mercredi 27 octobre 2010

Badiou pense le cinéma à la télé


 Hier, chez Taddéi.


D'abord surpris par l'agencement curieux des plateaux:

- la première partie de l'émission ("pourquoi Sarkozy est-il si impopulaire?") rassemblant l'attendue clientèle talk-showeuse. On a eu droit à l'habituelle confrontation d'idées, c'est-à-dire de formules sonores, entre pro et contra;

- deuxième partie consacrée à un tête-à-tête tamisé avec Badiou; les intervenants de la séance d'avant demeurant sur l'aile nord du plateau
et leurs silhouettes dans la pénombre, tels des phasmes dans un vivarium.


Impression bizarre, donc, d'un capitonnage des préoccupations, comme s'il fallait en assurer la non-communicabilité: politique d'une part, esthétique de l'autre.
Badiou ne souhaitait peut-être pas un effet de "brouillage" pour cette séance de promo de son dernier livre sur le "Cinéma"?
Quels que soient le mobile ou la source de cette décision concertée entre l'animateur et le philosophe, ça suscitait un désagréable effet de "déréalisation" de la parole.

D'autant qu'en cette matière, on a eu droit, il faut bien l'admettre, à un défilé assez consternant de généralités et de platitudes. Après le tête-à-tête promo-publicitaire avec Finkielkraut. A force de trop mettre d'eau dans son vin, il y a de moins en moins de vin, c'est connu.


Faut-il s'appeler Badiou pour nous expliquer que ce qu'il y a de formidable dans les westerns de John Ford, ce sont les grands espaces servant de cadre à la monstration des passions humaines les plus fondamentales, ou que Clint Eastwood dans "dirty Harry" incarne la figure universelle du justicier solitaire raccommodant les "trous dans la Loi"?
Que des cinéastes tel Eastwood ou Ford, malgré leurs airs de matamores droitiers et de chasseurs blancs, ont le cœur noir qui penche à gauche?


"Papy fait de la résistance" est à tout prendre un bon film (c'est vrai), et on rit sans arrière pensée parce que la vulgarité du trait (Jugnot en collabo gestapiste) relève de l'outrance et que l'outrance a sa place dans l'économie du cinéma comique. Oui, certes. Mais où est l'outrance? Je trouvais ça comique parce qu'au bord de l'hyperréalisme, mais bon, c'est moi.

Le sexe (comme la violence), il faut le reconnaître, est un sujet qui intéresse grandement l'humanité de tous temps, et comme dans la tragédie grecque, ils interviennent nécessairement pour traiter des passions humaines saisies à leur paroxysme. Dame, oui. Il faut dire cependant que l'événement du sexe, dans son intrication à l'amour qui le meut, est d'une grande pauvreté au cinéma. Le plus souvent, on bâille, et on a envie de dire: bon, ça va, on connaît, sortez un peu du lit et passons à la suite. C'est ma foi bien observé.

L'extrait de "Crash" de Cronenberg, avec Arquette s'appuyant sur le capot et remontant lentement sa jupe pour exhiber ses attelles designées par Philippe Starck, attention, c'était plutôt soft, précise Taddéi. Oui, mais "limite, quand même" répond Badiou avec un petit sourire malicieux et l'œil frisottant de Frère Toc. Pendant un court instant, j'ai eu une hallucination sensorielle: j'ai cru voir Pierre Bellemarre.

Remarquons encore que "Les amants crucifiés" de Mizogushi, quoique ligotés et promis à l'innommable assassinat, arborent un visage transi de bonheur extatique. Puissance subversive de l'amour. Ferry serait d'accord.

En conclusion, le Cinéma est un art majeur de notre temps, le plus populaire de tous, brassant tous les autres arts à un point d'efficacité extraordinaire, et ça donne des œuvres magnifiques et bouleversantes. De partout, de 7 à 77 ans, l'on s'émeut, l'on rit et l'on pleure. C'est pas rien.

C'est un scandale que l'étude du Cinéma ne soit pas au programme de chaque lycée. Mais c'est bientôt au programme, allons, on va pouvoir admirer Jugnot et Gertrud Flon dans "voyage à Rome", un chef d'œuvre de la nouvelle vague.



Bref, c'est formidable. Je ne suis pas sûr qu'à l'époque du défunt "bouillon de culture" de Pivot, Toscan du Plantier ou Philippe Labro n'auraient pas dit à peu près la même chose.


Tout ceci avait son petit côté "Romain Rolland", avec un soupçon d'aristocratisme.
L'imagerie du philosophe se mouvant dans "l'inactuel", planant au dessus des préoccupations conjoncturelles de la plèbe. A un moment où l'événement de la "prise de parole", confisquée par les caniches multicartes de la rhétorique télévisuelle, eût été sans doute souhaité.


Alors, certes, quand on atteint un âge vénérable et qu'on a une œuvre considérable, on a bien le droit de se détendre et de se divertir un petit peu en passant à la télé. Et si des suffisants à brushing façon Luc Ferry y passent incontinent pour y vendre leur salade, pourquoi se gênerait-on au bout du compte?


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