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mercredi 5 février 2014

Philip Seymour Hoffman est mort, mais Serge Kaganski est bien vivant...




J'ai horreur, mais alors horreur, des notices nécro qui commencent par des formules à la noix, creuses, formatées et automatiques, du genre:

'' Un acteur qui a joué le rôle du génial rock critique Lester Bangs a forcément droit à notre plus grand respect. ''



Parce que, sans doute, s'il n'avait pas joué le rôle du génial rock critique Lester Bangs, il aurait droit à un peu moins de respect.
On commence dans la putasserie du clin d'oeil de connivence. Connivence supposée, disons.
On imagine aisément que le génial L. Bangs est pour S. Kag une puissante source d'inspiration. Kag-charpentier dresse ici très haut la poutre maitresse. En témoigne la suite: un festival de post-it autocollants sagement remisés dans une armoire à poncifs, mais qu'il saccage fièvreusement et fait voleter en tous sens, saisi par l'urgence créatrice de son génial golem :

" L’ironie cruelle, c’est que Philip Seymour Hoffman a finalement connu un destin à la Lester, décédant prématurément à cause d’abus de diverses substances pas bonnes pour la santé. Rock’n’roll, amen. "


Enchainement de toute beauté, qui n'oublie pas d'être pédagogique: on comprend dès lors la référence au génial rock critique. C'est qu'il y a de l'ironie là-dessous. L'ironie du destin, ma foi, qui n'est pas toujours très gentille et subséquemment, plus souvent qu'à son tour, cruelle. 
Cruelle elle est, parce qu'elle fait sens, dans l'esprit du génial chroniqueur. Sens automatique et science imparable de l'analogie poids lourd: tous deux ont été saisis, par la grande faucheuse, Dame mort-cruelle, de la même façon. A cause d'abus de substances diverses, pas bonnes pour la santé.

Notons-ici l'effet subtilement calculé dans le relâchement: "pas bonnes", qui fait djeunz gâtique dodelinant de la tête en laissant parler son cœur mis à nu, et au diable le Grand Style. Pas bonnes, les substances, mec! Oh crotte alors, c'est putain de rock'n'roll. Amen. Communion spirituelle du génial chroniqueur avec l'esprit rebelle du wauck'n'waull. Fuck alors, man, fuck, fuck et encore fuck.

" Doté d’un physique passe-partout d’américain moyen, légèrement enrobé, Seymour Hoffman n’était pas de taille à lutter avec ses pairs générationnels Brad Pitt, George Clooney ou Johnny Depp. "


Là, c'est pas gentil, cad un peu cruel, comme l'ironie, surtout quand elle est fuckin'wauk'n waull, man. 
Selon les critères esthétiques du wauk'n waull, PSH n'était pas de taille à lutter avec ses pairs générationnels trop top-biches.
Et Di Caprio, y sent le pâté ardennais trempé dans de la bière trappiste?

La pique est ici subtile, malicieuse, et faut bien la saisir faute de quoi on passe à côté de la profondeur du message: y sont pô assez wauk'n waull. Quand t'es authentiquement wauk'n waull, man, t'es plutôt gras du bide, tu la joues pas pub pour slimfast ou kawa. Tu luttes dans une autre catégorie. Et pan dans les dents des fausse-valeurs générationnelles consacrées. Fuck aux idoles des djeunz ex-fans-des-sixties-petite-baby-doll-où-sont-passées-toutes-tes-idoles.

En effet:

" A Hollywood, pour atteindre la top list des cachets et des castings, il faut une gueule d’amour. "


C'est ballot, tout de même. Toutes ces gueules d'amour. Peter Lorre, Boris Karloff, WC Fields, Erich Von Stroheim, James Cagney, James Stewart, Joseph Cotten, Humphrey Bogart, Fred Astaire, Charles Laughton, Spencer Tracy, Edward G. Robinson, Mickey Rooney, Karl Malden, Jack Lemmon, William Holden, Charles Bronson, Kirk Douglas, Walter Matthau, George C. Scott, Lee Marvin, Rod Steiger, Eli Wallach, Gene Hackman, Roy Scheider, Waren Oates, Peter Falk, Michael J. Pollard, Marty Feldman, Jack Nicholson, Denis Hopper, Telly Savalas, Ronald Reagan, Woody Allen, Roddy Mc Dowall, Robert De Niro, Donald Sutherland, John Hurt, James Belushi, John Belushi, Jim Belushi, Bill Belushi, Richard Dreyfuss, Ned Beatty, Robert Duvall, Harry Dean Stanton, John Cazale, Danny DeVito, Jeff Goldblum, Sylvester Stallone, James Wood, Christopher Walken, Bruce Willis, Jeremy Irons, Ben Kingsley, Robin Williams, Forest Whitaker, Russel Crowe, John Malkovitch, John Goodman, Woody Harelson, Alan Rickman, F. Murray Abraham, Steve Buscemi, Frank Langella, Gabriel Byrne, Geoffrey Rush, Kevin Spacey, Billy Bob Thornton, Adrian Brody, Edward Norton, Robert Downey Jr, Tommy Lee Jones, Ron Perlman, Gary Oldman, Bill Murray, Richard Jenkins, Jack Black, Javier Bardem, Josh Brolin, Andy Serkis, Colin Firth, Michael Shannon, Peter Dinklage, Ricky Gervais, Bryan Cranston, et j'en passe...
PSH n'était pas plus passe-partout, pas plus banal, pas moins charismatique, pas moins charmeur, et même plus séduisant, que bien des gars de cette liste, dont un grand nombre fut paf-Oscarisé. Allons.

Quoi qu'il en soit, encore une pique insidieuse, qui dénonce le glam-wook, tout en n'oubliant pas de jeter une lumière cruelle sur certaines vérités trop souvent tues, tabouïsées, parce qu'elles dérangent. Parce que politiquement-incorrectes. Mais Kag, il joue pas dans cette division: il est wauk'n waull. Et y balance. Comme à Paris.


"N’empêche que par son talent hors norme, son impact physique, ses talents transformistes et sa finesse, il était tout proche de cette A list, finissant par décrocher des premiers rôles (7.58 de Sidney Lumet, The Master de P.T. Anderson…) et l’oscar pour Capote. "


Oui, n'empêche que, hein les glamoureux, hein les minets !
Doté d'un physique passe-partout d'américain moyen légèrement enrobé, c'est le talent qui a fait toute la différence. 
Pour expliquer plus-mieux à ceux qui n'auraient pas absolument tout percuté de cette remarque très pensée: autant le physique était passe-partout, autant le talent était hors-norme. 
Ce qui lui donnait un impact physique. 
Un impact physique hors-norme, qui ne passait pas partout.
Le talent, comme je dis toujours, c'est 5% d'inspiration et 95% de transpiration. Surtout quand on fait dans le transformisme. C'est assez physique et faut tenir le choc.
Enfin bon, l'important, c'est qu'avec tout ça, il était tout proche de cette A list tant convoitée. Pas vraiment dedans, because off la B list qui lui collait aux basques ("les gras-du-bide, les passe-partout-moyens et les faciès inavantageux''), mais tout proche, à deux doigts, une misère. S'en fallait pas de bcp, à cette époque des vaches maigres ou enragées, qu'il y soit carrément, pile-poil, dans cette fameuse fuckin'A list wauk'n waull du box-office.

Sans parler qu'il a eu l'oscar pour Capote, jmexcuse. Et là encore, un peu de pédagogie en passant, pour les ignares sans culture qui me lisent. Faut bien que j'instruise mon lectorat. Sinon, qui va le faire, hein? Hein? En ces temps où les élites de la culture sont discréditées, jetées en pâture à la voletaille haineuse, vengeresse et lyncheuse du net...

Passons le corps médian du texte, insipide énumération biopiqueuse qu'on trouvera dans n'importe quelle banque de données internétique, et qui suggère que le Kag a pas mal bossé son dossier. Notons cependant la persistance louable d'une mission pédagogique jusqu'auboutiste: informer le lecteur, en répétant les infos importantes à retenir, tout en le divertissant par un ton familier et badin. Du genre: " allez, fuck, je tombe la chemise ":

"Et là, paf ! Capote. On ne sait pas avec certitude si c’est le meilleur rôle de sa carrière mais c’est à coup sûr celui par lequel il accède à l’immortalité. D’abord, c’est un premier rôle, hénaurme, qui porte le film sur ses épaules. Pour PSH, une première. Ensuite, il joue un personnage célèbre, grand écrivain et figure médiatique de son temps. Et Hoffman met tout ce qu’il a dans le ventre et le cerveau pour incarner Capote à la perfection..."


Eh whouais: là, pif, paf, pouf! Capote ! La timbale, tout l'toutim, tout l'bastringue, la A list ! En grand! L'immortalité, à coup sûr. Le coup de maitre, quoi. C'est hénaurme, comme dirait Luchini quand il cite Gotlib plutôt que Philippe Muray. 
Et c'est un premier rôle, premièrement, tout d'abord! Ben oui, sans quoi, il aurait pas eu l'Oscar. Comme rappelé plus haut. Faut suivre un peu, aussi. Ensuite, il joue là (toujours la mission d'éducation de l'ignare bas-de-gamme qui passerait par là pour apprendre des choses importantes) un personnage célèbre, grand écrivain. Et figure médiatique de son temps. Ce pourquoi il était célèbre, d'ailleurs. Comme je dis toujours: si t'es pas une figure médiatique de ton temps, comment veux-tu être célèbre, mon gars? Un peu de cohérence, allons.
Et pour ces deux raisons, le premier rôle d'abord, ensuite la figure de son temps célèbre pour être médiatique, Hoffman y met l'paquet: tout ce qu'il a dans le ventre (et vu ce qu'il a, comme subtilement rappelé supra, il a dû en mettre pas mal). Et dans le cerveau! Ben oui! On parle toujours du ventre, mais on oublie un peu trop facilement le cerveau. C'est là que niche le talent: les 5% d'inspiration qui font transpirer 95% du ventre. C'est important, le cerveau. Surtout quand on a un physique passe-partout d'américain moyen légèrement enrobé.

" [...] mimétisme de la coiffure au costume, de la gestuelle des mains à la voix et au phrasé précieux. Mais il ne s’agit pas seulement d’imitation et de ressemblance : l’acteur injecte finesse, émotion et profondeur dans une performance qui est toujours à la limite du cabotinage, sans franchir la ligne rouge, car le cabotinage est réalisme dans le cas d’un personnage qui était cabotin dans la vie. "


Ah non, parce que là non plus faut pas s'tromper. Faut pas confondre transformisme, imitation, ressemblance, mimétisme, et parfaite incarnation de paf Capote !
Dans le premier cas, y a ce qu'on appelle, dans le jargon du métier de critique, cabotinage. Dans le deuxième cas, y a ce que dans ce même jargon on nomme la finesse, l'émotion, et la profondeur. Surtout quand la performance est toujours à la limite du cabotinage. 
Faut être précis dans le jugé, là, faut être un critique perspicace. Faut finement sentir vibrer la ligne rouge séparant le mimétisme cabotin de la profondeur émotionnelle.
Mais comment finement sentir, quel est le critère, se demande le génial critique, permettant de bien saisir le non-franchissement de cette ligne-frontière immatérielle, arachnéenne, et pourtant bel et bien de couleur rouge? Voilà la solution, c'est very simple, et autant dire bête comme chou: dans le cas où l'on incarne un personnage qui était cabotin dans la vie, le cabotinage est réalisme. Voilà le critère. Prenez par exemple un type qui incarne un personnage qui n'était pas cabotin dans la vie. Eh bien vous sentez tout de suite que son cabotinage manque de réalisme.


" Succès critique, public, Golden globe et oscar 2006 à la clé. Cette année-là, PSH atteint la top list. "


Toujours des infos à visée pédagogique, finement distillées parce que finement répétées. 
Que des récompenses importantes et très convoitées, qui comptent dans la vie d'un homme qu'était un peu trop relégué dans la B-list. 
Et il atteint, donc, la top list, la A list. Enfin. C'était pas dommage.
Le récit est haletant, en ce qu'il ménage un suspense proprement insoutenable: le lecteur, littéralement cramponné à son siège, se demande avec angoisse si cet acmé de bonheur terrestre, si l'immortalité convoitée et enfin obtenue, paf, sont faits pour durer toujours. Bonheur terrestre et immortalité ne sont-ils point valeurs fragiles, transitoires, fuyantes, évanescentes, se demande le philosophe, surtout s'il pense à certaine cruelle ironie du destin annoncée en incipit, et de sinistre augure? N'allons-nous pas bientôt, cad avant la fin de cette chronique palpitante, prendre la mesure de la fragilité des choses humaines de la vie, en leur irrémissible (non, immarcescible voulais-je dire, inexorable - c'est mieux, inéluctable si on veut, irrévocable - tant qu'à faire, irrésistible, pour ceux qui aiment, ou imputrescible, pour les culs pincés, inébranlable, pour les peine-à-jouir, incoercible, pour les diurétiques, irréfragable - pour les procéduriers, les pinailleurs, indéfectible, pour les collants, infrangible, pérenne, interminable, infinie, irrémédiable et... fuck-off) finitude?

Passons la suite, car nous devons bientôt aller nous coucher, et reportons-nous directement à la conclusion, pour connaître la réponse donnée par le génial ciné critique au sentiment tragique de la vie selon Unamuno.

" [PSH figure dans 7h58] l’homme américain ordinaire en proie à des problèmes qui le dépassent et s’enfonçant en croyant s’en sortir, un peu à l’image de son compère William Macy dans Fargo, même si Lumet est loin du ton narquois et corrosif des Coen.

Bien qu’acteur à succès, Philip Seymour Hoffman était peut-être aussi cet Américain banal, finalement mis à terre par des démons personnels qu’il n’aura pas su maîtriser. De nombreux grands rôles l’attendaient sûrement, il n’avait que 46 ans. "


La fin de ce récit, de cette chronique inspirée, est un peu - scusi, faut bien l'admettre nonobstant le respect - sèche, abrupte. Elle nous laisse sur notre faim. Nous en attendions davantage et nous sommes un tantinet déçu. 
Nous n'oserons pas dire qu'elle sent un peu le bâclé, mais enfin... Elle tombe prématurément comme un couperet qui nous jette un peu trop prestement à la face l'ironie cruelle frappant le destin d'un Américain banal, moyen, au physique passe-partout et légèrement enrobé. 
Qui par sucroît n'a pas su ou pu prendre le temps de lire Paul Watzlawick. En effet, voilà un Américain banal qui, finalement, comme beaucoup d'Américains banaux, s'enfonce dans des problèmes en croyant s'en sortir. Et ça aussi, c'est typiquement ordinaire: il n'a pas vu que le problème résidait dans la recherche de sa solution. Il n'a pas vu ou compris que la recherche de la solution était précisément ce qui créait le problème. S'il avait su voir ou comprendre cette évidence assez banale, il aurait adopté en conséquence une stratégie de thérapie brève.

Hélas, malgré le succès (comme quoi le succès ne rend pas toujours heureux: méditons là-aussi cette vérité trop souvent tue, et qui est sagesse), finalement mis à terre, vaincu, par des démons personnels qu'il n'aura pas su maitriser, il ne saura pas davantage maitriser les nombreux grands rôles et succès futurs qui sûrement l'attendaient.
Et c'est doublement triste, car il nous faut méditer, en guise de conclusion, sur cette ironie cruelle : c'est paradoxalement parce que cet Américain banal était en proie à des démons personnels, qu'il n'aura pas su maîtriser, qu'il a connu le même funeste destin tout aussi banalement ordinaire que le génial rock critique Lester Bangs. Et c'est pour cette première raison précisément, qu'en somme, PSH a droit ici au plus grand respect du non moins génial Kag.
La seconde étant bien sûr la fameuse Top-A-list à Oscar-Paf des Stars bankables, qui occupe les 3/4 de sa pensée chroniqueuse, chronologi-creuse et nécrologiqueuse.
Et ça, quelque part, c'est moche, mais aussi... wauk'n waull. Amen.