dimanche 13 juin 2010

The road (John Hillcoat, 2009)



Paraît que Cormac McCarthy est un écrivain immense, universel, de la stature d'un Hemingway, d'un Faulkner ou d'un Erskine Caldwell. C'est l'immense acteur Viggo Mortensen, écrivain lui-même, qui le dit dans le bonus de "the road". McCarthy apparaît lui-même dans le bonus. Cet homme a un amour profond pour son grand pays qu'est l'Amérique, ses grands espaces, etc, nous explique Hillcoat. De fait, il ressemble à un gentleman farmer à la retraite, très digne, avec un visage sillonné des belles rides de la sagesse et un regard d'un gris-bleu clair profond, laissant deviner un mélange de bonté triste et de tranquille détermination.

Les autres bouquins de McCarthy sont déjà très successful de par le cinéma, mais "the road" était déjà universellement connu avant de devenir un film.

Partout sur la planète, des hommes, des femmes, et des nageuses olympiques soviétiques à la retraite, ont fait un triomphe à ce roman. Parce que c'est une histoire toute simple, qui parle de choses universelles que tout le monde peut comprendre. 
Par exemple: l'amour d'un père pour son fils et l'amour d'un fils pour son père. C'est, sinon la chose la plus précieuse au monde, du moins une des choses qui touchent immédiatement le cœur de tout être humain, même dans les orphelinats et les foyers d'enfants battus les plus reculés du fin fond de l'Arkansas. Quel père corrigeant son mouftard à coups de poêle à frire sur la tronche ne s'est ému de ce que la chair de sa chair était son bien le plus précieux; quel fermier ardennais abattant un cambrioleur à la grosse chevrotine à daims en croyant tirer sur son gamin noctambule ne s'est dit: "je donnerais ma vie pour toi, mon p'tit monstre adoré"?

Ce sont des sentiments qui parlent à ce qu'il y a plus profond dans le cœur humain, comme la peur panique d'être accommodé en brochettes ou débité en saucisses de Toulouse par un voisinage peu amène, suite à l'extinction de denrées alimentaires à base de graisse animale.

Donc, déjà, un roman qui aborde, de la façon la plus simple, les sentiments les plus humains, traduit en 140 langues.
J'ai rien lu de Cormac McCarthy. Je connaissais vaguement son existence suite à l'adaptation par les frères Coen de "no country for old men". J'avais bien aimé la mise en scène dans ce film, mais l'histoire en elle-même, j'ai eu du mal, je le confesse. Ce qui, entre autres, plombait le récit à mon sens, c'était le radotage permanent et les jérémiades résignées du vieux shériff, là, joué par Tommy Lee Jones.

Chaque fois qu'il plaçait son petit couplet philosophique sur l'ensauvagement du monde alors que c'était si sympa et convivial avant, avec l'accent texan super bien imité du gars qu'a vu la naissance du rail, j'avais hâte qu'on passe à autre chose, et qu'on se recentre sur la course-poursuite horrifique entre le psykopate poli et marrant et le redneck rusé et mutique.
Non, l'intervention permanente du vieux, là, avec ses yeux de cocker triste, sur l'état du monde, comment il ne va plus, comment y a plus de valeurs, et le respect s'perd, ça m'a assez bien gavé.

Et force est de reconnaître que ça semble être une thématique de prédilection du gars McCarthy. Dans "the road", on a, pour le coup, droit, tout au long du métrage, aux segments de monologue désillusionné du vieux monsieur qu'a la goutte au pied, de l'arthrose et crache ses poumons pour ne rien arranger, sur la perte des valeurs humaines fondamentales de ses contemporains, surtout quand ses contemporains ont comme unique obsession de le manger tout cuit (pas cru: y a quand-même une survivance des us et coutumes de la civilisation), lui et son petit garçon très sensible. Tellement sensible, innocent et mignon à croquer qu'un autre vieux claudiquant, de passage, affligé d'un glaucome (Robert Duvall en visite, juste le temps de déglutir une conserve de macédoine de fruits), lui explique, envieux, que si son môme n'est pas un ange du paradis ou la dernière preuve tangible de l'existence de dieu, alors pour sûr on peut sincèrement se demander si le vieux barbu constellé en a quelque chose à carrer, quelque part, des hommes de cette terre.

Je sais pas, je sens pas trop cette littérature simple, profonde et universelle du gars McCarthy. 
Ça me fait trop penser à mon vieux concierge, mort il y a des années, qui voyait le mal partout. Enfin, concierge, il l'était pas vraiment. C'était le locataire du rez-de-chaussée, qui vivait depuis toujours dans l'immeuble, et qui s'était pour ainsi dire arrogé cette fonction. Y passait sa vie sur le pas de la porte, qu'il obstruait de sa petite grosse masse rondouillarde sur laquelle était fichée, sans cou, sa grosse petite tête chauve de bulldog, fusillant tout le monde, surtout moi, de son regard suspicieux.
L'était tellement persuadé que j'étais une sorte de sale hippy intellectuel drogué passant ma vie à regarder des films de Bergman et à écouter des quatuors de Shostakovich au lieu de nettoyer hebdomadairement mon escalier, qu'il avait déposé une réclamation, un jour, au réseau local de télédistribution, vu que le téléviseur de sa vieille compagne à caniche du troisième, n'affichait plus bien les chaînes.
Il m'accusait d'avoir traficoté dans les câbles de télé ou je ne sais quoi, pour profiter à l'œil de leurs programmes. J'eus l'occasion, bien sûr, de préciser que je payais rubis sur l'ongle mon abonnement à "coditel" (désormais "voo") depuis mon arrivée, alors pourquoi j'irais trifouiller dans les câbles, moi qui suis déjà incapable, si j'en voyais, de distinguer un transformateur électrique d'un compteur de chaleur? "Par volonté de nuire", telle fut la réponse, impavide, que je reçus.

Non, les gens sont méchants, moi j'dis, surtout les vieux, et surtout les petits vieux grassouillets qu'ont une tête de bulldog fichée sans cou sur les épaules, et qui obstruent matin, midi et soir l'encadrement de la porte d'entrée pour vous houspiller de leurs doléances continuelles.

Bon, il est mort y a 10 ans, le pauvre. J'ai été triste pour lui.
Une semaine avant sa mort, sa vieille compagne du troisième m'avait appelé au milieu de la nuit parce qu'il s'étouffait par terre et qu'elle ne parvenait pas à le remettre sur son lit. Ce fut une nuit terrible. La vieille dame avait frappé à ma porte. Elle était toute perdue, le chignon défait, ressemblant à une sorcière de Salem dans sa robe de chambre échancrée d'où pendait par mégarde un long sein vergeturé en forme de condom rempli d'eau jusqu'à moitié. Enfin, disons, un bon tiers. Ce dernier s'agitait encore à un demi-centimètre de mon visage pendant que nous redressions le concierge qui s'étranglait, tout violacé et nu, gisant sur le tapis comme un porcelet fripé.
Cette scène et ces visions ressemblaient tellement à l'image qu'on peut se faire de la mort qu'après, de retour dans mon appart, il m'avait fallu mettre dans le magnéto une vhs de porno-soft-érotique, avec des naïades enduisant de jojoba leur corps sculptural aux galbes affolants. Pour me tirer sur la tige et exorciser ces visions de chair pendante et cadavérique.

Mais revenons à Cormac McCarthy et à "the road". C'est pas que ce soit résolument mauvais, comme film post-apocalyptique, un genre qui a bien la cote. Y avait même des paysages impressionnants et tout ça, des ponts suspendus dans la brume, et un petit côté resident-evil 4 contemplatif de belle venue.
Mais le coup du vieil homme qui protège son enfant, lui explique régulièrement comment se fiche une balle de revolver dans la cabessa à la moindre entourloupe genre surgissement inopiné, dans le périmètre, de cannibales en goguette; lui enseigne à "garder le feu" au plus profond de soi (même si on sent bien qu'il y croit plus trop lui-même, et ma foi, dans leur situation, ça peut se comprendre); puis méditant tristement sur le bonheur envolé et la lâcheté désespérée de son épouse qui s'en est allée disparaître un sale matin dans la brume cendrée, pour ne plus vivre l'horreur des choses, etc, et bien, ça a pas trop emporté ma conviction.
Encore une histoire de peurs de vieux pour foutre la trouille aux vieux et aux enfants, et endurcir plus encore le vieux cœur de l'homme. J'ai eu un peu de mal à me balancer dans ce trip là, même si je ne me sens plus non plus de première verdeur.
Je voyais tout le temps, en surimpression, la trombine de Roger Ebert, le grand critique vieux, de cinéma.
Le pauvre père Ebert, depuis qu'il n'a plus de menton, porte une minerve et se sustente exclusivement à la paille, l'est devenu comme qui dirait poltron de la vie. Notez, qui ne le serait pas, en un sens, à sa place. Il ne se fait pas prier pour nous expliquer régulièrement sur son blog que l'œuvre complète de McCarthy trône sur sa table de chevet. Mais du coup, il ne célèbre plus, en tant que critique, que des histoires de vieux désabusés solitaires soliloquant des vérités amères et résignées sur un monde inhabitable voué à la prédation, au mal radical. Avec une micro touche d'espoir du côté des reliquats de l'ordre moral ancien, bafoué partout, rendant nostalgique du bon vieux catéchisme à l'église en rondins du patelin.
Je sais pas si c'est une bonne idée, même en réfléchissant à "l'état du monde", cet assaut de nostalgie un poil crapoteuse et qui, parce qu'elle encourage un sentiment de repli dépressif dans un monde ultra-violent en décomposition avancée, laisserait trop facilement présager des remèdes canons, à la sauce "inspecteur Callahan".


Au moins, y a un message positif dans ce film et, quoique discret, ça ne m'a pas échappé.

 Faut savoir que dans un monde qui n'est plus que débris poussiéreux stagnant depuis des décennies et des décennies dans une atmosphère de suie s'infiltrant et s'agglutinant partout, y a encore moyen de trouver des distributeurs avec, dedans, des canettes de coca-cola fraiches et pétillantes sous le métal couvert de rouille et de plâtras.

Preuve que c'est un produit de qualité, une valeur sûre. D'ailleurs, c'est bien connu: si vous partez en expédition touristique dans les pays exotiques du tiers-monde, où l'hygiène est pas top, remplissez toujours votre valise de sodas. Ça peut se révéler précieux pour ne pas choper une gastro-entérite, voire une dysenterie. Et vu qu'il y a peu de pharmacies de garde.


1 commentaire:

JM a dit…

Rebonjour,

Encore une chose, deux même. Tout d'abord heureusement que je n'ai pas terminé par "adieu" mon précédent message sans quoi je n'aurais pas pu ajouter celui-ci, question de principe. D'autre part, et c'est là le pourquoi premier du présent message, il m'arrive aussi de boire du coca lorsque j'ai une gastro ou une grosse colique, je prends soin simplement d'en retirer toutes les bulles auparavant.

Bizarre, soudain "The Road" me fait penser à une espèce de coca sans bulle.

Revenant d'un pays "exotique" avec une bonne gastro, je vais boire mon coca à ta santé.

JM