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mercredi 11 août 2010

Moon (Duncan Jones, 2009)


La bonne surprise, qui a fait quasiment l'unanimité. Un film de SF à petit budget.

On en a souligné le minimalisme, la modestie. C'est élégant, ça joue dans ses limites et ses contraintes, hommages compris; ça les exploite avec suffisamment d'intelligence et de sensibilité pour libérer plusieurs couches de compréhension, laisser le spectateur libre d'y trouver ce qui fait sens pour lui. C'est avant tout un film intimiste.
Les échos de 2001, Solaris, Blade Runner, et bien d'autres, sont convoqués - impossible à éviter, donc autant les intégrer - mais c'est pour se diriger vers d'autres thématiques, plus modestes là encore. 

Les figures habituelles sont doucement subverties: on sort de la question habituelle de la "transcendance" et de sa nostalgie (mélancolie du droïde ou du clone de ne pas être un humain dans Blade R; schizoïdie de l'ordinateur se mettant au service d'une possibilité "au delà" de sa programmation dans 2001, etc).

Ici, le clone se vit d'emblée pour ce qu'il se croyait être: un simple mortel, travaillé par des souvenirs, des projets, des désirs (implantés ou non, ça importe finalement peu), sujet à la dépression, hanté par la solitude, la maladie et la mort - et voulant y échapper à tout prix.
De l'autre côté, l'ordinateur n'est plus un obstacle menaçant. Programmé, dans sa limite, pour assister le clone qu'il "sait" fini, fragile - comme machine de chair et de sang, il participe objectivement au drame de la révélation de cette finitude aggravée ou multipliée par 2: en plus de ses soucis de mortel, l'astronaute Sam, préposé à l'extraction de l'helium 3 sur une station lunaire, a le souci de découvrir que ces soucis bien réels ne lui appartiennent même pas.

Neutre, l'ordinateur n'est plus en surplomb: ni ami ni ennemi, il cherche la meilleure solution pour que Sam en sorte vivant. C'est pourquoi il n'est pas choquant que le clone entretienne avec lui des rapports humains échappant au leurre de l'attendu "anthropomorphisme" de la machine. Ce n'est pas parce que cette dernière est sublimée ou idéalisée, c'est simplement que l'un et l'autre "communiquent" selon les limites qui leur sont propres, se rencontrant ainsi de façon indirecte: l'ordinateur se fait objectivement le miroir de la limite de celui qu'il est destiné à assister.

Beau détournement, par là, de l'imagerie traditionnelle, en SF, de la "matrice" omnipotente (dans Alien, ou enivrée par le "divin" et angoissée par sa propre finitude, comme dans 2001).
Dans la même logique, dépassement discret de la dualité traditionnelle, dans ce genre de récit, entre "l'homme" et le "clone". Le clone n'aspire plus à être un homme, à connaître le "secret" de la mortalité qu'il "pressent", comme dans blade runner, ou dans une certaine mesure l'enfant-robot de A.I. qui voudrait être un "vrai petit garçon" que sa mère puisse aimer. Il est déjà "homme", donc ce qu'il veut, c'est juste "ne pas mourir", si possible, ne pas être broyé par la "machine" de l'entreprise une fois son contrat de 3 ans échu ("wake up, Gepeto" lui dit son double). Ou partir, revenir "at home". Même s'il n'a jamais eu de "home". Et ça les deux Sam le découvrent: sa/leur femme, sa/leur fille n'existent pas "pour lui/eux". Ils ne sont pas le Sam original, qui, lui, veille sur sa fille.

Le Sam le plus "fringuant", le moins abîmé, simplement parce qu'il a été activé plus tard, s'en va ainsi vers une autre forme de mort, finalement, "libre vers sa mort", plus indéterminée. On retrouve un vague parfum du final de THX de Lucas, quand Duval grimpe vers la surface.
La fin, allusive autant qu'expédiée (trop vite, diront certains), nous suggère les 2 possibilités de son "avenir", via la presse radio: les informations qu'il aura à cœur de révéler avant que son temps de programmation soit échu le feront passer soit pour un fou, soit pour un "immigré sans papiers". Dans les deux cas, il faudra l'enfermer.


Le film invite à une méditation un peu mélancolique sur le rapport de soi à sa finitude, aussi bien comme mortalité que comme limite (au sens "kantien") de ce qu'il est permis de connaître.
Le thème du double, sans grands "chichis" métaphysiques, semble comme naturellement engendré par les différentes tensions ou phases qui se joueraient au sein d'un même individu solitaire, entre la découverte de sa finitude, sa rébellion, sa résignation, son acception, l'affirmation de sa puissance vitale dans la rivalité mimétique, son désir de dépasser malgré tout sa double-finitude, "de s'en sortir", sans être pour autant assuré que ce désir n'est pas le leurre ultime, qu'il n'est pas déjà écrasé de toute origine par un simulacre dans un monde clos, sans dehors: le simulacre qui l'a produit, de A à Z.

J'y ai vu aussi une dimension politique discrète. Dans le dialogue de la fin, notamment, avec l'ordinateur, dialogue qui a tout d'un cliché, mais le cliché prend une autre résonance. "We are not programmation, we are people" dit-il à la machine, manière de se parler à lui-même autant qu'à l'ordinateur: nous remplissons comme de bons employés modèles, interchangeables, hommes-outils, machines-outils, les tâches et les rôles que le système nous ont assignés. On nous a conditionné à croire que c'était notre seul horizon, au point d'en tirer une fierté imbécile (ce qui est susurré continuellement par les spots de propagande doucereuse et unanimiste, inscrits dans l'utilitarisme d'un éco-totalitarisme soft: se sacrifier pour la pérennité du corps-planète), mais en nous, quelque chose du corps fatigué et malade résiste à n'être qu'un rouage jetable. 

L'environnement cheapos et artisanal a ici plus de densité poétique et évocatrice qu'une débauche de SFX numériques. La lune y est sentie comme elle peut l'être, a minima: un environnement sans passé ni avenir, un astre mort, sur lequel on se traine avec peine. Une image inversée de la vie désirée.


Sam Rockwell épatant.