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lundi 3 septembre 2012

L'anguille (Imamura, 1997)



Signifiance et interprétose sont les deux maladies de la terre. Il n'est guère étonnant, au vu (longtemps postposé) de cette Anguille, de lire de passionnantes interprétations filaires et autres enfilages de perles psychanalytico-cruciverbistes à la Sibony, tant ce Imamura nous surexplique, de la première à la dernière seconde, son compendium symbolique de grand bazar, avec une grosse gouache qui tache et la subtilité d'un théâtre-farce de guignol, mode d'emploi et bastonnades compris.

Dès la première séquence, je me suis senti empatouillé dans une mixture carnavalesque de Brian de Palma et de Max Pécas, et ça n'a cessé de s'aggraver jusqu'au générique de fin salvateur.

Je reste interdit devant cette fable indigeste et lourdingue, filant son épaisse métaphore aussi sûrement qu'une délégation d'éléphants se marchant sur les arpions dans un salon de coiffure. C'est qu'il s'agit d'une œuvre puissamment symbolique, tout à la fois foisonnante et triviale par delà son symbolisme, nous explique-t-on. Je ne vois pas trop ce que ça a de foisonnant, étant donné que tout ce qu'on y raconte, tout ce qu'on y dit, tous les personnages, gravitent autour d'un même et unique noyau de signification lancinant et répétitif. Qu'elle soit triviale, ça ne fait aucun doute, tant elle l'est avec bcp d'insistance, comme un petit théâtre du grotesque: chaque perso y est un archétype pittoresque. On se croirait dans le Petit Baigneur de Robert Dhery (qui est plus drôle, et moins freudien). C'est vraiment "les branquignols" à la campagne.

Nous avons le bonze agent probatoire et son épouse, qui font office de gentils conseillers conjugaux, le charpentier obsédé par son bateau qu'il retape, et spécialiste en reproduction des anguilles, l'ex-assassin obsédé par son anguille, l'employé de voirie obsédé par les extraterrestres et qui veut les attirer avec l''enseigne giroscopique, l'ex suicidée - clone de l'épouse assassinée - qui s'amourache obsessionnellement de l'ex-assassin, sa mère "dérangée' obsédée par Carmen de Bizet, l'ex de la suicidée, pdg véreux et amateur de vibromasseurs, obsédé par le magot de la mère; l'ex-taulard bituré obsédé par le viol, et enfin le type gominé en raybanes obsédé par Elvis, ou la rock-attitude.

Tout ce petit monde haut en couleur s'agite bruyamment autour du salon de coiffure, chacun apportant à point nommé, en vertu de son dada, sa petite contribution à l'éclosion de l'amour qui n'a jamais connu de loi. C'est trivial dans la symbolique, qui nous est assénée sans relâche, et certainement jamais par delà cette symbolique appuyée.

Pour le climat de folie douce où les strates sociales se télescopent en un ballet dérisoire et charmant, pas pour le reste bien sûr, ça m'a fait pas mal penser à quelques jours avec moi, de Claude Sautet (qui est d'ailleurs un assez bon film), en plus mécanique.

Cette allégorie démonstrative sur la "seconde naissance" d'un homme jaloux et impuissant, aligne laborieusement toutes ses figures et stations attendues. On en a rapidement saisi les ressorts et l'enjeu. L'agitation y est vaine autant que les "surprises" fausses. On assiste, en prenant son mal en patience, au déroulé ultra-prévisible d'une démonstration qu'on avait dûment comprise, mode d'emploi aidant, dès le premier quart d'heure. Et pour les rares qui n'auraient pas encore compris, tout ça nous est ré-expliqué encore, dans le monologue final du perso principal sur sa barque, lorsqu'il fait ses adieux à son anguille, laquelle représentait le petit homme fécondé par toutes les mères inconnues du vaste océan.

La morale de cette fable imamouresque me semble en outre assez douteuse.

Car enfin, si l'on admet - tout le film chemine (lourdement, donc) vers cette conclusion éventée dès l'exposition - que le perso principal à fantasmé/déliré la tromperie de sa femme, l'amant, le coït, la Scène de jouissance, en manière d'oblitération de son angoisse d'impuissance et de sa peur des femmes, peur du désir ou de la jouissance qu'on aime à dire féminins, le film a l'air de se ficher complètement de cette pauvre épouse assassinée.

La grande affaire du film, finalement, c'est: comment cet homme, au fond un brave type, peut se pardonner à lui-même (de n'avoir jamais pardonné à sa femme, qu'il aimait, pour une tromperie qui n'a jamais existé, purement produite par sa peur de n'être pas suffisamment viril). Et se pardonnant, se réconcilier avec la dimension non sexuelle de l'amour. Car le clone de l'épouse décédée ne cesse de s'imposer à lui comme aimant, sans condition, par delà toute demande de jouissance sexuelle. Ainsi peut-il recommencer à aimer les femmes, sans en avoir peur, sans voir mise à l'épreuve sa virilité, et même devenir père sans procréation.

C'est quand-même formidable, cette conclusion (si émouvante, on dira même "humaniste"): on nous expliquera que tout tourne autour du "désir féminin" (qui se satisferait aisément de l'Amour "vrai", qui est "Manque du phallus", ou "Phallus en tant que Manque", cad tout voué à la célébration d'un phallus purement signifiant, cad symbolique, castré, langagier, comme autre Nom du désir, etc).

Or une telle "vision" du "désir féminin" est le concentré de tous les clichés psychanalytiques phallocratiques et phallo-centrés séculaires, admis comme une quasi-évidence par tous les amateurs de la rhétorique post-freudienne à ce sujet. Bien plus: cette manière d'entretien ou monologue du "masculin" avec son désir - ou avec le "désir féminin" envisagé depuis son seul désir posé comme définissant et délimitant lui-même la différence sexuelle -, est tellement saillante, obsessionnellement saillante même, que ça justifie, dans la construction même de cette fable, que l'épouse assassinée soit purement et simplement escamotée, rendue accessoire, rendue à une irréalité dont à peu près tout le monde se fout éperdument dans le film.
Ce qui est important, de toute évidence, ce n'est pas cette femme, réelle, personne de chair et de sang qu'on peut à tout prendre biffer de coups de couteaux rageurs, ce qui est important, c'est que l'homme prenne conscience de l'irréalité de la tromperie, se pardonne à lui-même, surmonte sa peur des femmes, et se voit offrir la chance de recommencer une "nouvelle vie", aimer à nouveau, délivré de l'obsession phallique.
Une bien belle fable "généreuse", donc, qui, sous l'apparence de pointer subversivement la puissance de l'amour derrière l'illusion phallocrate, le mythe de la virilité, consacre un phallo(go)centrisme absolument sans limite, où l'homme retrouve sa virilité plénière pour laquelle la femme n'est qu'un outil de confirmation rassurant: les femmes, oui bon, elles aiment le sexe, la bite, la pénétration, ouida, mais après tout, elles n'y accordent aucune importance: un vibromasseur peut faire l'affaire. Ce qui les meut, c'est l'amour, l'amour absolu, éternel, tel qu'en lui-même, au delà de la hiérarchisation du social, au delà de la cupidité des hommes, etc.

Le sexe, c'est l'obsession des Hommes. Il fallait, pour comprendre enfin cette bouleversante "Vérité", poignarder l'épouse, pure abstraction commandant le déroulé du récit, et retrouver dans son clone réapparaissant l'image rassurante d'une femme toute tendue, au delà du légitime plaisir (partagé) qu'elle tire de l'homme (pas lui, mais un autre, un médiocre arriviste, via un vibromasseur quelconque, en attendant que cet homme durement traumatisé se soigne et veuille bien accepter, finalement, l'offrande de son casse-croute offert en vain par dessus le pont), toute tendue, donc, vers sa fonction naturelle et éminente: la Mère généreuse, magnanime et égalisante, confectionneuse de casse-croutes, aimante et protectrice de tous les petits hommes du vaste océan, sans distinction de classes ni d'origines. Bref, sublime synthèse de la Maman et de la Putain comme on l'aime dans toutes les crèches et les westerns bien burnés, qui n'oublient pas la beauté des sentiments.
Je dis westerns, parce que j'ai lu quelque part sur la toile qu'avec ce film quasi testamentaire, Imamura retrouvait la beauté du classicisme et de l'humanisme fordiens... Ben oui, forcément. Ford, un grand féministe, lui aussi.