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dimanche 22 novembre 2009

L'armée recrute, mais pas les sourds.


J'ai vu ça sur mon vieil écran trinitron 55 cm de diagonale. Au journal parlé visuel de la RTBF.

C'est là que j'ai trouvé la nième confirmation d'une hypothèse ontologico-para-scientifique qui me tient à cœur depuis quelques temps. Empruntée pour une part à Richard Matheson dans "je suis une légende", et pour l'autre à un des films américains les plus intelligents sortis ces dernières années: "idiocracy".
Mon intuition, très neuve, c'est qu'un beau ou sale matin, le monde se réveille et est devenu entièrement con. Attention, une forme de connerie tellement pulvérulente que personne, par définition, n'est à même d'en prendre la mesure. Si je m'en sentais le courage et, disons, le talent (j'entends par talent une forme de discipline et de régularité dans le travail), j'en ferais un roman-saga très sophistiqué qui me ferait des cognons en  platine. Bien sûr, ça a déjà été fait, mais essentiellement sur un mode, disons, comique. Ce qu'il faudrait faire, c'est un truc profondément tragique et désespérant. Une apocalypse lente, inexorable, de la bêtise, plus dévastatrice que n'importe quelle arme de destruction massive.
Et il faudrait, naturellement, en décrire minutieusement toutes les implications, en laissant la genèse de côté, parce que de ce côté, on ne pourrait évoquer qu'un basculement indéductible, une rupture "épistémique" comme on dit. Plus rien ne fonctionne, c'est le chaos multi-directionnel, on ne se pose même plus la question de savoir pourquoi on ne sait plus se servir des objets techniques et non-techniques, pourquoi dans les établissements scolaires y a des tonnes de bouquins que plus personne ne comprend, etc etc. Non, sans rire, j'ai commencé à développer le machin, c'est vertigineux, et ça inclut dramaturgiquement l'élément horrifique implacable que le narrateur soit n'écrit pour personne parce que son témoignage ne peut être entendu, soit lui-même se retrouve con comme une pelle à tarte.

Mais comment définir cette espèce de bêtise, sa dimension anxiogène fondamentale? C'est une question difficile, voire insoluble, y a des manifestations qui laissent pantois, c'est juste ça, faudrait pouvoir dresser des listes.

Les journaux télévisés constituent sur le plan discursif une manne inépuisable de manifestations de connerie inquiétante qui ne semblent pas inquiéter grand monde, et c'est ça justement qu'est inquiétant. Bon, par exemple, je regarde ce reportage sur le grand salon des perspectives de carrière à l'armée. Y avait une déléguée de communication de la grande muette,  qu'avait l'air de carburer au p'tit bourgogne, dissertant au micro au milieu de stands occupés par de grands molosses musculeux et tonsurés distribuant à quelques skinheads malingres et désœuvrés des dépliants publicitaires, j'exagère à peine, pis aussi des témoignages de jeunes motivés en décrochage scolaire qui aimeraient se forger un avenir dans les forces belges, lesquelles assurent une formation gratuite. Et en ces temps de récession économique, c'est un service appréciable.
On a passé en revue quelques petits problèmes, on pourrait appeler ça des obstacles épistémologiques à l'embauche, qui font que c'est pas gagné pour le public ciblé. Et là, ça donne à méditer.
Parce que faut savoir un truc: le gros problème à l'embauche, si on veut entamer une carrière fructueuse à l'armée, c'est la condition physique. La condition physique des jeunes Belges est déplorable, désastreuse. Les mots sont impuissants pour décrire l'incroyable nullité de la condition physique de l'aspirant administratif au service de la défense. Faut bien  savoir, tout d'abord, qu'il y a un vache de problème très préoccupant au niveau des facultés auditives. Le jeune, en effet, a des oreilles foutues, statistiquement parlant. Il s'est détruit l'oreille, le jeune, à cause de son baladeur MP3 dont il pousse le volume à toute berzingue dans le bus sur le chemin de l'école. Et ça, c'est très préoccupant pour la déléguée de communication, c'est un véritable problème sociétal-générationnel sur lequel se sont penchés avec beaucoup d'attention à l'armée nombre de spécialistes scientifiques dans l'étude du canal auriculaire.

Le problème saillant qui ressort des études très sérieuses qui ont été faites, c'est que si le jeune souffre de surdité en raison des rythmes électro-binaires qui font boum-boum-tchak dans son tympan, il ne peut plus entendre les ordres. Or le socle fondamental des compétences opérationnelles que mobilise la fonction militaire, c'est l'aptitude à entendre les ordres et les directives. C'est expliqué très sérieusement dans le reportage. La mal-entendance du jeune compromet moult tâches d'une importance décisive comme écouter les directives du chef dans le talkie-walkie lors des exercices de manœuvres; et plus question évidemment de survoler en avion furtif les zones campagnardes à risque si on peut pas entendre les longitudes et les latitudes.
C'est très souciant, déjà, le devenir-sourdingue du jeune lamentable victime de la tectonik à son destin offert, mais y a pas que ça: le jeune mange mal, très mal, ses muscles sont avachis, et il manque de souplesse au niveau des articulations du bassin et de la colonne vertébrale. Le jeune est mou, statistiquement. Le jeune incarne de moins en moins la force vive de la nation et de plus en plus le déclin de l'oxydé. Parce qu'avec son baladeur mp3 il passe son temps vautré dans le canapé familial (sur une caisse à savon recouverte d'un paillasson s'il touche le cpas, et sur un siège de Taunus volée en simili-léopard s'il est délinquant) à mater d'un œil distrait et vitreux la rediff de "x factor". Ces mauvaises habitudes nuisent à l'avenir professionnel du jeune, car à l'armée, on rigole pas avec la condition physique.

A la limite, le jeune aurait encore pu espérer réaliser son espoir d'avenir radieux dans l'administration civile, où on n'est pas trop regardant sur les chips et les sodas, si seulement il s'était un peu plus impliqué dans son cursus scolaire. Mais à cause de ses mauvaises oreilles,  de son mou bide et de ses bras tout flasques, le jeune et son avenir socio-économique sont compromis. Faut bien  savoir que 95 à 98 % seront recalés aux examens pour l'embauche, et faudra pas venir pleurer. L'armée, c'est pas un  refuge pour les marshmallows et les mal-embouchés du conduit, l'armée c'est l'école de l'excellence, du maintien, c'est une vitrine qui se doit d'être éloquente du port et du maintien irréprochable de l'élite des citoyens. Un esprit sain dans un corps sain. Et l'oreille absolue, comme Pierre Boulez. Mais le jeune d'aujourd'hui y capte plus les micro-intervalles et la série des 12 sons de la gamme chromatique. La seule chose qui l'intéresse c'est de télécharger sur son gsm le dernier trip de Lady-Gaga sur le dance-floor, et d'ailleurs Lady-Gaga elle est molle de la cuissarde et du pectoral, manque de trapèze et abus de junk-food, elle tiendrait pas debout trois minutes comme majorette chez les Gilles de Binche avec le panier d'oranges, et si les filières traditionnelles menant à la fonction publique ont échoué dans leur mission de former des winners et des warriors en état de marche tip-top, c'est pas à l'armée de payer les pots cassés.

Alors, ok, d'accord, le plan de carrière dans l'armée est super-attractif pour le jeune en décrochage et qui aimerait faire quelque chose de constructif de sa vie, mais encore eut-il fallu qu'il surveille de plus près son hygiène de vie. La faillite du système est générale, c'est la société qui est responsable. Quelque part, c'est une bonne leçon. On a négligé l'essentiel, tant pis, fallait y penser avant. L'armée, même si elle manque de recrues, elle va pas brader non plus à la criée son socle de compétences, y a des bornes aux limites tout de même.

C'est une question de se respecter soi-même, et c'est aussi un message, un signal fort adressé à la jeunesse: tu voudrais un avenir sécure, tu voudrais échapper à une vie foutue, morcellée, à la consomption de toi-même comme main d'œuvre mobilisable, flexible et délocalisable dans une échelle sociale nivelée jusqu'à ta mort; mais avant de rêvasser aux lendemains qui chantent, fallait penser à tes oreilles et à choisir comme dix-heures une barre protéinée chez Décathlon plutôt que d'aller t'enfiler des Mc Burger Queen sur tes heures de sèche. Si t'es plus en mesure d'entendre les directives sinon dans l'oliphant de Tryphon Tournesol et si tu sais même plus toucher tes orteils debout sans te fiche un lumbago, eh bien que veux-tu que j'te dise, c'est bien malheureux à ton âge mais ne t'en prends qu'à toi-même.


Le journal télévisé de la RTBF, ça sert aussi à remettre les pendules à l'heure, même si ça fait pas plaisir. C'est la mission d'information et de responsabilisation du citoyen. On peut pas que s'amuser tout le temps non plus.

Ben oui, mieux vaut entendre ça que d'être sourd, pour sûr.