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mardi 18 décembre 2012

Le goût des listes






(Nonobstant: petit effet d'annonce. Notation infra-paginale d'une enquête épistémologique à paraître en ces colonnes, de grande paresse ET de haute volée, donc, sur l'Etat d'une "critique" qui n'intéresse plus grand monde, il est vrai, mais un monde désormais tout petit-petit, peu ou prou réduit au nombre de followers sur un mur à graffitis facebookesque).

Lu sur un forum voisin le nouveau "concept" marketing-subtil proposé dans la dernière livraison des dcd, revue trend-tendance destinée à divertir quelques cadres dynamiques un chouïa stressés par la violence mortifère des rapports sociaux.
Il s'y agit de répertorier les "tares" minant le cinéma contemporain, selon la taxinomie suivante:

1. Le pitch
2. La continuité dialoguée
3. Le syndrome Natasha Kampusch
4. Le culte de la maîtrise
5. Un sérieux de pape
6. Des films sans images
7. Les acteurs interchangeables
8. Les non-lieux du montage
9. Le radical chic
10. La fantaisie pas drôle


C'est beau et fascinant, quelque part, cet exercice de style. En ce qu'il énonce, au plus près d'une vérité mi-dite mi-tue aux abords d'un inconscient en semi-travail, les 10 tendances dominantes dudit trendmag depuis au moins une décennie:

1. La pensée-pitch
2. La continuité monologuée
3. Le syndrome François Bégaudeau
4. La maitrise du culte-de-soi
5. Un papisme du fun
6. Des articles sans idées
7. Des rédacteurs interchangeables
8. Le montage de non-lieux analytiques
9. Le radical chic du snobisme endogamique
10. La fantaisie pas drôle d'un sous-produit de Flair & Cosmopolitan.



dimanche 9 décembre 2012

De la taille des écrans



Bien chers tous.

De retour après une assez longue absence méritée. Et merci pour ce plébiscite.


Quoi de neuf, sinon?
Ces derniers jours, j'ai cassé ma tirelire où deux larfeuilles de 100 euros longuement économisés me brûlaient les doigts et quémandaient leur consomption.
Alors, me suis-je dit, à quoi pourrais-je bien consacrer cette dépense de pure jouissance? J'avais déjà tout, j'étais un homme comblé, heureux. Un lecteur mp3, divers casques et oreillettes de factures décentes, aux propriétés d'isolation phonique vitales pour moi (because of saloperie de voisinage: chronique imminente sur ce sujet). Des disques durs remplis à craquer de super-films en attente. De bons livres. De la bonne zique. Bref, tout ce qui peut contribuer au bonheur terrestre et supraterrestre.

Mais avais-je vraiment tout? N'y avait-il point quelque chose qui me manquait, de façon lancinante?


Souvenez-vous, j'ai souvent parlé de mon vieil écran sony pal trinitron 55 cm de diagonale, auquel je voue pour ainsi dire un culte. De presque 20 ans d'âge. Seulement voilà. Sa connectique se limitant à une péritel et à une entrée rca jaune, souffrait depuis quelques temps déjà de probs de faux contacts. Il fallait que je passe au moins 10 minutes avant chaque séance à tenter de trouver la bonne manière de maintenir la fiche, à l'aide d'une gomme pour la soutenir et la bloquer. ça me rendait complètement zinzin. Puis souvent, l'image disparaissait en plein film et je devais tout recommencer.

Donc oui, une ombre pernicieuse voilait mon plaisir d'être-au-monde.


C'est alors que je conçus ce désir brillant. M'acheter un bon écran d'ordi. J'avais depuis 6 ans un écran flatron de 19 pouces (4/3 donc). Qui m'assurait certes quelque satisfaction, mais dans la limite de sa conception. Vous savez en effet que les traditionnelles dalles d'ordi (TN) pâtissent d'un défaut rédhibitoire: l'angle de vision très limité, qui fait que si vous changez de position, l'écran s'assombrit sur le bas; vous devez rester planté comme un piquet à minerve, si vous tentez de retoucher des images, par ex. Sans parler des couleurs, qui sont faussées, et tout ça.

J'investigue sur le net, et je découvre la nouvelle génération d'écrans d'ordi à prix démacrotique pourvus d'une dalle IPS. Pour celles et ceux qui ignoreraient encore de le savoir, les dalles IPS offrent un angle de vision beaucoup plus ouvert (178, voire 180°). Et je me dirige sur un modèle, toujours flatron, IPS et avec couleurs justes certifiées et calibrées en usine, d'une marque que j'apprécie mais dont je ne citerai que les initiales de début et de fin, afin de ne pas faire de la publicité gratuite (même si, vous le savez aussi, je suis doué pour la vente d'objets techniques et non techniques de la vie usuelle): L. et G.


A rétro-éclairage led. Et de 23 pouces. Soit une diagonale qui surclasse tant ma vieille télé que mon presque vieil écran d'ordi. Avec 23 pouces, vous êtes ferré. Vous pouvez enfin apprécier les films en scope ou en 16/9, sans pan & scaner. De toute façon, sur mon vieux sony, je pouvais pas pan & scaner, et je mirais les films en 16/9 sur un rectangle rikiki flanqué de deux barres noires gigantesques.


Je me précipite donc, à couilles rabattues et le palpitant battant la breloque d'excitation (un poil asthmatiforme) au supermarché de l'électronique du centre-ville. Et je ressors vainqueur, serrant dans mes mains fébriles l'objet de mon brûlant désir.

Alors, qu'en dire? C'est tout simplement magnifique, et les mots sont impuissants. La dalle IPS tient toutes ses promesses, la résolution impec, les couleurs sont tellement justes que j'ai enfin compris pq mes captures d'img étaient nases. Je redécouvre littéralement le monde. Puisque mon écran d'ordi est quasi ma seule fenêtre sur le dit monde.
Et les films. Je redécouvre les films, comme jamais je n'eus pu soupçonner qu'ils pussent s'offrir à mes pupilles fascinées.

C'est bien simple, l'angle de vision est tellement ouvert que je peux m'installer tranquillos dans mon vieux fauteuil pour mater les films. C'est une révolution, non copernicienne certes (quoique), qui bouleverse tant mes habitudes que j'ai l'impression de changer de mode d'existence.


Voilà à quoi j'ai passé mon temps ces derniers jours. Et c'est avec plaisir que je reviens vous lire, l'esprit un peu moins moins accaparé par la magnificence de cet nouvel objet, ludique, instructif, et pas chiant.

Quant au mythe fameux, et persistant (cultivé par une certaine sphère "cinéphile-puriste"), du Format, du Grand format, en dehors duquel tout est usuellement rikiki, j'en ai souvent débattu. Mais je me sens obligé, de cette nécessité impérieuse qui commande, comme dab, toute entreprise inutile et d'un intérêt erratique, d'en rajouter une petite couche.


En réalité et en vérité, que ne le note-t-on plus souvent, dès lors qu'on dispose d'un bon écran, bien calibré, et doté d'une résolution full HD, il importe peu que ce soit un écran géant, comme on dit: face à un écran géant, le spectateur va rechercher la bonne distance, celle qui lui convient, pour embrasser ce qu'il voit d'un regard synoptique, ni trop près, ni trop loin. Comme dans une salle. Dans une salle, si l'écran était gigantesque, je choisissais toujours une place située dans le dernier tiers des gradins, parce que c'était, pour moi, la distance en deçà de laquelle mes yeux se perdaient dans la grandeur de l'écran et ne pouvaient "synthétiser" l'information qu'ils en recevaient.

Simple petit test: quand vous regardez un écran, tv, ordi, ou dans un cinéma, placez vos mains verticalement et latéralement, de part et d'autre de vos tempes, jusqu'à la limite du champ de vision que vous avez de cet écran, et à la distance que vous avez choisie: celle qui vous est la plus confortable pour une vision à la fois détaillée et synoptique. C'est ça, votre angle de vision en question. Mesurez-le, en cm, horizontalement et en diagonale, et vous verrez que vous tendez, plus ou moins machinalement, à rechercher cet angle là (chez moi, +- 20 cm). Et en conséquence, à établir entre l'écran et vous une distance déterminée, variable en fonction de la taille de cet écran, qui vous permettra de retrouver ledit angle. Quelle que soit la taille de l'écran. Chez soi ou en salle.
C'est pourquoi, mes zamès, cette affaire de "Format", le fameux format dit originaire en deçà duquel on ne verrait plus un film, selon Godard lui-même, mais une "carte postale" du film, si elle avait sa pertinence du temps des écrans cathodiques chiches en résolution (et du choix exclusif de ne voir un film que diffusé par la télé, dans une copie plus ou moins pourrave, doublé et haché de pubs), n'a plus guère de sens, et peut être rangée une fois pour toutes dans le domaine des arlésiennes et des spéculations vaines contribuant à déboiser l'Amazonie.
Notons-le, just in case: par format j'entend ici dimension de l'écran, et non, bien évidemment, Ratio - 4/3, 16/9, etc -, cadre de vision voulu par le cinéaste, qui ne dépend pas de moi, même si, en fonction de ce ratio imposé, je choisis, moi, telle ou telle distance de regard la mieux adaptée à ma saisie synoptique.
La lumière (ou image-lumière) projetée sur ou devant une toile-écran n'est pas en soi plus "juste", ou "vraie", ou "naturelle", etc, qu'un rétro-éclairage, et partant ne détermine pas plus la nature d'une image cinématographique. Ce n'est pas parce que le cinéma est né techniquement de cette façon, comme projection de lumière sur un écran-toile, en fonction des contraintes et limitations spécifiques imposées par la technologie de l'époque, que c'est cette technique qui définit, une fois pour toutes, selon on ne sait trop quelle invariance absolue, une image cinématographique sous sa forme "matérielle" et "essentielle".
ça, ça m'amuse beaucoup, par contre: c'est typiquement le genre de considération fumeuse, s'abritant sous des considérations "techniques" et invoquant une "empirie" première, inaltérable, qui en réalité renvoie à un ésotérisme archaïque, sur l'ombre et la lumière (qu'est-ce qui vient en premier, l'ombre ou la lumière, l’œuf ou la poule, blablabla), à une métaphysique-théologie ininterrogée de la Donation, de la Lumière de la Vérité, du Rayon miraculeux, etc etc.
Bien entendu, derrière ce genre d'assertions parées d'un objectivisme techniciste indiscutable, se cachent des problèmes empiriques d'une autre nature: la question du privilège, de la ligne de démarcation, d'une coupure "magique" (comme la Lanterne du même nom), sociale mais redistribuée dans le champ esthétique, entre ceux qui auraient accès à cette Lumière, d'origine, et les autres. Entre ceux qui ont un accès direct, vrai, premier, inaltéré, à la Lumière, et ceux qui n'y ont un accès que dérivé, faux, succédané, altéré, etc. Entre ceux - et ce genre de discours fait encore flores dans la "cinéphilie" fondamentaliste et aristocratique à l'insu de son plein gré - qui seuls ont accès à l'expérience véritable, authentique, du "cinématographe", et le tout venant, le vulgum pecus consumériste à qui sont destinés les petits postes de tv, petits postes, petits écrans, rikiki, mal étalonnés, mal réglés, et qui l'aliènent, bien sûr, l'hypnotisent, le massifient, lui font tout voir tout petit, le pauvre, l'aliéné, le passif. Aux uns le soleil, aux autres la caverne; aux uns les tableaux, grandeur nature, vus comme ils doivent l'être, aux autres les cartes postales. Aux uns le Concert a la salle Pleyel, aux autre la bouille de mp3, etc, etc.
Il en va de même avec tous ces discours clé-en-main, prémâchés, corporatistes, ressassés par les "spécialistes", de la photo, de l'argentique, de la hi-fi authentique du vrai son, etc, qui se font un devoir sacré de vous rappeler que le "numérique", c'est quelque part comme le bonheur: l'infini à la portée des caniches, l'horreur, l'horreur, tout ce qu'on a perdu, du mouvement, de la texture, du grain, de la voix, de la tessiture, de tout.
Alors que pas du tout, tsss. Allons. Tout ce débat sur le bon vieil analogique réglé à la main, menacé par l'automate digital. Le bon vieil artisan menacé par l'inhumaine et froide technologie. La plume d'oie menacée par Gutenberg. Discours de spécialistes veillant jalousement à leurs prérogatives, à leur domaine de compétence, car ce qui les menace, les terrifie ( tout comme la dispersion des sources du savoir et du discours, par le numérique, menace de délégitimation les Compétents organiques qui craignent pour la pérennité de leurs chapelles et moquent rageusement l'insondable ignorance de tous les anonymes qui s'intronisent, à leur place, journalistes, commentateurs, penseurs, artistes, sociologues, chanteurs, etc.), c'est qu'une des dimensions de la technologie consiste à rendre accessible à un nombre toujours plus inquantifiable les outils que maitrisaient seuls, ou prétendaient maitriser seuls, quelques uns.
Aux uns, gardiens de la Vérité templière, de la Haute Culture, menacée par la dégradation, la dégénérescence dans la consommation nivelante de tout ce qui fut le Beau, avant, le Trésor civilisationnel, de claironner partout que cette Culture décline, car tout le monde prétend, fantasme, y avoir égalitairement accès, prenant l'ombre pour la lumière. Cela, ils le claironnent sur le petit écran, édifiant les petits, leur montrant de quelle hauteur précise descend la lumière de la Vérité, du Savoir et du Beau, avant de repartir, satisfaits, s'émouvoir sur les grandes toiles, qui sont à leur bonne dimension, hauteur, de vie, de vue, et de savoir.

Rancière a bien raison de souligner que le partage social renvoie essentiellement au partage esthétique, au partage du sensible, au double sens du mot partage, ce qui divise, et ce qui unit. Preuve en est: est toujours crainte, redoutée quelque part, affectée d'un voile de mépris en sourdine, celui de celui qui Sait (par exemple, qui Sait ce qu'est le cinéma, dans son Essence, sa Praxis et sa Tèchnè, ce qu'est Aimer le cinéma, etc; bref qui en détient la spécialité, la prérogative), l'émancipation du spectateur, à savoir le fait qu'il s'accorde, s'autorise, de consommer, lui aussi, les images, l'imaginaire, sans se sentir tenu de respecter les autorisations, mesures et partitions qui l'assignent à tel lieu, tel espace, tel format réservés...



vendredi 14 septembre 2012

La résistible ascension d'Oskar Werner (Le spectateur dans tous ses états, part IV)



C'est combien fascinant, cette interview.

De la même façon qu'on peut parler de "politique politicienne", on pourrait parler de "critique criticienne" ou de "cinéphilie cinéphileuse".

Le gars Oskar n'a rien à dire sur rien. Dans la "vie", il semblerait qu'il aimerait être ou devenir "critique de cinéma".

Faut cependant bien savoir qu'en premier lieu lui importent les films, non les critiques. Les critiques l'attirèrent, le premier jour du reste de sa vie, quand il vit des "couvs alléchantes" comme celles des Cahiers: Michael Mann, Eastwood, Spielberg, Shyamalan, etc. "Du petit lait" pour un "gars comme lui", "biberonné au grand cinéma hollywoodien contemporain". Comme 50 millions de gars biberonnés au grand cinéma hollywoodien contemporain.

A partir de ce jour glorieux ou funeste, bien des tempêtes sous son crâne malmenèrent gravement les valeurs existentielles auxquelles il s'était cru attaché. Après plusieurs nuits noires d'angoisse, voire de déréliction, pendant lesquelles il crut bien ne plus être l'Oskar cinéphiliquement biberonné qu'il avait connu, s'opéra, "dieu merci", une conversion. Après vision d'une autre "couv alléchante" sur Zodiac et une mise à l'honneur de Tarantino.

Cette épiphanie l'irradiant jusqu'à la moelle du fémur, il l'aima ou ne l'aima pas, mais elle le laissa rarement indifférent, et il n'en sortit pas complètement indemne - selon les formules consacrées par la critique allocinesque:  une inextinguible passion se noua en lui pour cette revue, qui, à l'instar de la Phénoménologie de l'Esprit (du cinéma), changea définitivement son expérience (du cinéma).


Fort de cette instruction décisive, Oskar fait, depuis, un pas de plus que ces estimés confrères de la confrérie qu'il désire peut-être, qui sait, intégrer, et qui causent de cinoche comme on vante les mérites d'un camembert ou inspecte les ingrédients d'une poudre à lessiver: il "écrit" sur les Critiques eux-mêmes, le monde même de la critique. ça le passionne littéralement, le monde de la critique, ce braintrust permanent de têtes pensantes qui lancent des pensées comme des balles phosphorescentes dans la nuit.

Prenant son courage à deux mains, car il fallait bien du culot pour oser exposer de la sorte sa Weltanschauung naissante du cinéma, il s'en fut, en première instance, barbouiller le "mur" facebookesque de Trucmuche. Ce qui attira dûment l'attention de Brizmouche sur ce jeune chien fou passionné qu'il fut et demeure, à tant d'égards.

Il nous raconte comment il a connu untel, et untel. Qu'un jour, prenant le tortillard vers la Cité des Lumières, il est allé boire un verre avec Chose, parce que Machin était absent, etc. De ces agapes étincelantes jusqu'à pas d'heure et arrosées jusqu'à plus soif à la terrasse des estaminets germanopratins, naquit la folle idée révolutionnaire d'une revue, "sorte d’équivalent de So Foot version ciné."


Il égrène ensuite les noms de revues comme on compterait les perles sur un collier d'un chihuahua à ses mémères.


Pour le reste, s'il "avoue que ses connaissances sont assez limitées", il confesse également que le "désir d'écrire" lui est comme chevillé au corps.

"Même s'il a tout fait pour retarder le passage à l'acte". Par "manque de confiance en soi", sans doute. Peut-être aussi, plus humblement encore, par "lucidité": il sait très bien, dit-il, qu'il "n'atteindra jamais le niveau des auteurs qu'il admire". ça pèse sur lui comme une "chape de plomb", le pauvre chou, mais il "apprend peu à peu à s'en libérer".

Il appelle "auteurs" les critiques en question.

Exemples d'auteurs qu'il admire ou semble admirer: Bégaudeau, Burdeau.

Deux Phares dans la nuit de l'univers de la Critique "établie". Les guillemets s'imposent, précise-t-il. Histoire peut-être de suggérer qu'ils ne sont pas si "établis" que ça, qu'à chaque papelard ils risquent sinon leur existence physique, du moins leur expulsion sans préavis hors des territoires de l'Establishment cinécritique. Avec une perte sèche des émoluments y afférents. Et que ça ne lui déplairait pas trop de rejoindre cette team d'enfer entre Miami et Vice. Juste récompense pour son admiration trop chihuahuesque, ou plus modestement, léchouilleuse avec pudeur.


Et patati et patata.


Cet entretien passionné et passionnant se conclut sur un programme d'écriture en forme de promesse d'avenir:

"Il y a un travail à faire aujourd’hui sur la critique de cinéma".

Pour sûr.


lundi 3 septembre 2012

Quand Pauline s'ennuyait à la plage (le spectateur dans tous ses états, part. III)







Grosse envie de me plonger dans les deux volumes de Chroniques de Pauline Kael.

(P. Kael est morte en 2001. Date peut-être fatidique pour elle, quand on se souvient qu'elle désigne un des films qui l'affligea le plus au monde.)

Pour le peu que je glane sur le net, en français, ça me chipote, les jugements de Kael. Impression que la logique qui les organise est davantage de l'ordre du pulsionnel. Je peine à saisir leur ligne de force ou de cohérence, même si j'affectionne assez cette manière de parler des films.

Elle pratique la mauvaise foi d'une part, l'emportement subjectif de l'autre, ce que je fais aussi, donc ça me gêne pas trop. Ce qui me gêne, bien entendu, c'est quand elle les applique à des films que j'aime.

Je tombe sur ses formules à l'égard d'Antonioni, et là, ça me chipote franchement.



Blow-up
:

« Antonioni charge son atmosphère d’un tel symbolisme obscur et d’un sentiment d’importance si pesant que les spectateurs se servent du film comme dépotoir du rebut intellectuel. On nous sert des phrases toutes faites du genre : "la froide mort du cœur", "un érotisme glaçant dans sa désolation", et "un monde tellement saturé de stimuli synthétiques que les vrais sentiments sont étouffés" et cetera, car Antonioni inspire ce type de jargon. »

J'ai rien vu de ce qu'elle y voit, c'est elle qui reconstruit, me semble-t-il, le film dans le sens de sa détestation. Elle ne nous parle pas du film, mais des phrases que ce dernier inspire chez un certain type de public. Là est sa mauvaise foi, car si on a le droit (parfois même le devoir) de s'agacer des postures et effets de mode suscitées par des œuvres, ça n'engage pas forcément les œuvres elles-mêmes, ça n'autorise pas à les réduire à leur seule réception. Kael semble assez coutumière de ce genre de tour de passe-passe critique. Souvent, elle aime ou pas en fonction de la production de discours et d'attitudes que suscite tel film dans un microcosme situé, et elle jette l'enfant avec l'eau du bain. Mutatis mutandis, c'est un peu procéder comme ces chroniqueurs légitimés qui vous expliquaient dans leur tribune, sans rire, que si Breivik le tueur norvégien affichait sur sa page facebook qu'il était fan de Kafka et d'Orwell, cela ne saurait étonner, car l’œuvre de Kafka ou d'Orwell est porteuse d'une vision paranoïaque, misanthrope et nihiliste de la société.

On dira alors, plus modérément, en termes de positionnement "esthétique", que Kael fustige un certain type de cinéma qui, selon ses critères, serait plus dans l'abstraction ou le formalisme. Mais si c'était le cas (je ne le crois pas vraiment, au vu de ses emportements ambivalents), ce serait plutôt elle qui s'enferme, et nous enfermerait, dans cette alternative binaire et fausse entre "froid" et "chaud", "vrai" et "faux", "abstrait" et "concret", etc. Ce n'est donc pas là que ça se passe. La "congruence" de la "vision du monde" que dessine Kael à travers ses goûts "faits de mille dégoûts", puisqu'il s'agit aussi d'aimer contre une "vision du monde" qu'on associe à des œuvres, n'en est pas moins problématique.

D'une main, elle voue aux gémonies the deer hunter de Cimino (merci Dr. Apfegluck pour la citation):
 "[...] La substance même du film – le contraste entre la communauté de Clairton et le chaos vietnamien – offre un message isolationniste classique : l’Asie devrait être laissée aux Asiatiques, et nous devrions rester chez nous, mais si nous sommes contraints d’aller là bas, nous leur montrerons de quoi nous sommes capables [...]"

De l'autre, elle porte aux nues extatiques le maniérisme opératique d'un Coppola ou d'un De Palma. Apocalypse now est-il fondamentalement moins puant politiquement et éthiquement que Voyage au bout de l'enfer? En outre, cette dénonciation de "l'isolationnisme" est tout aussi courte qu'ambiguë: cela n'invalide nullement le principe d'une guerre à visée expansionniste et/ou impérialiste, et ça n'effleure que du bout des lèvres le différentialisme racialiste ressassé en sourdine par la plupart des films "de guerre" de l'époque, sous la forme d'un "trauma" qui ne concerne jamais que le seul point de vue américain, et dont "l'antimilitarisme" n'est à tout prendre qu'une façade autorisant de se plonger avec délectation dans le vertige de l'apocalypse guerrière.

Le cinéma d'Antonioni lui apparaît comme l'archétype de la "pause post-analytique". Y promènent leur "désenchantement" des "personnages [qui] sont des intellectuels en carton-pâte, rejoignant la vision bourgeoise de la stérilité artistique" (ça s'applique autant à la dolce vita). Par contre, les mignardises post-analytiques du cinéma de De-Palma, avec son défilé lancinant d'Obsessions kitsch à la body double ou phantom of the paradise, elle trouve ça ultra-formidable...

Elle s'extasie devant le boursouflé, terriblement daté et vain (qualification qu'elle affectionne pour parler de... Kubrick, voir infra) blow out, mais soupire avec bcp d'agacement devant Fellini Roma.

Elle hait le "fascisme" de dirty Harry, tandis qu'elle se trouve fascinée par celui de straw dogs, à propos duquel elle rédige un article fort élogieux ("premier film américain qui soit une œuvre d'art fasciste"). 

Si on veut lire quelqu'un qui n'est pas franchement "fasciné" par Peckinpah, ce serait intéressant de se rapporter à l'analyse du straubien Louis Seguin (1929-2008) (dans Une critique dispersée, 10/18, 1976, faut fouiner dans les occasions): il ne fait pas dans la dentelle à propos de ce film. J'aime bcp Peckinpah, et aussi Straw dogs, mais quand je lis Seguin, j'en ai un peu honte. Il faut dire que lorsqu'on parcourt ce recueil - que je recommande car ça défrise -, on est enclin à mettre à la poubelle 90% de la production cinématographique...
Seguin applique à Straw dogs ce traitement même que Kael réserve au seul Deer hunter, mais va davantage vers le fond du problème:

"Son récit abandonne les alibis du passé pour l'âpreté du présent et les terres abstraites de la légende pour ces lieux d'exil où l'homme américain apporte sa volonté de paix mais se voit contraint, malgré sa répugnance, d'user contre un indigène sanguinaire de son génie, de son courage et de sa technique. [...]
Peckinpah reprend sans ironie la fable du petit tailleur en l'accommodant à la sauce trouble du fascisme. La publicité montre cet axe: "il devient un homme en en tuant sept autres". [...] Peckinpah clôt avec assez de conséquence un cycle des alibis moraux de la répression. Il montre avec le mérite minimum de sa naïveté leur mécanisme et leur destin. Mais l'autocritique de cette paranoïa sera réservée au splendide a clockwork orange de Stanley Kubrick".

Une lecture qui se justifie amplement, considérant que Peckinpah lui-même présentait ce film comme une pierre jetée dans le jardin des militants pacifistes de "gauche" (on est en pleine période de contestation de l'intervention américaine au Vietnam) qui se voilent la face sur la nature fondamentalement violente, animale et barbare de l'être humain.
Par ailleurs, les thèses du paléoanthropologue, dramaturge et scénariste Robert Ardrey (African genesis, The territorial imperative, ouvrages qui lient la naissance des "civilisations" à la naissance de "l'art de tuer") exercent à cette époque une forte influence non seulement sur Peckinpah, mais encore nombre de cinéastes et scénaristes œuvrant à Hollywwod, dont... A.C. Clarke & Kubrick qui s'inspirèrent notamment de sa killer ape theory pour la genèse de 2001...


C'est d'ailleurs curieux de constater à quel point les analyses de Seguin présentent une sorte de symétrie inversée avec celles de Kael. Il se tient dans l'ombre d'un travail de taupe creusant des trous dans les séductions de l'industrie des loisirs, elle se tient comme une diva redoutée dans la lumière coruscante des sunlights, distribuant les bons et les mauvais points à qui l'amuse, l'émeut ou la divertit ou au contraire la mortifie d'ennui et "insulte son intelligence".
Ce qu'elle aime, il l'exécute; ce qu'il apprécie, elle l'expédie.

Paul Schrader était son grand chou-chou. Mais l'idéologie douteuse innervant les scénari et films de ce dernier est-elle fondamentalement si différente de celle d'un Friedkin, qu'elle déteste? Cohérente dans ses amours ou désamours ou plus simplement pusillanime dans sa possessive maternance (dont même Coppola semble se plaindre)?

D'un autre côté, elle loue Altman, mais en quoi Altman serait-il plus proche de la "vie" qu'un Antonioni? Le dispositif de mise en scène d'un Altman n'est pas moins artificiel ou concerté que celui d'un Antonioni, même s'il produit une expérience qui semble être à l'opposé. Le critère décisif, ce serait quoi, alors? Que ce dernier serait typiquement "américain", et pas l'autre? Sauf quand il se prend pour Bergman (trois femmes)? On se perd en conjectures.

Elle porte aux nues Godard, surtout pour bande à part, qu'elle voit comme un manifeste existentialiste (si on veut) pour un "style de vie". Mais Godard n'est pas moins formaliste, distancié, froid, intellectualiste, qu'un Antonioni si on se met à jouer sur ce genre de poncifs binaires. Et bande à part n'est pas si séparé du reste de l’œuvre de Godard (Pierrot le fou, que Kael ne supporte pas), n'en déplaise à ceux qui s'échinent à repérer des "périodes" ou des schizes "magiques" chez un cinéaste, triant le bon grain de l'ivraie et créant ainsi une ligne de démarcation rassurante entre ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas chez ce dernier.

Elle réclame de l'humain, du concret, du corps, de la sensualité, de la violence (et justement un de ses dadas semble être de dichotomiser continellement la "tête" et les "jambes", comme dans l'émission de Pierre Bellemarre, jadis); elle vomit les tièdes, selon l'expression consacrée, mais elle supporte pas Cassavetes, trop "collant" ou "promiscuitant" à son goût.

La posture de l'authenticité prisée par un certain "naturalisme" à cœur ouvert l'indispose fortement (surtout quand ça vire au sentimentalisme "trop honnête" et narcissique pour être vraiment honnête: Eustache, sa maman et sa putain - et j'aurais tendance à lui donner raison); ce qui ne l'empêche pas de suspecter systématiquement de froideur chirurgicale ou vivisectionniste les cinéastes chez qui à l'inverse le feu couve intensément sous la glace, comme on aime à dire quand on cause de la musique de Ravel. Kubrick et Antonioni constituent à cet égard une sorte de paradoxe inquiétant, indécidable, l'incitant à sortir inlassablement la grosse artillerie pour les rabattre univoquement sur l'ennui distingué que génèrent les "dissertations", "thèses" et autres "pensums" de salon dépourvus d'affect, selon l'antienne.

Elle adore the warriors de Walter Hill, moi aussi, et perso, je ressens dans the warriors une tonalité affective et esthétique fort proche de ce qui me touche dans l'univers d'Antonioni. Je développe pas, ça nous entrainera trop loin. Juste dire que voilà un film à sa façon aussi ludique, abstrait et lunaire que le serait éventuellement "blow up". Avec même une dimension statuaire à la Marienbad ("A voir ces films, on pourrait se dire que la détresse morale est la dernière trouvaille des grands couturiers", écrit-elle au sujet du Resnais).



Elle vénère le dernier tango à Paris, qui lui a procuré une telle émotion qu'elle n'hésite pas à comparer sa vision au choc de la première du Sacre du printemps en 1913.

Grand bien lui fasse.

Le dernier tango, dont je n'ai jamais pu pousser la vision au delà de 50 minutes (principalement par ennui), concentre à mon sens tout ce qu'on peut faire en matière de « froide mort du cœur », « érotisme glaçant dans sa désolation », et « monde tellement saturé de stimuli synthétiques que les vrais sentiments sont étouffés ».
Quant au reste de la filmo de Bertolucci, y compris 1900, j'y vois pour ma part tellement d'artifices, didactismes lourdauds, vacuités languides et morbidités chic et choc, que je donnerais tout Bertolucci pour cinq minutes de l'émotion que me procure ce Barry Lyndon à propos duquel elle déclare:
« Kubrick refuse de nous divertir, même de nous émouvoir, ce qui fait de ce film l'un des plus vains qu'il m'ait été donné de voir. », ajoutant même: "Ceux qui partagent la morale de Kubrick, selon laquelle les humains sont dégoûtants mais les choses exquises, s’y retrouveront certainement".
Ah, l'éternel poncif - dont elle lança en partie la mode - et qui la rend proche, pour une fois, d'Antonioni: "Vous savez, dans 2001, les meilleures choses sont les machines, qui sont bien plus splendides que ces idiots d’humains". (On s'amusera - ou pas - en consultant ici et quelques jugements proférés par des cinéastes renommés sur l’œuvre de leurs estimés confrères).


[Nota bene sur Kubrick: on réduit encore si souvent les films de Kubrick à des procès d'abstraction, à des démiurgies froides et désincarnées, où tout est décidé, déterminé, plié à l'avance; entomologiques: on y regarderait les hommes se débattre comme dans une toile d'araignée, et blablabla. Rien de plus faux selon moi: ce sont justement parmi les films les plus ouverts, qui se signalent avant tout par leur incroyable richesse plastique, au sens de "ce qui peut changer de forme sans se détruire". Le goût de Kubrick pour les symétries, loin d'enclore l'espace, est perspectiviste comme les œuvres des grands maîtres de la renaissance, férus du nombre d'Or. Il ouvre au spectateur les cadres de la rêverie poétique, du vagabondage, il construit l'oeil amoureux des espaces qu'il recrée et habite. On a raison de rendre justice au Kubrick sensoriel, dont la plus grande abstraction rejoint la plus grande sensualité. Ligeti, son "frère" en musique, pourrait-on dire, y a pas plus sensoriel.
Pauline Kael est peut-être bien rigolote, c'est vrai, un peu, mais pour le coup elle manquait vraiment de sensualité (pareil à propos d'Antonioni. Alors, on rit, un peu, mais on a un peu honte d'être otage de ce rire là. Il y a un fond nauséabond, poujadiste, dans cette hargne contre le soi-disant "intellectualisme"). Kojève avait écrit un papier sur les toiles de son oncle Kandinsky. Il les qualifiait de "peintures concrètes". On peut mutatis mutandis appliquer ce terme à Kubrick. Shining, 2001, Barry Lyndon, EWS, sont des films que je peux voir et revoir sans jamais me lasser, toujours un plaisir immense. Le terme de "film-cerveau" a suscité beaucoup de malentendus, aussi. Car dans les ukases de la critique, on en est venu à confondre paresseusement "film cerveau" et "film cérébral", ce qui bien sûr n'est pas du tout la même chose. Il y a tellement de films prétendument consacrés au corps et aux corps qui sont cérébraux, cousus des lèvres et d'la bite que c'en est étouffant. Pas un seul angle où se réfugier pour avoir juste le droit de regarder sans être emmerdé le motif d'un tapis, un lampadaire projeter sa lumière indirecte sur un lambris, une fanfare de mirlitons dans un pâturage anglais, les vitrines d'une rue commerçante illuminées par les lampions de Noël, etc. Alors non seulement on a du plaisir à regarder, dans les films de Kubrick, mais en plus, on a le droit de construire, à son rythme, sa lecture, sa compréhension, ses jeux de renvois et ses références, car ce ne sont pas les échos et les mises en abyme qui manquent. C'est quand même sympa, pour nous, spectateurs, je trouve.]


Chacun verra donc midi ou minuit à sa porte.
Fin de l'article de Seguin sur Le dernier tango:
 [...] L'écrivain de Madame Edwarda n'est pas le moraliste de cette perdition dont le dernier tango offre un aussi complaisant spectacle. Il n'affirme que l'irrégularité du langage érotique, sa progression au détour de sa propre loi [...]. Ainsi sa figure préférée est-elle l'ellipse et son récit la seule forme achevée, systématique, du vouloir dire.
Faute de le reconnaître, Bertolucci ne sait offrir qu'un catalogue. Loin de tout délire c'est au boniment, à la forfanterie du de plus en plus fort qu'il nous convoque. Le dernier tango est le film d'un camelot économe et désuet qui partage avec d'autres cinéastes de sa génération les velléités d'un dandysme timide, l'obsession du nouveau riche, le désir inconséquent d'exhiber sans l'offrir le détail de son acquis. Sa bravade décorative lui fait rechercher l'échantillon, le signe voyant et le banal, bref: l'esthétique du on, le décor où l'on tourne, le costume que l'on porte et l'hôtel où l'on couche. Ses fantasmes, malgré les jurons et les "mets-moi deux doigts dans le cul", s'en remettent, et c'est ce qui fait leur succès, au seul pouvoir de la lésine. Le dernier tango mime la passion virile de l'accumulation. Et puisque ce cinéma parcimonieux de voyageur de commerce louche vers Bataille, laissons à Bataille le dernier mot:
"En tant que classe possédant la richesse, ayant reçu de la richesse l'obligation de la dépense fonctionnelle, la bourgeoisie moderne se caractérise par le refus de principe qu'elle oppose à cette obligation".

Alors, manifestement, ce qui lui tient à cœur, comme je le mentionnais plus haut, c'est d'adresser des piques à une catégorie socio-économiquement déterminée de critiques-spectacteurs "bourgeois", catégorie qu'elle reconstruit, objective et fantasme essentiellement depuis sa position paradoxale (car peu interrogée par elle-même) de "critique influente" et "prescriptrice d'opinion" dans le chic et intello the New Yorker.

Toujours à propos de blow up:

« Les gens me semblent terriblement prêts à abandonner logique, perspective et humour pour subir la dernière pénitence à la mode ; à peine installés dans leur appartement de l’Upper East Side, les critiques new-yorkais écrivent comme s’ils s’apprêtaient à partir en retraite monacale le lendemain matin. »


Mais parlez pour vous, madame. Je n'ai pas d'appartement dans l'Upper East side et me contrefous des dernières pénitences à la mode. Pourquoi devrais-je me ranger dans la catégorie des intellectualistes snobs qui se couchent systématiquement devant des impostures arty? Je n'ai jamais été "à la mode", n'ai jamais mis les pieds dans une cave "underground" ni rêvé de briser la guitare de Jeff Beck pour faire mon intéressant. Si le "swinging London" des sixties m'interpelle autant qu'une motte de beurre, il faut donc que j'aie retiré autre chose de la vision de blow up.



En somme, Kael n'envisage pas une seconde que ce qui ne l'affecte pas puisse éventuellement témoigner de son incapacité d'être affectée, elle: si d'aventure d'autres étaient affectés par ce qui échoue à l'affecter, c'est forcément parce qu'ils sont abusés et faux-cul. Vous ne sauriez être affecté par ce qui ne m'affecte pas, donc, vous avez l'illusion d'être affecté, par conformisme, par peur de passer pour un imbécile. C'est ce genre d'intimidation que pratiquait aussi un Jean-Louis Bory.

La formule, devenue quasiment un ukase publicitaire, caractérisant l'intransigeance de Kael, c'est "la critique qui regarde avant de révérer"... Mais ça donne pas mal de grain à moudre à la posture "beauf", entendons par là un "anti-intellectualisme" revendiqué et burné, autorisant à déprécier à bon compte, et sous couvert de ne "pas s'en laisser conter", les films qui manquent de "fun" au sens qu'exaltera la cinéphilie d'un Tarantino (lequel considère Kael, il le répète souvent, comme sa "seule école de cinéma").


A propos de Zabriskie Point:

« On est embarrassé pour Antonioni non parce qu’il insulte l’Amérique – tout le monde le fait, on y est habitués –, mais parce qu’il insulte notre intelligence. »


Mais qui décide, à la place du spectateur, de son intelligence?
Et c'est un peu fatigant, cette façon de glisser du je" du plaisir (ou du déplaisir) perceptif à un "nous" englobant, qui plus est national...


mardi 15 juin 2010

Lettre à Freddy (sans Buache)



Non c'est pas vrai, c'est pas ça du tout. Mais alors pas du tout.

Je n'ai aucun parti pris pour le "crasseux", le "noir", versus le "beau", "le lumineux": c'est des poncifs, tout ça, je me situe pas là. Tu construis une catégorie purement imaginaire de ce que tu crois être les films que j'aime, c'est nawak (je t'ai indiqué une liste). Et c'est vraiment pas ma rhétorique. Tout ce qui est systématique m'ennuie, que ce soit dans le registre noir ou lumineux, c'est pas le problème.
Et je recommande très peu de films en général. Quand je tiens vraiment à défendre un film, j'en esquisse une analyse. Phénomène très rare. Parce que ça m'ennuie tellement d'écrire sur les films eux-mêmes. Et quand je parle des films (rarement), c'est toujours pour parler d'autre chose. Tu devrais le savoir depuis le temps. 
D'ailleurs, ça commence à me faire tellement ch... de non-écrire sur le cinéma que je vais bientôt ouvrir deux nouvelles rubriques où je pourrai, à mon rythme - c'est-à-dire le bon - non-écrire sur la musique dans l'une, faire du "testing-evaluating" d'objets techniques et divers de la vie courante dans l'autre. Ce qui constitue en fait ma vraie passion. Testeur, j'ai ça dans la peau, c'est un don quasi-naturel. J'aurais pu faire meilleur vendeur dans n'importe quel rayonnage d'objets techniques de la vie courante, si j'avais pas préféré ne rien faire. Ce qui en fait est ma passion fondamentale. 





Je suis pas fan de Bresson. J'ai du mal à "comprendre" Bresson. Je peux dire que Bresson (sauf ses premiers films) m'ennuie profondément, au mieux, et au pire m'est insupportable, parce que je n'ai pas travaillé les clefs pour l'appréhender. Et que j'en ai pas envie.
Par contre, quand je dis "bressonien", c'est un qualificatif très superficiel, comme quand on dit "kafkaien" ou "fellinien": ça veut pas dire que c'est comme Kafka ou Fellini, mais on "voit" un peu ce que ça peut vouloir dire, dans une conversation. Sans plus.

Je ne milite pas pour un "genre" ni un "style" déterminés.

Contemplatif, action, réaliste, fantastique, documentariste, féérique, sf, série b, blockbuster, commercial, confidentiel, expérimental, mainstream, triste, comique, désespéré, euphorique... Je n'ai pas de préventions. Je suis très bon public. Je peux trouver de l'intérêt, des choses passionnantes, dans des films de factures très différentes. D'autant que les catégories mentionnées n'existent pour moi que pour repousser leurs frontières, s'interpénétrer (action/contemplation, déjà: combien de films d'action où il ne se passe strictement rien, combien de films dits "contemplatifs" riches d'une activité permanente, etc).
Mais je ne dirais pas qu'"il y a toujours quelque chose à tirer d'un film". Non, y a rien à tirer d'un mauvais film. Y a des films dont on peut franchement s'abstenir. Et dont la nullité n'offre aucune leçon à méditer ou à engranger. Malheureusement on s'en aperçoit toujours trop tard. Que de temps perdu, qu'on aurait pu consacrer à ne rien faire. 





Je ne pense pas non plus qu'il faille "faire un effort", au sens de simplement insister, dans un cadre identique. Si le cadre, le complexe percept/affect/intellect, qui a déterminé telle saisie, n'a pas changé, c'est pas la peine, faut pas insister.
Mais ça dépend de ce qu'on nomme "effort" (je peux insister pour écouter une pièce de musique que je ne comprends pas, parce que je suis suffisamment informé de sa valeur. Mais pour cela, je me mets dans un certain travail d'élargissement de ma capacité à écouter, qui dépasse le cadre de la pièce pour elle-même. Pareil pour un film). 
 
Les pommes ne donnent pas des poires, du moins pas de but en blanc, ni en se forçant. ça se passe dans un ensemble, extra-cinématographique. La cinéphilie n'étant et ne pouvant être elle-même qu'extra-cinématographique, bien entendu, sinon autant se passionner pour les timbres ou les capsules de bière. Et pourquoi pas, d'ailleurs. Même en ces cas, ces passions, dans leur cadre même, sont "débordées" par de l'extra-timbrique ou de l'extra-capsulaire. Ce qui importe, c'est de le comprendre, de le saisir, peut-être de l'analyser.

Par contre, une constante: je crois qu'il ne faut pas voir trop de films sur un délai trop concentré, et je crois aussi qu'il faut, si possible, ne pas attendre a priori un événement qui, s'il arrive, n'est justement pas attendu. Ou chercher, à tout prix, ce qui dans tel ou tel film ferait avancer "la cause du cinéma" (décidément, une forme d'obsession que j'ai bien du mal à saisir) selon je ne sais trop quels critères ou cahier des charges à remplir.
J'ai déjà énoncé, plus que de raison, combien dans la manière d'aborder les films, ce genre d'obsession me semble trop souvent prendre la place du plaisir un peu benêt du spectateur (notion dont beaucoup se méfient terriblement, la répudient au prétexte qu'elle serait incompatible avec le sérieux d'une entreprise critique, d'une quête de je ne sais quel "absolu", qu'elle serait une chute terrifiante engendrée par le péché originel d'un quotidien sans grandeur, croit-on, n'œuvrant pas, croit-on, à "ouvrir de nouvelles possibilités").

Je crois pas du tout à l'intérêt de l'actualité cinématographique, en termes de critique "cinéma" (par contre, ça dit toujours quelque chose de l'actualité de l'époque, le Zeitgeist du film n'étant pas plus immédiat qu'elle, d'ailleurs).
Ça m'hallucine régulièrement la portée "événementielle" qu'on accorde à tel film, au moment de sa sortie. Il est vrai que je vois toujours les films au moins 6 mois après leur sortie en salles. Y a plus cet effet d'attente, ce sur-investissement, cette saturation de désir, de sens, qui entourent le film au moment de son actualité, avec cette idée que quelque chose de "décisif" se passe ou ne se passe pas dans... "l'histoire du cinéma".


"Aller à Cannes". Là où "ça se passe", l'actualité du Cinéma, l'Avenir du cinéma. L'Histoire en marche, comme Hegel regardant Napoléon passer sous sa fenêtre. Quelle idée saugrenue, quand on y songe. Et pour "croire" à nouveau "au Cinéma". En plus. ça me dépasse.

Platitudes que mon propos, bien entendu. Je me situe vraiment dans l'inactualité des films. Je m'efforce de ne lire les critiques qu'après, comme si je refusais d'entendre le résultat d'un match jusqu'à ce que je le visionne en différé.
Mais justement, c'est pas un événement sportif. On voudrait nous faire croire que si. Mais non, on peut voir tout ça après, ce ne sera pas un temps dégradé. Au contraire, cette croyance que tout se joue "au moment même" de la sortie en salles, je comprends pour la question cruciale du commerce, mais ça crée les conditions du contraire: une négation du temps que nécessite l'œuvre pour se recevoir. 





Et des films, j'en ai vu, hein. Je le dis avec toute la "self-indulgence" qu'un vieux con à la Cornac McDonald peut s'accorder.

Entre 12 et 14 ans, je suivais déjà assidûment le ciné-club de Dimitri Balachov et de Claude-Jean Philippe.
Je connaissais mon Truffaut sur le bout des doigts et prétendais à qui voulait l'entendre qu'"une belle fille comme moi" était son meilleur film méconnu, mais tout le monde s'en foutait.
Je me passionnais pour le grand travelling latéral de "week-end" de Godard; découvrais la phénoménologie avant d'en connaître le nom avec "deux ou trois choses que je sais d'elle" et le monologue sur le gros plan de la tasse de café.
Je prenais Wanda de Barbara Loden de plein fouet.
J'apprenais à distinguer la résistance et la collaboration en suivant "la Honte" de Bergman.
Je m'intéressais déjà aux films "orphelins", depuis les "yeux fermés" de Joël Santoni - qui me faisaient découvrir Terry Riley - à "Bartleby" de Maurice Ronet, en passant par "ils" de Jean-Daniel Simon.
Je débattais avec moi-même pour déterminer si Cassavetes était plus grand que Pialat ou l'inverse, tout en trouvant génial "phantasm" de Don Coscarelli et en rêvant de rédiger une étude sur "l'angoisse du gardien de but" de Wenders-Handke, ou "les petites fugues" de Yves Yersin, tout en trouvant la filmo de Tanner déjà ringarde. 
Je conseillais au programmateur du ciné-club de mon athénée de projeter "l'argent de la vieille" de Comencini plutôt que "jaws" de Spielberg, parce qu'il hésitait entre les deux commandes de pellicule et ignorait l'existence du premier. Ce qui me valut de sévères reproches, parce que 98% des gosses avaient quitté la salle après 20 minutes, en ordre dispersé, en pleurnichant, gémissant, bavant et tout.
Je forçais mes parents à regarder "de l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites" de Paul Newman tout en les surveillant sévèrement du coin de l'œil, comme un pasteur luthérien, au cas où ils s'endormiraient, les pauvres.
Je m'inquiétais de ne pas avoir vu un film de Hans Jürgen Syberberg ou "ce répondeur ne prend pas de messages" de Alain Cavalier.
A 14 ans et demi, je prenais Fellini-Roma dans la gueule.
A 15 ans, je découvrais des films de René Allio dont personne ne parle ("dure journée pour la reine").
A 16 ans, je connaissais par cœur presque tous les films de Polanski, y compris ses courts-métrages à Lodz, alors que beaucoup en dissertent avec dédain tout en confessant sans honte qu'ils n'en connaissent que deux ou trois films, et les plus mauvais.
A 17 ans, après avoir vu "le signe du lion" de Rohmer, j'ai reçu la révélation de ma hantise fondamentale de terminer clochard (mais sans la fin heureuse d'un héritage providentiel).
A 18 ans, je commençais une giga-collection de cassettes vhs dont tu peux même pas imaginer la teneur dans tes pires cauchemars - comprenant des films totalement invisibles aujourd'hui de Herbert Achternbusch, de Pierre Etaix, des Duras que personne n'a et ne souhaite avoir, comme "des journées entières dans les arbres", "Belle" d'André Delvaux, dont j'ai sans doute la seule copie en Belgique. Je veux dire en Syldavie septentrionale.
Je découvrais "Maine Océan" de Rozier, "blue velvet" de Lynch, ou "after hours" de Scorsese, à leur sortie en salle. C'était une époque où les non-cinéphiles allaient mater comme tout le monde des films aujourd'hui réservés aux ciné-clubs.
A 21 ans, je découvrais, dans une salle absolument déserte de Droixhe, "le passager" de Kiarostami. 

Ah mais t'tention hein, oh.


Honnêtement, je comprends pas (en dehors de la question cruciale du gagne-pain) le "métier de critique-chroniqueur", en soi. Voir des films tout le temps, au fur et à mesure qu'ils sortent. Et faire son papelard numérique là-dessus. Prendre la température météo de ce qui est sorti cette semaine. Voir tout le temps des films, et par "spécialisation" dans cette occupation, en plus ... Vraiment. C'est pas possible, on voit rien, on doit ne rien voir. C'est le plus sûr chemin vers l'indifférenciation de tout dans tout, la nuit où toutes les vaches sont grises. 





Pour sûr, si j'allais voir tout le temps des films avec mon passport UGC illimited ou quoi ou qu'est-ce, je ne manquerais pas de trouver à force qu'ils se ressemblent tous, banals et répétitifs. Parce que malgré ma bonne volonté, je ne manquerais pas de confondre tôt ou tard la continuité répétée de mon activité de spectateur avec l'uniformité réelle ou supposée objective des films qui défilent devant moi comme des trains qui passent sans discontinuité. C'est pour ça que, chacun son rapport au temps me dira-t-on, moi, ma passion, c'est l'archive. En vue de voir ou de revoir, plus tard, ce qui du passé peut éventuellement passer dans le présent, dépassé, et se conserver, modifié, dans l'avenir. Puis pas plus de quelques films par semaine. Sinon, je peux pas décanter, et c'est l'agueusie, comme disait le gars dans "l'aile ou la cuisse".

C'est aussi pour ça, en partie, que 90% de ce qui s'écrit dans les mags de cinéma professionnels est si mauvais. On s'en rend très bien compte quand on lit, longtemps après, ce qui a été écrit. On devrait interdire aux gens d'écrire le jour même ou le lendemain sur le film qu'ils ont vu la veille, alors qu'ils sont déjà en route pour le suivant. On devrait créer un magazine de cinéma exclusivement dédié à l'actualité d'il y a 6 mois.

Bien sûr, inutile de croire qu'on va échapper aux effets de "spot" sur un film. Il ne s'agit pas davantage de prétendre qu'un film ne serait pas lié à sa détermination "sociétale" au temps de sa fabrication et au temps de sa sortie. Il s'agit de recevoir "après-coup". Je ne dis pas que c'est mieux, mais ça dispose une autre façon de recevoir. Dans la distance chronologique et spatiale, avec un poids d'attente minoré, on peut éventuellement mieux voir les choses, mieux apprécier leur proportion. 
 
 



On peut se rendre compte que pas mal de choses qui ont été commentées en abondance comme gigantesques sont en réalité minuscules, d'un impact ou d'un intérêt frôlant le zéro absolu, ou des choses méprisées, expédiées d'un revers de main, qui sont en fait des films immenses, qui creuseront leur sillon dans l'époque. La grandeur ou non-grandeur d'un film se construisent dans le temps. Y compris leur lien à leur époque, à ses enjeux. Tant de malentendus, tant de passions inutiles, de palabres vaines, suscitées dans l'effet de sidération de "l'ici" et du "maintenant". Encore une porte ouverte, que j'enfonce avec délice.


Et sinon, faut pas croire que je recommande une méthode quelconque, ou prétends en détenir une... Je dis pas qu'il faudrait regarder comme ceci plutôt que comme cela, procéder ainsi et non pas comme ça, etc. Mais non, faut pas se forcer.
On fait avec les compositions d'affect qu'on a, qui sont de toute façon intriquées à un régime de sens qui peut être analysé, d'ailleurs, selon des perspectives fort différentes. Le monde et le sens du monde ne se jouent pas tout entiers, à chaque fois, comme si on était susceptible de devenir quelqu'un d'autre, soudain. Gardons-nous des "il faut", enfin, façon de parler, car c'est ambigu: l'exigence est recommandée, mais pas au point où les conditions qui la rendent possible n'existent pas ou pas encore. C'est un processus qui ne relève pas de la seule volonté. 

Y a trop de volontarisme dans tout ça.

Du coup, on reçoit les préventions critiques comme des injonctions paradoxales (sois différent, regarde autrement, ne pense pas comme ça, etc), et on oscille constamment entre des radicalismes, bannissant les zones de l'entre-deux, de l'indécision, du clair-obscur. On veut à tout prix savoir si on adore ou si on déteste.
Quelque chose dont l'urgence de la détermination commanderait le "présent" du cinéphile passionné. Il voudrait tant être "au clair" avec lui-même, fixer, graver l'objet de sa passion dans le marbre d'une vérité qui demeure. C'est cette angoisse typique du temps, de son vide fluant qui ne cesse de grignoter et de basculer la présence désirée de l'objet dans la déception de l'ayant-été.

Mais c'est pas si simple, c'est si peu simple qu'on oscille constamment, comme affolé, perdu, dans les extrêmes de la passion "contradictoire", qui sans cesse modifie la certitude immédiate de "A" en certitude légèrement différée de "Non-A". Tout cet antagonisme de certitudes contrastées, pour échapper aux zones de l'incertitude, de la co-existence ambiguë de plusieurs possibilités soumises à la modification du temps. C'est combien classique.
Faudrait apprendre à se prononcer, longtemps après, pas spontanément mais dans un horizon "perspectiviste"; et moins sur la "valeur" du film en soi que sur les régimes de valeurs qui ont entouré sa vision.
Qu'est-ce qui change, a changé, à travers moi, dans ce qui me regarde en même temps que je le regarde? Qu'est-ce qui se conserve? Qu'est-ce qui disparaît? Qu'est-ce qui est susceptible de changer de forme sans se détruire? Que reste-t-il de tout cela? Oh ne me le dites pas forcément, je m'en fous un petit peu; pensez-y, faites-en une pensée, s'il y a matière à penser, à produire des énoncés, mêmes quelconques, pour faire marrer les chauves et les cantatrices, ou interrompre les flux de pensée dans la cervelle des idiots, ou faire perdre du temps à des gens très intelligents, etc. Y a plein de possibilités rigolotes, en fait.
Mais tout cela implique - et ce sera ma "conclusion" provisoirement définitive autant que définitivement provisoire - de renoncer, dans l'expérience de vision, au mythe d'une "saisie absolue", inconditionnée, anhistorique, intransitive, etc etc.

Cordialement,

Jerzy P.
Cinéphile verviétois.











"Et trois ou quatre fois l'an je revenais, ne sachant pourquoi, seul, pour les contempler, non pas seulement Grand-père et Grand-mère mais eux tous, profilés sur le fond du vert luxuriant de l'été et l'embrasement royal de l'automne et la ruine de l'hiver, avant que ne fleurisse à nouveau le printemps, salis maintenant, un peu noircis par le temps et le climat et l'endurance mais toujours sereins, impénétrables, lointains, le regard vide, non comme des sentinelles, non comme s'ils défendaient de leurs énormes et monolithiques poids et masse les vivants contre les morts, mais plutôt les morts contre les vivants; protégeant au contraire les ossements vides et pulvérisés, la poussière inoffensive et sans défense contre l'angoisse et la douleur et l'inhumanité de la race humaine." 
(W. Faulkner, Sépulture Sud, Idylle au désert et autres nouvelles, Gallimard, coll. "du monde entier", Paris, 1985.) 

mardi 12 janvier 2010

"La révolte du peine-à-jouir", ou le spectateur dans tous ses états (part. 2)


Ah oui mais attention, y a la notion de "divertissement", aussi. Le critère décisif, ultime, fédérateur et pacificateur, qui éteint toutes les polémiques et tranche tous les nœuds gordiens de tous les branlottages constipatoires et neurotiques de fâcheux cherchant midi à quatorze heures. Mais vous vous prenez trop la tête, cher monsieur, allons, vous en faites tout un plat, tout ça c'est pour rêver, c'est pas sérieux, c'est pas grave: on est là pour se distraire, prendre du bon temps, oublier le quotidien mor-hôwo-se. Pardonnez mon indiscrétion mais rassurez-moi, ça vous arrive de prendre votre pied, parfois? Le fun, la jouissance, vous avez entendu parler? Vous bandez dur ou vous bandez mou?
 Mouais. Bwoaf. La vieille antienne de l'art comme "évasion", "rêve", "divertissement", sorry, je n'adhère pas. "Oui mais il faut se changer les idées, faut bien passer le temps". Désolé, moi, quand on me propose de me changer les idées, le plus souvent, ça me donne des idées fixes. Pire, je me sens enfermé dans une idée, l'idée que sous l'idée, y aurait une zone vierge, sauvage, libérée du monde des idées. La vraie vie quoi, de pures sensations, quelque chose, peut-être, de l'enfance, nous dira-t-on, l'enfant en nous, qui s'émeut, joue et s'amuse sans trop se poser de questions, qui n'est pas contaminé par le sérieux raide et empesé du monde des grandes personnes, ces vieux enfants tout voûtés qui ne savent plus rêver, que diantre leur est-il arrivé? Z'étaient tempête et rocher noir, qui leur a cassé leur boule de cristal, cassé leurs envies, rendu banals? Qui les a rangé à plat dans c'tiroir comme un espadon dans une baignoire, mais qui?
Toujours est-il que lorsqu'on me propose (qu'on se rassure, c'est juste un exemple, ça m'arrive jamais) d'aller se mater entre potes et potines un film pour se changer les idées, une chance sur deux que je vais souffrir le martyre. Surtout si le film est bête et si sa bêtise même donne bien à penser.
 Il faut ne pas manquer d'une certaine impudence, d'un certain mépris du bonheur, du concept même de bonheur, pour oser infliger à son prochain (et à soi-même) le programme littéralement épuisant d'y trouver ce dernier dans un spectacle qui loin de nous aérer le cœur et l'esprit, nous inflige un concentré sensoriel de représentations, de valeurs, d'idées, de codes, nous bombardant de désirs imbitables, de l'air du temps, adressés à une catégorie socio-économique, socio-professionnelle, socio-familiale spécifiques, et dont nous sommes censés savourer spontanément l'universalité immédiate, dans le rite tant réjouissant d'un partage collectif et roboratif.
 Ben non.
Je ne voudrais pas jouer au rabat-joie et au pisse-vinaigre de service, mais bien évidemment, que ce soient les contes de sorciers affrontant les forces du mal à l'école des magiciens, ou les sagas les plus épiques de trolls en armure, ça concerne toujours notre quotidien, ça traite de choses très basiques de la vie de tous les jours, ça ne sort jamais d'un traitement premier de notre relation avec le monde et autrui. Et de toute façon, se "divertir", fut-ce au sens pascalien, c'est une affaire très sérieuse, peut-être même la chose la plus importante. C'est pour ça qu'on y met tant d'énergie et de passion. Le même désir de pas d'mort, quoi (mince, j'espère que je vais pas réciter tout le répertoire de Souchon. En plus, j'y pense jamais, à Souchon, et je mets jamais de musique quand je branlotte du clavier...)

Bref, "divertissement", ça ne veut strictement rien dire pour moi. Il n'y a pas des films divertissants et des films non-divertissants. Il y a une proposition d'expérience, qui nécessairement et constamment fait partie du jeu actif que nous entretenons avec la totalité de l'existant ou des phénomènes, quelle que soit la forme proposée, et qui soit donne quelque chose, soit ne donne rien, selon qu'elle est réussie ou ratée.
Les critères mobilisés pour apprécier cette réussite ou cet échec s'insèrent eux-mêmes dans ce rapport global, qu'ils prolongent dans le domaine du jugement et de la critique. Et quand je dis "prolongent", c'est bien sûr encore une façon de parler: cette dimension du jugement, de la pensée se retournant sur elle-même, est toujours-déjà impliquée de pied en cap dans l'expérience en question; elle habite le spectateur jusque dans sa passivité la plus profonde.
C'est en vain que les plus cartésiens d'entre les dualistes chercheront à dissocier le "vivre" et le "penser". Comme de bien entendu, c'est  précisément au moment où l'on se croit délesté, enfin, du poids de la pensée sur notre sensation, célébrant l'adage (faussement) hédoniste "primum vivere, deinde philosophari", que l'on procède à l'auto-séparation malheureuse entre un "corps-machine" et une "âme désincarnée". A tous les coups. Mais à tous les coups aussi, sous le règne impitoyable du "fun", on continuera de nous enjoindre de bien veiller - encore et encore - à se couper en deux, à compartimenter tout ça, sous le paralogisme redoutable qu'à ce prix et à cette seule condition, on se sentira enfin vivre. Reborn again.
Enfin, soit. Passons. Sinon je sens que je vais m'énerver, et c'est pas bon pour ma tension artérielle. Car on l'aura deviné d'emblée, et je me dois de ne pas trop insister là-dessus: je suis, bien sûr, le vrai hédoniste, le sensualiste intégral. Je ne songe rien tant qu'à jouir de tous mes sens et de toutes mes perceptions, sur une échelle constante, avec la conscience la plus pleine, la plus réflexive possible, d'en goûter toutes les nuances. Je répugne donc à toute forme de prétendu "amusement" qui me divertirait de cette recherche de plénitude sensorielle, en altérerait la clarté. Je mobilise donc constamment toute l'énergie dont je dispose pour tenir à distance respectueuse toute forme d'obstacle contraignant cette noble préoccupation. C'est ça que j'appelle, moi, la vraie dépense: qui permet de jouir de l'excès lui-même sans en pâtir, donc d'excéder encore davantage, jusque dans les zones non tempérées, jusqu'au seuil où les états de conscience dits modifiés ne sauraient se tenir, par manque de force. "La beauté sans force hait l'entendement, dit Hegel, parce qu'il exige d'elle ce qu'elle n'est pas en mesure d'accomplir". Ça me fait penser, même si on s'éloigne un peu de ce que veut dire Hegel, que j'ai jamais été saoul de la vie. Pas même une seconde. Ça m'a jamais tenté. Et j'aime pas la compagnie des pochards, enfin, surtout les pochards qui mettent un point d'honneur à vous expliquer que si vous refusez de vous bourrer la gueule en leur compagnie, vous manquez aux lois élémentaires de la socialité, du compagnonnage et du festoyage. Y a un truc marrant, c'est que plusieurs internautes qui me lisent parfois, j'ai remarqué ça, sont persuadés que j'écris complètement torché. Y en a même un qui m'a dit, une fois, un Polonais, mais je dirai pas son nom, que j'ai pas besoin de boire pour être bourré. Mais non. C'est, tout bonnement, inexorablement, impossible. Enfin, je touche du bois.

Comment ne pas saisir - continuons hardiment à enfoncer des portes ouvertes, tant qu'à faire, attendu que chez beaucoup elles ont apparemment été refermées depuis longtemps - que le "petit plaisir " recherché et obtenu dans le "divertissement", au sens de l'oubli de soi, de l'oubli du quotidien, n'est rien d'autre que la manifestation d'une douleur:  précisément la douleur de se sentir séparé de soi-même, de sa puissance, d'où l'injonction pressante d'oublier cette douleur, de l'enterrer, de faire diversion. Enfin, bon, "l'assommoir", quoi.
C'est aussi pourquoi, bien évidemment, je suis solidaire des travailleurs du monde entier. Je milite obstinément pour le droit inaliénable de chacun à ne pas être aliéné par toute forme de travail le forçant à se scinder soi-même, le condamnant ainsi à distinguer un ordre du divertissement et un ordre de l'obligation. C'est mon privilège, bien sûr. C'est aussi le fruit d'un labeur d'un genre incertain, sur lequel je ne m'appesantirai pas ici. Sans quoi on pourrait croire que je quémande des remerciements.

Ce que j'essaie de dire, c'est du reste ce qu'exprime - d'une façon différente - un Deleuze, lorsqu'il attaque une doxa lacanienne (plutôt que Lacan lui-même, "obligé de rire tout seul"), celle qui enseigne - tout en générant sur le plan clinique d'innombrables et interminables névroses pathologiques langagières et existentielles assez smart - que "ce qui manque" dans le désir reconduit  incontinent à l'échec perpétuel de la jouissance, qui fait loi. Et là non plus il ne faut pas se tromper. Quand Deleuze nous rappelle que "le manque renvoie à une positivité du désir et pas le désir à une négativité du manque" (Dialogues, p. 110), ça n'en fait pas, bien sûr, l'apôtre de la consomption oublieuse et du plaisir spontané qu'on aime à nous présenter de façon caricaturale; ça n'en fait pas davantage (n'en déplaise à certains clercs professant en chaire, sous le patronage revendiqué du Maître de Berlin, que la pensée deleuzienne représenterait une tentation... fasciste, rien de moins) l'adversaire de Hegel ou des penseurs du négatif, de la négativité comme moteur, ressort de la puissance de l'Esprit se saisissant comme Vie, se saisissant comme identité advenue de l'immédiateté et de la médiation:

« Dormir est un désir. Se promener est un désir. Écouter de la musique, ou bien faire de la musique, ou bien écrire sont des désirs. Un printemps, un hiver sont des désirs. La vieillesse aussi est un désir. Même la mort. Le désir n'est jamais à interpréter, c'est lui qui expérimente. Alors on nous objecte des choses très fâcheuses. On nous dit que nous revenons à un vieux culte du plaisir, à un principe de plaisir, ou à une conception de la fête (la révolution sera une fête…). On nous oppose ceux qui sont empêchés de dormir, soit du dedans, soit du dehors, et qui n'en ont ni le pouvoir ni le temps; ou qui n'ont ni le temps ni la culture d'écouter de la musique; ni la faculté de se promener, ni d'entrer en catatonie, sauf à l'hôpital; ou qui sont frappés d'une vieillesse, d'une mort terribles; bref tous ceux qui souffrent: ceux-là ne "manquent" ils de rien? Et surtout on nous objecte qu'en soustrayant le désir au manque et à la loi, nous ne pouvons plus invoquer qu'un état de nature, un désir qui serait réalité naturelle et spontanée. Nous disons tout au contraire: il n'y a de désir qu'agencé ou machiné. Vous ne pouvez pas saisir ou concevoir un désir hors d'un agencement déterminé, sur un plan qui ne préexiste pas, mais qui doit lui-même être construit. Que chacun, groupe ou individu, construise le plan d'immanence où il mène sa vie et son entreprise, c'est la seule affaire importante. Hors de ces conditions, vous manquez en effet de quelque chose, mais vous manquez précisément des conditions qui rendent un désir possible. (Dialogues, p. 115, Champs/Flammarion, 1977) »
Concernant certains rentiers bourgeois, népotiques et replets menant épuration salariée dans des bibliothèques départementales lustrées au finitec et où je ne foutrai plus jamais un patin, le poison insane du serpent à plumes sera administré en son heure, à la fraiche. M'en vas leur fair'faire un t'tit tour en mer... Et y paieront pour toute la smala. TOUTE LA SMALA.








Mais revenons plutôt à ce qui nous amuse parce que ça nous réjouit, et réciproquement. Dans les films les plus, disons, "fantastiques" (c'est d'ailleurs mon genre préféré, c'est pour ça que j'en parle si peu: j'ai trop peur d'en parler mal. [...] Mh? Comment? Eh bien c'est votre opinion et je la respecte), une part notable de mon bonheur est d'y trouver matière à éclairer, décrypter mon quotidien. Non pas "l'oublier", mais au contraire m'en souvenir d'une autre manière. J'ajouterai, bien souvent me souvenir que quelque chose de ce quotidien a été oublié, me pencher sur cet oublié, à travers la machine cinéma ou autre chose. Enfin, bon, c'est connu. Comme le rappelait un certain, l'oubli est inséparable de la question de l'être elle-même, qui ne cesse de se reposer à nous sur le fond de son oubli constitutif. Il faut oublier, mais dans une certaine forme d'oubli qui consiste à toujours se souvenir qu'il y a de l'oublié. Un oublié-inoubliable, selon une formule de Lyotard que j'affectionne.

Me suis enfilé y a pas longtemps la trilogie complète de LOTR (version courte). C'est bath de se plonger dans une temporalité de longue durée. Bien sûr, j'ai débranché le nerf central pour pas trop me braquer. Car à la base, l'univers et la thématique mobilisés m'interpellent le vécu du senti autant que la confection des capuches de nains de jardin dans un documentaire sur le folklore alsacien des années 1870.
Débrancher le neurone, c'est du reste ce que je fais toujours quand je regarde un film, comprenons-nous bien. Car pour en finir avec cette affaire du divertissement, et pour redire tout ça autrement, non seulement il y a pas des films divertissants et des films non-divertissants, "qualitatifs" ou "non-qualitatifs", mais la couche dite de "sens" ou "intellective" - existentielle, méta, psy, socio, politique, tout ce qu'on veut - ne s'ajoute pas à la couche "plaisir" - ou du moins "affect" - comme une seconde couche dans un pancake ou un bonbon kiskoule. C'est tout en un, ça passe entièrement par l'intuition réceptrice, laquelle est déjà synthétique, comme chacun le sait. Ça ne peut marcher, cela dit, qu'avec une qualité ou une richesse minimales dans le matériau, à quelque niveau que ce soit, même dans la crétinerie assumée. Sinon, bien sûr c'est physiquement impossible: un certain degré de bêtise n'est pas supportable, ce sont des choses qu'on sent et dieu sait qu'on dispose d'une marge de tolérance très élastique.

Eh bien j'dois dire que j'ai bien kiffé. Disons, après 2h un peu duraille, la musique à flûtiau, là, ça commençait à bien me pétrir le chou-fleur, pis je m'attachais aux persos, hyper-concerné par tout ça, la quête, la promenade, tout le bazar. Même qu'à la fin j'étais vachement ému et tout, je pleurais comme un veau. Mais bon, je pleure facilement aussi, c'est question de disposition, dans certaines conditions où je ne me sens plus qu'une fine membrane translucide qui palpite entre le sujet et l'objet. Un état proche de l'épuisement nerveux autorise parfois cette porosité. Attention, un état plus ou moins désiré et vaguement dirigé, hein, cf. supra. Je ne peux d'ailleurs voir un Godard par exemple que dans cet état, je le confesse, et dans ces moments là, je comprends tout, sinon ça me tape sur le système, Godard, en général, et par exemple. Dans ces moments, faut dire, la simple contemplation d'une bicyclette passant dans la rue peut me bouleverser jusqu'aux tréfonds de l'â-ha-me.


Sinon, je voulais aussi rajouter un truc à propos de Raymond Depardon.

Raymond Depardon s'est planté grave sur Resident Evil 5.

On nous avait promis qu'il allait donner un nouveau lustre à la franchise de Shinji Mikami en prenant les commandes de RE5. Penses-tu! Il nous a mitonné un sous-succédané de Duke-Nukem doomlike façon Paul-Emile Victor, plein de bugs de compression, d'aliasing, pixellisé à mort.
C'est peu dire que le moteur de la PS3 n'est pas exploité: en exagérant à peine, on se croirait revenu au temps de la Hatari 2600. Puis on nous ressert le concept de game-play le plus pourrave, celui qui avait déjà plombé le RE "Outbreak" de sinistre mémoire. Deux personnages en interaction (dans Outbreak c'était pire, on était 15 à se marcher dessus, pire que dans Nashville), soi-disant dans l'optique du jeu "en réseau", mais putain, RE, ça se joue pas en réseau, c'est pas l'esprit du tout! Tu dois être seul devant ta console, pour bien ressentir le nirvana du truc, ce sentiment de danger, de panique, d'abandon, de glaucité claustrophobique. Erreur monumentale, donc.

D'autant que le perso de Shiva, question gestion de l'I.A., c'est une catastrophe, tu l'as constamment dans les pattes et dans la visière, elle tire sur tout ce qui bouge, sans discernement, n'importe comment, et d'ailleurs ça sert à rien puisqu'on a diminué de façon drastique le niveau de difficulté, qui était pourtant parfaitement raccord avec le principe d'immersion: quand c'est plus difficile, quand tu risques davantage de mourir, tu t'impliques davantage dans le screenplay, tes sens sont démultipliés. Alors, bon, sous le prétexte de rendre le jeu accessible au gamer lambda qui veut pas perdre son temps à apprivoiser le pad, on sacrifie l'intensité, la tension.

Pareil pour les checkpoints: disparus, envolés. Le principe des sauvegardes avec la machine à écrire, c'était parfait, pourtant, ça donnait du sens à la linéarité graduée des étapes, tout en préservant le principe respiration/contraction. Là, non seulement tu peux mourir une infinité de fois et recommencer à l'endroit précis où t'as été mort, mais encore tu peux recommencer le niveau pour te recharger en médocs et en munitions bien au-delà du nécessaire. ça veut plus rien dire. Comment veux-tu t'impliquer si t'as pas à gérer avec attention et parcimonie tes stocks, et si ta mort n'est plus pénalisante? Ben non, rien à cirer, y'z'ont bazardé la mallette à provisions, et donc plus d'upgrades de la mallette à provisions. N'importe quoi, on se croirait dans Altman: le triomphe du je m'enfoutisme paresseux, de l'imprécision horlogère, mou du bide, approximatif, déconnecté.

Non, de l'avis général, Resident Evil 4 restera le chant du cygne, l'ultimate horror-survival de ce début de millénaire. Quoiqu'en pensent ceux qui ont fait grise-mine en prétendant que l'esprit de RE avait été trahi dans une optique "aventure/action" bourrine. Mais c'est faux, évidemment. Faut vraiment rien connaître à l'art vidéo-ludique pour soutenir des âneries pareilles: RE 4, ça reste du survival haut de gamme, le plus haut de la gamme, même. 

D'ailleurs, c'est Jacques Rozier qui officiait à la pré-prod. Là, on savait où on s'avançait: timing, précision, juste milieu entre tension et décompression, action et contemplation. Pas de musardises inutiles, mais pas de bourrinage excessif non plus. Seulement voilà: Rozier c'est pas un manche, c'est tout, y a pas de secret. C'est l'école allemande-japonaise, c'est Wenders période seventies + Ozu + Herzog + Kiyoshi Kurosawa. Depardon c'est l'école franco-LA: c'est Besson + Schumacher + Aja + Bay. Des paysans, des rednecks, quoi. 

(Enfin, je dis ça, j'ai juste regardé attentivement le video-test en temps réel de Hooper sur You Tube. Y me viendrait jamais à l'idée d'acheter une PS3)