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mardi 3 janvier 2012

Comment ne pas être égocentrique (sur un forum)

( Attendu que les cafés et les dancings, ça ferme toujours trop tôt ou trop tard, c'est bruyant, ça grève le budget, et que s'enfiler coca-light sur coca-light, c'est peut-être bon pour la ligne, mais à la longue, ça file des crises de météorisme)









" Très chers tous ceux qui restent ou sont déjà revenus avant d'être partis



Il y a juste des confrontations de points de vue entre personnes plus moins adultes, plus ou moins névrosées, plus ou moins psychotiques, plus ou moins paranoïaques, plus ou moins victimes de la psychanalyse, plus ou moins christiques, abéliennes ou caïniennes, plus ou moins zen, plus ou moins rationnelles, plus ou moins guéries de leur définition. Chacun selon son style, son geste, sa manière, ses ressentis et son vécu (comme disent les psys de plateau télé).

En ce qui me concerne, je n'ai aucune démarche précise, aucun but, aucune stratégie d'aucune sorte, aucun dessein caché ou inavouable (ou alors je suis totalement manipulé, agi, par un inconscient personnel ou transpersonnel, à un point qui relève de la magie noire).

Mes préoccupations ne sont nullement altruistes, mais totalement égoïstes, absolument auto-centrées, concentrées au micro-point centrifuge d'une authentique révolution copernicienne. Si le moindre petit doute subsistait encore à ce sujet, je tiens à le lever ici solennellement. Again. Au risque de lasser mes fans les plus endurants et harcelants, tous ceux et toutes celles qui, de Tombouctou à Portland-Maine, ont bien failli me transformer en machine à distribuer des autographes.
Je leur dis merci, quand-même, bien que leur admiration justifiée, leur incontrôlable pulsion libidineuse à me dévorer vivant, n'ayant de centre qu'en moi, laisse apparaître une certaine forme d'ingratitude. Comme une vilaine petite manie chez eux, à se replier sur leur petit nombril inintéressant, dès que se relâche leur attention. Un rien suffit à les détourner de l'unique motif valide, infalsifiable, qui donne un tant soit peu de relief à leur existence inutile et incertaine. Une misère, une perte momentanée de coordination musculaire. Quelque kilos d'excédent d'énergie par seconde. Par seconde. Soit, passons.

Je ne prétends ni instruire ni édifier, ni contraindre ni convaincre, ni tenir sous un manceps ni émanciper qui que ce soit. Je cherche seulement à opacifier un peu mes idées si claires et lumineuses qu'elles m'éblouissent, à me faire rire le plus souvent tout seul (me prenant régulièrement des bides, du moins je l'interprète ainsi, étant de tempérament plutôt anxieux), à l'occasion d'une interlocutée, qui peut être vive, passionnée, violente, sereine, indifférente, sans écho, etc, selon mille facteurs sur lesquels, pas plus que quiconque, j'ai le moindre contrôle.

Chacun est libre de partir, de revenir, de pousser une gueulante, de criser, de s'identifier à ce qu'il dit ou à ce que l'autre dit, de se situer au dessus de la mêlée en distribuant les bons et mauvais points, de s'y trouver altruiste, oblatif-oblataf, ou au contraire égocentrique, autistique, ou de se sentir tenu comme étant ceci ou cela.

Libre à chacun de souhaiter développer son point de vue dans des posts interminables, ou en quelques phrases, de prendre parti, de rejeter, de s'abstenir, d'y trouver un intérêt, de se placer hors du jeu, de se sentir encouragé ou découragé, de sentir une pression dans un propos et d'y réagir, d'y dresser sa tente ou de la démonter en toute hâte.
Personne ne détient un contrôle en surplomb de la situation, ni le point de vue de Sirius qui permettrait de circonscrire dans quelle direction iront les feedbacks des uns et des autres. On, ils, je, nous, eux, elle n'est pas (du moins pas entièrement) dans la tête des autres interlocuteurs. Une chose exprimée dans une intention agréable peut être ressentie comme un affront, un affront comme une gentillesse, une attaque vicieuse comme un hommage, un hommage comme une fourberie. Un énoncé à l'abstraction glacée peut vous fouetter la face, une confession brûlante comme un bûcher vous faire bâiller à vous en décrocher la mâchoire, une bonne humeur badine ressentie comme une offense à votre mauvaise humeur revêche, ou le contraire. A l'un la forme du moi dans un énoncé insupporte, à l'autre la forme du nous escagasse, à un troisième la forme du on convient ou ne convient pas, selon que la marée soit haute ou basse.

Et que jettent la pierre ceux qui oseraient soutenir que jamais au grand jamais ils n'ont eu, en répondant ou en provoquant, le moindre désir de reconnaissance, de séduction, par la domination et la maitrise, ou à l'inverse la soumission et l'aveu émouvant d'une impuissance à dire. Qui chercherait en un tel lieu la seule recherche de la vérité pour elle-même, le pur désintéressement? Il y a des retraites monastiques pour cela. Qui à l'inverse ne se préoccuperait en un tel lieu que de ses petits intérêts personnels et lucratifs? Il y a des salles de tiercé et de machines à sous pour ça.

Nous ne sommes ni au purgatoire, ni à l’hôpital de la charité, ni dans un salon de massage, ni dans la fanfare des cœurs solitaires, ni à la cérémonie des Oscars, ni sur l'arche de Noé, ni dans un club de philatélistes-antiquaires, ni dans un stalker, ni en guerre, ni en paix, ni fusionnés ni réconciliés.

Un forum n'est pas une entreprise dont il faudrait consigner l'actif ou le passif, les pertes ou les bénéfices, puis adresser une facture, un avis de dépôt de bilan, à prendre en charge par on ne sait qui dans le but d'on ne sait quoi.

Monopolise le forum qui veut, le déserte qui veut. Que le forum soit peuplé ou désert, agité ou calme, vivant ou mort, personne n'a à en rendre compte ou à le justifier. Les bavards ne font pas d'ombre chinoise aux taiseux. Les taiseux peuvent devenir bavards et les bavards taiseux selon les cycles du soleil et de la lune. Nul besoin de parler au nom et la place de quelque peuple de l'ombre brimé et réduit au silence, d'invoquer des tribulations de Syldaves en Syldavie, des empêchements, des verrous et des blocages ourdis par les bavards.

Les écholaliques ne confisquent aucun débat possible et imaginable, ils s'épuiseront bien avant la réparation de la tour radio de Mainflingen, celle qui transmet en tout lieu l'heure exacte au micro-atome de césium près. Ceux qui constamment se plaignent de l'absence de débat sont bien souvent ceux qui ne débattent jamais de rien et ne s'adressent qu'à eux-mêmes, tout à la fois dépités ne trouver aucun écho à leur soliloque tempéré et interloqués de le voir soudain détourné de sa vocation monochrome.

Il n'y a par ailleurs rien à débattre. Juste parfois une façon de poser un problème ou le re-poser encore, une manière de construire en l'arpentant le vague chemin hérissé d'ornières qui permet de l'articuler. Bien souvent aussitôt annulé, oublié, rendu abstrait et inintelligible parce que posé comme compris d'avance, dans l'obligation impérieuse d'en débattre. Le débat d'idées substitue aux problèmes toujours en cours une juxtaposition de certitudes arrêtées et de formules vides, pro ou contra, ou bien consacrant un sens commun fait de malentendus, formules, amoncellements de mots renvoyant à d'autres mots, aussitôt prononcées aussitôt oubliées, avant de passer à un autre débat.

Cependant, un forum est une démocratie, non pas au sens d'un républicain magnanime et gentleman, passionné de débats et de temps de parole équitablement répartis, mais au sens d'un Jacques Rancière: l'égalité stricte et première de tous, non mesurable et non négociable, dans un espace sans archè ni surplomb, sans instances légitimées ou habilitées pour parler au nom de ou à la place de ceux qui l'habitent ou souhaiteraient l'habiter, enseigner quel juste pas convient à la danse de tous et de chacun. Je nous en reparlerai à l'occasion sans nous me sentir tenus d'en débattre.

Inutile de s'improviser prophète du malheur imminent ou oracle des bonheurs toujours ajournés, de désigner à la vindicte des coupables et des victimes, des manipulateurs et des manipulés, d'obscurantistes envahisseurs masqués et des phares de la Raison universelle menacée, des moutons noirs, des brebis galeuses, des social-traitres, des boucs émissaires, des despotes et des esclaves, des puces et des tiques, des têtes à poux ou des têtes à claque, pour on ne sait trop quel gibet salutaire. Même dans l'optique d'un "après moi le naufrage" censé soulager une frustration, un dégoût, un dépit, une amertume, une rage sourde de voir dériver à la diable une plaque tectonique sur laquelle on avait planté le drapeau "Villa Sam Suffit. Propriété universelle-privée".

Tout individu quelconque, fait de tous les hommes, sans qualités ni communauté, émet depuis son centre, aussi solitaire et éloigné de la périphérie soit-il, une somme finie de signaux improbables (mots, gestes, actes ou postures) qui tous rendent compte de la nature périphérique d'un tel centre, témoignent qu'il n'est de centre que périphérique, orbital, trou hantant obstinément un centre qui toujours lui préexiste mais jamais ne le présuppose. Témoignant de tout cela, il est ce puits mobile et sans fond, un gosier insatiable invoquant les forces de la terre, la grande déterritorialisée, débitant des puissances, des libertés, actuelles ou potentielles, présentes ou à venir, singulières ou collectives, sans la moindre assurance d'échapper au soliloque de l'idiot.

En l'absence des visages, de l'intonation des voix (qui eux mêmes ne livrent ni vérités ni certitudes assurées), chacun tente d'assumer, bien ou mal, selon les points de vue toujours dispersés, de prendre sa part sans pour autant en porter le fardeau, de la zone d'incertitude et de turbulence, du caractère toujours hasardeux et risqué de toute communication.

Que le climat soit à bisounours ou à la foire d'empoigne, chacun tente d'assumer la responsabilité du contenu de ses posts, sa lecture du post des autres, aussi bien sa manière que celle des autres, la forte réactivité suscitée ou à l'inverse l'absence désolante de feedback, un feedback sur la personne de son post et non sur le post de sa personne. Les limites existent et doivent être respectées: pas d'attaque sur la vie dite privée, intime, des uns et des autres, mais même cela ne peut pas être administré. L'un prendra pour intime ou privé ce qui ne l'était pas, l'autre prendra pour débat public sa vie personnelle.

L'un se vivra sur un plan d'immanence spontané ou constructiviste, l'autre se pensera en un ecce-homo nietzschéien, un troisième se dépensera au tribunal des facultés kantiennes, un quatrième se divertira dans le marxisme,  un cinquième abattra des cloisons dans une bouteille de Klein, un sixième se synthétisera dans une traitrise, un septième se dissoudra dans une hostie, et comme tout est lore, chacun échangera sa place et son folk à tour de rôle ou en se marchant sur les pieds, dans un jeu semi-aléatoire contrôlé de chaises musicales, un vertigineux et étourdissant carrousel aux images. Car comme le disait là-encore Henri, sans têtes qui tournent, pas de K. Roussel.

Comment désolidariser l'intime et l'extime, le corps et la pensée, rien de tout cela ne sera jamais réglé ni résolu dans aucun type d'espace virtuel ou réel où se téléscopent des corps et des pensées, des percepts, des affects et des concepts, tous intriqués. Tout est toujours parasitage, contamination, infiltration, perméabilité, empiètement, quelles que soient les mesures prises et les vœux prononcés pour un espace assaini, hygiénisé, immunisé, débarrassé une bonne fois de tous ses fantômes, échos, hybridations, coqs-perroquets, lapins-canards, baudruches pleines et tonneaux vides, métamorphoses inquiétantes, sifflets, tintamarres, vacarmes de marteaux sans maître, tintinnabulations d'impératrices de pagodes, mugissements de bêtes inconnues vacillant d'une patte sur la bordure d'un inter-Land mince comme une lame, et autres phénomènes d'invasions paniquantes.



Etc
Etc
La tisane
Le suppo
Et?
On sait pas, on sait plus.



Quoi qu'il en soit, e la nave va, et surtout bonne année 2012. "






[ Ce discours a été improvisé sur le forum des Spectres du cinéma, lors du banquet de la Saint-Sylvestre. Son indéniable beauté lui vaut d'être reproduit sur ce blog. Et comme ce blog n'est pas un forum, tout commentaire éventuel, susceptible d'être interprété par moi comme malveillant selon mes critères irréfutables, sera gommé sans préavis ni justification.


Il est à noter également que, désormais, les comms anonymes seront toujours autorisés. En vue d'être effacés aussitôt, si j'estime qu'ils constituent une menace pour la sauvegarde de mes fluides vitaux, et considérant que mon bouclier percé fuit déjà bien assez de tous les côtés.
Signé:  G. Jack. D. Ripper ]





samedi 24 octobre 2009

Cryptes, perroquets, canards et autres castafiores




1.

Eléments bibliographiques:

Benoît Peeters, Les Bijoux ravis, Bruxelles, ed. magic strip, 1984 (réédition complétée et modifiée, "les belles lettres" - extrait)
Michel Serres, Les Bijoux distraits ou la cantatrice sauve, dans Hermès II, l'interférence, Paris, ed. de Minuit, 1972.
Serge Tisseron, Tintin et le secret d'Hergé, ed. Hors collection/Presses de la cité, 1993.


Dans Les Bijoux de la castafiore, le chef d’œuvre d'Hergé, "la pie voleuse" (gazza ladra, opéra de Rossini), est la clef du vol des bougies, pardon, bijoux, ténébreuse affaire, plombs coupés ou fusibles fondus, non, flomps pondus et fusibles tondus, sur laquelle les Dupondt voulaient faire toute la lumière.

L'organisation purement sémiotique des "bijoux de la castafiore" est très bien mise en valeur par Benoît Peeters, dans "les bijoux (coucougnettes, bien sûr) ravis". La Castafiore, mélange de perruche bavarde, de perroquet castrateur (le fameux doigt, d'où le cauchemar: "aaaah je ris"), de pie voleuse, et de chouette noctambule (le fameux voleur hypothétique, qui marchait en faisant toc toc sur le plafond de sa chambre) est un pur signifiant qui fait proliférer autour de lui la métaphore des oiseaux, et engendre tout le récit.
Lequel est une "déconstruction" osée de tous les albums précédents.
Avant, "y avait d'l'aventure" (comme aurait dit G. Simmel), fallait partir à la découverte du monde. Avec les bijoux, on s'affronte à la vraie question, enfin. A Moulinsart, quand on est coincé sur place, à cause d'une vilaine entorse (et monsieur Boulu ne vient jamais réparer la marche: il est complice dans le complot d'Œdipe), on est finalement, in extremis, obligé de se confronter au "féminin" (le monde de l'aventure de par le monde était non tant « homo-centré » qu’asexué). Le féminin est une tornade castratrice, du moins pour Hergé, et le capitaine.
Le capitaine avait trouvé son secret (ancêtre du chevalier de Haddocque, au service du roi Soleil), ce qui l'anoblissait et en même temps le faisait sortir de l'enfer de la boisson. A ce titre, cette découverte de filiation constituait le premier jalon de la généaologie de Tintin (être abstrait, géméllisé avec son chien milou: au départ, binômes, ils se parlaient, seuls, entre eux, le monde n'étant que carnaval bigarré de personnages plus ou moins menaçants ou maléfiques).
Le capitaine, choisi et sauvé (pulsion de paternité symbolique), doit encore passer le cap (fatal) de l'alliance-mariage avec la Mère castratrice honnie: la castafiore. Prix de l'humanisation définitive de tintin comme être de chair et de sang (donc, pouvant désormais grandir, vieillir, échapper au syndrome de Peter Pan).
A cet égard, "les bijoux" sont la quête ultime. Tout s'organise, donc, autour d'une déclinaison de la femme-oiseau sous formes de doubles menaçant et volatiles. Protagonistes:
- un perroquet dysfonctionneur de communication (alloooo, j'écoute? Non, vous n'êtes pas à la boucherie Sanzot). Menace de castration: doigt mordu, etc.
- un hibou, qui hante le grenier. Le rival fantôme (chevalier de Haddocque? En tout cas, l'inconnu soupçonné d'en vouloir à ses "bijoux").
- la Pie voleuse. C'est elle qui vole les bijoux, et compromet (au grand soulagement du capitaine), l'accomplissement d'un désir refoulé: le mariage à "Gand, joyau des Ardennes belges, connu dans le monde entier pour ses champs de tulipes". Le vol des bijoux désorganise la communication, c'est l'interférence maximale (Michel Serres): la presse s'en mêle, on se prend dans les fils, Tryphon accentue les malentendus, pour mieux les traduire (Bianca = la rose immaculée, la femme virginale, promise au capitaine, et refusée: "elle s'en va, tralala, euh... ma douleur au pied").
Etc.
Etc.


2.

Sinon, pour la "généalogie" de la transmission: on pourrait se poser la question de savoir si elle ne constitue pas en quelque manière un "obstacle épistémologique " pour la notion très prisée de "résilience". Question que je ne ferai ici qu'esquisser, bien entendu, et en procédant par simplifications massives, c'est tout aussi clear (mais si je me mets  à ratiociner avec finesse, j'ai pas fini, or il faut bien finir, sinon on peut tout aussi bien se taire pour un résultat analogue, enfin, bref).
On peut très bien croire avoir "tissé" une reconstruction du "moi" autour de "tuteurs de résilience" (des gens "gentils", qui, à un moment ou un autre, disent le mot qui "sauve". Style un brave instit: "mais non, t'es pas nul, mon gars, t'es doué pour... les insectes"), mais le "tissage", pour Tisseron, est un processus bien plus complexe: diachronique, et pas seulement disposé dans la topologie spatiale du "résilient": son environnement, son biotope. Diachronie dit "histoire", et "histoire" implique la reconstruction, fut-ce sous forme de "fiction générative" (d'où l'intérêt de Tisseron pour le monde de Tintin), et consistant pour un sujet "x" à recomposer, dans le temps symbolique de sa propre généalogie intime, des facteurs de résilience: les proches qu'on n’a pas, on les "invente" donc aussi dans le tissu à la fois social (topologique) et historique (diachronique).
Donc, dans tous les cas, la "résilience" ne peut nullement s'opérer sui generis (comme suggéré par la métaphore trompeuse de « l'huitre secrétant sa perle »): l'accentuation individualiste, sur un processus qui en fait "traduit" une capacité personnelle et solitaire d'adaptation/transformation de son environnement, doit certains de ses "fondements" à la psychologie sociale américaine de type "socio-biologique" (self made man, pas besoin d'assistance, etc.). Nous y reviendrons au point 7.

3.

Je souhaiterais encore dire que Tisseron a été amené à s'intéresser conjointement à la question de la généalogie (secrets de famille) et à la question de la "sublimation créatrice", notamment dans l'ordre de l'image et de la bande dessinée, à partir des percées théoriques de Nicolas Abraham et Marie Torök, donc. Eux-mêmes héritiers de Ferenczi.

En guise de préambule, je replace un vague embryon de développement jeté en son temps sur un forum, juste pour situer mon propos et de la façon la plus simpliste (car L’écorce & le noyau, c'est une mine, dense et complexe).

Chez Freud, l'inconscient, comme hypothèse, ça concerne au départ principalement la structuration du "moi" à partir d'un environnement cellulaire qui est la famille "au présent", dans laquelle il vit.
Très vite, Jung a voulu sortir la notion de ce cadre, en postulant que l'inconscient ne se joue pas dans le "moi", mais dans sa tension énergétique en relation avec des archétypes et des phases indépendants de son histoire familiale, qui seraient inscrits dans la collectivité humaine, et même au delà, dans l'univers lui-même. C'est un peu le old father du "new age".

Dans l'histoire de la psychanalyse freudienne, des disciples de la première vague, comme Ferenczi dans "Thalassa", s'interrogeaient déjà sur les matérialisations corporelles des désirs réfoulés, se demandant s'il était "possible de faire "parler" un organe, un animal, un vestige paléontologique", s'aventurant ainsi vers une intégration hardie de la biologie à la psychanalyse – selon les termes de la préface qu'Abraham consacra à ce livre.
Des théoriciens plus contemporains, Abraham & Torök précisément, proposèrent ensuite, tout en refusant le mysticisme jungien fondé sur des archétypes objectifs statiques, anhistoriques, invariants, une autre approche de l'inconscient, généalogique et dynamique, mobilisant des processus de transmission trans-subjective.
Cette complexification de la topique freudienne du moi a renouvelé la métapsychologie freudienne de façon intéressante. La théorie des "secrets de familles" en constitue un exemple. Les tensions, les névroses qui structurent le "moi" s'inscriraient dans un ensemble bien plus vaste que la cellule familiale "au présent": diachronique. Sont impliquées des traces trans-générationnelles, une généalogie plus vaste, les "ancêtres". Pères et Mères sont alors eux-mêmes dépositaires de conflits, de traumatismes non réglés, constitués par des bribes de secrets dont chacun hérite ou détient une parcelle sans forcément en être conscient. Il y a toujours une parcelle du secret qui "suinte", par une variété subtile d'informations "engrammées" depuis ou avant la naissance, et qui peuvent susciter, après un ou plusieurs sauts de générations, des rebonds inattendus, des pathologies physiques ou comportementales héritées d'un passé même lointain. Produire des catastrophes en chaine, à certaines dates (anniversaires, morts, etc). Des familles où les suicides s'accumulent à travers les générations. Des choses certes pas très jojo.
C'est un peu passé dans une certaine "vulgate" psycho-thérapeutique clinique très à la mode, et non sans systématisations abusives, où on se plait à invoquer des multitudes de manifestations semblant relever de la magie ou de la sorcellerie, mais qui en réalité se présentent comme des applications très concrètes de cette conception plus extensive d'un "inconscient" qui n'est plus confiné dans la seule sphère du sujet personnel, mais incorpore également des strates trans-générationnelles.

Une petite fille souffre de crises d'étouffement dans son sommeil, à certaine dates précises. Dans ses cauchemars, elle voit un homme dans le brouillard affublé d'un masque terrifiant. On lui demande de le dessiner: il ressemble à un poilu de la guerre 14.
Par recoupement, on exhume un secret familial mal gardé: un arrière grand père asphyxié au gaz moutarde dans les tranchées. Un fois le fait nommé, les symptômes de la fillette disparaissent. Elle avait "engrammé" des "informations" partielles suintant de bribes d'évitements, de gênes, de comportements souvent "micro", mais ça avait suffi.

Une donnée qu'on l'on mobilise souvent aujourd'hui dans le cadre de ces thérapies familiales "systémiques", c'est la problématique de la "place" qu'on occupe au sein d'une constellation familiale diachronique: parfois, on peut occuper la place d'un autre, d'un absent, d'un mort. Un secret tenu autour d'une fausse couche peut affecter l'enfant qui suit, qui peut se vivre par la suite comme nié, ou imposteur, etc etc.

Nicolas Abraham et Marie Törok avaient quant à eux développé, plus spécifiquement autour de la question du deuil "pathologique", cette théorie assez forte du "fantôme" et de la "crypte", fort proche de préoccupations ultérieures de la pensée de Derrida (la trace, le spectre, etc ***), dépassant en même temps les "structures" lacaniennes restées fort proches de Freud, même appliquées au langage (le théâtre de l'inconscient est toujours lié  peu ou prou aux figures paternelle et maternelle - converties en "signifiants", le nom du père, etc). Ils exploitèrent aussi des éléments de la théorie freudienne tardive, celle qui esquisse quelques "rêveries" anthropologiques, souvent méprisées, autour du schème de la "horde primitive" (consulter à l'occasion ceci et ceci).

[*** Edit: lors de la rediffusion sur Arte le 14/1/2009, "des nuits de la pleine lune", en hommage à Eric Rohmer, la prestation et le visage émouvants de Pascale Ogier - décédée en 1984 juste après le tournage de ce film - m'ont remis en mémoire sa rencontre singulière avec Jacques Derrida à l'occasion d'un film improbable, tourné quelques mois plus tôt: Ghost dance, de Ken McMullen.
Je place ici ces deux courtes vidéos, qui font "raccord" avec ce thème du "fantôme" ici juste effleuré, et le prolongent en un écho plus sensible. Elles donnent peut-être aussi, qui sait, un éclairage indirect sur les autres textes proposés dans cette rubrique - ces bribes de chant du psittacus - mélisme de fréquences oubliées et parasitaires captées quasi à mon insu sur d'anciens postes à galène.]








Je ne traiterai donc pas plus avant ces questions ici. Je me borne dans ce qui suit à transposer des éléments, de manière aussi superficielle que rapide,  faisant se télescoper la thématique de la "crypte" et celle du "secret".
 
La Crypte et le Secret:
La "crypte" est tout à la fois un secret, une cachette, un code chiffré, une énigme, un rébus. Tout à la fois caché et montré, un secret est toujours une crypte qui suppose cryptage et décryptage.
Envisagée sous cet angle, l'organisation d'une crypte implique alors cette dia-chronie historique évoquée supra: la constitution d'un sujet, le processus de subjectivation, ne se déroulent donc plus seulement dans le cadre topologique du triangle père-mère-enfant, mais incorpore encore un tissu plus vaste composé par "les ancêtres", et par "ancêtres", il faut méthodologiquement comprendre ici le rapport "à la filiation ancestrale" que chacun des membres de cette "famille" entretient pour lui-même ET avec les autres, chacun dé-cryptant un fragment de la crypte, et aucun ne saisissant l'ensemble de cette crypte.
La "crypte", de ce point de vue, est un processus à la fois caché, passif, et générateur, actif: elle renvoie à un passé tant immémorial (indécryptable) que toujours à inventer, dynamique, avec lequel on s'arrange, ou pas, qu'on re-compose, qu'on re-distribue.
L'individuation des sujets a lieu, se crée, se tisse, se compose, selon les ressources et les aptitudes à décoder l'environnement (spatial et mémoriel), qui impliquent toujours une collectivité, une famille non plus au sens cellulaire, mais une véritable "société", réelle, fantasmée, vécue ou inventée, à la fois dans l'espace et dans le temps.
Jusqu'à la socialité globale (mémorielle autant que géographique) dont la famille cellulaire est à la fois un "dépôt", une "courroie de transmission", et un 'lieu de transit" (du dedans au dehors, vers une interaction sociale globale, plus ou moins réussie, comme toute interaction).
Dans ce cadre ainsi posé, la question de la "résilience" rebondit autrement, comme processus de sublimation-socialisation créatrice, dans le cas, par exemple, d'enfants esseulés, abandonnés, orphelins, etc.
C'est là que l'entreprise d'Hergé, comme "création" d'un monde-tissu familial-sociétal imaginaire, prend tout son intérêt.
  

4.

Les aventures de tintin, qu'est-ce, sinon la mise en scène d'une enquête permanente d'un "sherlock-holmes" en socquettes, qui développe l'art de décrypter les énigmes, les parchemins, les signes, les fétiches, disposés dans le réel. Tintin n'existe pas autrement que comme vecteur-révélateur de significations cachées entre les objets, et permettant une symbolisation de ces derniers (au sens de "faire passer" le langage dans les choses).
Là dessus, Tisseron s'intéresse aux cryptes, aux énigmes, au développement généalogiques continus qui composent les aventures de tintin. Non que Hergé en soit parfaitement conscient, non pas qu'à l'inverse ces énigmes le dépassent entièrement, mais, au mi-temps, celui du medium qu'il se donne, l'univers qu'il crée, et son réseau subtil de correspondances, sont une façon pour lui de se situer et de s'inventer, en tant qu'homme, dans une généalogie cryptée qui traduit, entre conscience et inconscient, ses propres problèmes de repérage d'identité. Et si les "aventures" ont un tel succès, c'est parce que les lecteurs, quels que soient leurs situations (mémorielles, topologiques) deviennent, dans le processus de lecture, eux-mêmes des "sherlock holmes" de leur propre apport au décryptage des objets.
Ainsi, Tisseron, et c'est à porter à son crédit, découvre réellement un secret massif, à la fois caché et exhibé, dont l'ensemble des aventures articule le rébus. Il soupçonne, à partir d'une colligation cohérente d'éléments sémiologiques distribués dans la progression des aventures, la mise en scène de la constitution d'une généalogie créatrice par un personnage au départ "sans famille", comme l'orphelin Rémi. Georges Rémy. C'est la première crypte: Hergé est un anagramme composé à partir du nom et du prénom. Et Hergé n'a jamais caché sa fascination, enfant, pour les aventures de l'orphelin Rémi créé par Hector Malot.
Y aurait-il, dans le "secret" de Hergé, une problématique de la "filiation"? C'est ce que se demande Tisseron, invité par la mise en scène elle-même des aventures sémiologiques de tintin, à penser que Hergé se vit lui-même comme un enfant trouvé composant une "famille". Et le travail de décryptage de Tisseron se révèle passionnant, non seulement comme interrogation sur le processus d'une Oeuvre en général, et sa dimension symbolisante pour tout "créateur", mais encore comme processus, en l'occurrence, de "résilience", élaboré par l'homme G. Rémy.


5.

Après ces considérations, je préfère renvoyer à un texte dispo sur le net, où Tisseron résume (trop rapidement, en 2 pages) sa démarche et sa découverte. Le livre "Tintin et le secret d'Hergé" est beaucoup plus riche et foisonnant.
Il convient cependant d'ajouter que les éléments relatifs à une pathologie (surmontée en tant que "création" d'un univers transitionnel, comme dit Winnicott - lui-même s'intéressait aux peanuts de Schultz, à travers lesquels il élabora son concept du forda comme objet transitionnel, medium par lequel se « négocie » le passage du dedans au dehors: exemple, la couverture de Linus) se repèrent encore dans la fascination de Hergé pour la "royauté": obsession d'une origine nobiliaire, mais encore royale. Dans la langue "syldave", ce royaume imaginaire de l'est: le roi se nomme Kar ou "Car". "Kar" se déploie d'ailleurs comme une crypte-rébus, engrammée et anagrammée, dans nombre d'albums et de figures-objets: le sceptre d'OttoKAR, le trésor de RAcKham le rouge, le KARaboudjan, la momie de RasCar Kappac, etc.
Il n'est jusqu'à l'attachement à la figure fantasmée et amie de Léon Degrelle, fondateur du REXisme, qui ne témoigne de l'obsession fondamentale de Hergé (ainsi que, hélas, son allégeance à l'extrême-droite , initiée par sa collaboration "formatrice" au journal PAN) pour la filiation royale comme sublimation extrême de l'identité énigmatique d'un enfant "sans nom", "sans père".
Les albums "le secret de la licorne" et "le trésor de Rackham le rouge constituent une transition décisive, car c'est là que tintin, l'enfant-reporter, découvre la filiation insue du capitaine alcoolique qui lui rendra le blason du "dauphin": le chevalier de Haddocque n'étant autre qu'un fils bâtard du Roi Soleil. Le château de Moulinsart (autre "crypte"), lieu d'établissement de l'identité de la "famille recomposée" par Tintin, vers lequel conflue l'ensemble des aventures comme point d'aboutissement (« nous avons cherché de par le monde un trésor qui a toujours été ici »), représente fidèlement, c'est établi et reconnu, le château de Versailles délesté de ses ailes Est et Ouest.


6.

Bon. Si tout ceci est réfutable (et pourquoi pas), ça appartient néanmoins à la logique d'une démarche scientifique (en sciences humaines comme en sciences naturelles, pour Popper). Par exemple, le géocentrisme était une théorie scientifique: réfutable, elle fut effectivement réfutée.
L'idée de la réfutabilité selon Popper, c'est que le protocole d'énoncés formant une théorie autorise une contre-preuve potentielle: ainsi, a valeur "scientifique" selon Popper une théorie réfutable aussi longtemps qu'elle n'est pas réfutée. Ce qui renverse l'habituel schéma que l'on se fait de la "vérité" scientifique: il n'y a plus de théories VRAIES, en soi, intemporelles et universelles, il y a des théories/modélisations provisoirement non réfutées, mais ouvertes à la falsifiabilité.
Dès lors qu'une théorie s'élabore massivement comme ayant "bloqué" par avance toutes les réfutations possibles par un "bouclier" de validations internes à son système, autrement dit ayant trouvé le moyen de ne jamais devoir affronter une contradiction externe à ce système, elle est infalsifiable, donc "non-scientifique", "métaphysique" au sens de purement spéculative.
Rappelons, évidemment, que cette épistémologie de la "limitation" (d'inspiration manifestement kantienne, et revendiquée comme telle, par Popper: Kant, dans la Critique de la raison pure, avait aussi comme objectif d'enquêter sur les limites internes de la connaissance, et condamnait comme "antinomies" de la raison les prétentions "absolutistes" et "irréfutabilistes" de la métaphysique spéculative pure, en son temps nommée "théologie" ou "casuistique") fut posée par Popper pour contrer essentiellement deux cas litigieux du discours théorique qui se posaient, chez certains de leurs défenseurs extrêmes, comme "sciences": les théories d'inspiration psychanalytique et marxiste.
Il voyait dans un certain usage d'une certaine psychanalyse le bouclier "infalsifiable":
- le concept de "résistance", par exemple. "Vous n'êtes pas d'accord avec mon diagnostic parce que vous faites de la résistance: j'ai touché le point sensible, et vous voulez le refouler. Votre résistance à l'analyse prouve la vérité de mon analyse".
- ou encore: le syndrome d'interprétation par le symbole. Si tout symptôme est interprétable comme symbole « d'autre chose », alors tout est à la fois symptôme et symbole. Infalsifiable.
Pour la théorie marxiste (enfin, un élément : sa portée « eschatologique ». Mais pour bien d’autres aspects, on peut contester la perception simpliste, politiquement orientée, que s’en fait Popper) : nous sommes toujours dans une phase que nous appellerons la "dictature du prolétariat". Cette phase précède la "société sans classe", annoncée par la praxis révolutionnaire. Elle durera donc aussi longtemps que cette société "à-venir" n'est pas "venue". Elle peut donc durer indéfiniment.


7.

Pour en revenir à la "résilience" de Cyrulnik, le problème de la "validité scientifique" entre en jeu du fait que Cyrulnik prétend l'ancrer dans l'éthologie naturaliste (comportement des animaux). Dès lors, le concept est susceptible de s'appliquer à tout, comme, mutatis mutandis, le concept de "dialectique" appliqué par Engels à la matière, aux phénomènes naturels (si tout est dialectique, rien n'est dialectique: concept « dent creuse », comme dirait Deleuze) .
La "résilience" devenant un concept fourre-tout brandi dès qu'il y a "conversion" de "traumas" en "réussites d'insertion": on peut alors le faire servir à tout. Un tyran pathologique qui réussit comme chef d'entreprise, c'est un résilient, parce qu'il était humilié par tous dans son enfance; Hitler, c'était un résilient: il a mobilisé des ressources internes pour surmonter l'échec narcissique d'une carrière de peintre raté, et surmonter cette frustration en la déplaçant vers un objet plus noble: l'intégrité de la nation allemande et la lutte contre ses "parasites internes" (sic). Et là, on rejoint Serge Tisseron, qui a proposé une critique incisive de la surenchère conjoncturelle du concept de résilience.
La résilience devient un concept dent-creuse infalsifiable dès lors qu'elle peut s'appliquer à tout processus de revalidation personnel (sur le modus operandi du "vilain petit canard"), amalgamant ainsi au "vague" d'un concept flou des stratégies empiriquement hétérogènes, et même incompatibles.
Et, comme souligné par Tisseron, le concept "naturalise" les inégalités devant la souffrance: les uns s'en sortent par eux-mêmes (self made men): vive l'entreprise privée, ceux qui réussissent réussissent par leur propre ressource (Sarkozy doit a-do-rer, il se vit lui-même comme "résilient", c'est sûr); les pauvres et les exclus du système, tant pis pour eux: z'avaient qu'à être résilients, comme Bolloré, comme Lagardère, comme Séguéla. Na!
Il n'y a pas d'horizon d'assistance psychothérapeutique dans la notion de "résilience", puisqu'elle promeut, telle une transposition "laïque" de la problématique janséniste de la "grâce", le salut personnel par la personne.
Avant, il y avait ceux qui étaient "sauvés" par la grâce, et ceux délaissés par la providence divine (problématique du protestantisme, dont on sait qu'il engendra le capitalisme: on se rassure en faisant fructifier un bénéfice vers une plus-value exponentielle, on se dit ainsi qu'on est du côté des "graciés", malgré le silence de dieu - cf les analyses de Max Weber).
Aujourd'hui, il y aurait les "résilients", et les "foutus" (ou éternels "assistés" des institutions d'encadrement; enfin, rassurons ceux qui aiment les appeler ainsi: plus pour trop longtemps, ils s'en iront grossir la troupe opaque des fantômes du grand capital, et ils n'ont même plus de nom pour se désigner, pour ériger une digue - symbolique d'abord, agissante ensuite - face à l'engloutissement, leur disparition du monde des "actifs" qu'on nous présente comme "visible" - un mensonge censé étayer la norme d'une majorité invisible).
Le hasard et la nécessité, la grâce et la disgrâce, transposés dans une psychologie individuelle.
 Conclusion implicite, masquée: le système d'assistance aux exclus et aux cas difficiles est bien fait: pas besoin de politique ni d'infrastructure d'encadrement; à la limite, la "résilience" se charge de faire le partage entre les "sauvés" et les "foutus".
Voilà pourquoi Tisseron montre, avec pertinence selon moi, que le suremploi de la notion de "résilience", c'est le retour par la fenêtre du socio-darwinisme de l'adaptation sélective. Très à la mode, comme on le sait, dans les "modèles" en vigueur, où le "discours" de la "science" vient opportunément au secours d'une idéologie socio-économique.
De la naissance protestante du capitalisme à la psychologie individualiste et super-capitaliste de la résilience (Bush, Blair, Sarkozy: démantibulons avec allégresse et cynisme - oui, la combinaison des deux, c'est possible comme on disait à la sncf - les outils de protection économique et sociale: les pauvres s'en sortiront par eux-mêmes, au mérite, s'ils le veulent ou s'il le peuvent: un "merveilleux malheur", quoi), la conséquence est bonne.
Cyrulnik a opéré une "hyper-centration" extensive du concept à partir de sa propre biographie. Du coup, c'est devenu un peu médiatiquement le monsieur "je donne de l'espoir à tous les malheureux de la terre". Mais donner de l'espoir, ce n'est pas leurrer comme le fameux leurre de Konrad Lorenz pour tromper les oies, pas les canards, certes, et qui était, lui aussi, éthologiste animalier.  Couin-couin.

(30/03/2008)



samedi 26 septembre 2009

psittacus project 5.3.2.



Je reviens donc, un instant, sur ce texte improvisé - souvenez-vous, magnifique, formidable - autour de "Birdy" d'Alan Parker.

Le lecteur attentif aura bien évidemment pris soin de relever les multiples tropes magnétiquement invoqués ça et là, dans un ballet étourdissant et enchanteur digne de La Péri de Paul Dukas. On est branché sur l'inconscient ou on ne l'est pas. Point n'est besoin d'insister. L'humilité n'insiste jamais. C'est pourquoi je ne m'appesantirai pas outre-mesure. Je me contenterai de dévoiler quelques éléments épars de cette architecture cryptophorique à la fois savante, ignare, et verviétoise.


Tout d'abord, les ailes, l'envol, le vol (frères Wright); et son envers symétrique, le monde de l'eau (océan, plongeon, placenta, etc), et toutes ces choses;

- autres bébêtes, avec ou sans plumes: soldats-baleines, perroquets télépathes, saintexuperys, prométhées, icariens, archéoptéryx-s, tyrannosaurus-Rex-s, etc

- Allusions imbriquées à diverses théories paléo-anthropo-philosophico-psychanalytiques envisagées comme "transformateurs Duchamp". Farpaitement :

Abraham & Törok (L'Unité duelle, dans "L'écorce et le noyau"),
Ferenzci (Thalassa),
Jean-François Lyotard (La chose, l'inhumain, les grands ancêtres, in "examen oral")
Mélanie Klein (théorie du "bon et du mauvais sein" dans "Envie & Gratitude"),
Winnicott (l'objet transitionnel, le "forda", la "couverture de Linus", in "Jeu et réalité"),
K. G. Jung (la persona, in Dialectique du moi et de l'inconscient), etc.

- Tropes littéraires: Mallarmé, Michaux, Lovecraft, Stevenson, Daniel Goossens, Pierre Perret, Heidegger, Baudelaire, Rimbaud, Hergé (frères Loisau-Wright), Saint Ex (citadelle), Kant (le beau et le sublime), etc.

Plus le fluide (glacial, of course), le grano, salis, évidently, la folle, du logis, forcémently. Et les mineurs de fond. Et les naufragés de l'île de la tortue. Et le Paris-Brest. Et toute la smala. Tous à Zanzibar. Tous à Verviers-Central.


- Références cinématographiques:

- Birdy (Alan Parker)
- Reviens moi (Joe Wright)
- Le grand bleu (Besson)
- la ligne rouge (Malick)
- Johnny got his gun (Trumbo)
- Jurassik park, le Soldat Ryan (Spielberg)
- Le testament d'Orphée; la belle et la bête (Cocteau)
- La Chose (Carpenter)
- La nuit du chasseur (Laughton)
- les contrebandiers de Moonfleet (Lang)
- The deer hunter (Cimino)
- Apocalypse now (Coppola)
- Persona (Bergman)
- Ces merveilleux fous volants dans leurs drôle de machines (Annakin)
- Full metal Jacket (Kubrick)
- Le cri du cormoran le soir au dessus des jonques (Audiard)


Bref, étourdissant. Quel talent. Christian Tzara peut aller se rhabiller, le pauvre. Et son perroquet aussi. Que son grrraand crick le croque.


Ensuite, L'Origine des oiseaux (nouvelle d'Italo Calvino dans "Temps zéro") & Les Dinosaures (dans "Cosmicomics"), matrices de la machine textuelle hypno-grammato-mnésique.
Tout y conspire. Honnêtement, on ne peut pas comprendre ce texte prodigieux sans les avoir lues.

Un passage, au hasard (que je découvre, actuellement, pour la première fois, en même temps que je le tape):

(c'est un dinosaure qui parle, et qui a réussi à passer inaperçu au milieu du groupe des "Nouveaux", ceux qui n'avaient jamais vu les dinosaures, depuis longtemps disparus, mais en avaient entendu parler):

Elle me raconta: "j'ai rêvé que dans une caverne, il y avait l'unique survivant d'une espèce dont personne ne se rappelle le nom, et moi j'allais pour le lui demander, et il faisait noir, et je savais qu'il était là, et je ne le voyais pas, et je savais bien qui il était et comment il était fait, mais je n'aurais pas su le dire, et je ne savais pas si c'était lui qui répondait à mes questions ou moi aux siennes" [...]
Depuis lors, j'avais compris tant de choses, et par-dessus tout de quelle manière les Dinosaures gagnent. D'abord, j'avais cru que leur disparition avait été pour mes frères la magnanime acceptation d'une défaite; maintenant, je savais que plus les Dinosaures disparaissent, plus ils étendent leur empire, et sur des forêts bien plus intimes que celles qui couvrent les continents: dans l'enchevêtrement des pensées de ceux qui demeurent. Dans la pénombre des frayeurs et des doutes de générations désormais ignorantes, ils continuaient à allonger le coup, à soulever leurs pattes griffues, et quand l'ombre ultime de leur image s'était effacée, leur nom continuait à se superposer à toutes les significations du monde, à perpétuer leur présence dans les rapports entre les êtres vivants. A présent que le nom lui-même s'était effacé, il leur revenait de se fondre avec le moule muet et anonyme de la pensée, à travers quoi prennent forme et substance les choses pensées: par les Nouveaux, et par ceux qui viendraient après les Nouveaux, et par ceux qui viendraient après encore." (I. Calvino, Cosmicomics, p.112, Paris, Seuil, coll. "Points")

Je n'ai strictement absolument rien compris. Mais c'est très beau.


Confusément, je sens bien, sans pouvoir m'en expliquer davantage, que c'est là, précisément là, qu'opère, ou d'où procède, le chant du psittacus, au point nodal de sa mémoire reptilienne, à l'intersection des gares de Verviers-Central et de Verviers-Central, point non récursif de mon ressouvenir de Stéphane M., quand j'ai ressenti que je n'étais plus le psittacus que j'avais moi-même connu.
Alors, bon, on nous dira: c'est très fâcheux, tout ça... Peut-être, peut-être, mais c'est là, précisément là, que se révèle et se déploie, qu'on l'admette ou pas, la révolution authentiquement copernicienne du Psittacus. Alan Badius l'a bien compris. C'est un grand Marabout, lui aussi. Je me demande même s'il ne jouait pas dans la guerre du feu des frères Rosny Aîné.
Alan Badius et moi, nous n'avons pas besoin de disserter à l'envi: un coup d'oeil trifurqué, et nous nous sommes compris. Nous sommes tous deux des enfants du limon, fruits du croisement heureux, à Verviers-Central même, des archives Queneau de l'Hôtel de ville et des usines Marabout, là même où, sur cet lopin de terre meuble plus ou moins excavé, naquirent conjointement Stéphane Mallarmé et le Monolithe noir de 2001 lui-même. Car c'est un fait établi, quoique dissimulé dans cette crypte - et l'un comme l'autre nous savons, de ce savoir très ancien probablement oublié, souvenir agi et agissant en nous, que c'est là, à Verviers même, que Stéphane vit le jour, en même temps que l'hominisation du singe. Et bien sûr, ça ne fait rire que nous, mais nous rions sous cape.

A Verviers-Central, le temps était hors de ses gonds.
Nous y étions, Alan & moi, unité duelle de l'enfant majuscule, un Infini turbulent.
Notre code chimique et électromagnétique fut ce qui nous permit de nous flairer à l'odeur, comme les néandertaliens, frères so(u)rciers dans la clairière de l'être, parce qu'ils s'écoutaient eux-mêmes tels qu'en eux-mêmes.


Aussi savions-nous que notre "tombeau" était en réalité une crypte, aussi avions-nous toujours eu la foi en l'avènement obscur, au don dévoilé/voilé de notre code chiffré/constellation d'Or. Aussi étions-nous sauvés. Parce que nous étions déjà sortis par réminiscence tellurique de notre chiffre:

"C'ETAIT (issu stellaire)
LE NOMBRE
EXISTÂT-IL (autrement qu'hallucination éparse d'agonie)
COMMENÇÂT-IL ET CESSÂT-IL (sourdant que nié et clos quand apparu - enfin - par quelque profusion répandue en rareté)
SE CHIFFRÂT- IL (évidence de la somme pour peu qu'une)
ILLUMINÂT-IL
CE SERAIT
(pire
non
davantage ni moins
indifféremment mais autant)
LE HASARD
(Choit
la plume
rythmique suspens du sinistre
s'ensevelir
aux écumes originelles
naguère d'où sursauta son délire jusqu'à une cime
flétrie
par la neutralité identique du gouffre)
RIEN (de la mémorable crise - ou ce fut l'événement accompli en vue de tout résultat nul - humain)
N'AURA EU LIEU ( une élévation ordinaire verse l'absence)
QUE LE LIEU (inférieur clapotis quelconque comme pour disperser l'acte vide
abruptement qui sinon
par son mensonge
eût fondé
la perdition
dans ces parages
du vague
en quoi toute réalité se dissout)
EXCEPTÉ (à l'altitude) -PEUT-ÊTRE […] - UNE CONSTELLATION (froide d'oubli et de désuétude - pas tant - qu'elle énumère - sur quelque surface vacante et supérieure - le heurt successif - sidéralement - d'un compte total en formation)"

Avec les seuls moyens du bord, une caisse à savon évidée en son centre, une cloche tubulaire, quelques macarons, nous avions écrit par avance ce texte, sans même le connaître, ou plutôt, ce texte s'était écrit en nous, au travers des fils innombrables et torsadés que nous tissions inlassablement, chemins de traverse, qui furent tantôt ontologie, tantôt anthropologie structurale, tantôt psychanalyse, clinique du fantôme, approche systémique, anasémique, morale appliquée, pantomime, imitations diverses, thérapie clownesque, rhétorique, linguistique, tintinologie, théorie des champs méta-morphiques et de l'harmonie des sphères, kantisme, leibnizisme, sartrisme, hégélianisme - le tout exclusivement et intégralement lu sur des quatrièmes de couverture de Marabout-sciences-junior;
maïeutique obscure avec bornes de signalisation sonore sous forme de marteaux sans maître qui faisaient tantôt "dong" tantôt "ding", assénés sur la tête de quelques pauvres crânes tondus de passage et qui repartaient aussitôt, migraineux, dans quelque ruelle ténébreuse d'Harry Dickson, et sans demander un putain de Kopeck à qui que ce fût;

aussi par l'invocation de forces occultes qui nous répondirent, depuis la faille de San José, et d'où sortirent un soir de septembre, à notre grand dam, après diverses prières inversées, de sombres borborygmes et invectives recueillis sur la bande magnétique à moitié déchiquetée d'une maxell standard et passées par la touche rewind d'un vieux Sharp tout pourri, quelques grands ancêtres monstrueux aux noms oubliés et imprononçables;

aussi par diverses poudres de perlimpinpin recueillies, filtrées et tamisées à même l'Ab-grund de la forêt noire, dans un commerce clandestin que nous entretenions avec certaines sorcières aux pieds nus et crochus dont nous tairons le nom, appelées à nous par écho-sonar, nous conviant à de sombres sabbats où nous exorcisions les âmes d'enfants morts-nés comprimés entre les pages du Kaddish, et chaque fois (pas toujours), le sortilège bu, par nos cloisons tympaniques transpercées, déployant nos pavillons de fortune, faits de breloques et de peaux de tambours soldées aux puces, nous apprivoisions les mots de la tribu. Sauvés par l'acousmatique, et Alfred Tomatis.

(15 janvier 2008)

psittacus project 5.3.1.


Ce texte magnifique sur Birdy, donc, un chant magnétique vespéral, non seulement très sympathique, mais encore impayablement drôlatique, suscita éventuellement moue dubitative et regimbante.

Peu importa.

Je renonce provisoirement à en déplier ici (cf. cependant "psittacus project 5.3.2.") toutes les riches correspondances ouvragées, et psittacosées avec une maestria sans limites, qui le promeuvent au rang d'une simio-poétique incandescente.. Mes fans s'en chargeront.

Qu'il me suffise de dire que j'en suis un fervent admirateur. Le projet perroquet 5.3.1. initie une ère nouvelle de la modernité littéraire, l'authentique révolution copernicienne d'une jouissance labiale en prise directe sur son inconscient.

Osons le dire, et je cite moi-même la postface de la monographie qui m'est consacrée à titre posthume:


Ainsi Psittacus, portant jusqu'à son terme, avec témérité et d'une main ferme, le projet harassant qui le hanta toute son existence: devenir l'original de sa propre copie, laissera à la postérité la tâche infinie de déchiffrer l'insondable borne hiéroglyphique de son Oeuvre, lancée, comme un défi, aux siècles à venir. Ultime provocation d'un génie sauvage, rieur et frondeur, faisant voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative. Faire voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative n'était pas une mince affaire. Nombre de plumitifs tombés dans l'oubli s'y sont cassé le bec. L'entreprise en effet, plus que risquée, réclamait une lucidité sans faille dans l'appréciation d'un tel projet.

Psittacus s'acquitta de ce projet.

Non seulement il s'en acquitta, mais encore il parvint, ce n'est pas là le moindre de ses mérites, à excéder les limites qu'il s'était imposées. Transcendant, par une prise de risque qui faillit bien des fois le conduire aux abords de la folie (en témoigne un passage de la correspondance omnibus qui le menait quotidiennement de Verviers-central à Verviers-central : "mince, je ne suis plus le Psittacus que j'ai connu"), les percées somme toute auto-limitantes de la pataphysique verviétoise, il parvint, au prix d'une auto-discipline de fer, se vouant à cet apostolat avec l'inexorable intégrité de ceux qui ont conscience de refermer les portes ouvertes, et de frayer des sentiers où jamais la main du serpent ne s'était aventurée à mettre le pied, non seulement à faire voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative, mais encore à poser les jalons d'une nouvelle science, crainte par Kierkegaard, entrevue par Heidegger, élaborée par Alexandre Kojève, éditée sous le manteau par Queneau,  saluée par Deleuze, vilipendée par Bouveresse, pillée par Rémy Bricka, et ultimement rejetée par Karl Popper: la science infalsifiablement réfutable de la mimétologie généralisée.
Psittacus, rappelons-le à ceux qui l'ignorent encore, avait tenté de lancer dans les années 50, entre autres projets infructueux, le "cercle de Verviers" (Psittacus project 5.2.0), dont il fut et resta l'unique membre honoraire, en soutien tardif au "cercle de Vienne".

Selon Psittacus, en effet (in "Psittacus auteur du Ménard"):

" En l'état actuel de nos connaissances en éthologie, rien ne permet d'établir avec certitude si Konrad Lorenz se prenait lui-même pour un cygne sauvage suivant des canards anthropomorphes ou, à l'inverse, était lui-même un canard sauvage suivant à la télévision un film de Michel Audiard en croyant le précéder ".

Wittgenstein, dont le violon d'Ingres était le piano (il jouait avec la main gauche de son frère invalide de la Grande guerre les "morceaux en forme de poire" de Satie, portant la mention non-valide bien connue "à jouer comme un rossignol qui aurait mal aux dents"), n'a pas manqué d'ironiser sur cette conjecture, en écrivant dans ses "investigations philosophiques":

"rien ne permet d'établir avec certitude si Psittacus se prend pour un perroquet imitant un canidé imitant la voix de son maître sur un gramophone pathé-marconi ou, à l'inverse, est lui-même un gramophone pathé-marconi imitant un canidé imitant la voix de son perroquet".


Tout ceci relève désormais du registre des anecdotes plaisantes qu'on aime à évoquer entre initiés dans les causeries d'épistémologie anglo-saxonne.
Le travail solitaire entrepris et mené à bien par Psittacus au cercle de Verviers a pâti de cette imagerie quelque peu obsolète, et bien entendu, comme on l'imagine, fut éclipsé par l'ombre tutélaire de Wittgenstein. On trouve encore mention, cependant, des écrits de Psittacus dans l'anthologie des fous littéraires d'André Blavier.

Il importe pourtant de reconsidérer aujourd'hui d'un oeil neuf, et au delà des saillies spirituelles - parfois injustement méprisantes - qui ont fait florès dans l'histoire des Idées du XXè siècle, l'oeuvre solitaire menée d'arrache pied par Psittacus entre 1953 et 1965.
Dans l'extrême dénuement d'une psychè tourmentée par ses propres golems, qui eux-mêmes étaient les golems d'un golem premier à jamais oublié, il sut puiser avec obstination dans les réserves limitées d'une culture et d'une épistémologie invariablement verviétoises, et assumer cette limite jusqu'à esquisser les contours d'une finitude radicale du savoir humain. Un savoir humain encerclé par les tropes d'une révolution résolument et authentiquement copernicienne.

Il partit en effet de son centre, qui n'était nulle part, avec la ferme intention de renouveler la preuve ontologique de l'existence de la périphérie de ce centre. Psittacus était rien de moins que kantien, et sa démarche unique en porte la marque radicalisée, et inouïe, par bien des aspects.

L'impossibilité, assumée, d'envisager la périphérie et l'extraphérie du centre verviétois l'amenèrent à poser thésiquement l'axiome apriorique et solipiste suivant:

"c'est bien parce que nous ne disposons, en tout état de cause, pas d'autre centre, ou point de vue, ou subjectum, que le centre verviétois, que nous devons impérativement revenir à ce centre même, pour rendre compte du caractère originairement excentré du centre, soit encore, pour avérer que ce centre est tout entier la preuve nécessaire et suffisante de sa propre ex-centricité".

La prose éclatée et éclatante de Psittacus est certes difficile à cerner. Et pour cause, puisqu'elle ne cesse de faire voler en mille éclats les limites traditionnelles de la prose récitative, comme on le rappelle plus haut.
Canardus psittacosé second, un de ses plus fidèles disciples, nous paraît résumer cette axiomatique sartro-kantienne en des termes plus à même de toucher le grand public (le public, donc, de la périphérie verviétoise, voire de ses alentours):

"le centre ne se constitue comme centre que comme habitant une extériorité qui n'est pas lui, dont il est lui-même, in fine et ab origine la périphérie elle-même".

C'est donc à partir du centre lui-même, et en y revenant, qu'on peut et qu'on doit comprendre que ce centre est lui-même second par rapport à une excentricité ou extériorité premières qu'il n'est pas, et dont, par essence et signifiance, il ne peut que rendre compte. En somme, le centre (que constitue Verviers, ainsi que l'ancrage verviétois que constitue l'épistémologie psittacienne), est paradoxalement fondateur parce qu'il est fondé sur et par autre chose que lui-même.
Pour le dire autrement encore, le centre est l'excédent lui-même qui ne cesse d'être excédé par ce qu'il excède.
Alan Badius, dans son traité de la quadrature psittacosienne, a tenté d'axiomatiser le théorème auto-différentiel de cette tournure de pensée qui, à maints égards, demeure une énigme autant qu'un défi:

"SOIT le Psittacus comme tel est exclusivement instituable dans son centre (psittaco-verviétois) par ce qui l'excède, et dans ce cas l'excès en question pourrait se passer du Psittacus pour être défini, SOIT le Psittacus institue-t-il son centre comme l'excédant lui-même, et dans ce cas ce qui excède le Psittacus reste dans le Psittacus: l'excès non-psittaciste, le hors-psittacus sont ce dont sa psittacicité elle-même rend compte".

En tant que matérialiste athée, nous pouvons et nous devons ajouter foi au seul membre second de l'alternative. Que nous formaliserons par le monome binarisé suivant:

"Pour toute périphérie verviétoise dont au moins 1 psittacus est le centre, il existe un 0 divisé par -1 = (psittacus) x la somme des angles droits du cercle quadraturé "

Le psittacisme confluant à l'intersection ferroviaire des correspondances omnibus entre Verviers-central et Verviers-central peut et doit dès lors être considéré comme une variante indémontrable du tombeau d'Edgar Alan Poe (par conversion du corbeau en perroquet): soit un calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur. La révolution copernicienne est donc l'événement "never-more" à venir dont Psittacus 5.3.1 est le nom de code chiffré.

Psittacus est un Léon-Blumisme transcendantal.
Il annonce la redistribution radicale du pécule sarkozyste (majoré à 170% ) + la refonte des bijoux de la castafiore, pour une somme finie de congés payés sur le front de mer, où maints steamers balançant leur mâture lèveront l'ancre pour une exotique nature."

On ne saurait mieux définir - grâce soit rendue à Badius, exhumant enfin Psittacus de sa crypte - le "cercle discursif" psittaciste, qui fait voler en éclat, non seulement les limites traditionnelles de la prose récitative, mais encore l'onto-théologie sous-jacente de tout cercle spéculatif qui prétend en finir avec le psittacisme.
Le psittacisme, se revivifiant aux sources d'un kantisme débarrassé du concept de noumène comme concept régulateur vide (de toute intuition), est donc à la fois un idéalisme transcendantal et un réalisme critique. Il engendre lui-même sa révolution autour et hors de son propre centre, parce que le centre qui le constitue est lui-même une périphérie seconde par rapport à une extériorité radicale préexistante.
Telle est l'audace du psittacisme radical.
Et Badius, en psittaco-lacanien, l'avait fort bien compris, qui s'en inspira à juste titre dans ses "prolégomènes à tout psittacisme futur qui voudra se constituer comme révolutionnaire".

Un jour, le siècle sera psittacien. Les rares interprètes qui ont su et pu percé à jour l'entreprise radicalement révolutionnaire de Psittacus peuvent en témoigner par l'irréfutabilité du rire sincère (et émouvant) que son entreprise suscite en eux.
Pour l'instant, il est vrai, ils sont encore obligés d'en rire tout seuls, et peu nombrables. Mais partout, de par le monde, des psittacistes se réunissent et fomentent du psittacisme, suscitant un rire contagieux qui ne cessera plus de croître. C'est du moins notre conviction profonde, au moment de signer cette postface à l'oeuvre désormais complète de Psittacus, qui, dans une manière d'ultime pied de nez à la postérité, nous a quitté, emporté par une psittacose (toujours) galopante et inextinguible."

(14 janvier 2008)



Birdy (Alan Parker), en psittacus


Une heure et demie de pur bonheur, alliant émotion, virtuosité et une rare splendeur esthétique. Et n'oublions pas qu'il s'agit aussi d'une très belle histoire d'amour.

Birdy, c'est contre la guerre et c'est pour l'amour.

Mais il y a aussi un message d'espoir: sur la rage de vivre et de survivre dans un monde hostile.
Moi, la scène qui me fait chavirer à chaque fois, c'est quand Birdy regarde la fenêtre. Il est accroupi sur une chaise. Dans une position fœtale. La scène baigne dans une lumière bleue translucide, avec un cadrage d'une force à tomber par terre. On sent qu'il est enfermé dans la tête de sa prison intérieure, parce que l'amour innocent qu'il est incapable d'exprimer reste comprimé dans sa poitrine. Les volutes hypnotiques de la musique de Peter Gabriel, de toute beauté, traduisent ce mélange de grâce et de pureté blessées, et en même temps un défi, l'esquisse d'un geste de libération risquée, espoir ténu, sur le fil de funambule de l'existence.
Birdy voudrait s'envoler par la fenêtre. La métaphore est explicite. Alan Parker s'adresse à notre coeur. Pas d'intellectualisme froid, la démonstration formelle est répudiée au profit d'une émotion nue, universel sans concept. Le langage abstrait échoue à traduire les sensations qui nous étreignent, qui vont fouiller et même trifouiller dans les zones les plus fragiles et les moins fréquentées de notre appartenance brisée et douloureuse au monde. Sans jamais céder à la complaisance ou à la facilité, Alan Parker nous fait ressentir le côté sombre et tragique de la vie. Il y a dans ce moment miraculeux de cinéma brut, en liberté, à l'état pur, non domesticable, la grâce de ces sensations intraduisibles qui font signe vers l'enfance et ses blessures secrètes.
L'espace d'un instant, on aura été l'homme oiseau, comme Saint Exupéry dans la citadelle ténébreuse, avant de perdre sa gourmette et de plonger mystérieusement au coeur de l'océan profond, gardant jalousement ses secrets.

Mais Birdy n'est pas un oiseau. Les rêves d'évasion, le besoin de se libérer de ses chaines se heurte au mur impitoyable de la réalité matérielle. Subsiste alors cette nostalgie indicible qui nous étreint et nous transperce à vif. On ne ressort pas tout à fait indemne d'une façon aussi frontale d'explorer nos espoirs, nos craintes, nos rêves brisés.
Birdy nous interpelle tous dans notre enfant intérieur.
Y faut libérer la cage aux oiseaux, les laisser s'envoler, c'est beau. Il y a en chacun de nous un enfant apeuré, prisonnier, qui voudrait prendre son envol, loin de la pesanteur de ce monde, qui aimerait - mais ne saurait - briser le mur étanche des horizons bouchés. Alan Parker sait solliciter en nous, avec une pudeur déconcertante par sa naïveté, qui n'a que faire des imageries lourdes et faciles, qu'on a trop vues, notre part océanique, en même temps que céleste, d'enfance déchue.

Comme Luc Besson dans le grand bleu. C'est ce genre de film qui vous plonge dans un état éthéré, dont on revient à grand peine, qui réveille la nostalgie d'un monde perdu, originaire, d'un eden indicible qui toujours résonne en nous arraisonnés, comme la part d'un paradis promis, puis volé, auquel on ne renonce jamais au fond de soi-même. Au prix, peut-être, d'y perdre ses ailes, au prix de se perdre, à jamais, infiniment, dans son fond advers: l'enfer orphique dont le poète signe la trace testimoniale avec une plume d'oie trempée dans le sang.

Le combat entre l'ange et la bête. En cela, Matthew Modine réussit une éblouissante prestation qui rappelle celle de Timothy Bottoms dans "Johnny got his gun". Rarement l'horreur de la guerre n'aura été si bien traduite que par cette image, qui a la puissance d'une parabole biblique: nous sommes Matthew, à ce moment.
Ce n'est plus seulement la guerre, abominable machine à broyer les corps et les âmes, cette entreprise qui envoie les forces vives de sa jeunesse se sacrifier sur l'autel de la patrie, et agonir sans sépulture au champ d'honneur. Ce qui est implicitement dénoncé, ce sont toutes les guerres invisibles que l'homme mène contre l'homme, la guerre intérieure que mène chaque créature avec elle-même. Quelle est donc cette guerre secrète qui étreint le coeur de la vie, ces forces antagonistes qui séparent les éléments? Peut-être pas une force, mais deux? Une dualité? Un symbole de la lutte pour la survie elle-même? C'est aussi ce que nous aidait à comprendre Terrence Malick dans l'ouverture bouleversante de la ligne rouge: l'arbre, symbole de la vie opiniâtre, habité par des forces intérieures qui torsadent ses racines veinées, qui l'étouffent mais en même temps lui permettent de se propulser vers le ciel. La dualité l'habite, comme Matthew, pétrifié sur sa chaise, contemplant la fenêtre d'où sourd une lumière évanescente (image de la vie rêvée? Rayon de pureté qui cherche desespérement à se frayer un chemin dans les anfractuosités de la roche impitoyable et indifférente?).

Matthew est traversé par ces forces antagonistes qu'on sent à l'oeuvre depuis l'origine du monde, de la vie. Cette même dualité sombre, et fascinante en même temps, Spielberg parviendra, lui aussi, à la rendre sensible, dans quelques plans majestueux et inoubliables de Jurassik Park: ce combat de l'ange et de la bête, créatures divisées par la nature, et pourtant réunies, le temps d'une terrifiante confrontation, par la folie prométhéenne des hommes qui ont voulu s'égaler aux dieux, et, dans leur folie, capter eux mêmes le secret des dieux envolés. Pour échapper à la solitude essentielle d'une terre impénétrable et aride.

Alan Parker, avec Joe Wright, Steven Spielberg, Terrence Malick, et quelques sorciers du septième art, sont de ceux qui ont su s'approcher de cette mince frontière impalpable, celle qui sépare l'ange de la bête, les dieux des hommes, l'homme de l'animal. Cette dualité insurmontable qui fait les joies, les peines, mais aussi la tragédie toujours recommencée du règne humain, et son éternelle soif d'absolu.

"Les nageurs ne savent plus que l'eau mouille, les horizons de la terre ferme les stupéfient, ils retournent constamment au fond de l'eau", écrivait Henri Michaux. C'était le monde divisé, ce paradis perdu, mais ressouvenu, par Jacques Maillol. La tentation, fragile mais sublime, de se fondre au coeur des ténèbres, des profondeurs de la vie, et de rejoindre le cycle obscur des éléments toujours s'embrassant, se divisant, éternelle méiose et mitose d'une métamorphose inquiète qui hantait, déjà, les héraclitéens. Une poésie élémentale des élements, de la force obscure du mana, celle qui poussa aussi le soldat Ryan au devant du danger, vers la mine enfouie dans la végétation touffue, au coeur des ténèbres de ce monde, belles et cruelles.

Cette dualité qui traverse l'oeil trifurqué et terrifié du Tyrannosaurus-Rex, comme une gigantesque mémoire rétinienne et reptilienne, avant l'attaque, impitoyable, suicidaire, qui le pousse à déchiqueter son frère humain immémorial, sa filiation étrange, son double impur, ange pourvu du souvenir biologique et fossile de ses moignons dérisoires brassant l'air tel un boxeur antipodique, rejeté des rivages déchiquetés de la lande primitive, éternellement désirée, et éternellement refusée. Tel est le drame pathétique de la force divise qui luit au coeur de chaque créature.
Et qui la rend capable de la plus belle des choses: l'amour, mais aussi son envers abject, redouté: la haine.
Haine et amour, incoercibles forces, au mi-temps d'un sein offert en même temps que refusé, lait opaque de la tendresse humaine. Des deux, qui de quoi lequel imposera son règne? Mais Qui? Ô Personne ne saurait le dire; ou alors la schize redoutée de la double face noire et blanche, persona surgie du ressac inhospitalier de Farö? Est-ce le chasseur de daims, qui, dans la nuit, hulule sa douleur de frôler de sa main gauche le trésor, enfoui dans le coeur d'une infante pavanée de chiffons, que sa main droite lui refuse? Pathétique et vain combat il est vrai, mais là est sa beauté qui fulgure et s'evanesce, d'un moment d'éternité échouant sur la grève de nos rêves entr'aperçus. Rimbaud nous en parlait avant de se taire, et Joe Wright, revenu d'entre les frères Loisau, et qui sait le fragile envol des Prométhée de toiles et d'armatures de bambou sur les berges du nouveau monde battues par des vents contraires, nous le montre, et en témoigne. Sans ostentation, avec cette simplicité désarmante, mais redoutable, des génies bricoleurs de la Nouvelle Angleterre.

Matthew Modine retrouvera ce fratricide combat dans la campagne anglaise verdoyante transformée en chantier de mort et de destruction, avec pour seul souvenir discret, mais tenace, ce symbole, affiché sur son casque, de la dualité primordiale: eros et thanatos mêlés au mugissement terrifiant des baleines, la baleine surgie du fond de Thalassa, et qui s'éprend, dérisoire mais poignant syndrome de l'attachement effiloché à la mère, couverture de linus tirée à soi jusqu'en enfer, d'un fusil nommé Sharleene. Dualité, là encore, de la femme-fusil. De la femme qui, à la fois, enfante et donne la mort.
L'espace d'un instant fugitif, suspendu entre terre et ciel, entre obscurité et lumière, Alan parker nous donnera à voir cette expérience intraduisible, sublime et oppressante, d'un dernier regard posé sur la transcendance perdue des limbes.

Alan Parker, artiste rare, reclus dans sa hutte, loin des clameurs des clichés publicitaires et aliénants de l'industrie mercantile des rêves, passionné, lui aussi, de volatiles, ces êtres hybrides venus d'ailleurs et d'ici, phénix cendrés, suspendus entre terre et ciel, albatros aux ailes de géants brisés, colosses au pied d'Achille ailé, dont le cri, à l'égal du cormoran qui gît en nous, nous étreint le soir au dessus des jonques.

(14 janvier 2008)