait, l'imbitable, non pardon, talentueux M.E. Schmidt. On est donc dans la puissance de l'imaginaire, ok, mais quand-même: était-on obligé de refourguer l'imagerie rebattue du génie inspiré, tout fiévreux, aux portes de la mort, qui respire sa musique comme les rossignols font cui-cui et les pommiers font des pommes?

La pièce de Peter - equus - Shaffer fit un malheur à Broadway, fallait donc exploiter le filon. Y avait à mon sens un matériau infiniment plus riche, passionnant à exploiter, moins "mythologique" : rien que la vie de Mozart, quoi. L'enfance de ouf, ses relations avec les autres compositeurs, sa relation avec le maçonnisme, le contexte politique et social, etc, des tas de choses fort méconnues, finalement. En tout cas de moi. Et ça m'aurait hyper-botté, cette autre approche, tout en sachant que la "vérité historique" est toujours traversée par l'interprétation. Mais ça aurait été bien plus mystérieux, fascinant, iconoclaste pour le coup (Forman prétendant que sa 'vision' de Mozart l'était), que la nième déclinaison anachronique du mythe bien connu.

Chais pas, là, c'est un peu le biopic fantasmé et inavouable de Richard Clayderman filmé par J.J. Annaud. Et dans la dramaturgie, ça me fait trop penser à Fame d'Alan Parker, alternance de "performances" exploitant le contraste habituel "figure imposée/académique/bridée" & "figure libre/déchainée/en sueur". Je passe sur Hulce, notamment en chef d'orchestre: belle création de perso qui ne ressemble à rien, au sens littéral, puisqu'il paraît que Mozart n'a jamais dirigé un orchestre de sa vie. J'y vois plutôt un hommage à Benny Hill.

Je pensais aussi, à l'époque où j'ai vu le film, à tous ces téléfilms américains des 80s, sur les concours de musique prestigieux, opposant le petit génie hors-normes, directement branché sur la fréquence radio des muses célestes (et parfois atteint d'une leucémie), au vilain arriviste boutonneux non dénué de talent, mais qui n'a pas pu se débarrasser du carcan des règles apprises. Lequel se fera coiffer au poteau, avant le générique, par l'interprétation lacrymogène d'un concerto de Rachmaninov ou de Tchaïkovski défrisant un jury composé de dames patronnesses frigides.


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