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samedi 26 septembre 2009

Birdy (Alan Parker), en psittacus


Une heure et demie de pur bonheur, alliant émotion, virtuosité et une rare splendeur esthétique. Et n'oublions pas qu'il s'agit aussi d'une très belle histoire d'amour.

Birdy, c'est contre la guerre et c'est pour l'amour.

Mais il y a aussi un message d'espoir: sur la rage de vivre et de survivre dans un monde hostile.
Moi, la scène qui me fait chavirer à chaque fois, c'est quand Birdy regarde la fenêtre. Il est accroupi sur une chaise. Dans une position fœtale. La scène baigne dans une lumière bleue translucide, avec un cadrage d'une force à tomber par terre. On sent qu'il est enfermé dans la tête de sa prison intérieure, parce que l'amour innocent qu'il est incapable d'exprimer reste comprimé dans sa poitrine. Les volutes hypnotiques de la musique de Peter Gabriel, de toute beauté, traduisent ce mélange de grâce et de pureté blessées, et en même temps un défi, l'esquisse d'un geste de libération risquée, espoir ténu, sur le fil de funambule de l'existence.
Birdy voudrait s'envoler par la fenêtre. La métaphore est explicite. Alan Parker s'adresse à notre coeur. Pas d'intellectualisme froid, la démonstration formelle est répudiée au profit d'une émotion nue, universel sans concept. Le langage abstrait échoue à traduire les sensations qui nous étreignent, qui vont fouiller et même trifouiller dans les zones les plus fragiles et les moins fréquentées de notre appartenance brisée et douloureuse au monde. Sans jamais céder à la complaisance ou à la facilité, Alan Parker nous fait ressentir le côté sombre et tragique de la vie. Il y a dans ce moment miraculeux de cinéma brut, en liberté, à l'état pur, non domesticable, la grâce de ces sensations intraduisibles qui font signe vers l'enfance et ses blessures secrètes.
L'espace d'un instant, on aura été l'homme oiseau, comme Saint Exupéry dans la citadelle ténébreuse, avant de perdre sa gourmette et de plonger mystérieusement au coeur de l'océan profond, gardant jalousement ses secrets.

Mais Birdy n'est pas un oiseau. Les rêves d'évasion, le besoin de se libérer de ses chaines se heurte au mur impitoyable de la réalité matérielle. Subsiste alors cette nostalgie indicible qui nous étreint et nous transperce à vif. On ne ressort pas tout à fait indemne d'une façon aussi frontale d'explorer nos espoirs, nos craintes, nos rêves brisés.
Birdy nous interpelle tous dans notre enfant intérieur.
Y faut libérer la cage aux oiseaux, les laisser s'envoler, c'est beau. Il y a en chacun de nous un enfant apeuré, prisonnier, qui voudrait prendre son envol, loin de la pesanteur de ce monde, qui aimerait - mais ne saurait - briser le mur étanche des horizons bouchés. Alan Parker sait solliciter en nous, avec une pudeur déconcertante par sa naïveté, qui n'a que faire des imageries lourdes et faciles, qu'on a trop vues, notre part océanique, en même temps que céleste, d'enfance déchue.

Comme Luc Besson dans le grand bleu. C'est ce genre de film qui vous plonge dans un état éthéré, dont on revient à grand peine, qui réveille la nostalgie d'un monde perdu, originaire, d'un eden indicible qui toujours résonne en nous arraisonnés, comme la part d'un paradis promis, puis volé, auquel on ne renonce jamais au fond de soi-même. Au prix, peut-être, d'y perdre ses ailes, au prix de se perdre, à jamais, infiniment, dans son fond advers: l'enfer orphique dont le poète signe la trace testimoniale avec une plume d'oie trempée dans le sang.

Le combat entre l'ange et la bête. En cela, Matthew Modine réussit une éblouissante prestation qui rappelle celle de Timothy Bottoms dans "Johnny got his gun". Rarement l'horreur de la guerre n'aura été si bien traduite que par cette image, qui a la puissance d'une parabole biblique: nous sommes Matthew, à ce moment.
Ce n'est plus seulement la guerre, abominable machine à broyer les corps et les âmes, cette entreprise qui envoie les forces vives de sa jeunesse se sacrifier sur l'autel de la patrie, et agonir sans sépulture au champ d'honneur. Ce qui est implicitement dénoncé, ce sont toutes les guerres invisibles que l'homme mène contre l'homme, la guerre intérieure que mène chaque créature avec elle-même. Quelle est donc cette guerre secrète qui étreint le coeur de la vie, ces forces antagonistes qui séparent les éléments? Peut-être pas une force, mais deux? Une dualité? Un symbole de la lutte pour la survie elle-même? C'est aussi ce que nous aidait à comprendre Terrence Malick dans l'ouverture bouleversante de la ligne rouge: l'arbre, symbole de la vie opiniâtre, habité par des forces intérieures qui torsadent ses racines veinées, qui l'étouffent mais en même temps lui permettent de se propulser vers le ciel. La dualité l'habite, comme Matthew, pétrifié sur sa chaise, contemplant la fenêtre d'où sourd une lumière évanescente (image de la vie rêvée? Rayon de pureté qui cherche desespérement à se frayer un chemin dans les anfractuosités de la roche impitoyable et indifférente?).

Matthew est traversé par ces forces antagonistes qu'on sent à l'oeuvre depuis l'origine du monde, de la vie. Cette même dualité sombre, et fascinante en même temps, Spielberg parviendra, lui aussi, à la rendre sensible, dans quelques plans majestueux et inoubliables de Jurassik Park: ce combat de l'ange et de la bête, créatures divisées par la nature, et pourtant réunies, le temps d'une terrifiante confrontation, par la folie prométhéenne des hommes qui ont voulu s'égaler aux dieux, et, dans leur folie, capter eux mêmes le secret des dieux envolés. Pour échapper à la solitude essentielle d'une terre impénétrable et aride.

Alan Parker, avec Joe Wright, Steven Spielberg, Terrence Malick, et quelques sorciers du septième art, sont de ceux qui ont su s'approcher de cette mince frontière impalpable, celle qui sépare l'ange de la bête, les dieux des hommes, l'homme de l'animal. Cette dualité insurmontable qui fait les joies, les peines, mais aussi la tragédie toujours recommencée du règne humain, et son éternelle soif d'absolu.

"Les nageurs ne savent plus que l'eau mouille, les horizons de la terre ferme les stupéfient, ils retournent constamment au fond de l'eau", écrivait Henri Michaux. C'était le monde divisé, ce paradis perdu, mais ressouvenu, par Jacques Maillol. La tentation, fragile mais sublime, de se fondre au coeur des ténèbres, des profondeurs de la vie, et de rejoindre le cycle obscur des éléments toujours s'embrassant, se divisant, éternelle méiose et mitose d'une métamorphose inquiète qui hantait, déjà, les héraclitéens. Une poésie élémentale des élements, de la force obscure du mana, celle qui poussa aussi le soldat Ryan au devant du danger, vers la mine enfouie dans la végétation touffue, au coeur des ténèbres de ce monde, belles et cruelles.

Cette dualité qui traverse l'oeil trifurqué et terrifié du Tyrannosaurus-Rex, comme une gigantesque mémoire rétinienne et reptilienne, avant l'attaque, impitoyable, suicidaire, qui le pousse à déchiqueter son frère humain immémorial, sa filiation étrange, son double impur, ange pourvu du souvenir biologique et fossile de ses moignons dérisoires brassant l'air tel un boxeur antipodique, rejeté des rivages déchiquetés de la lande primitive, éternellement désirée, et éternellement refusée. Tel est le drame pathétique de la force divise qui luit au coeur de chaque créature.
Et qui la rend capable de la plus belle des choses: l'amour, mais aussi son envers abject, redouté: la haine.
Haine et amour, incoercibles forces, au mi-temps d'un sein offert en même temps que refusé, lait opaque de la tendresse humaine. Des deux, qui de quoi lequel imposera son règne? Mais Qui? Ô Personne ne saurait le dire; ou alors la schize redoutée de la double face noire et blanche, persona surgie du ressac inhospitalier de Farö? Est-ce le chasseur de daims, qui, dans la nuit, hulule sa douleur de frôler de sa main gauche le trésor, enfoui dans le coeur d'une infante pavanée de chiffons, que sa main droite lui refuse? Pathétique et vain combat il est vrai, mais là est sa beauté qui fulgure et s'evanesce, d'un moment d'éternité échouant sur la grève de nos rêves entr'aperçus. Rimbaud nous en parlait avant de se taire, et Joe Wright, revenu d'entre les frères Loisau, et qui sait le fragile envol des Prométhée de toiles et d'armatures de bambou sur les berges du nouveau monde battues par des vents contraires, nous le montre, et en témoigne. Sans ostentation, avec cette simplicité désarmante, mais redoutable, des génies bricoleurs de la Nouvelle Angleterre.

Matthew Modine retrouvera ce fratricide combat dans la campagne anglaise verdoyante transformée en chantier de mort et de destruction, avec pour seul souvenir discret, mais tenace, ce symbole, affiché sur son casque, de la dualité primordiale: eros et thanatos mêlés au mugissement terrifiant des baleines, la baleine surgie du fond de Thalassa, et qui s'éprend, dérisoire mais poignant syndrome de l'attachement effiloché à la mère, couverture de linus tirée à soi jusqu'en enfer, d'un fusil nommé Sharleene. Dualité, là encore, de la femme-fusil. De la femme qui, à la fois, enfante et donne la mort.
L'espace d'un instant fugitif, suspendu entre terre et ciel, entre obscurité et lumière, Alan parker nous donnera à voir cette expérience intraduisible, sublime et oppressante, d'un dernier regard posé sur la transcendance perdue des limbes.

Alan Parker, artiste rare, reclus dans sa hutte, loin des clameurs des clichés publicitaires et aliénants de l'industrie mercantile des rêves, passionné, lui aussi, de volatiles, ces êtres hybrides venus d'ailleurs et d'ici, phénix cendrés, suspendus entre terre et ciel, albatros aux ailes de géants brisés, colosses au pied d'Achille ailé, dont le cri, à l'égal du cormoran qui gît en nous, nous étreint le soir au dessus des jonques.

(14 janvier 2008)