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lundi 28 septembre 2009

Les jours où je n'existe pas (Jean-Charles Fitoussi, 2003)


A la médiathèque, je tombe sur ce truc: ouah, un film au sujet d'un homme qui n'existe qu'un jour sur deux. De lundi minuit à mardi minuit, il est dans le monde. De mardi minuit à mercredi minuit, il disparaît: on sait pas où et lui non plus. Et ainsi de suite. Donc, il vit une moitié de vie. Si il se marie, il voit sa femme 10 ans sur 20, et elle doit faire sans lui 20 ans sur 10. Mais pour lui, c'est comme si il ne l'avait jamais quittée, car les jours où il n'existe pas ne comptent pas pour lui, alors, forcément, le temps ne passe pas pareil pour les deux, etc.

Je trouve cette idée, adaptée d'une nouvelle de Marcel Aymé ("le temps mort".), absolument géniale, aux implications inépuisables: l'absence, la présence, l'intermittence, le deuil, le temps, la mort-vivance, tout l'bazar. En plus, j'apprends que Fitoussi a été la cheville ouvrière de nombreux Straub/Huillet, dont il se réclame. Je me dis donc: rentrons chez nous à c… rabattues pour nous nourrir de cet ovni inestimable, peut-être même, si ça se trouve, le plus grand chef d'œuvre invisible du cinématographe contemporain, quand j'existe un jour par semaine, c'est long pis j'oublie.

Bon. Je mets le truc dans le lecteur de dvds, et me cale dans mon fauteuil, les mains jointes dans la position fervente d'un jésuite abordant le compte rendu d'une querelle christologique médiévale.

Ça commence fort: un sublime panoramique à 360 degrés sur une place de Paris, automobilistique en diable, et qui dure, en pluche, s'éternise... Mmmh, j'aime ça. Pis patatras: une espèce de voix de monsieur météo chez Berlusconi (celle du témoin, qui raconte tout ça à son neveu dans le train en revenant d'avoir été enterrer grand-père au cimetière) qui commence à débiter, sur le ton bien connu du falseto nouvelle-vaguisant janséniste, le texte de Marcel Aymé, avec toutes ses tournures syntaxiques surannées, imparfaits du subjonctif en veux-tu en voilà.

Bon, ok, va falloir s'accrocher. L'extase, ça se mérite. Je me recale mieux. Après tout, c'est normal, on est dans la famille straubienne, ne regimbons pas. Respect du texte, apprendre à écouter, l'événement du sens originel dévoilé, tout le saint truc. Quelques extensions abdominales, un peu de respiration à la Tibétaine, contraction des muscles zygomatiques et fessiers, un bon verre d'eau, et c'est reparti dans la ferveur redoublée.

Bon, ça insiste lourd, la voix off.
Elle décrit tout ce que l'image montre. Pourquoi pas? Me dis-je. Ok, bon... elle décrit pitêt ce qu'on croit que l'image montre, mais c'est pour mieux me faire ressentir la présence de l'absence du visible et l'invisibilité de la présence. Pour sûr. Ouaih, c'est ça. Fûté le mec, et pas con.

Mais déjà je m'emmerde un peu. Il faut savoir s'emmerder. Principe de plaisir ne se conquiert qu'à la force du travail forcé, c'est sûr. Mais bordel, quel texte de nul, ce truc de Marcel Aymé. ça sent la naphtaline. C'est pas du Kafka ni du Sophocle, y a pas.

Tiens, y a du dialogue, de la conversation, beaucoup de conversation: on se croirait en plein Bresson, période "le diable probablement".
Mais l'image est sublime.
Oui, osons le mot: sub-lime.
Pas dégueu.
Les tables de bistrot et la chambre sont vachement bien rendus. C'est heureux, on voit qu'elles pendant au moins 1h, et ça discute ferme:

"ôô avanie n'est-il point le mot que j'userai pour dire combien il m'est triste z-et difficile de vivre un jour sur deux, tandisse que de par le monde la vie continue, en son écoulement que je ne connais point, ô malheureux ne suis-je pas?"

Toutes les cinq minutes, le personnage principal s'explique z'ainsi. Et quand c'est pas lui, c'est la voix off qui re-explique:

"ma cosi il n'éstait point conntennté, ma foi, ké il n'exista pas cettè giornata, et touti ces giornata perdoues, ma quèl triste sort lé frappait t-ainsî, loui qui aurait tant voulou vivre douos giornatas complètes si esta possibilè? Ma?"

Dernier panoramique.
Magnifique, ineffable, il faut le dire.
Et à 360 degrés. Sur le cimetière (battu par les vents, dans un paysage sauvage) où le gars a demandé à être enterré, pour être déterré dans 15 ans, histoire de voir comment change le monde, juste par curiosité, ayant entretemps perdu le goût de vivre. Car si on met de la matière là où il se tenait avant de disparaître, il ne peut pas "revenir": inexistant, sans pour autant être mort. Il est donc "presque" immortel, s'il choisit de ne vivre par exemple qu'un jour sur 20 ans, ou plus. Idée géniale, là encore.

Valà, c'est terminé.

Un chef d'œuvre.
Incontestable.
Incontesté.

Me suis fait chier comme un rat mort.

Mais respect. Respect sur toute la ligne.

J'aurais adoré aimer ce film. Mais aimer, ne serait-ce point, en fin de compte, "vouloir" aimer? Aymer Marcel, qui ne fût point, because of the omniprésence of the bistrot and the bérêt, Nathaniel Hawthorne. Mordious.