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lundi 18 mai 2015

Usul fait des vidéos "philosophiques"



Usul m'a déçu.

Je me délectais il y a peu (si loin si proche) de ses vidéos sur ou autour de l'univers "vidéo-ludique".


Mais le temps, hélas, comme la folle jeunesse où je me sentais au pic de ma beauté et de ma puissance sexouwelle, a passé. C'est l'heure du doute, des bilans, des remises en question dépressiogènes et des gueules de bois trop longtemps différées...






Usul nous oppose, dans cette vidéo sur F. Lordon, d'un côté la "philosophie du libre-arbitre et de la liberté", et de l'autre une philosophie du déterminisme pur (en se proclamant "spinoziste" et rattachant à ce dernier tout modèle "hyper"déterministe comme les "neuro-sciences" - nawak - qui sont l'outil conceptuel le plus redoutable du capitalisme qu'il dénonce...)

De ce que le libre-arbitre, la liberté, des "sujets", sont devenus des concepts bien sûr instrumentalisés par l'idéologie individualiste marchande (de la "résilience" à "l'intériorisation du malheur", en passant par la "liberté d'expression" analysée par Foucault puis Deleuze comme dispositif d'assujettissement disciplinaire, de quadrillage des désirs, de contrôle en flux continu/tendu où le régime de l'entreprise, étendu à toute la sphère de l'individu, le transforme en "dividu" segmentable, taillable et corvéable à merci; etc etc : mais de tout ça il ne parle pas, et ce ne sont pas des références pour lui, de toute évidence); de ce que le libre-arbitre, la liberté, sont des valeurs célébrées par l'oppression libérale pour aliéner les "sujets" (en leur faisant prendre leur soumission à l'entreprise pour un désir personnel, interne, une décision libre et autonome - c'est uniquement de ça qu'il parle); de ce qu'enfin ces processus d'aliénation sont une réalité qui bien sûr doit être analysée, il en conclut benoîtement, notre Usul, que la "liberté" n'existe tout simplement pas ! Il jette aux orties d'un vieil "humanisme" l'enfant avec l'eau du bain.
Nous refaisant le remake caricatural et daté de l'hyper-structuralisme-sans-sujet ayant balayé le vieil existentialisme qui n'y voyait goutte, etc. Affaire classée ! ("je suis un rationaliste scientifique, moi", dit-il en substance). Et il décrète fièrement, dans une pure contradiction, qu'il faut donc analyser les déterminismes qui nous agissent, en finir avec cette illusion de la liberté (ce concept ringard qu'il relie au "vieux bigleux de st germain des prés" - sartre), pour pouvoir les décrire d'abord, y résister ensuite. Et il invoque Marx...

Y a juste un petit problème.
Sartre, puisqu'il le nomme, ne dit pas autre chose quand il pense le concept de liberté. Cette dernière consiste précisément à pouvoir s'arracher aux déterminismes en question. Sartre ne dit pas des choses aussi stupides que: "je suis libre comme le vent, je fais ce que je veux", "c'est mon choix" (comme dans l'émission citée), mais "ma liberté, c'est ce que je fais de ce que la vie, les déterminations objectives ont fait de moi".
La prise de conscience d'une détermination pesant sur moi est un processus critique, réflexif, qui par définition sinon s'arrache à la détermination, au minimum la pense - en tant que détermination, justement. Pensée indissociable d'une action (désirée, fomentée, ou déjà à l’œuvre) consistant à y résister, y échapper, etc.
A l'époque de l'Etre et le néant: liberté du "sujet" - lequel n'est ni pure identité à soi ni pure détermination objective, mais ne se révèle comme "sujet libre" que parce qu'il "manque" de ces dernières. Il ne fait l'expérience de sa liberté que parce qu'il échoue dans sa volonté d'être identité et détermination pures (et c'est bien ce qu'il voudrait! ça le reposerait, de s'en remettre à une identité/détermination pures: ça le soulagerait du poids de cette liberté). Liberté s'expérimentant plus tard (dans La critique de la raison dialectique) dans une action politique et collective, une conscience de classe en lutte.
Et comme disait sur un autre versant Lacan (qui n'est pas précisément connu pour avoir théorisé le "sujet libre"): c'est là où il y a manque qu'advient précisément ce qu'on nomme "sujet".
Etc, etc. Tout ceci étant supposé bien connu quand on s'avise de disserter sur la "liberté" ou son absence...

Et qu'il le veuille ou non, qu'il soit libre ou non de le vouloir ou de ne pas le vouloir, tout ce que Usul valorise ici - l'exigence d'analyser ce qui nous "détermine", en faire un Objet de discours, objectiver le processus de la détermination, la "prise de conscience" (c'est son mot même) que cette opération suppose, la distance avec ce processus que cette "prise de conscience" suppose, etc -: c'est cela qu'on nomme "liberté".
C'est ce que Usul (via Lordon-décodé-par-lui) lui-même promeut ou appelle de ses vœux. Telle est sa contradiction élémentaire (indigne même d'un manuel lambda de "philo pour le bac").

Il ne peut donc en aucune manière s'agir, dans les termes mêmes de son "laïus" - ou alors je suis complètement passé à côté de la finesse de son analyse et tant pis pour moi - de nous dire: "voilà, c'est comme ça, nous sommes déterminés, on peut rien y faire, on a aucun moyen d'y échapper; suffit d'avoir une conscience lucide de ça et on est débarrassé de l'illusion naïve d'être libre; c'est parce que je suis le pur produit de mon milieu (plutôt "cultivé" et "à gauche") que je suis déterminé à détester "Sardou", là où d'autres sont déterminés à l'aimer parce qu'ils sont le pur produit du leur (plutôt "beaufisant" et "à droite"); je n'ai pas le choix de détester "Sardou" comme ils n'ont pas le choix de l'adorer; c'est juste un ensemble de valeurs qui m'ont défini, et qui les ont défini eux, et sur lesquelles ni moi ni eux n'avons la moindre prise: nous y sommes condamnés. Etc, etc.

[A ce propos: y aurait-t-il - par hasard ou nécessité - un chouïa de "mépris de classe" (déterminé), sous forme d'un clin d'oeil humoristique de connivence (pas libre), derrière ce constat d'une scientificité implacablement lucide ?
Anyway: bienvenue dans la pure réductio ad socium des gentes... Un Bourdieu ne se serait pas autorisé à pousser le réductionnisme sociologiste à ce degré d'assignation, essentialisation ou naturalisation, même pour de rire... Mais Usul est avant tout un humoriste (en tant que pur produit d'un milieu et déterminé à occuper ce créneau "qu'il le veuille ou non"), et c'est comme tel qu'il doit être entendu! Sauf à pinailler, ergoter, tel un peine-à-jouir constipé.]


La "mauvaise foi" étant pour Sartre, revenons-y, l'invocation des déterminations objectives pour justifier l'impossibilité de toute forme de responsabilité, de décision, acte, pouvant nier/trans-former la situation ("c'est comme ça, c'est dans ma nature, je ne peux rien changer à l'ordre des choses"; ou encore: "c'est la loi du marché, je n'ai aucune prise", etc: bref en termes sartriens ressaisir son "pour soi" sur le mode d'un "en soi".).

Chez Marx, c'est pareil, c'est au nom d'un concept de liberté (ou plus fondamentalement depuis ce concept, adoubé ou répudié) qu'on peut poser à la fois le concept de l'aliénation de cette dernière, et la possibilité de se désaliéner.


Le pire, c'est que Usul aka l'homme à la pipe pontifiant jadis pour de rire (tout en se prenant au sérieux quand-même dans sa mission d'édification des masses ignares et aliénées) ne s'aperçoit même pas de ces contradictions flagrantes dont son exposé est rempli jusqu'à la couenne. Il invoque ce que Lordon appelle "l'angle alpha", qui serait l'angle de résistance du désir du salarié d'entreprise, de ses intérêts propres, par rapport au désir de rentabilité du patron: plus cet angle est faible, plus le salarié est aliéné au désir de l'entreprise, plus il est fort, plus sa résistance à ce désir est forte. Qu'exprime en termes plus ou moins tarabiscotés et scientistes cet "angle alpha", sinon ce qu'on nomme traditionnellement la liberté, le libre arbitre?

Usul est (semble?) tout enchanté de l'explication que donne l'enflammée Judith Bernard (qui faisait aussi la promo passionnée, mais ça a dû lui échapper, de la correspondance BHL/Houellebecq sur Asi - les vidéos de talk-shows sur Asi semblent sa seule source de référence "théorique", c'est un peu ballot - même en termes de "léchisme"): "mon angle alpha, c'est moi, mon désir ! C'est ma passion du théâtre, que je soustrais au temps de travail de l'entreprise ! Non, je ne suis pas seulement salariée d'une entreprise, j'ai une passion qui échappe à l'entreprise! "
Grotesque : ce qu'on refuse ici de nommer "liberté", et, secondairement, "subjectivité", ce serait juste le temps qu'on parvient à soustraire au temps-de-travail, pour cultiver son petit jardin secret! Si c'est ça, "l'angle alpha", si c'est ça, tout le "désir" possible, qui nous ramène en plus au petit bonheur individualiste sur-le-côté... Aux uns la passion des tomates, aux seconds la passion des modèles réduits de locomotives, aux troisièmes collectionner les timbres-poste ou les trombones à coulisses...


C'est bien beau, donc, de se faire le chantre de Lordon qui soi-disant expliquerait la logique d'accroissement du capital et la démantibulation du social par un "déterminisme des affects" qui se trouverait chez Spinoza, alourdi ici de l'hyper-sociologisme déterministe de Usul, qui impose l'idée que tout ce qu'il est, tout ce que chacun est, est le fruit d'un pur déterminisme social sur lequel il n'a aucun choix, aucune prise. Et que c'est ce déterminisme implacable qui l'a conduit, voir supra, à "ne pas aimer écouter Michel Sardou", alors que s'il avait eu un autre destin déterminé, il aurait sans doute aimé l'écouter.
Ce genre d'explication simpliste/mécaniste est juste un paralogisme, nous venons de le voir. ça revient en outre, nous l'avons vu aussi, sous couvert de cette "conscience lucide" de nos déterminations objectives, à pratiquer une pure réduction essentialiste, dans laquelle aucun bouleversement social, politique, etc, ne peut par nature se produire: chacun à sa juste place, selon son essence et sa détermination.
Autant carrément invoquer, à ce degré, un pur Etat de nature, et dans la foulée se placer sous l'autorité du darwinisme socio-génétique d'un Dawkins, dont l'hyper-libéralisme s'accommode à merveille. Mieux : dont il est la caution théorique. ça devrait enchanter l'intrépide décrypteur Usul de ses chers contemporains: alors là, c'est clair, plus de souci! Y a plus de "liberté" (cette naïve niaiserie du pauvre descartes): on sait exactement d'où on vient, où on va, ce qui nous attend, et dans quelle étagère. En attendant, après le gêne égoïste, le gêne criminel, le gêne de l'entrepreneur et le gêne du branleur-chômiste.

Mais comment, à partir de là, en appeler à la nécessité de sortir d'une essence prédéterminée, quelle qu'elle soit, puisque dans les termes où Usul la décrit, il est impossible de s'en décoller, de s'y arracher?
Là aussi, Usul est fortiche, dans le genre "j'invente des paradoxes fumeux".
Cette résistance aux déterminismes qu'il dénonce serait comprise, incluse, figurez-vous, dans ces déterminismes mêmes: on ne se révolte contre la chaine implacable des déterminations objectives qui nous ont amenés à telle condition de vie que lorsque cette dernière a atteint son seuil de rupture, au delà duquel elle n'est plus vitalement supportable... "Donc": notre choix de nous opposer à "l'entreprise", au rouleau compresseur du capitalisme, ne dépend pas de nous, là-encore, nulle liberté!
C'est simplement, si on essaie de comprendre ce raisonnement d'une logique impayable, ce que les théoriciens de l'ultra-libéralisme appellent la "struggle for life". C'est juste parce qu'on est poussé à survivre. C'est quelque part "l'instinct" du survivor. C'est une réaction/transformation "adaptative" en somme, déterminée par le capitalisme lui-même. C'est beau. C'est Rambo quoi. Avant Rambo il était sympa, mais quand Rambo, on a voulu faire de sa vie une vie de chien imbitable, eh bien Rambo il s'est fâché tout rouge et il a tout fait péter ! Ah mais !

Ce qui implique, de toute évidence, puisque tout ça, le seuil de résistance, etc, c'est "déterminé" et qu'on a pas le "choix", que jusqu'à ce point fatal, c'est pas la peine de s'exciter outre mesure contre sa condition, faut juste attendre le point de rupture qui fera qu'on ne pourra plus faire autrement...
Formidable, merveilleux Usul, qui nous explique la résistance à la machine capitaliste par sa logique-même: l'exténuation de la force productive du travailleur. Avant, c'est trop tôt; après, c'est trop tard! Faut juste s'en remettre à la nécessité objective.


Dans cette soupasse confusionniste au bord du délire, usul place BHL, Finkielkraut et consort du côté des "philosophies de la liberté". Or ce ne sont pas des philosophies de la "liberté". BHL n'arrête pas de se réclamer de Lacan et d'Althusser, de l'aliénation constitutive du "sujet" par les déterminismes de "l'inconscient" (chez Lacan ou Althusser, tout comme Spinoza, mutatis mutandis, le concept de "liberté" existe par ailleurs sous une autre forme), d'une Loi symbolique transcendante (le père-maitre-autorité-état-divin), rempart contre le "fascisme" de la "jouissance" dans lequel sombrent tous ceux qui se fantasment libres, non inféodés à cette Loi (l'anti-oedipe de deleuze étant sa bête noire depuis toujours). Quant à Finkielkraut, ce n'est pas au nom d'un concept sartrien, encore moins marxiste, de liberté, d'émancipation et de désaliénation de la logique capitaliste, qu'il cause dans le poste, mais au nom de déterminités (en total "déclin" ou "suicidées, comme chez Zemmour, par la "déconstruction-post-moderne", "l'angélisme démocratique" "gaucho-bobo", etc) comme l'identité, la tradition, l'héritage (culturel, national), etc.


Bref Usul mélange tout, et c'est bien agaçant, voire navrant, d'avoir à subir ces péroraisons de café de philo journalistique ou de philomag. J'ai l'impression crachineuse de me fader là une sorte de Monsieur Perrichon ayant appris les fondamentaux philosophiques dans les pochettes surprises de chokotoff pour les redistribuer en mignardises onctueuses au "petit peuple" youtubesque de sa fidèle fanbase (objet de sa pédagogie édifiante-par-le-rire, jadis, sur jeuxvideo.com)...
Qui plus est en se posant en intercesseur salutaire d'une "pensée" qui, sans sa louable mission pédagogique, risquerait d'être rendue inintelligible (sic) à force de "boboïsme" et d'"intello-branlette" (dans le texte).
Honnêtement, Cyprien ou Norman (en tant que "purs produits de leur milieu") - et même Squeezie -, sont plus sérieux, et de loin moins incohérents...






jeudi 8 septembre 2011

Retro-gaming



Quelques énoncés plic-ploc, volontairement basiques et didactiques, à propos de jeux vidéo. Approches fragmentaires d'un joueur occasionnel (ou plutôt "à phases", n'ayant en outre pratiqué que la Playstation 1 & 2 - ce qui devrait me disqualifier d'emblée) pour "sensibiliser" le profane.

Je me suis pas mal plongé cet été dans ce mode d'expression "réappropriative", qui réinvente un certain mode de "communauté": celui des video-testeurs.
Fréquemment, je m'intéressais davantage à ces exercices qu'aux objets ludiques eux-mêmes.

Il y a une communauté "dailymotion", avec ses gourous, ses phares, ses sociopathes, ses têtes chercheuses et ses grandes gueules attachantes. On y redécouvre un plaisir de socialisation cool, fait à la fois de "nostalgie" (dimension importante de la "madeleine de Proust") en même temps que de dérision de cette dernière.
Daily ou Youtube devenant de plus en plus un fourre-tout où tout le monde vient proposer son "test" qui n'en est pas un, ou qui ne ressemble à rien, certains "maîtres" migrent vers leurs propres sites, en construction.

Il y a les "défis", les "walkthrough" (précieux pour ceux qui sont régulièrement bloqués dans une phase ou un niveau), les "revues", les "direct-live" où le joueur découvre le jeu en même temps que le spectateur, les tests à un, deux ou plus, parfois de véritables bijoux de mise en scène. Et, bien évidemment, des hommages, des parodies, des polémiques, des découragements, des excommunications, de saignantes batailles d'ego.

Il y a ceux qui la jouent plutôt solo: "Hooper" (aka "Karkaradon"), le "grand ancêtre", mythe vivant qui-se-montre-pas, son irremplaçable accent chantant du sud, ses vidéos épiques dont la durée avoisine celle des métrages de Bela Tarr, la moitié étant consacrée à explorer le menu - auxquelles on devient accro en vertu d'une étrange alchimie hypnotique et comique; "Bibi 300", le volubile, tellement avide de transmettre par les mots l'enthousiasme de telle expérience de jeu que ça l'amène invariablement à conclure que les mots sont au bout du compte impuissants; "Lordnils", qui instille un climat de recueillement contemplatif; "Moon-Dark66", qui s'est spécialisée dans le "walkthrough" des survival-horror anciens; "Arthur-masque-Meurant", touche-à-tout encyclopédiste au phrasé baroque - une sorte de Gilles Verlant en plus inspiré; "Mr1d100", qui a décidé qu'après 200 vidéos, il pouvait reprendre une activité normale, c'est à dire retourner s'éclater dans son "usine de merde"; "le joueur du grenier", brillant showman dont les vidéos "artwork" très chiadées fourmillent d'inventions conceptuelles et dramaturgiques, etc etc.
D'autres se consacrent davantage à la consolidation du lien social, se rendant mutuellement visite : "Hedge" passe sur la chaine de "Usul", "Usul" sur celle de "Hedge", "Hedge" et "Usul" tiennent séminaire avec "PuNky_Boy" sur "presstartbutton", etc.

En somme, une nouvelle catégorie "socio-professionnelle", agréablement borderline, (généralement) non-rétribuée et dont la noblesse essentielle est peu considérée par les médias légitimés de la "culture". Tant mieux, quelque part. Ceux qui se professionnalisent en accédant à la reconnaissance perdent trop souvent leur "grain", ce point de folie où passe le charme des gens, comme disait Deleuze.




L'univers du "rétro-gaming".

Le rétro-gaming nous enseigne, entre autres choses, qu'un élément fondamental du gameplay des anciens jeux (arcade, plateforme, ou rpg -cad jeux de rôle, où jeux d'exploration-énigmes "point & click" à la "Myst") est sa difficulté. Une difficulté parfois hallucinante, mobilisant des compétences aussi extrêmes que sans autre finalité qu'elles-mêmes. Et c'est bien ce qu'est, au fond, un jeu. Une conquête de l'inutile d'autant plus marrante qu'elle est assumée et que nous savons que les entreprises inutiles sont les plus belles. L'objet ultime de cette quête n'est pas le "plaisir immédiat" (comme dégommer tout ce qui bouge dans les fps récents, qui noient souvent l'intérêt de la progression dans la pyrotechnie d'un fun consommable à la seconde, véritable défouloir pour cadres énervés), mais l'apprentissage parfois masochiste d'une compétence, le développement patient d'une tactique, d'une habileté, d'un "skill", d'une soumission à des contraintes de gameplay spécifiques. Les graphismes sont ingrats ou minimalistes, la musique des consoles de l'époque une vraie torture, mais ça participe à l'intérêt de la chose. Le plaisir du jeu y est saisi selon des fondamentaux tendant à se perdre dans les jeux vidéo actuels. Ce plaisir est surtout de l'ordre d'une gratification intime, du dépassement de ses propres limites, du défi lancé à son intelligence ou à son habileté toujours perfectibles, ce que peut entre autres ressentir un joueur d'échecs, j'imagine.



La lente métamorphose qui s'opère dans les jeux récents tient, difficile de ne pas le remarquer, à leur alignement sur le "blockbuster" en cinéma (qui de son côté s'en inspire), avec comme conséquence notable un affaiblissement considérable des compétences réclamées chez le joueur (les anciens fps comportaient plus d'exigences tactiques, me semble-t-il, et les limitations dans la physique des déplacements rendaient l'expérience paradoxalement plus palpitante). Les "durées de vie" semblent également fondre comme neige au soleil. Ce n'est pas un mal en soi. Il y a tant de manières de jouer, tant de manières aussi de regarder un film. La diversité des types de jeu semble pourtant, elle aussi, diminuer.

S'agissant des inévitables renvois entre "jeu vidéo" et "cinéma", j'aimerais voir des propositions sortant un peu de cette uniformité des "Blockbusters". Des trucs plus "immobiles", plus "psychiques" si on veut. "Heavy Rain" (vu en tests) fait un pas intéressant dans cette direction, mais son référentiel (Seven) n'est pas ma tasse de thé. Puis dans l'ergonomie du gameplay, tout miser sur les "QTE" (quick-time-events, actions contextuelles à effectuer sur demande en combinant des touches), c'est typiquement le genre d'intervention aussi stressante que fastidieuse. Cependant, c'est ce genre de jeu que j'aimerais pratiquer plutôt que la nième déclinaison d'un "gears of war", elle-même nième déclinaison de l'ancêtre "doom".

Pour la baisse drastique du degré de difficulté, il suffit de rejouer par exemple au premier Rayman (en 2D, chef d’œuvre de Michel Ancel, unanimement célébré. Son "beyond good and evil", sorte de jeu-somme patchwork de plein de genres, a également fait date) pour se rendre compte qu'après les premiers niveaux gentillets, ça devient un pur cauchemar (malgré l'univers enchanteur et chatoyant), exigeant une dextérité, une expertise, conquises au terme de multiples "game over". Les rétro-gameurs le proclament: les meilleurs jeux de plateforme d'aujourd'hui n'ont pas le centième de la difficulté de ceux de "l'âge d'or". Ce sont ces jeux qu'on nommerait, dans le jargon du milieu, "élitistes", alors qu'à l'époque ils ne l'étaient pas.

Raison pour laquelle le "hardcore gaming" réinvestit les titres anciens, et se penche dessus de façon parfois réflexive.



Quant à l'équation consistant à poser qu'un bon jeu est un jeu qui s'écarte de l'imitation du "cinéma", elle m'apparait biaisée d'emblée. Déjà parce qu'il est impossible de dégager, enfonçons là encore des portes ouvertes, une essence spécifique, pure et une, de ce qu'on nomme "cinéma". Il y a bien évidemment profusion de jeux, dès l'origine, qui s'apparentent à l'univers du "cinéma", ils n'en sont pas moins des expériences vidéo-ludiques à part entière, non réductibles à un "spectacle interactif" (d'ailleurs quel spectacle n'est pas interactif...).
Les premiers jeux de rôle "textuels" sous ms-dos, à base de questions-réponses à partir desquelles le joueur dégageait les pièces successives d'un script, c'était déjà du "cinéma". Le "cinéma", comme le "jeu", c'est d'abord une articulation projective, la création d'un schème où collaborent la tête, le corps, l'affect, le percept et le concept. Je suis même prêt à abandonner toute distinction de nature entre "cinéma" et "littérature".
Revenons à cette affaire de "script".
On nomme "scriptés" les jeux dans lesquels la quête, la progression, le scénario, sont, soit ensemble, soit séparément, pré-déterminés. On qualifie à l'inverse de "mondes ouverts" ces jeux, dont "GTA" (Grand Theft Auto") constituerait le paradigme, où on peut aller absolument partout et faire ce qu'on veut. Dans les jeux "next gen", la subsistance de "couloirs" (chemins tracés d'avance et plus ou moins habilement dissimulés par la richesse de la conception graphique et sonore) est généralement perçue comme une faiblesse du level-design, et fait baisser la cotation attribuée au jeu.

En réalité, cette extraordinaire promesse de liberté se révèle un peu un cache misère. Est-ce vraiment palpitant de se sentir "libre" dans un jeu? Que faire de toute cette "liberté", si grande qu'elle jouxte l'ennui? Il y a bien sûr des "missions" à réaliser impérativement, agencées de manière plus ou moins séquencée, afin de débloquer de nouvelles zones géo-graphiques où se poursuivra le scénario. Pas mal de fans de GTA soutiennent que leur véritable plaisir tient dans la possibilité de délaisser ces missions pour s'adonner à une multitude de missions annexes, ou même de s'en inventer d'autres, aléatoirement. Techniquement, le jeu permet d'ailleurs cela.
Sinon, on peut toujours se balader, nous dit-on, provoquer des incidents et voir ce que ça donne. Plus simplement encore, faire du tourisme. De fait, dans San Andreas, qui est le GTA de la "seconde génération" offrant une carte immense, peut-être même indépassée à ce jour, on peut tellement faire ce qu'on veut et aller où l'on veut qu'à la limite on n'a plus envie de rien faire, juste se "promener", pour éviter ces "missions" qu'on trouvera terriblement fastidieuses si on ne voit aucune raison objective de s'y impliquer.
Dans mon cas, ça se conclut assez rapidement par un sentiment horrible de solitude. Je me perds systématiquement (malgré la boussole et le repère, mal fichus, et la carte vraiment pas claire) après trois kilomètres, et je passe mon temps à tenter de retrouver mon chemin. Cerise sur le gâteau, je me fais bien entendu agonir d'injures par les passants, dont la quasi-totalité a été programmée pour offrir cette réactivité très intéressante. Solitude, ô solitude chantait Alfred Delller. Je veux absolument, ça devient une obsession, revenir "à la maison", qui est mon point de sauvegarde, et comme je ne la retrouve jamais, ça m'angoisse plus qu'autre chose, mais pas de la bonne angoisse: de celle qui résulte de l'accolement non consenti du "sujet" à la "chose". Bien évidemment, tout ceci signale que je joue comme une savate et que j'ai de gros problèmes d'orientation.

En dehors de ça, je reconnais l'intelligence ébouriffante des jeux signés "Rockstar", leur arrière plan politique et sociologique omniprésent, une irrévérence méta-ludique qui touche à un démontage "cyberpunk" des normes et des stéréotypes sociaux. Il y a dans ces jeux un anarchisme très réfléchi. Ce ne sont pas des jeux "bourrins" incitant au crime et à la violence, aspects tant stigmatisés par les nombreuses ligues de vertu qui les diabolisent. C'est pas pour les enfants, clairement. Leur "amoralisme" est extrêmement moraliste. La quête y est l'ascension sociale, et le commentaire associé à cette dernière consiste précisément à exhiber les verrous impitoyables maintenant le "bas" à distance infranchissable du "haut". Le génie du jeu réside surtout dans ses "à côté": dialogues d'une invention jubilante, immense travail vocal d'interprétations accompli par les meilleurs acteurs du genre, mises en abyme constantes, variations sur les stéréotypes, stations radio avec leurs dj et leurs programmes musicaux spécifiques, plongée dans des "épocalités" ("Vice city" passait au crible les années 80, par un travail sociologique minutieux déployant ses tropes à partir du "scarface" de De Palma, référentiel-prétexte).

Tout ça est bel et bien formidable et impressionnant. Mais je ne parviens pas, devant ces GTA, à éviter cette mélancolie, ce sentiment de morcellement; je me sens continuellement rejeté à l'extérieur, corporellement non impliqué, impuissant, annulé. Les "missions" à accomplir pour progresser dans l'histoire et débloquer de nouvelles zones géographiques sont certes imaginatives, intéressantes, tout ce qu'on veut, mais demeure la sensation plus ou moins confuse que tout cet univers ne forme un jeu vidéo que par un coup de force artificiel, qu'au fond ce n'est pas son mode d'expression.

Le monde de gta me semble ainsi un entre-deux boiteux et inconfortable, terriblement non-immersif. A la limite, en poussant un peu, un objet "autiste", sans portes ni fenêtres, et c'est un comble de paradoxe pour un jeu qui ambitionne d'être un "jeu total", un "jeu monde".

Paradoxalement également, un jeu comme Heavy rain (ou son ancêtre Fahrenheit), souvent dépréciés parce que trop "imitatifs" du cinéma, "films interactifs", dit-on - et on invoque une déperdition de la "spécificité" du gaming, me semblent procurer des sensations de jeu plus intenses, plus proches de l'essence de ce qu'est un "jeu", et précisément suscitées par le mécanisme du scriptage et du verrouillage.

La question des "mondes ouverts", ce fameux désir de "liberté absolue", tant vanté dans les GTA, me paraît donc mal posée; comme me paraissent fausses les dichotomies "activité/passivité", "action/passion", "liberté/contrainte". J'y reviendrai à l'occasion en tentant d'analyser, dans un futur proche, la mécanique des "survival horror".


Un GTA-like de Rockstar que j'ai découvert récemment, et dans lequel j'ai davantage de désir d'implication, c'est "Canis canem edit". Déjà parce qu'il est moins dur (je suis vraiment pas un virtuose du pad, y a du boulot; les bastonnades à la "god of war", par exemple, ça m'emmerde prodigieusement et la seule chose que j'en retire, ce sont des ampoules et des crampes. Cela dit, grâce à un entrainement opiniâtre digne des Marines de Full Metal Jacket, je suis expert autoproclamé en Crash Bandicoot sur ps1 et Ratchet & Clank sur ps2). Ensuite parce que le jeu sur les codes et les références m'intéresse bcp plus: un lycée wasp américain sur le modèle anglais, terrain impitoyable d'une lutte des classes. Le terrain de jeu étant plus réduit, comme la liberté d'action, le concernement augmente.






Alors, j'ai enfin mis la main, dans les occasions, sur shadow of the colossus, titre culte, faisant pendant au non-moins culte Ico, issus tous les deux de l'imagination de Fumito Ueda, se réfléchissant l'un dans l'autre comme des miroirs inversés.

Dans Ico, on explorait un immense "château fort" pour en trouver la sortie. Ce château, les deux personnages, le design sonore - fait de bruits élémentaires de la nature (vent, ressac, fontaines, pépiements d'oiseaux, etc), le parti pris minimaliste (pas d'upgrade de compétences ni d'évolutivité du côté des rares "ennemis" - des ombres faites de fumée noire) sont une des plus belles créations de l'histoire du jeu vidéo. La déambulation, le voyage figurent un paysage émotionnel, une poétique de la solitude, de l'abandon.

Shadow of the colossus poursuit ce postulat en le retournant: le personnage, avec pour seul compagnon un cheval, explore de vastes étendues désertes, forêts, vallons, plantées ça et là de quelques ruines mystérieuses et mélancoliques.

Ico était aux prises avec un bloc d'espace statique fermé sur lui-même, fait de rouages, portiques, passerelles. Shadow nous place dans l'immensité nue de l'extérieur où il s'agit d'escalader de grands blocs mobiles: les fameux colosses, constructions hiératiques, solitaires et immémoriales, mêlant l'architecture de pierre et les éléments organiques naturels.

L'enjeu ou la quête sont aussi énigmatiques que dans Ico et de l'ordre du seul sentiment. Le joueur est moins aux prises avec des "péripéties" qu'avec sa solitude fondamentale. Tout est lenteur et contemplation, tristesse et beauté.
Ico et Shadow forment cette dyade orpheline dans l'univers agité des jeux vidéos. Ce sont, à la limite, des jeux pour "non-joueurs". Ma préférence va à Ico, car on réclame encore dans "Shadow" trop de "challenge" pour mes doigts aristocratiques et paresseux. Le gameplay de Shadow pourrait se résumer à une succession de Boss immenses. Et les boss, j'aime pas, c'est la phase qui me gave le plus dans les jeux. Je suis heureux d'en venir à bout, parce qu'elle débloque un nouveau niveau. Je pense donc que principiellement, la présence d'un boss est un mauvais moment à passer pour avoir le plaisir de passer à autre chose. Alors, d'affilée et multipliés par 16, aussi majestueux soient-ils, ça fatigue. Entre les phases de combat, la promenade est belle et vide, mais on peut difficilement y passer son temps. Pour les mêmes raisons, bcp préfèrent justement Shadow à Ico.
Les deux jeux, fierté du monolithe noir de Sony, à titre de pièces nobles de "concept-art", des "jeux d'auteur" comme on parlerait de "cinéma d'auteur" (c'est presque du Antonioni, Pauline Kael ne serait pas contente), et qui furent commercialement des bides, ressortent actuellement sur la ps3, avec un habillage HD qui apparemment ne change pas grand chose (s'ils ont remédié aux nombreux bugs sur Shadow, c'est autre chose).


Sinon, les jeux d'infiltration, misant sur la patience et la méticulosité.

Après moult réflexions, je tends à considérer que les "Splinter Cell" de Ubisoft sont les chefs d’œuvre du genre. A la fois plus beaux et plus intuitifs que Metal Gear Solid 2 et 3, que je n'ai jamais terminés (le 1er restera définitivement la grosse claque). Puis dans MGS, la place démesurée accordée à ce salmigondis de "réflexions" diverses, philosophiques (à deux balles), stratégiques, géo-politiques, historiques, m'a rapidement indisposé. On n'y coupe pas, car zapper les cinématiques ou les interminables monologues du codex prive de données essentielles de l'intrigue. La gestion du gameplay, profusion de combinaisons de touches en tous genres, est également fastidieuse, anti-ergonomique au possible: elle casse sans cesse la progression au lieu de la fluidifier.


J'ai aussi découvert un intéressant "survival horror" commis par Capcom (les cultissimes Resident Evil: le 1 fut l'unique motivation d'acheter à l'époque une ps; quant au 4, les mots sont impuissants... C'est le plus beau jeu du monde, voilà):

Haunting ground, qui s'aventure dans l'esthétique du romantisme noir et gothique (déjà le premier Evil may cry, mais trop répétitivement bastonnant à mon goût). Superbe graphiquement. Mais j'ai bcp de mal avec le principe de "progression à rebours" du game-play, qui reprend une fausse-bonne idée appliquée dans "'clock tower 3": il faut fuir, sans cesse et sans cesse, la menace. Jauge de panique à la place de la barre de vie. Et on ne sait jamais quand l'ennemi va surgir. On peut jamais s'arrêter pour souffler un peu et admirer l'architecture, goûter passivement l'ambiance (grandiose, pourtant). Du coup, le stress perpétuel du game over prend le pas sur l'expérience, le sentiment de la peur (Resident Evil 4, pourtant fort axé "action", établit un équilibre quasi miraculeux entre compression et décompression).









Figure intéressante à plus d'un titre, parmi les "rétrogameurs" officiant sur le net: "Usulmaster".

Humour et intelligence, une maitrise du langage qui donnerait des leçons à un animateur de séminaires universitaires, une réflexion pointue sur le médium, ses ressorts, ses enjeux.

Quelques vidéos choisies :