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lundi 23 juillet 2012

Les aventures de Tintin. Tintin et le secret de la Licorne (Steven Spielberg, 2011)



Bon. Alors.
Je ne comprends pas la mansuétude critique qui a généralement entouré ce film, d'une absence d'intérêt alarmante.

J'étais parti plein de bonne volonté et tout, sans trop me braquer (d'autant que le générique est assez réussi, en effet, sa musique aussi), mais déjà, en tant que bon connaisseur des histoires de tintin, je ne peux pas ne pas dire qu'il n'y a rien strictement rien de l'univers des albums de Hergé dans ce patchwork fagoté n'importe comment. Pendant tout le métrage, sur ce point, on imagine constamment une équipe de scénaristes réunis en braintrust d'entreprise pour aligner quantité de "raccords" bidons puisant superficiellement dans des tas d'éléments épars des albums, les tricoter en une intrigue à deux balles, arroser le tout d'une espèce de sauce médiane annulant toute forme de saveur, sans parler d'une espèce d'humour calibré-standardisé-fadouille.
Une chose est sûre, l'argument "tintin" est un pur cache-misère. Quel rapport au juste avec Le secret de la licorne et Le trésor de R. le R? Pourquoi ne pas s'être contenté de l'histoire racontée dans ces deux albums, même au prix de moult raccourcis ou montages? On nous présente ça comme une sorte d'hommage truffé de références, mais faudrait ptêt voir à pas trop prendre les cons pour des imbéciles. On nous vante un peu partout l'habileté d'un scénario puisant astucieusement dans les albums, avec des jeux de renvois que les vrais "connaisseurs" apprécieront. Or rien, donc, de l'univers de Hergé, ou de son esprit, ou du concept de ses personnages, encore moins de son style d'humour, n'existe a minima, jamais. Quant aux références, appelons ça des gimmicks publicitaires. Le scénario qui nous est livré est d'une pauvreté affligeante, aux connexions logiques totalement artificielles. Rien n'existe, tout est spielberguisé. Et spielberguisé, on sait un peu ce que ça veut dire: le spielberguisme, c'est l'art du gimmick, du clin d'oeil insistant, tout est dans l'arc-réflexe stimulus-réponse pavlovien. Plus l'anéantissement pur et simple de toute forme de singularité, l'énucléation radicale, à la base, de toute forme de personnage existant, que ce soit de chair et d'os, de caoutchouc, ou de pixel. Spielberg a cette particularité, jamais démentie de film en film, d'infantiliser tout objet dont il s'empare, à un rare degré de bêtise standardisée (proche de l'enfance, pour qui confond "état d'enfance" et "état de bêtise"), d'uniformisation dans le vacuum d'un marshmallow, ou suppositoire, incolores, indolores et insipides, y a plus rien à espérer de ce côté là. Même du coté du Spielberg "dépressif" et "noir", qui n'est guère plus dense si on gratte d'un demi-millimètre derrière le spectacle bien agencé.
Du secret, de la licorne, du fantôme de Haddock, de Moulinsart, du Karaboudjan, il ne subsiste plus rien, pour le redire, et ce n'est pas un mince exploit d'être parvenu à vider à ce point de sa substance le monde de tintin, rendu ici à une bimbeloterie de carte postale qui irrésistiblement fait penser à ce qu'a pu faire Woody Allen dans son imbitable et post-gériatrique Midnight in Paris.


S. aurait adapté le Crasmeustache, ou Gil Jourdan, Ric Hochet, Michel Vaillant, ou Blake & Mortimer, Tif & Tondu, Boule & Bill, Gaston Lagaffe, Spirou & Fantasio, Chaminou et le Khrompire, Les Tuniques bleues, tout ce qu'on veut, le résultat aurait été du pareil au même: du bidon, des persos-prétextes, des décors-prétextes, vidés de toute substance, qui n'existeraient pas davantage, qui ne signaleraient aucun monde, aucun agencement, aucun imaginaire, s'agitant juste en vain dans un squelette d'intrigue inutile, un reader digest expédié ou une sorte de mégaremix, farci de rebondissements, de cascades, de courses-poursuites parfaitement ennuyeux, sans aucune, vraiment aucune espèce d'intérêt. Même le plus mauvais Harry Potter a plus de cachet, de singularité, et les persos plus de consistance, c'est dire.
Prenez par ailleurs un bon film d'action, filmé par un mec qui sait faire ça, prenez, je sais pas, moi, les Jason Bourne de Greengrass, l'action y est au moins intéressante, et c'est ce qu'on est en droit d'attendre. Pourquoi est-elle intéressante, palpitante? Parce qu'on s'intéresse à l'enjeu, au sens de ce qu'on regarde, on est impliqué dans quelque chose qui est de l'ordre du sens, et de la narration. Ce Tintin est rempli d'actions jusqu'à la couenne, mais rien n'a jamais aucun sens: nada, l'ennui, tout y est vu, revu et rerevu mille fois, que du stéréotype. Spielberg ne sait pas raconter et n'a rien à raconter, contrairement à ce que ne cessent de nous dire ses admirateurs: c'est tout sauf un conteur. Il n'a pas de monde.
Bien sûr, c'est du Indiana Jones "survitaminé", pour qui en douterait encore. Cette vieille rengaine marketing que l'on nous vend depuis des décennies: Spielberg a "ressuscité", selon la formule hypnotique devenue méthode Coué, "l'âge d'or" du film d'aventures épique et glamoureux hollywoodien, etc etc, en s'inspirant des aventures de Tintin. Et éventuellement de Philippe de Broca, de ses "tribulations d'un chinois en chine". Dit-on. Dans les milieux cinéphiles autorisés. C'est son foyer secret de sensiblité, ça et l'inénarrable "powésie de l'enfance", bien entendu. Nuts. Indiana Jones... Allez quoi, comme on dit à Bruxelles. Pas de ça, Lisette. Ce rutabaga mou et constamment emmerdifiant, instantanément ringard dès sa sortie. Aimez-vous tant les caramels mous, par la barbe du prophète? Faut vraiment être né, comme dit Deleuze, au milieu du désert, le désert des eighties, pour vouer un culte nostalgique à cette soupasse languissante.

Donc ok, c'est Indiana Jones. Aucun esprit ne souffle ici, jamais. C'est un alignement de séquences blètes, obligatoires, au tarif syndical, après dégraissage de tout ce qui aurait pu présenter un intérêt, même minime. L'humour, par hasard et par malchance? Pitié, c'est mauvais, lourd, même et surtout quand ça se voudrait léger, en clin d’œil. On sent parfaitement que S. et sa team ne comprennent strictement rien à l'humour hergéen, aux persos de Hergé: ils transforment automatiquement tout en mauvais slapstick, dans un faux esprit "britannique" qui n'a rien à faire là.

Tintin est une sorte d'abstract pour Hergé, on le sait, mais les autres, Haddock, les Dupondt, Nestor, ou la Castafiore, etc, ont ceci de particulier qu'ils inventent leur typologie propre. Or, la grossière erreur, la première, celle dans laquelle tomberait tout faiseur sans talent, c'est, comme ici, de les accorder à des stéréotypes préexistants: je ne dis pas les stéréotypes que seraient devenus ces personnages "universellement" connus, à travers le temps et l'espace. Car stéréotypes, il ne le sont jamais devenus, pour les lecteurs qui sont entrés dans cet univers. Ils étaient et sont restés, et c'est là un des mystères de l'art hergéen, des types singuliers, inscrits dans une généalogie singulière, de l'ordre de l'intime, peut-être même du privé, tant le lecteur a investi ces personnages de ses propres agencements généalogiques personnels. D'autant que d'albums en albums, ils changent, contrairement à tintin (et encore, pour lui, ça se discute aussi), ils ne restent pas figés dans leur typologie: ils traversent des crises, des remises en question, etc. Les Dupondt, c'est bien plus que simplement deux policiers rondouillards et passablement idiots. Y a en tout personnage des aventures de tintin comme un rébus, une crypte, je ne reviens pas là-dessus, j'en avais déjà causé . Ici, que voit-on? Des stéréotypes énucléés, là encore, non seulement de toute leur généalogie (ce qui serait encore excusable, dans la logique d'un scénario "synthétique" - qui ne synthétise rien du tout), mais encore de toute forme d'intensité personnelle.
Le cheminement intérieur de Haddock est concassé menu, par l'idée scénaristique désastreuse de fondre en un seul motif des éléments du Crabe aux pinces d'or et du Secret de la licorne. Le lien à son ancêtre, à son double, ainsi qu'à ceux de Rackham, "réincarné" dans un personnage secondaire falot, Sakharine (avec les traits de Spielberg: ah cet art du clin d’œil baltringue, comme la houpette de tintin devenue aileron de requin et autres friandises pour fans gâtiques. Faut absolument réciter sa filmo, roublardise d'un fétichisme marchand. C'est L'Oreille cassée qu'il aurait dû adapter): autre trouvaille nulle de scénariste soi-disant futé, qui transpose absurdement une gigantomachie des Héroïcs US façon Batman contre le Joker, et se battant à coups de grues-queues de dinosaures sans doute, en hommage à Jurassik Park. Sinon, c'est du sous-sous Pirates des Caraïbes.

Sans oublier le speech de psychologie pour cadres commerciaux qui n'en veulent, asséné par le vieux loup de mer, un monologue admirable sur la lose et la win, face au mur on l'enfonce mon ptit gars, laisse personne dire que t'es un raté. Et pour sûr, le film n'hésite pas à enfoncer tous les murs, par crainte de ne pas divertir son public-cible de 0 à 7 ans. Dernière entourloupe: l'annonce de la poursuite d'une soif "inextinguible" (hohoho) d'aventures pleines d'explosions et de cascades en tous genres, car le véritable trésor est caché, ultime révélation, en pleine mer. Alors que le message profond des deux albums, c'était, déjà: "nous avons cherché de par le monde un trésor qui a toujours été ici, sous nos yeux". Soit une dérision, un trouble, jetés sur la possibilité même d'une aventure, et que parachèveront L'Affaire Tournesol et surtout Les Bijoux de la castafiore, dé(con)structions minutieuses du concept même de "péripétie" ou d'intrigue.
Mais c'est qu'il y a des biffetons à tirer, si possible. J'imagine la suite: L'Etoile mystérieuse, entre le remake de "the thing" et le remake de "poltergeist", quelque chose dans ce goût-là. Une purge. Réalisée par JJ Abrams, qui connaît par cœur les petits trains électriques si merveilleux de papa Noël-Spielguy, au point de les astiquer pieusement et servilement.

Milou ne sert strictement à rien. Dans les albums (où lui aussi évolue), il formait avec Tintin un binôme psychique "fusionnel". Là, voir et entendre Tintin parler à Milou comme un idiot parlerait simplement à son chien, qui de son côté couine de ci de là, c'est juste ridicule. La castafiore est catastrophiquement ratée, et l'Idée scénaristique de son intervention (le rossignol milanais, arme secrète pour briser la vitre incassable abritant la maquette), non pas "ingénieuse" mais bête à pleurer. Etc etc.



Le tout plombé, faut-il s'étonner (pardon Gertrud), par l'assommante partition musicale de John Williams, inséparable compagnon de route de Spielberg en matière de concassage d'ambiance dans d'insipides cascades d'arpèges rebattus, de motifs conditionnés entendus 50.000 fois. Williams étant au son ce que Spielberg est à l'image, et l'union des deux ce que Skinner est à la psychologie causale: synthétisant tout ce qu'il y a de plus pavlovien dans la musak de films hollywoodiens, une véritable scie. Je ne dis pas que J. Williams n'a pas fait un bon score dans sa vie. Je dis juste qu'il en a fait 90% de trop.


L'animation, alors? Même pas. Y a tous les défauts récurrents de l'usine Dreamworks. De jolis décors, ça et là, d'accord. Mais principalement: de l'esbroufe visuelle, de la pyrotechnie, aucune poésie picturale, de la vitesse, aucune densité. Les mouvements corporels des personnages sont toujours aussi bizarrement chaloupés, impuissants à peser dans l'espace. Un gros problème de gestion de la physique, toujours le même depuis les Zemeckis, qui, finalement, s'en sortaient bien mieux, avec des univers plus riches, plus habités (Beowulf). Les expressions faciales motion-capturesques sont toujours aussi limitées, réduites à quelques grimaces stéréotypées. Même le moins bon Pixar (Cars, par exemple, dont je suis pas fan), tout y existe cent fois plus.



Je n'en finirais pas d'énumérer tous les éléments qui font de cette pseudo-aventure-hommage à tintin un petit film convenu, insignifiant, livré du bout des lèvres comme on enfile des perles de verroterie, sans émotion, sans passion, sans esprit.

La seule séquence que j'ai vraiment goûtée: celle concernant le kleptomane. Le gag du portefeuille relié à la veste par l'élastique incassable, puis la visite des Dupondt dans son intérieur aux étagères remplies de portefeuilles. C'était pas mal, ça. Mais là encore, fallait plomber par un gag consternant de nullité : une dame est assommée sur le trottoir, des petits oiseaux sortent de sa tête, et voilà que se radine de derrière une boutique un mec à casquette, au sourire niais et inexpressif, avec un filet pour attraper les oiseaux. C'est censé amuser quelqu'un ? Qu'il se fasse connaître, sans mentir.

La bibliothèque était jolie, le paquebot bien modélisé. Le début était chouette, qui prenait un peu son temps, juste un peu, jusqu'à l'arrivée redoutée des pan-pan et tout le capharnaüm.


Concluons ce billet passablement désinvolte en rendant la parole au créateur (au sujet de son nouveau chef d’œuvre: War horse, sorti sur nos écrans quatre mois après Tintin) :

" Trop de films, aujourd’hui, obéissent à un rythme frénétique. Je suis soucieux de laisser de l’espace pour la perception du spectateur. Et puis, il fallait se donner le temps de filmer le cheval. "

[...]

" J'ai toujours été stupéfait que l’on s’intéresse autant aux chiens, alors que les chevaux sont si subtils "

[...]

" Avec eux comme avec les enfants, il faut savoir être patient "

Étonnant, non? Bon allez, la tisane, le suppo...



samedi 7 janvier 2012

Taken (disparition, - mini-série tv écrite par Leslie Bohem, 2002)



Mon top of the pops des choses vues en 2011, contre toute attente.

Une mini-série tv, donc. Une saga, qui m'a littéralement scotché pendant l'été.

Disparition (Taken). Chaque épisode est placé sous la direction d'un réalisateur différent. Le scénario et l'écriture des dialogues sont confiés à Leslie Bohem, et c'est produit par Steven Spielberg.


Une variation sur le thème des "abducted" donc, mais si Spielberg produit, le propos me semble échapper aux caractéristiques qui plombent la plupart (sinon la totalité) des films réalisés par ce dernier, quelles que soient les qualités qu'on pourra par ailleurs leur trouver (essentiellement - selon moi - de l'ordre de l'imagerie): allégorisme paternaliste neuneu, américanocentrisme patriotique basé; oedipianisme de grand bazar, etc.

Spielberg apporte le pognon, et s'il apporte aussi la caution marketing pour le thème de l'E.T., on n'est donc plus dans l'univers de Spielberg, ni sous sa forme "merveilleuse" (Close Encounters, E.T.), ni sous sa forme "dépressive" (Minority Report, War of worlds). Le projet, la gestation du script lui sont d'une certaine manière dérobés.

De façon générale, l'accueil critique fut tiède. Un chroniqueur du site devildead, par exemple, passa complètement à côté


" L'échec artistique de DISPARITION repose essentiellement sur le scénariste Leslie Bohem. La réalisation des dix épisodes n'est pas vraiment à blâmer, tout comme l’interprétation, même si la plupart des personnages sont des plus insipides. Le plus intéressant s’avère être le méchant des premiers épisodes, qui disparaît ensuite puisque le passage du temps l’oblige à laisser la place aux jeunes. A ce propos, les maquillages de vieillissements de la plupart des acteurs sont, eux aussi, réussis ce qui apporte encore une once de qualité à un DISPARITION qui aurait surtout eu besoin d’un script bien plus intelligent et captivant !
[...]
Avec un peu plus de subtilité, DISPARITION aurait pu s’en sortir mais ce feuilleton a bien du mal à nous faire croire à ses ovnis. L’intrigue et les événements successifs sont le plus souvent prévisibles, et l’issue même du dixième épisode, contenant un incroyable lot d’inepties, finit de plomber définitivement ce qui aurait pu être véritablement un événement télévisuel ! ) "

Un certain Denys Corel sembla y voir un peu plus clair.
 


A travers l'histoire, sur plus de 50 ans, des parcours complexes et enchevêtrés de divers "enlevés" sur plusieurs générations (de l'ère Truman à l'ère Bush en passant par Nixon et Reagan), on trouve une manière de décodage socio-idéologico-théologico-politique des Etats Unis, un prétexte pour esquisser une "histoire parallèle" de l'Amérique, son uchronie négative pourrait-on dire (à partir de l'hypothèse "Roswell" prise au sérieux non pas comme piste scientifique, mais comme filtre révélateur). Questions de la filiation, de la transmission, de l'héritage, des fondations des familles, etc. Une tragédie very captivante.

On suit trois familles, mais qui forment deux grandes séries parallèles, ne cessant de s'entrecroiser, de se téléscoper et de se fuir: d'un côté les militaires et les gouvernementaux, leurs fils et leurs filles, qui convoitent, fascinés, un mystère qu'ils veulent à tout prix posséder; de l'autre les enlevés (à intervalles réguliers), leurs fils et leurs filles, qui composent une sorte de contre-culture mobile, ne cessant de s'échapper à travers landes, forêts, redoutant aussi bien leurs ravisseurs que leurs chasseurs.

La longue cartographie et généalogie de leurs névroses respectives et inter-connectées. Tous les persos sont creusés de l'intérieur, existent vraiment (on est donc très loin de Spielberg, de sa psychologie hyper-stéréotypée de carton pâte), avec du poids et de l'épaisseur, un parcours, des conflits internes, des Œdipes mais pas cuculapraloche du tout. Il y a des déchirures, des destins vraiment poignants, dans cette saga. On dirait que le mec qui a écrit tout ça a lu une traduction anglo-saxonne pirate de Lacan, ou alors a suivi un séminaire d'analyse derridienne de Stephen King, ou alors il était constamment sous l'emprise de psychotropes, vraiment je sais pas mais en tout cas il a de la substance sous le bras.

Et le plus étonnant, c'est qu'on est très loin, pour une minisérie dite "adulte", des canons imposés par HBO: pas de pessimisme morbide complaisant, d'esthétique de la dépression, pas de second degré sarcastique, pas de "déconstruction post-moderne", d'audaces transgressives alléchantes, de digressions "méta". On nous raconte une histoire, simplement, et cette histoire est suffisamment riche et prenante pour que du sens se déploie.



Rarement autant que dans cette série l'extra-terrestre est la forme même de l'inconscient, de l'autre plus ou moins bien introjecté, du fantôme, bon ou mauvais selon qu'on lui accorde ou pas l'hospitalité en soi.

On se dit que les Américains, s'ils n'ont pas la théorie freudienne de l'inconscient du vieux continent, ont les extra-terrestres. Ce sont leur "folle du logis", ou selon un autre paradigme, leur "ligne de fuite". C'est aussi un peu leur "pharmakon", poison et remède: ils peuvent en faire des choses aussi redoutablement débiles que remarquablement réflexives, clôturantes ou ouvrantes.

Là, par exemple, c'est ouvrant, généreux, voire courageux. Il y a beaucoup de choses suggérées, un texte qui pense. Pas du tout à la manière d'un slasher fantastique s'ébrouant dans le bourbier balisé des pulsions convenues, ou de son endroit (une quête épiphanique et évangélique à la "rencontres du troisième type"). Plutôt à la manière d'une longue méditation psycho-poétique, une pop-herméneutique déroulée sur une quinzaine d'heures, libérant des pistes pour une réconciliation avec soi, les autres et le monde. Il faut voir le tout non pas comme une série, ni même une mini-série, mais comme un roman fleuve ou un film choral de 15h, distillé en plusieurs blocs. Avec un début, un milieu, une fin bien délimités.

Alors, bien sûr, tout ça est cheapos (quoique), réalisé parfois à la truelle. Certains épisodes sont languissants, comme immobiles. Ce sont mes préférés - ça papote, mais pas comme dans les westerns post-modernes. Le verbe s'y fait chair, les corps souffrants parlent et désignent l'objet "petit a" de la passion. Les conflits d'interprétation, la psychanalyse, les acting-out, le goût de cendre, les anamnèses tardives, sont définitivement ce qui intéresse cette série. Les différents chapitres s'enchainent comme les spirales d'un souvenir, suivent une temporalité non linéaire mais faite de trois pas en avant, un pas en arrière, etc, maintenant haletante cette longue enquête tortueuse dans l'archéologie mentale d'une nation, la tapisserie de ses désirs, de son imaginaire et de ses peurs.

C'est superbement écrit et pensé. Les dials, le monologue (scandant régulièrement l'intrigue, ni narratif, ni explicatif, mais méditatif, presque existentialiste-théorique) récité par Dakota Fanning, voix off et fil d'Ariane de cette saga, personnage mi-humain mi-extraterrestre, sont d'une intelligence, d'une densité rares.

Dieu sait pourtant combien Dakoting Fanning m'irritait dans WOW. Mais ici, trois ans avant WOW, rien à voir, ni dans la structure, ni dans l'enjeu. On ne la voit que dans les derniers épisodes. On n'avait pas proposé de personnage d'enfant-lumière aussi émouvant, même dans Shining (où c'est finalement un personnage secondaire n'existant que par rapport au père). Un enfant-lumière philosophe, enjeu d'un vaste imbroglio militaro-scientifico-industriel.
Faut surtout entendre comment elle dit ce texte off, si simple et si difficile en même temps...
J'ai dû à de nombreuses reprises interrompre le visionnage et revenir en arrière pour réécouter, réécouter à nouveau, m'interrompre au milieu d'une phrase pour y réfléchir, tant il y avait de couches de sens, de strates, de résonances convoquées et entrelacées.


Je n'attendais rien, et j'ai été complètement pris (taken, évidemment) à contre-pied.



lundi 5 octobre 2009

La guerre des mondes (Spielberg, 2005) en style passif indirect


Le prolétarisme des cadences infernales d'un conducteur de grue annonce les lézardes d'une vie familiale en voie de morcellation. L'épouse divorcée s'aguiche de luxes inutiles par la voie d'un nouveau mari en proie aux charmes d'une nouvelle voiture tout confort.

Les enfants sont trop gâtés par les gadgets de la civilisation technologique des loisirs. La cadette trompe son manque de père dans les illusions de la diététique bio, les fanfreluches et l'automédication manucurale, et prend la place de la mère laissée vacante par les oscillations imprévisibles du désamour conjugal.

L'ainé sans doute trop confiant dans ses aptitudes scolaires mise sur sa capacité à synthétiser à la dernière minute les linéaments de son cours d'Histoire sur l'indépendance de l'Algérie. Il ne sait pas encore que la gestation d'une invasion de créatures immémoriales en provenance des coins les plus reculés de la galaxie le préservera des vicissitudes d'une scolarité dilettante.

La bourgade est en proie à des intempéries mises erronément sur le compte des taches solaires. Méprisant les règles de la sécurité automobilistique, le jeune homme en casquette prend la tangente avec le break du paternel. L'occasion est saisie par ce dernier pour asséner un cours improvisé sur le code de la route et la nécessité de passer son permis. La négligence estudiantine du rejeton paresseux sera plus tard battue en brèche par la compétence du prolétaire exerçant son expertise dans la réparation des moteurs défectueux. Le message pédagogique est sans ambiguité: plutôt que de rêvasser à se sacrifier pour la mère patrie, le garnement procrastinateur devrait s'orienter vers une filière professionnelle plus ad hoc.

Cet événement est ainsi le prélude d'une crise d'autorité qui remettra Tom Cruise sur les rails d'une responsabilité protectrice trop longtemps délaissée. La déperdition de la culture scientifique au profit des certitudes d'une foi écclésiastique sera elle-même ébranlée par le symbole d'une église se déplaçant mystérieusement à l'horizontale dans le sens de la droite au mépris des lois de la gravitation.

Les machines gigantesques balaient sur leur passage les ultimes linéaments d'une communauté repliée sur son égoïsme comme l'adjonction sans solution de continuité des cordes à linges suspendues dans l'espace étriqué d'une zone pavillonaire. La fillette recourt avec ingéniosité à des techniques de méditation transcendantale extrêmes-orientales pour occulter la perception traumatique d'une réalité inquiétante et se bâtir une tour d'invincibilité.

L'invasion n'est pas terroriste, la piste du canular téléphonique est rapidement écartée, l'hypothèse européenne est elle-même envisagée puis congédiée, les tests d'adn ne révélant rien d'humain: la menace vient de bien plus loin, dans le sens d'une profondeur verticale insoupçonnée et d'un intellect froid. Le doute est porté sur l'identité mystérieuse d'un faux passager errant parmi les ruines d'un jumbo-jet. La critique se porte sur la manipulation exercée par les chaines de télévision dans leur course effrénée à l'audience, mais l'audience a disparu.

La vision apocalyptique des populations sur la route de l'exode, et contraintes à une lutte impitoyable pour la survie de leur espèce nous fait méditer sur la fragilité du vernis recouvrant les us et coutumes de la civilisation, parmi lesquels la politesse et le savoir-vivre. La joie de faire une croisière gratuitement sur un canotier pour touristes désoeuvrés transformé en bouée de secours de fortune est assombrie par les soubresauts agitant les fonds marins et faisant voler en tous sens les automobiles et les mobylettes pétaradantes.

Le récit bascule alors avec la rencontre d'un homme traumatisé emmenant la cellule familale dans les recoins d'un abri précaire. La fragilité de sa santé mentale inquiète Tom Cruise, qui doit se résoudre aux conséquences funestes d'une lutte sacrificielle et garantir l'intégrité mentale et physique de sa progéniture. Le blockbuster est détourné dans le sens d'une grande intelligence.

Le bonheur des retrouvailles ultimes avec le fils disparu derrière une colline masque mal les ravages exercés sur le paysage carbonisé, et les protagonistes de ce drame humain se souviendront toute leur vie de cette expérience limite qui a failli leur coûter la santé, voire une méningite.