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mardi 30 mars 2010

"Le jeu de la mort" et les dividendes de la zéro-pensée



Le 22 février, sur sa deuxième chaine, dédiée aux événements culturels et sportifs, la rtbf diffusait un "document" à haute teneur "controversiale" suivi d'un brainstorming ahurissant de têtes pensantes, pour "susciter le débat"  (comme les films de Joachim Lafosse) le lendemain matin dans les croissanteries, les boucheries chevalines, les lavomatics, les pmu et les cours de religion laïque. Test d'audience pour une diffusion, deux semaines plus tard, sur France 2.
 
Dans un cas comme dans l'autre, ce fut un flop. Si en Belgique, cette tentative désespérée pour doper l'audimat a été été enfoncée par King-Kong de Peter Jackson sur tf1, elle fut moins suivie en France que Louis La Brocante.

Et c'est justice.


Il importe cependant d'en faire mention, comme on descend ses poubelles le soir avant d'aller dormir, et pour se souvenir qu'au rayon shampooing & vibromasseurs des librairies, on peut désormais se procurer "L'expérience extrême", de Christophe Nick et Michel Eltchaninoff, à côté de la pile du futur best-seller de Patrick Sébastien ("une révolte, pas la révolution". Manifeste du d.a.r.d., "rassemblement humaniste et citoyen de conscience et de pression" ***)



Que dire encore de ce grand moment de psychosociologie comportementale bidonnée? Pas grand chose, sinon qu'on nous expliquera vraisemblablement, après comptage du chiffre des ventes du produit, que - encore plus mieux que l'expérience de Stanley Milgram - les  véritables sujets du test n'étaient pas, en définitive, ceux dont on pensait savoir ou croyait penser qu'il l'étaient, mais nous autres mêmes, ce qui fera l'objet d'une seconde émission diffusée on l'espère avant la grille estivale.



N'ayant pas le courage de me fader la nième description du "dispositif" de cette émission (il suffit de taper sur google), je me contenterai de reproduire ici un commentaire que j'ai commis le soir de la diffusion belge, sur le site "intermedia" de la rtbf où tout un chacun-chacune était invité à réagir.




http://www.intermedias.be/profiles/blogs/le-jeu-de-la-mort?


" - Non, allez quoi, c'est un peu gros. Je sais que la rtbf aime parfois faire dans le malicieux. Je salue donc la mise en scène, quoique un peu épaisse.
J'y ai pas cru une seconde: émission potentiellement situable nulle part dans la géographie télévisuelle francophone: accents ni belges ni français ni canadiens, mais typiquement "cabotinants" (genre acteurs du Trianon, voyez, c'est tout un art d'être juste "un peu" mauvais), illustres psychologues parfaitement ringards et/ou inconnus (plus le bonus: un faux-vrai-bouquin écrit par un super-reporter et cosigné par un philosophe improbable).


Le tout agencé autour du fameux test de Stanley Milgram qu'on nous ressert sur la grille tous les 5 ans, comme si on était amnésiques.
Un seul candidat avait vu, nous dit-on, "le vol d'Icare", et de ce fait a dû être écarté de la sélection. Tous les autres, pourtant recrutés selon un vaste panel représentatif de la population - méthodologie scientifique oblige - habitaient sur Saturne.
Bien que ça soit le tube le plus resservi en plat, en sauce, en dessert et en pousse-café dans toutes les écoles de France et de Navarre depuis plus de 40 ans par tous les profs en panne d'imagination, ces hommes et ces femmes ont en majorité appliqué de fausses décharges électriques canon à de faux homologues, sans jamais y associer ce grand classique de la télévision scolaire.


Bref, "nous" sommes, télé-spectacteurs, les "testés" véritables de cette émission, qui se voudrait, un peu lourdement, une mise en abyme de notre propre crédulité ou de notre soumission à l'autorité de ladite télé.


Mais si vous voulez mon avis, ce genre de démonstration, sur le plan qu'on nomme, hum... "scientifique" (si on croit bien sûr que le champ du comportement humain peut se réduire à un behaviorisme positiviste toujours très coté), ne démontrera rien. Des enjeux de réflexion à somme nulle, juste du spectacle. 
Quel que soit le "bilan" qui en sera tiré, je n'y accorderai aucun crédit, car en ce qui me concerne, ça fait beau jeu que je n'accorde plus aucune autorité, aucune légitimité ni aux tests, ni à la télé, ni aux psychologues et sociologues de publicité-dentifrice.
Merci quand-même de m'offrir l'occasion de le dire. C'était marrant, sans plus. Mais sérieusement, on peut mieux faire: je vous mitonne un canular aux petits oignons quand vous voulez, et autrement plus crédible. Vous savez où me joindre. D'avance, merci.


PS: Christophe "Nick" (le bien mal nommé, car ne "nique" pas qui veut), et le spécialiste international de Stanley Milgram dont le nom ne me revient pas tout de suite, tsssss.


Mais honte aux "notables" (universitaires et autres) qui se sont prêtés à cette pantalonnade sur le plateau. Ça en dit long sur la non-pertinence de leurs propres travaux et leur incompétence dans leur domaine. Quand on en est en effet à postuler que les gens soient assez stupides pour gober tous ces stéréotypes de psycho-sociologie formatée années 50 (au point de ne pouvoir placer ces démonstrations fumeuses et rabâchées qu'à l'occasion d'un docu-fiction digne de vidéo-gag), on n'a plus qu'à raser les murs. "


" - @ jerzy pericolosospore, faut arrêter de boire et prendre des produits... faut allez faire dodo la ... "


" - Je me couche tard le vendredi et je ne bois pas. 

Pour les produits, soumets la question à Michel Eltchaninoff, philosophe français, co-auteur avec Nick du best-seller à paraître début mars: "L'expérience extrême", plus mieux qu'Ushuaia et Docteur Mabuse réunis, récit d'une expérience-enquête qui décoiffe, à la Stephen King, que personne n'avait vu venir dans la communauté scientifique, et qui va pourtant la bouleverser de fond en comble, heureusement précédée, déjà, par la diffusion télé du documentaire en prime-time, et dans quelques jours sur France 2, ô joie.


Rappelons que Michel Eltchaninoff est un des grands penseurs de notre temps, à l'égal d'un Luc Ferry, d'un André Comte-Sponville ou d'un Michel Onfray : auteur d'une plaquette sur Dostoïevski parue aux PUF, il y a 10 ans, malheureusement épuisée, mais plus connu pour l'immortel "Bronzer debout est une spécialité russe" ainsi que la saison 1 des "insupportables".


Cet auteur aussi rigoureux que facétieux n'a pas hésité à mettre ses compétences au service du grand journaliste Christophe Nick, pour faire enfin connaître au grand public des téléspectateurs et tateuses les travaux admirables du Zénon Ligre de la psycho-sociologie expérimentale, j'ai nommé le grand Jean-Léon Beauvois, principal intervenant dans ce bouleversant document, et spécialiste mondialo-planétaire des questions touchant à la Manipulation, évidemment.


J'ignorais encore, je le confesse, l'existence et l'importance décisive de ce "franc-tireur" jusqu'à ce que je tombe, à l'instant, sur la notice que lui consacre Wikipédia. Je cite:

"Jean-Léon Beauvois, prenant de la distance avec les méta-théories bien placés [sic] dans le Zeitgeist scientifique et culturel (interactionnisme, constructionnisme, cognitivisme, neuro-scientisme...) et revendiquant son matérialisme et son comportementalisme, a voulu développer, avec quelques-uns de ses étudiants (nombre de ses doctorants sont aujourd’hui universitaires) [re-sic. Qu'est-il diantre advenu des autres?], des axes de recherche non tributaires des dogmes des sociétés individualistes et libérales, dogmes trop souvent pris, en sciences psychologiques et sociales, pour des vérités méta-théoriques premières. Les thèmes de recherche sur lesquels il a travaillé ou qu’il a impulsés durant sa carrière relèvent de ce souci. Ils sont principalement en rapport avec l’analyse méta-théorique, théorique et expérimentale des processus socio-cognitifs, ces processus dans lesquels les rapports sociaux insérant les sujets et les objets de la connaissance sont autant constitutifs des connaissances générées et/ou utilisées que le sujet psychologique et les objets eux-mêmes (schéma ternaire de la connaissance ; voir 4, 5, 6, 7). Son dernier ouvrage (10 ci-dessous) insère une synthèse des analyses et des travaux réalisés dans un essai politique et historique sur le pouvoir social."


---> Tain, c'est beau. Je suis vaguement diplomé en phizolofie, et bien que je ne fasse pas "autorité" en ce domaine, je suis en mesure de confirmer que, manifestement, en dépit du patagon simili-scientifique ronflant de cet extrait de la notice wikipédienne (dans son intégralité, elle rend justice à J.L. Beauvois, car elle est quasi aussi importante que celle consacrée à Galilée ou Einstein, ou Jean-Baptiste Botul), les travaux laborantins de ce Pic de la Mirandole de la psychologie expérimentale d'avant-arrière garde fraient véritablement des chemins nouveaux, avec des hypothèses sur la "manipulation" du sujet par l'objet (et réciproquement, comme dirait Pierre Dac) jamais entrevues jusqu'à a ce jour, ni par Gaston Bachelard, ni par Jean Piaget, ni par Karl Popper, ni par Peter Sellers, ni par Michel Foucault, ni par Docteur Spock.


Il a fallu, pour en prendre connaissance, attendre le documentaire remarquable de Christophe Nick, flanqué, on ne l'a pas assez souligné, d'un soundtrack hollywoodien prenant, ainsi que d'un montage parallèle qui rendrait Eisenstein vert de jalousie, ce qui sans nul doute renforce l'impact épistémologique puissant des schémas à la "shadock" que le grand J.L. Beauvois, contempteur du totalitarisme manipulateur, esquisse sur son tableau à l'adresse de ses étudiants-collègues sortis tout droit de la saison 5 des Experts. 

Comme quoi la télévision mène à tout.

Merci et bonsoir. "


(*** En dépit ou à cause de l'investissement personnel harassant que requiert la tâche urgente détaillée par P. Sébastien dans l'émission culturelle de G. Durand ("l'objet du scandale"), il continuera à assurer la programmation hebdomadaire du "plus grand cabaret du monde".
Fer de lance de la lutte contre le népotisme et les privilèges, "les années bonheur" sera assurée, comme l'été passé, par Olivier Villa, son fils)



Addendum vaguement analytique, si tant est que l'ironie ne constitue pas, n'a jamais constitué une arme efficace pour résister à la propagation exponentielle de la bêtise légitimée:

Le nœud de l'affaire, s'il y en a une (je continue à croire à un pseudo-test "en abyme" où on croit et prétend tester la soumission du téléspectateur à l'autorité du protocole et de l'interprétation des figures de "scientifiques" initiant et encadrant cette émission), c'est que l'acquiescement au contenu de la "démonstration" (soumission à l'autorité, en l'occurrence celle d'un "jeu télé", d'une animatrice et d'un public) dépend justement du présupposé "méta-théorique", comme dirait Beauvois, en vertu duquel le télé-spectateur qui regarde "l'expérience" ET son "interprétation" ne peut manquer de "se soumettre" à la légitimité et au prestige du "scientifique" qui dit la "vérité" de la déduction du processus qu'il a lui-même induit.
Et sur quelles bases? Toutes les bases sont ici sujettes à contestation:

a)
On établit une équivalence structurelle entre la relation "animateur de jeu tv/candidat" et la relation "scientifique/testeur bénévole".

Il faut admettre d'évidence qu'ici, le contexte du "jeu télévisé" (de l'espèce "appuyez sur le buzzer") s'est substitué, dans l'espace-temps, à valeur et effet comparables, au contexte du test de Milgram.

Sur la base de cette équivalence fantaisiste et de cette transposition hasardeuse, on "construit" un dispositif de "test" censé mesurer d'emblée les mêmes effets induits par les mêmes causes.

b)
Mais s'agissant du postulat behavioriste de Milgram lui-même, indépendamment des équivalences frauduleuses opérées ici, un problème se posait déjà : que mesurait au juste le test de Milgram? Etait-ce forcément ce que Milgram posait comme son hypothèse, aussitôt imposée comme "donnée" de base indiscutable: la soumission à l"autorité du "savant" - le sujet supposé savoir - qui donne des directives? Qu'en sait-on au juste? Les réactions induites pouvaient s'interpréter autrement.

Par exemple: en quoi serait-ce de la "soumission", et "l'obéissance" est-elle identifiable à de la "soumission"?
Le type qui exécute des consignes, même les plus innommables, est-ce forcément sa soumission qui est en jeu? La prétendue abdication de la responsabilité propre, secondarisée dans une chaîne de responsabilités en amont et fragmentées, cela veut-il dire "soumission"? C'est devenu une sorte de "prêt à penser" depuis les écrits de Arendt  (du moins ce qu'on en retient généralement) sur "la banalité du mal" et les fonctionnaires de l'état nazi.

Or c'est un postulat un peu faible que d'invoquer, dans le champ des décisions d'un "fonctionnaire" à l'intérieur d'un cadre "x" de criminalité étatique, une "perte d'autonomie" du sujet, interprétable en termes de "soumission/obéissance". Pourquoi le sujet serait-il par-là dépossédé de sa liberté et de son choix? Il peut tout à fait agir en toute responsabilité et par pleine conviction, adhésion à une cause ou une vision du monde qu'il croit juste et légitime, au nom du "bien".
Et c'est bien plus alarmant que simplement "abdiquer" sa responsabilité et se soumettre, et bien moins facile à excuser. Le zèle, c'est aussi l'affaire des zélotes, et les zélotes c'est pas bien difficile à trouver dans une société qui passe son temps à définir et délimiter un "axe du bien", "un axe du mal", une catégorie spécifique de la population désignée à la stigmatisation, à la diabolisation, aux caractéristiques d'une altérité radicale en vertu de laquelle l'autre en tant qu'autre sort des formes définies de l'empathie, n'est plus identifiable à un "alter ego". L'immigré, le chômeur, etc.
L'agent de l'Onem qui applique au contrôlé la sanction de la privation de ses indemnités de chômage, décidant sur la base des critères quantitatifs et "objectifs" de sa liste que ce dernier ne remplit pas les conditions d'une "recherche active et permanente d'emploi", applique-t-il ainsi les directives du ministère de l'emploi faisant autorité et secondarisant sa "subjectivité", ou bien estime-t-il, en âme et conscience personnelle, depuis sa position de salarié, et plus particulièrement de salarié sous-traité et mal payé pour un boulot ingrat, que le contrôlé ne mérite effectivement pas ses indemnités? Etc.

c)
L'inénarrable "spécialiste" Jean-Léon Beauvois brandit avec éloquence, s'en émouvant lui-même (ou feignant de) comme un prestidigitateur s'extasierait et s'hypnotiserait de faire sortir des lapins de son propre chapeau truqué, sa batterie de concepts éculés, si impressionnants et si spectaculaires: "totalitarisme", "manipulation", big brother télévisuel et compagnie.

C'est plus qu'un peu faible et facile dès qu'on s'interroge un instant, dans les termes évoqués ci-dessus, sur la pseudo-évidence des liens de causalité posés entre "obéissance" et "soumission", et dès lors qu'on tient également compte d'analyses plus contemporaines (au-delà de l'éternel schème pontifiant du "totalitarisme" et de la "perte d'autonomie du sujet"), foucaldiennes et autres, qui montrent que les procédures opératoires du pouvoir correspondent aujourd'hui davantage à des logiques de décentralisation, de dispersion, et surtout sont solidaires de processus de "subjectivation" libre et intime, bien plus efficients que les vieux trucs de l'aliénation verticale (valorisation constante de la responsabilité, de la conscience autonome, de l'affirmation de soi, de l'initiative personnelle, de la "résilience" - comme il en fut discuté ici).


d)

- Dans le cas de cette émission, non seulement ce genre de présupposés éthologiques "prêts à penser" organise les conditions matérielles de la prétendue "expérience", mais encore son protocole n'a rien de "scientifique", malgré l'évidence censément partagée que la psycho-sociologie comportementaliste repose sur l'établissement de panels, selon des fréquences statistiques représentatives d'une "population" dite "standard: en quoi les "candidats" sont-ils représentatifs d'une "norme"? Sur quelles bases cette "norme" aurait été étayée?

Les candidats ont été sélectionnés au hasard, selon une procédure de "concours" spontané: ils ne sont donc "représentatifs" de rien du tout. Mais, même dans le cas - non avéré - de la constitution d'un public-cible recruté selon on ne sait quel panel statistique, ce panel participerait lui-même à l'édiction arbitraire de la "norme" dans des termes qu'on reconnaît comme légitimes exclusivement en fonction de l'autorité non discutée de la psycho-sociologie "scientifique" opérant ici ses inductions.

Donc, dans le meilleur des cas, quel que soit le contenu déduit de ce qu'on nomme "résultat" du test selon les présupposés interprétatifs discutés ici, ce genre de démonstration repose exclusivement sur le postulat - qui fait consensus - d'une soumission à l'autorité de "l'expertise scientifique" qui dit le "vrai" et crée les conditions du "vrai".